La Voix De Rokugan

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Yoro, comme tous les jours, balayait le tapis où sa fille Hikari allait jouer. Mais, ce matin-là, son geste fut arrêté par un scintillement de lumière étrange, comme un reflet de la lune incrusté dans le sol.

Se penchant, elle gratta le tapis, et récolta sur son doigt un petit fragment de terre agglomérée verdâtre. Elle le frotta du pouce, et s'aperçut que sous la boue, se trouvait un fragment de...


... de jade.

Pensivement, elle passa près du foyer, mit le fragment dans un papier de son, le papier dans sa manche, et retourna à ses tâches.

À l'heure de Shiba, pourtant, elle sortit et alla chez un bijoutier qu'elle connaissait. Là, elle essaya de lui proposer de minuscules morceaux de jade... et y parvint. Pour beaucoup plus qu'elle ne l'aurait pensé. Rentrant chez elle, elle finit sa journée.

Lorsqu'elle se coucha, elle pensa à ce jour comme à une excellente journée.

Lorsqu'elle se réveilla, le Soleil était encore couché. Des coups contre la porte l'avait réveillée. Descendant, elle ouvrit la porte : le capitaine de la garde en personne était sur son seuil. Elle se dit instantanément que le bijoutier l'avait trahie et livrée aux samurai, elle pauvre heimin innocente. Qu'elle avait été naïve !

Retsu baissa la tête pour entrer dans la petite maison que la femme occupait.

"Je suis Hida Ishido, capitaine de la garde de Sunda Mizu Mura..." fit-il en se redressant, une fois franchi le seuil de la porte.

"Vous avez récemment vendu du jade... Et j'aimerai savoir où vous vous êtes procuré ce fragment."

Retsu détailla un instant la heimin. Elle semblait totalement désemparée...

Yoro recula paniquée, puis se jeta au sol, ses vêtements de nuit tombant comme des pétales humides - comme un tas de pétales humides.

- Hida-sama... m-mon taudis est trop humble pour vos p-pieds...

Mais, les pieds ne semblant pas vouloir partir, elle finit par se redresser et dire :
- Je... je l'ai trouvé. Chez moi. Je... je ne suis pas une voleuse, Hida-sama.

"Relève-toi." dit Retsu en ponctuant sa demande d'un geste de la main.

"Et montre-moi où tu as trouvé cela..."

Elle mit quelques secondes à relever la tête, puis à se lever tout simplement.

Une fois debout, par contre, elle s'empressa, guidant Retsu vers le minuscule patio qui encadrait un jardin - un tapis d'herbe de la largeur d'un bras entre la terrasse et le mur.

- Là, dit-elle en tendant la main vers le bois recouvert d'un tapis de jonc. Je l'ai trouvé là.

Retsu jeta un regard circulaire à l'endroit avant de baisser le regard sur les planches de bois.

"Ici ? Sous le tapis ??" demanda-t-il.

- N... non... dans le tapis. J'en trouve parfois et je les ramasse...

Yoro était visiblement pétrifiée par l'imposante présence de l'officier et les ombres que dessinaient son escorte à l'entrée de la maison. Elle se terrait contre un mur, comme une marmotte convaincue de penchants coupables pour des tablettes de chocolat...

"Vous en avez trouvé plusieurs fois ??"

La marmotte apeurée se ratatina.

-O... Oui. Tous les matins depuis trois jours. Mais j'ai vendu tous les fragments quand je suis allée voir le bijoutier...

Retsu réfléchit un instant. Il avait lancé depuis peu une vaste opération de cartographie des souterrains de la ville...

"Pouvez-vous me dire qui passe par ici ??"

- Mais, Hida-sama, il n'y a que moi... et, et ma famille...

Yoro parlait doucement, faiblement ; si doucement qu'on entendait surtout le pépiement des oiseaux et les bruits de la ville. Une impression de sérénité flottait dans la maison silencieuse.

*

Tout bascula.

Un des bushi avait commencé à entrer dans les pièces avancées, longeant le mur ; dérangeant un chat assoupi qui de saisissement lui avait sauté au visage, il avait reculé, trébuché sur une masse de bois traînant au sol, et franchi un panneau de paille dressée. Les hurlements d'enfant qui avaient retenti aussitôt avaient fait dégainer leurs sabres aux autres bushi

(rendant justice au célèbre adage
"- qu'est-ce qui fait plus de dégâts dans un magasin de porcelaine qu'un oni ?
- deux oni
- et qu'est-ce qui fait plus de dégats que deux oni ?
- un groupe de bushi Hida qui a piégé deux oni dans un magasin de porcelaine")

et toute la maison s'était remplie de reflets de lampes sur le métal, de parois enfoncées, de courtes cavalcades et de poussière de bois.

Quand Yoro se fut emparée de sa fille, le calme revint presque instantanément - n'eurent été les craquements de poutres manifestement avides de retourner vers leurs racines. Yoro regardait Retsu, livide, prête à exploser - mais il y avait deux sabres à son côté et des insignes de commandement sur ses épaules. Hikari regardait aussi Retsu. Sa bonne bouille, qui ne criait plus, souriait au contraire ; et la pièce en semblait illuminée.

- Je... qui va réparer tout ça ? Mon mari venait de reconstruire la maison...

Retsu s'était redressé promptement, prêt à faire face à une éventuelle menace. Il passa sa main devant son visage pour masquer son sourire naissant.

"On dirait que tu as été vaincu par le chat, Kazuyuki-dono..." fit-il à l'attention du jeune homme qui se relevait, rouge comme une pivoine. Retsu lui donna une tape sur l'épaule pour le réconforter.

Hida Kazuyuki...

Il avait passé son gempukku au printemps dernier et avait pris à cette occasion un nom sensé porter chance.

Les Fortunes avaient décidément un drôle de sens de l'humour... Car le pauvre Kazuyuki était sans doute l'homme le moins chanceux que Retsu pouvait bien connaître. Une tuile tombait d'un toit ? Vous pouviez être sûr que Kazuyuki se la prenait sur le crâne. Quelqu'un se faisait dépouiller par un bonimenteur qui vendait soit disant des amulettes du Grand Temple de Kawaradera ? Toujours Kazuyuki. Une intervention pour sauver une jolie jeune fille tombée à l'eau et Kazuyuki n'avait même pas le droit à un regard mais si il s'agissait d'une mémé édentée, il était celui qui avait droit aux regards énamourés...

Cela avait certains avantages aux yeux des hommes de son escouade. Avec un tel aimant à emmerdes, vous étiez tranquille. Si un truc devait arriver, ce serait pour Kazuyuki...

Retsu aimait bien ce garçon qui, si l'on faisait abstraction de sa déveine incroyable, se révélait être un homme intelligent et efficace...

Il se tourna vers la mère qui ne souriait pas du tout. Son regard le tira instantanément de ses réflexions et fit aussitôt disparaître son sourire naissant.

"Mousiwake Arimasen Deshita" (Littéralement "Il n'y a pas d'excuses", formule d'excuse très formelle, en général adressée à un supérieur.) fit Retsu en s'inclinant très bas devant l'heimin.

"Mes hommes et moi allons réparer les dégâts que nous avons causé." fit-il en se redressant.

Ce fut alors que son regard croisa celui de la petite fille. Un grand sourire naquit sur ses lèvres en réponse à celui de l'enfant.

"Je me nomme Hida Ishido" fit-il à l'attention de la petite.

"Comment t'appelles-tu ?" lui demanda-t-il.

- Hikari desu, répondit l'enfant gravement au grand samurai qui la surplombait - puis elle fit un grand sourire.

Retsu mit un genoux à terre pour se mettre à la hauteur de l'enfant. Il sortit de ses manches le petit fragment de jade que tout guerrier du clan du crabe portait sur lui quand il devait se rendre dans l'Outremonde.

"Tu connais ça, Hikari ?" lui demanda-t-il avec un sourire alors qu'il tendait le morceau de jade à la petite fille.