La Voix De Rokugan

Kei avançait dans les rues bientôt désertes, suivant les brigadiers. Lorsqu'elle arriva au pied de l'escalier du palais, elle vit les brigadiers monter, hésiter, s'arrêter. La galerie qui surmontait la porte du complexe brûlait, déversant de pluies d'étincelles et de bois calciné en travers du passage.

Elle regarda les flammes une bonne dizaine de secondes et ça lui remémorait de sales souvenirs. Elle prit l'un des seaux des brigadiers et le vida complètement sur ses vêtements. Ce sera déjà ça de moins long à brûler. Elle pensait avoir oublié la sensation que ça faisait mais finalement pas du tout. Elle croyait encore sentir sa chair brûler. "Filez moi un chiffon" dit-elle en en arrachant un des mains pour le mettre devant sa bon nez et sa bouche.
"On monte, on entre, on regarde s'il y a quelqu'un, s'il n'y a personne on redescend." De toutes façons il n'y avait personne pour infirmer ou confirmer que le palais était vide... Il fallait bien aller voir.

Elle commença à monter, en courant et en espérant qu'on puisse passer la porte.

Elle passa une poutre, ou ce qui avait été une poutre. Puis une flammèche emporta son masque de fortune, et elle respira la fumée âcre qui inondait le château, tombant des niveaux supérieurs, descendant lentement le long des murailles. Puis elle passa les portes affaissées et entra dans un mur.

Tout semblait figé. L'air ne bougeait pas ; les cendres tombaient, lentement, pesamment, comme si l'air était une bouillie épaisse.

Tout semblait mort. Les cadavres chaotiquement entassés le long de murs tapés de sang, les bâtiments qui s'affaissaient doucement sur leurs bases détruites, le feu même qui brûlait comme s'il manquait de combustible.

Tout semblait défait. Des gardes se traînaient dans les passages, se repliant même si aucun adversaire n'était visible, et le palais devenait abandonné, vaisseau vide au sommet d'une ville en panique.

"Traînez les dehors" dit-elle aux brigadiers en montrant les hommes qui n'étaient plus bons à rien et qui suffocaient ... Ce qu'elle ne tarderait sûrement pas à faire.

Elle s'avança et regarda les hommes morts. Il n'y avait pas que des gardes et quand il y en avait ils étaient criblés de flèches. Elle en trouva un blessé "Que s'est-il passé ? Y'a t'il du monde plus loin? Ou sont Taka-sama et son épouse?" et Retsu... Mais tu sais a peine qui c'est pas vrai... Elle essayait de le relever pour l'amener vers les brigadiers et la sortie.

- Ma dame... me laissez pas mourrir...

L'homme s'accrochait à elle, la gênant dans ses mouvements.

Elle le jeta dans les bras d'un brigadier et continua un peu plus loin... Peut-être que d'autres réponderaient. Elle poussait tous les vivants a aller retrouver les pompiers, des fois littéralement, en espérant qu'ils titubent jusqu'au portail. Et a chacun elle demandait s'il avait vu le couple seigneurial... Les morts étaient partout, la chaleur étouffante et l'odeur tellement piquante et amère qu'elle recrachait déjà ses poumons. Elle ne voulait pas vraiment réfléchir à ce qu'elle faisait, ça lui glaçait les sangs, elle voulait juste trouver Taka, et avec lui Retsu. Il n'y avait rien d'autre à faire qu'avancer et poser des questions.

Un sergent de la garde du Conseil la renseigna.

- Mais il est parti, Hida-sama. Le daimyo est allé au temple de Dame Soleil.

Puis il partit vers la porte, boitant sur sa moins mauvaise jambe.

Elle fut très soulagée, d'un seul coup. Elle en aurait presque trouvé qu'il faisait moins chaud, que l'air était un peu moins vicié et que la situation n'était pas si terrible.

- Oui mais t'as toujours chaud aux fesses hein !

- Oui mais il y a des gens à sortir de là.

- Tais-toi, c'est elle qui doit sortir de là.

- ... Y'a des gens...

Elle continua d'avancer, de remettre les blessés sur pattes et de les regarder claudiquer les premiers mètres vers la sortie, pour être sûre qu'ils ne s’effondraient pas trois pas plus loin. "Les brigadiers sont juste un peu plus loin" leur disait-elle. Ça en rassurait certains. Elle écartaient un peu des bâtiments ceux qui ne pouvaient pas se déplacer seuls en se disant bêtement qu'elle reviendrait... Peut-être qu'elle devrait les emmener vers les bains extérieurs...

Tant qu'elle restait hors des bâtiments, elle ne paniquait pas trop. Il fallait juste qu'elle regarde bien, appelle, pour être sûre que personne n'était coincé. C'est s'il fallait entrer que ce serait moins drôle.

Des brigadiers commençaient à arriver à son niveau, l'escouade avec laquelle elle était arrivée devait avoir eu un peu de renfort a minima. Mais bon... C'était normal... Le Palais du Conseil brûlait...

D'où elle se trouvait, Kei était dominée par la double masse qui avait été le donjon et qui demeurait éventré, comme deux tas de sable séparés par un coup de pied géant. Elle vit les masses trembler et dans un soupir pesant tomber vers l'intérieur du honmaru, où elles disparurent à sa vue. Des bushi s'agitaient derrière la masse, cachés par les filaments de fumée qui descendaient de l'étage supérieur, et qui coulaient - littéralement, la fumée coulait le long des murs - à une hauteur considérable.

Un homme se tenait près de la tour sud, la plus proche de la mer : robe longue embrumée de suie, qui avait jadis été bleue nuit.Il lui fit signe de la rejoindre.

Elle se dirigea vers l'homme qui l'appelait. Il n'avait pas expressément l'air blessé, mais peut-être avait-il besoin d'aide. Et elle ne pouvait rien faire pour les bushi derrière le donjon.... Pour le moment en tous cas, ils avaient l'air vivants et ils bougeaient de toutes façons.

- Qui êtes-vous ? Vous amenez des renforts ? Je crois qu'ils sont tous morts à présent.

Kei dégaina. Il avait l'air trop bizarre pour être honnête. Et ces questions pouvaient dire tout et n'importe quoi.

- Et vous, vous êtes qui ?

Il la regarda avec stupeur.

- Je suis Kuni Sakasu. Ça fait une heure que j'essaie de faire quelque chose de ce feu, et j'obtiens d'assez bons résultats malgré ce que ces fumiers ont mis dans les murs. Et vous ?

Elle baissa le bras mais ne rengaina pas.

- Je suis Hida Kei, gunso de la Garde des Eaux. Je... venais voir si tout le monde était sorti du château. Les brigadiers sont arrivés. Vous voulez que je leur demande quelque chose ? Vous avez besoin de quelque chose ?

- Dîtes-leur qu'ils fassent attention, les murs ont tendance à fondre sur place, et il n'y a pas de signe avant-coureur de l'effondrement des étages (comme des chutes de bois). Quelle idée aussi d'avoir mis des plafonds en pierre.