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Ten'ka Ryûjin monogatari (extraits)

Publié : 28 sept. 2010, 21:51
par Togashi Dôgen
Je réorganise le sujet. J'y posterais des extraits du texte original.


Ten'ka Ryûjin Monogatari
Prologue



Puissant, comme le "Dragon". Majestueux, comme un "Dieu". Ton esprit est le "Tonnerre" dans le Ciel, tu es "Toujours" Vainqueur.


Dans la brise du Petit Matin claque une grande bannière de commandement, connue à travers tout l'Empire : Dragon, Dieu, Tonnerre, Toujours, ces mots y sont calligraphiés avec une élégance certaine. Tous ont les yeux rivés sur l'homme qui se tient devant elle, assis sur un siège de campagne. Dans sa main gauche, un éventail de guerre écarlate. Sa vision suffit à les inspirer, sa gloire suffit à guider leurs sabres, son esprit invincible chevauche leurs flèches, son souffle abreuve leurs cris de guerre.

*****

Dragon. Ô toi, immense et profond comme l'océan, impénétrable et infiniment subtil, la source de toute vie. Tu t'élèves au Paradis par-dessus les nuées : connais-tu le fondement et la fin de toutes choses ? Toi que même les dieux ne peuvent connaître, toi dont les démons ne peuvent sonder la pensée. Incomparable sous le Ciel !

*****

Il est revêtu d'une armure lourde noire rehaussée d'or et d'une cape tombante verte émeraude, son plastron est ornementé de l'image d'un lotus pourpre. Les soldats du clan du Dragon sont assemblés face à lui, suspendus à ses lèvres, son image gravée dans la rétine. Le général goûte les trois plats rituels, qui précèdent la bataille, faisant à chaque fois passer la nourriture avec une gorgée de saké. Enfin, se levant du siège, le général les harangue : "Ei ! Ei !" (Êtes-vous prêts ?! Êtes-vous prêts ?!) et tous en coeur, brandissant leurs lames étincelante face au soleil levant, ils crient avec force leur assentiment : "Oh !" Peut-on concevoir plus grand spectacle que le coeur d'un grand homme, qui pompe le sang de milliers d'autres ?

*****

Dieu. Au commencement de toutes choses, il n'y avait que le Chaos, sombre et sans forme. Les Cinq éléments n'avaient pas encore débuté leur danse éternelle, ni-même le Soleil ou la Lune. Mais toi, Ô Souverain Spirituel, tu fus le premier à diviser les parts des Trois Augustes. Tu créas le Paradis. Tu fondas la Terre. Tu engendras l'Humanité. Par ta volonté , tu façonnas toutes choses en ce monde avec leur capacité de création et de reproduction.

*****

Alors l'armée glorieuse se met en branle, tandis que l'armée charge les rangs de l'ennemi. Aujourd'hui, leur général les mène lui-même au combat, et tandis qu'il charge en tête sur son puissant destrier, sa cape vole derrière-lui avec panache. Fuyant sa bannière, son sabre étincelant et l'éventail écarlate, les ennemis courent en tout sens pour éviter son contact, ceux qui ne fuient pas assez vite sont taillés en pièce. Aujourd'hui encore, l'Eventail de Commandement de Ryûjin les mènent vers la victoire. Ce soir, ils célébreront leur suprématie, comme lors d'un millier de soirs auparavant.

*****

Tonnerre. Les sages sont tels les éclairs dans le Ciel. Les êtres qui brillent le plus fort sont comme de grands feux de joie, des fanaux qui attirent les êtres moins brillant par leur seule présence, ils illuminent les Ténèbres. Mais ceux qui ne suivent que leurs sentiments passent à côté de l'avenir. L'être lumineux déchire l'obscurité et révèle ce qui ne pouvait être vu.

*****

Dans l'obscurité deux êtres se font face. Le premier est un dieu, maître des hautes montagnes, il se meut tel un Dragon et sa voix résonne dans l'esprit de son interlocuteur comme le tonnerre lointain.

"Si je te nomme général, que feras tu avec les pouvoirs qui t'ont été attribués ?"

Le second est un homme, mais son esprit est celui d'un dieu lumineux, profond, insondable, et éblouissant à la fois. Bien qu'encore jeune, déjà il porte la marque des héros. Avec majesté, il lève son poing ferme et brandit son index en direction du ciel.

"Le Paradis ! Mon sabre m'a été conféré par le Ciel. Né sous le Ciel, je conquérais tout ce qui s'y trouve, et toutes les choses en ce monde m'appartiendront !

Malgré le fait que son visage soit dissimulé par son heaume, il est possible de sentir l'étonnement se peindre sur le visage du dieu.

"Le Ciel ne le permettra pas."

*****

Toujours. Ô Seigneur qui commande au Destin, Ô Glorieux nicéphore. Toi l'être le plus lumineux, conte nous ta glorieuse épopée : la gloire est inséparable de la décadence, tout phénomène atteignant son paroxysme est appelé à s'inverser. Ton Destin est-il de lutter contre l'éternité ou de traverser le Ciel ?

*****

Le samouraï abaisse son poing, le ramenant au niveau de son visage. Sans hésitation, il répond avec fermeté, tandis que Togashi sourit. Depuis son Trône Glorieux, il tend son bras et leurs index se touchent, alors que la réponse du samouraï résonne dans l'esprit de son vis à vis.

"Le Ciel d'Azur est déjà mort."

C'est ainsi que naquit parmi les hommes le dieu de la Guerre.

Re: (nouvelle) Planification Stratégique

Publié : 06 nov. 2010, 07:42
par Togashi Dôgen
Ce qui suit est un extrait de "Ten'ka Ryûjin Monogatari", oeuvre romancée écrite par le barde Ikoma Shinzo, sur la vie de Mirumoto Nobushige Ryûjin no kami Echizen Nyudô Shingetsu, ou plus simplement Mirumoto Ryûjin, le Dragon Echizen. Les sources de Shinzo proviennent essentiellement d'Asahina Taki et du fantôme d'Echizen Guren, un des hatamoto de Shingetsu. J'ai écrit le texte de mémoire, c'est un des rares passages intéressants, du coup il y a des trucs qui sont inexacts, je pense.



Planification Stratégique
la Situation de Force dans l'Empire d'Emeraude, vue par Mirumoto Ryûjin



Togasha Hoshi rencontra pour la première fois Mirumoto Ryûjin, c'était alors à la suite de son Musha-shugyo, qui avait duré quatre longues années. Au lieu de le blâmer pour son retard (il avait pris le double du temps initialement prévu alors qu'étant Taisa, il avait des troupes à diriger), à Shiro Mirumoto, Hoshi le rencontra au nom de son père, pour parler Stratégie. Etaient également présents Mirumoto Kuojin et ses frères, Yukihira et Sukune. Mirumoto Satsu était quant à lui en déplacement à Kyuden Bayushi, avec son épouse, native de ce clan, et n'assistait donc pas à l'entretien. Kuojin, le seigneur des Mirumoto, trônait sur l'estrade. Sur des coussins, assis à la colonne de droite qui partait depuis l'estrade, les deux frères. A l'opposé, sur la colonne de gauche était assis Togashi Hoshi. Mirumoto Ryûjin, quant à lui, était assis en tailleur, sur le parquet, en face du seigneur. Hoshi fût le premier à parler, en tant que messager de Togashi Yokuni.

-Dans les astres, vous transmet Togashi-hasha, j'ai vu que vous étiez tel un Dragon, et votre voix semblable au Tonnerre, c'est pourquoi je vous ai consenti ma bénédiction. Maintenant que nous avons enfin l'honneur de vous rencontrer, nous souhaitons parler de la situation stratégique actuelle.

-C'est un honneur de servir, Togashi-hasha, répondit humblement le jeune stratège. Je vous écoute, Hoshi-sama.

Ryûjin avait connaissance, depuis de longues années déjà, de l'identité véritable de Togashi Yokuni, ainsi que quelques autres secrets gardés par son clan. Son père et le fantôme de son grand-père les lui avaient dévoilés. Mirumoto Ryûjin, dont le nom d'enfant était "Aman", n'avait alors que 20 ans. Il portait un kimono, un hakama et un haori. Cette tenue intégralement composée de soie noire luxueuse et élégante lui avait été offerte par feu Doji Hikobei, jadis à Otosan-Uchi, en remplaçement de ses vêtements élimés, c'était peu avant que ne commence leur Musha Shugyo. Son visage était partiellement dissimulé par un masque de guerre, laissant entrevoir ses traits fins, héritages de Bayushi Tokubei, dont le fantôme planait au-dessus de l'épaule avec impatience, tandis que Ryûjin l'ignorait complètement.

Le Triumvirat Mirumoto était alors fort sceptique devant ce jeune homme, qui 4 ans auparavant avait remporté pas moins de trois batailles, dont deux contre le clan du Lion, alors qu'auparavant ce genre de victoire contre le Lion était très rare. Le visage, à la fois triste et sérieux du jeune homme, ne faisait que le rendre plus charmant, mais sont étrange lame Kakita, qu'il appellait "Zantetsuken", passée dans son obi rappelait alors que ce "jeune homme" était celui qui avait triomphé, il y a quelques mois à peine, du tristement célèbre Yasuki Onibi, le Démon au Fouet. En quatre années, son aspect avait tout de même changé, bien qu'ici seul Hoshi put s'en rendre compte, il était devenu moins frêle, ses cheveux étaient peignés avec soin, sa peau avait bronzé sur les routes, tandis que son corps devenait plus musclé.

-Cela faisait longtemps que je voulais vous entretenir à ce propos, lui dit Hoshi. Le clan de la Licorne menace la frontière ouest. Le clan du Lion accentue la pression au Sud. L'est est tranquille pour l'instant, mais les généraux prêchent la capture des plaines aux pieds des montagnes, ce qui provoquerait un conflit frontalier avec le Phénix. Depuis Toshi Ranbo, la Grue cherche à profiter de son poste avancé pour accoître son territoire, au dépends de nos terres cultivables. Heureusement, le Nord est sans danger à l'heure actuelle.

-Mais loin au Sud, intervint Sukune, le Scorpion grignotte encore nôtre faible influence à la Cour. Et des conflits politiques sont amenés à apparaître, entre la famille Mirumoto et la famille Hida, risquant de nous affaiblir à la Cour et d'affaiblir la frontière avec Outremonde. Nôtre situation est donc fort inconfortable.

-Taisa, reprit Kuojin, que devrions-nous faire, selon vous ?

Au sein de la famille Mirumoto, l'âge avait décidé des places attribuées à chacun. Kuojin était l'aîné, et donc le daimyo. C'était à lui que la charge des terres du clan du Dragon, ainsi que les affaires courantes, était dévolues, tandis que le Champion procédait à ses propres affaires mystérieuses. Son frère, Sukune, était un homme intelligent, mais guère brillant. Il était surtout lucide, calme et pondéré. Il servait actuellement comme l'un des trois généraux du clan du Dragon. Jeune, il était doté d'un tempérament flamboyant qui s'était appaisé avec l'âge. Yukihira était le plus jeune, mais aussi le meilleur guerrier. Il était devenu le maître d'armes de la famille, car c'était un bushi très complet et polyvalent, bien que Kuojin soit le meilleur duelliste, car il s'était concentré sur le sabre. Sans vraiment y exceller, Yukihira était compétent dans le maniement de toutes les armes. A eux trois, ils formaient la fratrie assumant le pouvoir effectif dans le clan du Dragon. On les appellait les Trois Dragons du Nord.

-Tout d'abord, pour assurer la sécurité du royaume, il convient d'etre sur ses gardes et d'essayez d'anticiper les mouvements adverses. Vous sollicitez mon conseil, et vous êtes donc en voie de rémission. Maintenant, laissez moi développer les particularités des armées que vous avez cité, nous n'aurons plus besoin que de tirer parti de leurs faiblesses respectives.
Les clans du Lion et de la Licorne sont puissants, mais composés d'unités qui supportent mal la discipline.
A l'inverse, le clan du Scorpion est disciplinée, mais peu résistant.
Le clan de la Grue est puissant, mais instable.
Les clans du Crabe et du Phénix savent se défendre, mais pas attaquer.

-C'est la première fois, intervint le seigneur Kuojin, que j'entends dire du clan du Lion qu'il supporte mal la discipline. Gunshi (stratège), quel est le raisonnement qui se cache derrière cette affirmation ?

-Le clan du Lion, décréta doctement le jeune prodige, se trouve dans une région centrale. Son peuple est calme et docile, mais nombre de ses samouraïs ont un tempérament violent. Son armée est nombreuse, disposée selon un modèle qui a fait ses preuves en mille ans, et ses soldats connaissent bien le maniement des armes. Mais son peuple est épuisé par la guerre, et leurs vastes terres arables sont mal gérées et bien trop souvent utilisées pour les manoeuvres, plutôt que pour l'agriculutre. Les champs sont en friches, quand ils n'ont pas été piétinés par les semelles des troupes. De plus, les ashigaru considèrent la solde insuffisante, et les dissensions entre les familles Akodo et Matsu, Kitsu et Ikoma, provoquent l'affaiblissement de leur hiérarchie. C'est pourquoi les sous-officiers Matsu ont peu de respect pour les officiers Akodo au pouvoir, et donc nombre de leur soldats n'ont nulle intention de mourrir au combat, ce qui n'était pas le cas de par le passé. Il est vrai que la famille Ikoma a vu naître en son sein un jeune prodige, Ikoma Joseki, qui peut servir à amortir les conflits, mais je l'ai songer là dernière fois que je l'ai affronté, je peux le vaincre sans problème. Quant aux autres, eh bien... ils continuent de se sentir étroits dans leurs frontières, et la nouvelle génération de seigneur aime trop la guerre, et pas assez la paix, pour se retenir de déclencher les hostilités avec la Grue et la Licorne. Akodo Arasou et Matsu Tsuko vont sans doute mourir au combat. Je dirais Arasou en premier, en tentant de reprendre Toshi Ranbo wo shien shite reigisaho, dès qu'il sera au pouvoir. Ils pourraient éviter cela s'ils s'appuyaient sur les shugenja Kitsu pour accroître leur puissance brute, mais le Go-Hatamoto rechigne.
A l'inverse, le clan de la Licorne est riche, il tire sa subsistance de ses rizières et augmente ses revenues grâce aux mines de diamants. Son peuple vit en paix depuis des générations, mais leurs guerriers sont rompus au combat. Cependant, il y a là encore des dissensions entre les familles majeures, quoique moins notable. De plus, leurs troupes rêvent de gloire et d'actes héroïques, mais leur système de châtiment-récompenses est laxiste.

-Je vois, mais de quelle façon devons nous les affronter ? Demanda Hoshi.

-C'es bien simple, si nous devons affronter ces deux clans, il suffit de disposer des appâts. La majorité des soldats professionnels de leurs armées sont composées de samouraïs vétérans, entraînés à prendre l'initiative. Rêvant de richesse et de gloire, ils sauteront sur l'occasion sans attendre les ordres du général. Les meilleurs stratèges du Clan seront donc neutralisés par leur propre troupes d'élite, il suffira de tendre une embuscade pour capturer l'état-major et l'armée se retrouvera privée de son meilleur commandant. Si, parmi les officiers et sous-officiers, un excellent tacticien prend la relève et mène les troupes malgré la perte de l'état-major, il suffit de se replier, attendre la bataille suivante et mener une action similaire sur le camp du général pour décapiter de nouvau l'armée, sans qu'ils ne puissent rien y changer. Au besoin, nous nous retirons encore, avant de nous regrouper et de les désorganisés à nouveau. Lorsqu'ils commenceront à fuir, il suffira de les tailler en pièces. S'ils se rendent, nous leur laisserons la vie sauve, et de retour chez eux, ils exhalteront nôtre Humanité. C'est ce que Bayushi Tangen appelle : "Un seigneur doit être deux choses : pour ses hommes, un saint ; pour ses ennemis, un démon. L'inverse vaut aussi." Bien sur, je peux aussi le faire à volonté.

-Le clan de la Licorne use de tactique et de stratégie barbares, que l'on ne retrouve pas dans les classiques. Qu'avez-vous à répondre à cela ? Railla Sukune.

-Les rivières sont toutes composées d'eau, le Ciel est le même ici ou ailleurs. Même si toutes les rivières sont différentes, on les désigne toutes de la même façon, comme pour les guerres et batailles, elles ont des points communs permettant l'analyse et la classification. La Lune a beau varier selon les nuits, il s'agit toujours du même astre. Par conséquent, le Heihô, l'Art de la Guerre, est partout pareil, les principes de la Tactiques sont des règles universelles : il suffit de s'adapter à la langue et à l'accent local pour parler avec aisance. L'argument classique usité par les clans du Crabe et du Lion ne sert qu'à sauver la face. Ils font honte à Akodo no mikoto-sama.
A mon avis... Ils vont sans doute rester sur la défensive, pour voir s'ils peuvent s'intégrer sans heurts au reste de la population, et si la situation évolue, ils déclareront une guerre pour accroître leur pouvoir. C'est ce que j'ai put constater lors de mes pérégrinations, du moins. Traditionnellement, on dit que les clans du Crabe, du Lion et de la Licorne accordent le plus d'importance à la guerre. Mais ils ne seront pas un problème pour moi, tous autant qu'ils sont. De toute façon, le clan de la Licorne est compétent pour l'attaque, mais sa défense laisse à désirer. Le Crabe ne sait pas attaquer, comme nous le verrons. Et le Lion, bien que plus complet, c'est affaibli de nos jours, comme on le sait.

-Je vois, commenta Hoshi, étant donné qu'ils sont puissants mais supportent mal la discipline, les clans de la Licorne et du Lion représentent un danger mineur dans ces circonstances. Parlez moi plus avant du clan de la Grue, je vous prie. Vous le dites puissant, mais instable ? C'est un jugement que l'on attendrait davantage à propos du clan du Lion.

-Le clan de la Grue ne connaît pas les arcanes de la Guerre, rétorqua Ryûjin avec mépris. Leur royaume se trouve dans une région centrale, leurs habitants ont un tempérament calme et civilisé. Il est composée de quatre familles. Les Doji mène l'orchestre et les Kakita jouent des instruments qu'ils fabriquent. Daidoji et Asahina se chargent des accords, de la fabrication et s'occupent aussi des coulisses. Cette méthode de gouvernement dépend de l'aristocratie, sur laquelle elle est basée. Le Doji et le Kakita nourrissent le peuple et l'éduquent, mais le toisent et n'ont aucun soucis de lui. L'administration est laxiste. Le Champion est puissant, mais son emploi du temps est surchargé par le cumul des fonctions, en outre il doit lutter contre la corruption, notamment au sein de la magistrature, ou s'y engouffrer lui-même. Quant à ses ministres, ils sont orgueuilleux et prodigues. De plus, même s'ils sont soumis à leur devoir traditionnel, les Daidoji ne se plient pas sans amertume, car la solde des officiers est disparate et inéquitable, et se base rarement sur le mérite individuel, mais davantage sur l'étiquette et les privilèges des uns et des autres. Pour compenser, les Doji et Kakita qui assument les hautes fonctions de l'armée sont obligés de confier le commandement effectif à des officiers et stratèges Daidoji, qui n'en retirent aucune Gloire ni Honneur, tandis que leurs tactiques sont méprisés par leurs supérieurs, alors qu'ils ont permis à eux seul au clan de la Grue de survivre au Lion et au Crabe pendant un millénaire. Il est certain que l'armée nourrit des sentiments de rébellion. Alors qu'ils pourraient s'appuyer sur les shugenja Asahina pour compenser, peu d'entre eux sont d'accord pour utiliser leurs compétences au combat. Pire encore, ce sont des pacifistes, rares sont ceux qui savent se battre. Ils préfèrent vivre retirés et ont volontairement détruit ou dissimulé les secrets sur la fabrication d'armes magiques dont ils disposaient auparavant. C'est n'importe quoi !
En conséquence de quoi, les bas échelons de l'armée rêvent de s'élever, mais on peut de respect pour leurs officiers supérieurs. Comme ce système est honorable mais inneficace, tout le monde reste sur sa faim, l'insatisfaction est générale, alors l'ambition individuelle fait des ravages. Et les paysans n'attendent que l'occasion de déserter, dès que les choses tournent mal. C'est pourquoi leurs premiers rangs sont puissants, mais les arrières sont faibles.

-Ils sont donc forts, mais faibles, si je suis bien vôtre raisonnement ? Demanda le seigneur, avec perplexité.

-C'est cela. Pour les vaincre sur le champ de bataille, il faut disposer l'armée en trois corps. Encercler le dispositif ennemi avec les ailes, en attaquant par les flancs, pendant que les troupes du milieu lancent un assaut direct sur le centre de la formation, dans l'intention d'effectuer une percée. Le dispositif ennemi s'effondrera alors Les rangs arrières étant faibles, ils seront vite démoralisés et se débanderont. Les troupes d'élite se retrouveront vite cernées et taillées en pièces.
Une fois qu'ils seront tous morts ou en fuite, le clan de la Grue se retrouvera à nôtre mercie pendant une génération, au moins. Si cela ne suffit pas, il faut s'arranger pour que le général officiel désobéisse aux directives de ses stratèges et conseillers Daidoji. Une fois la bataille perdue, la famille Doji dévoilera à tout le monde son incompétence dans le Heihô en demandant la restitution de sa bannière à la Cour Impériale, augmentant ainsi le mécontentement au sein du Daidoji, et l'indécision chez les Asahina. Si nous jouons finement, les Kakita seront obligés de prendre parti, et le dispositif clanique tout entier s'effondrera, à terme il est même possible de les annexer, s'ils perdent le soutien de la Cour. Ils ne représenteraient un danger que s'ils étaient capable d'instaurer une discipline militaire, mais cela laisse supposer qu'un Maître-Stratège Akodo ou Kaiu se charge de les diriger, ce qui déplairait bien trop aux troupes Daidoji pour fonctionner dans l'immédiat. Si ça devait arriver, nous n'aurions besoin que de les prendre de vitesse pour les soumettre. C'est pourquoi j'ai dis qu'ils sont puissants, mais instables.

-Soit, le clan de la Grue n'est pas un problème. Mais quelle politique adopter envers eux ? Demanda Sukune.

-Montrons leur nôtre puissance. Quand les hostilités commenceront avec le clan du Lion, le clan de la Grue sera isolé, car la Licorne est trop lointain pour lui envoyer des renforts, qui seront bloqués à sa frontière par les troupes supérieures en nombre du Lion, s'ils tentent une percée ils seront isolés dans leur territoir et anéantis. En admettant qu'ils arrivent à passer en force, leur propre frontière serait dégarnie, et les Akodo déclancheraient une invasion massive, quitte à y envoyer un ou deux Go-Hatamoto en entier, sous la direction du Champion. A l'inverse, les efforts du Phénix seront peu efficaces, puisqu'il ne sait pas attaquer. Ne pouvant se tourner vers son ennemi le Crabe, et le Scorpion étant lui aussi isolé et indigne de confiance, la Grue nous suppliera donc de lui venir en aide. Une fois le Lion repoussé, nous n'aurons plus qu'à nous servir dans les richesses que la Grue nous versera en tribut. Au bout de quelques années, la peur diminuera avec le retour de la paix. S'ils nous abandonnent, nous n'aurons qu'à les rudoyer, si ça ne suffit pas, il faut juste prendre la ville de Toshi Ranbo par les armes, rien deplus facile puisqu'elle se trouve à la frontière, tout près de Toshi no Shi, qui peut nous servir de tête de pont, avec le Clan de la Libellule. Ensuite, nous arrangeons un marriage avec le Lion, celui-ci récupérera la ville qui lui est chère. Le Lion nous devra une grande faveur, en plus de conclure la paix entre nos deux clans. La Grue se retrouvera à nouveau isolée, mais n'osera pas appeller à l'aide le seul clan neutre, le Scorpion. Il nous suppliera alors de l'épargner et d'intercéder en sa faveur, tandis que leurs troupes se fortifient au sud contre la vindicte habituelle du clan du Crabe, qu'elle aura imprudement provoquée et qui voudra en profiter pour lui sauter à la gorge. Si cela arrivait, nous jourrions les intermédiaires entre eux, quitte à prendre parti si ça ne mène à rien. A deux contre un, nous vaincrions sans peine.

-La puissance de la Grue est instable, nous avons bien compris, Ryûjin-dono. Mais qu'en est-il du Phénix, vous avez dis à plusieurs reprises qu'ils savent se défendre, mais qu'ils sont incapable d'attaquer ? Interrogea Sukune avec suspiscion. Il est vrai que le clan du Phénix n'a que très rarement participer aux conflits militaires claniques, et se contente surtout de défendre. Mais ça ne veut pas dire qu'ils ne savent pas comment attaquer, seulement qu'ils n'ont pas saisis cette opportunité de le faire. La puissance de leurs shugenja est légendaire, vous avez sans doute entendu parler de la bataille de la Rivière des Trois-Pierres, ou quelques shugenja et bushi du Phénix ont réduit en cendres tout une compagnie, avec une seule contre-attaque fulgurante !

-Précisément, Sukune-dono. La caractéristique principale de ses habitants est l'honnêteté. Le peuple du Phénix est prudent, il prise la bravoure, la piété et la sagesse. Ses gens ont le sens de l'honneur, et sont compatissants, même envers les démunis. Certains membres du clan du Phénix ont également sut réalisé la parole d'Asako Jukiu : "Un pauvre heureux et un riche sans orgueuil" ainsi que "S'il faut abandonner l'un des trois, rennoncez aux armes".
Toutefois, pour ces mêmes raisons, le clan du Phénix méprise la ruse, qui elle est la caractéristique du clan du Scorpion. De plus, il est renommé pour ses yojimbo et ses shugenja, les meilleurs de l'Empire. Toutefois, pour la même raison, leurs troupes sont incapables d'attaquer. Je m'explique, non seulement l'antagonisme traditionnel de ces familles s'illustre de la triste manière qu'on leur connaît, mais aussi au sein de la famille Isawa, les maîtres élémentaires sont divisés. Le prochain maître du Feu est Isawa Tsuke est le plus brillant Tensai de sa génération. Or, cet expert en destruction massive, ce foudre de guerre qu'est Tsuke, ne s'est pas entraîné dans la seule idée de faire des feux d'artifice une fois l'an ou pour amuser la Cour, si j'ose dire. Il voudra donc développer une politique militariste pour un clan pacifiste, mais n'aura évidemment pas les moyens de passer à l'attaque. Car la Guerre stratégique et le sens tactique sont davantage l'affaire du maître de l'Eau, qui est un pacifiste convaincu, il se retrouvera de fait pillier de l'armée. Mais la tactique d'un seul ne peut plier l'issue d'une bataille, Tsuke n'a pas les moyens de battre un maître de la stratégie sur son propre terrain. En outre, la guerre nécéssite moins de la bravoure individuelle que de la ruse et de la pénétration, le maître du feu est une tête brûlée dans tous les sens du terme. Si le clan du Phénix est capable de pénétration, lorsqu'il n'est pas occupé par ses dissensions internes, il est incapable de faire preuve de la ruse du Scorpion. Semer la dissension au sein des hautes instances fera s'écrouler la hiérarchie, entraînant la fin de la discipline militaire. Des proies faciles, il suffira d'attendre que l'anarchie soit à son comble pour les envahir, la population nous accueillerais en sauveur et nos pertes seront minimes.

-C'est pourquoi le clan du Phénix peut assurer une défense solide, mais pas attaquer. C'est très bien vu, Taisa, complimenta Yukihira. Quelle stratégie adopter pour s'occuper d'eux ?

-Pour savoir si nous les affronterons sérieusement ou pas, il faut observer les mouvements du Champion de la famille Shiba. Si celui-ci devait réclamer l'armure ancestrale de son clan, sous la garde du Conseil des Cinq, alors le Phénix se mobiliserait vraiment, mais si l'Isawa refuse l'armure divine à Shiba, l'issue de la guerre sera évidente. Si nous devons les affronter au combat, il faut procéder à des attaques rapides puis se retirer très vite après avoir frappé, tout en harcelant leurs arrières. Le doute et la peur naîtront alors aussi bien chez les officiers que les simples soldats. Comme ce sont des pacifistes, ils ont peu de stratèges compétents, leurs soldats sont peu accoutumés au métier des armes et leurs officiers auront soif de distinction au combat, mais seront déçus par les réalités de la guerre.
Lorsqu'ils commenceront à se découvrir, il suffira de tendre une embuscade pour capturer le général, qui sera leur meilleur stratège, et donc le plus à même de nous résister en gardant l'armée unie. Après quoi, le dispositif défensif s'effondrera, il nous suffira de conclure une trève à nôtre avantage. Par exemple, un pacte alimentaire, ou la révélation de certains secrets magiques en leur possession, au seul bénéfice de nos shugenja. S'ils venaient à recouvrer leur moral et leur militarisme, ils ne pourraient pas venir à bout de nos défenses retranchées dans les montagnes. Par précaution, il suffit de tâter le terrain régulièrement, et au besoin d'utiliser des démonstrations de force de manière sporadique, qui les soumettront aisément.

-C'est ce que Sôn Dô-shi appelle : "la capacité d'obtenir la Victoire dépend de l'Attaque, la capacité à être Invincible dépend de la Défense." Formidable ! S'exlama le maître d'armes. Même si la guerre éclate, le clan du Phénix ne nous posera aucun problème.

-Le clan du Crabe, maintenant. Vous avez dit qu'ils sont capables de se défendre, mais pas d'attaquer ? Demanda Kuojin. Je partage cette opinion dans une certaine mesure, mais je redoute tout de même leurs assauts.

-Après tout, intervint Sukune, ils comptent nombre de maîtres poliorcètes parmi eux, dont le fameux Kaiu Yukimura, dont on dit qu'il sera le meilleur maître de siège de nôtre temps. Il a déjà fait tomber plusieurs forteresses et permit à d'autres de résister en les fortifiant. On dit aussi que le Lion veut l'engager pour créer des fortifications spéciales sur un de ses châteaux, à la frontière avec la Licorne, afin de se prémunir de ses assauts de cavalerie.

-Même indirectement, renchérit Kuojin, il leur suffirait de fournir des armes et des conseillers à nos ennemis pour nous causer d'importants dégâts. Ces milles dernières années, nous nous sommes surtout appuyés sur la défense, et n'avons attaquer que lorsque l'occasion se présentait. Si le Crabe ne sait pas attaquer, nous n sommes guère mieux lotis que lui.

-Je plussoie, dit Yukihira avec inquiétude. Si une armée équipée de leurs machines de guerre se présentait à nos portes, nous aurions de graves ennuis.

-Ce n'est pas improbable, surtout si nos relations diplomatiques avec eux continuent de se dégrader, ajouta Togashi Hoshi.

-Le clan du Crabe est un clan militariste par nécéssité, mais aussi par tempérament. Ils se trouvent à la frontière de l'Empire. Ses habitants sont violents et pragmatiques. Son administration est sévère et portée sur une efficacité épurée. Les bastonnades sont fréquentes, mais en combinaison avec la haine d'Outremonde, suffisent pour instaurer la discipline martiale. En près d'un millier d'années, il a globalement réussi, rares sont les fois où l'ennemi a été suffisament fort pour qu'il ait besoin de l'aide des autres clans. Néanmoins, cela n'est pas impossible. Le Crabe est bien organisé. Les clans Hida et Hiruma sont responsables de la tactique du Crabe, ils mènent les batailles. Les experts fournis par la famille Kaiu s'occupent de mener les armées et de garantir une bonne logistique, en coopération avec le Yasuki, qui leur fournit un bon réseau d'espionnage dans l'Empire, d'excellents sous-officiers et une force financière et commerciale de qualité supérieure. La famille Kuni s'occupe de la magie et de la lutte interne contre la Souillure. De plus, ils soudent les relations diplomatiques amicales avec le Scorpion et le Phénix, malgré les différences notables entre eux.
En bref, leur clan est tout entier tourné vers la Guerre, ce qui va bien avec le caractère de son nouveau Champion, Hida Kisada. Cependant, ils sont très faibles politiquement, et les autres clans les méprisent pour leur rudesse excessive. Comme ils sont occupés à défendre leur frontière ouest, avec l'Outremonde, ils délaissent les frontières avec les clans mineurs et négligent celle avec la Grue, qui en profite pour mener de nombreuses incursions et rogner leurs territoires, pour se venger d'avoir perdu la famille Yasuki à leur profit et satisfaire leur avarice, mais aussi pour rôder leurs officiers Daidoji avant de les faire se frotter au Lion, qui est nettement plus aggressif. A cause de cela, le Crabe peut se défendre, mais attaquer lui est difficile, car ils n'ont pas les moyens de sécuriser et stabilisé leur frontière, ils n'ont donc pas d'occasions pour attaquer.
S'il nous fallait les affronter au combat, procéder en mixant les stratagèmes entre ceux pour les Lions, Licornes et Phénix suffirait amplement, à l'inverse opposer une résistance déterminée ou lancer un assaut frontal serait bien trop risqué. Utiliser le Stratagème de la Belle sur leurs officiers supérieurs aura raison de leur discipline. Toutefois, mon seigneur, je ne vous conseille pas de les affronter, nous y perdrions plus que le peu qu'il y a à gagner. Il vaut mieux conclure une alliance avec eux, et leur fournir de temps en temps des contingents de samouraïs qu'ils pourront aider à aguérir. De cette façon, nous rôderons nos troupes à peu de frais, en subissant relativement peu de pertes, grâce à l'efficacité de leur dispositif défensif, tout en leur créant une obligation et en améliorant nôtre image publique. Si la Grue nous trahit ainsi, nous pourrons alors utiliser le Stratagème "Tuer avec une épée d'emprunt."

-Très intéressant, Taisa, apprécia Sukune. C'est le stratagème appelé "Choisir un ennemi proche, et un allié lointain" combiné avec le Stratagème des chaînes. Nous pouvons peut être engager des relations diplomatiques avec eux. Toutefois, je ne compterais pas trop là-dessus à vôtre place.

-Peu importe, intervint Hoshi, nous verrons cela en temps et en heure. Il reste encore le Scorpion que vous avez déclaré être discipliné, mais peu résistant. Qu'est-ce qui vous fait dire cela de nos chers cousins ?

-Le royaume du Scorpion est situé dans une région centrale, répondit le stratège. Leur Champion a presque sut réaliser l'un des préceptes classiques du légisme : "Un peuple aimé est fait pour souffrir." Mais le tempérament de ses habitants est faible, les gens y sont rarement intègres. Bien que leur territoire soit relativement étroit, leur administrtion est tatillone, et ses gens sont dociles, tandis que les puissants et l'élite du clan vivent dans le luxe et l'avarice. En particulier à Ryoko Owari Toshi, les citadins ont un grand train de vie, tandis que les paysans s'épuisent à la tâche. Quant aux samouraïs de bas rang, ils se contentent de faire leur devoir et sont soumis à leurs supérieurs, mais ne respectent que peu les autres vertus du Bushido, en plus de cela leur solde est insuffisante, par rapport aux profits de leur clan. En d'autres termes, ils n'ont pas été éduqués pour la Guerre. C'est pourquoi leurs gens sont disciplinés, mais peu résistant. Les vaincre est on ne peut plus facile, c'est pourquoi les Lions et les Crabes les ont souvent dominés militairement, malgré leurs ruses et leur faiblesse apparente.

-Vous faites allusion à la prise de Ryoko Owari, n'est-ce pas ? Remarqua subtilement Hoshi.

-Effectivement, seigneur Hoshi. Le clan du Crabe avait mené l'assaut et conquis Ryoko Owari. Mais le Scorpion avait perdu délibérément et avait ainsi limité ses pertes contre un adversaire dangereux. Donc, le Scorpion se contenta de noyauter le Crabe afin de les affaiblir par la vie de luxure qu'on mène dans leurs cités. Au bout du compte, même les officiers disciplinaires furent gagnés par le laisser-allé, et ce fût la fin de leur discipline militaire. C'est une conséquence du fait que le Crabe ne sait pas comment passer à l'offensive.

-Qu'auriez-vous fait à la place de leur général, dans ce cas ? Demanda Kuojin en souriant, sans se douter de la réponse.

-J'aurais brûlé la ville et massacrer les habitants, répondit l'autre placidement.

-C'eut été impensable ! S'exclama Sukune, et tous l'approuvèrent en silence, excepté Hoshi qui se contenta de sourire. Cette ville est l'une des quatre plus importantes de l'Empire, elle génère un revenu considérable pour Sa Majesté Empereur !

-De l'argent sale, pris au dépend du peuple, apprès l'avoir corrompu. "Un peuple aimé est fait pour souffrir", ce que le laxisme du clan du Scorpion lui a empêché de finir, ma loi martiale l'aurait parachevé en traînant tous les habitants devant la Justice du Ciel, pour punir leurs crimes répétés. Le mensonge et la corruption sont passibles de mort, selon la loi impériale ! Une fois que tous auront vus ce que leurs écarts ont coûtés, ils y réfléchiront à deux fois avant de reprendre leurs trafiques criminels. De toute façon, l'Empereur peut se passer de cet or, le Scorpion ne peut pas. Donc, ils seront faciles à dominer.

-"Trois armées, il faut voler leurs âmes. Le Général, vous devez volez son coeur. Les citoyens aimés sont faits pour souffrir." Récita sentencieusement le maître d'armes Yukihira. Vous connaissez intimement les préceptes du Heihô, Ryûjin-dono.

-Je vois... Alors, comment feriez-vous pour dompter le Scorpion, sans arriver à de telles extrémités ? Demanda Kuojin, sans être tout à fait convaincu.

-Très simple. D'abord, il faut préparer des contres-mesures, comme des mots de passe, pour chaque opérations. Pour les attaquer, il suffit de lancer des raids contre leurs camps, afin d'ôter toute volonté de combattre. Puis, au fur et à mesure, leur procéder à des assauts rapides et replis immédiats qui les épuiseront sans jamais liver de bataille rangée. Et s'ils précipitent la confrontation ou utilisent la guérilla et l'espionnage pour nous affaiblir, il faut envoyer un assaut frontal, la force brute aura raison d'eux la plupart du temps. Après quoi, les purges et pogroms auront raison de leur dernière résistance. Mais personnellement, je pense que le mieux est de s'en faire un allié docile. D'abord, les affaiblir par la force, ensuite les soumettre par la ruse. En alternant les coups et les caresses, on sera assurés d'être craints par les Scorpions. Même après s'être alliés à nous et avoir gagné nôtre confiance, ils n'oseront plus nous trahir, par crainte de nos représailles.

Ryûjin fît une courte pause pour observer les trois seigneurs Mirumoto. Kuojin semblait dubitatif, Yukihira était admiratif et Sukune était perplexe. Togashi Hoshi, ayant pris l'apparence d'un homme en tenue de Cour, souriait de toutes ses dents. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas vu de mortels aussi intéressant. Puis, le Taisa ajouta encore :

-Tel est la situation de force actuellement dans l'Empire d'Emeraude.

-Une dernière chose, demanda Togashi Hoshi. Uji no kami-sama souhaiterait savoir ce que vous ferez avec le pouvoir qu'il vous a confiez.

-J'interrogerai le Ciel, répondit l'autre calmement.

-Vraiment ? Demanda Yukihira. Quelle est la question que vous poserez au Ciel ?

-Né en ce monde avec cette lame invicible conféré par le Ciel, serais-je assez puissant pour parvenir à "introduire en ce monde l'ordre, l'équité et la Justice dans chacun de ses aspects" ? Avec le pouvoir absolu, j'escompte octroyer un bonheur durable à cette nation. Je sais que j'ai raison, mais en serais-je capable ?

Interdits devant de telles paroles, les autres firent silence pendant un long moment. Se pouvait-il qu'il cherchât à obtenir le Pouvoir Absolu, l'Hégémonie de l'Empereur ? Sukune le testa habilement.

-Les clans de la Grue, du Scorpion et du Lion se battent en commençant par s'allier au Pouvoir Suprême, puis en dispersant leurs forces pour consolider leur pouvoir et le faire durer l'éternité. Puisque le Dragon ne peut procéder ainsi, comment combattrez-vous ces ennemis alliés au Pouvoir Absolu ?

-Je commence ma guerre avec une faiblesse extrême, puis renverse tout sur mon passage, jusqu'à atteindre le Pouvoir Ultime. C'est ainsi que je me rendrais maître de tout ce qui se trouve sous le Ciel.

Stupéfié par son adace, Sukune resta de marbre. Deviner ses intentions exactes était impossible, mais tous pouvaient subodorer une oeuvre grandiose, se profilant derrière ce regard pénétrant. C'était donc lui, pensaient-ils, le petit-fils du seigneur Mirumoto Nobushige Kansuke, le Stratège borgne du Mont Kiso. Le Heiho était-il devenu à caractère héréditaire, pour qu'un tel jeune homme parle avec aisance et domine un dialogue dans lequel ceux de son âge seraient intimidés par leurs aînés, des samouraïs vétérans de nombreuses batailles, sanglantes et acharnées ? A Shiro Mirumoto, un Dragon Endormi avait bougé dans son sommeil, et s'apprétait à prendre son élan vers le Ciel. Kuojin finit par rompre le silence.

-Soit, dit enfin le seigneur, vous pouvez conserver le commandement de vos unités.

-Montrez nous ce que vous pouvez faire avec vôtre Art de la Guerre, poursuivi Sukune, j'examinerai après cela si vos... talents et conseils peuvent s'appliquer à plus haute échelle qu'une seule compagnie.

-A vos ordres, Rikugunshokan-sama, lui répondit Ryûjin en s'inclinant.

C'est ainsi que le Clan du Dragon commença son ascension vers le pouvoir absolu, traçant un sillage de sang dans le ciel de Shura.

Re: Ten'ka Ryûjin monogatari (extraits)

Publié : 06 déc. 2010, 15:39
par Togashi Dôgen
Bataille de l'Arbre de Vie, ou la Rencontre du Lion et du Dragon
Extrait du Ten'ka Ryûjin Monogatari


Résumé : Mirumoto Ryûjin et sa garde personnelle vont à la bataille de l'Arbre de Vie, en plein coeur des terres du Lion. N'ayant put les convaincre de ses propos, Ryûjin ne reçoit pas l'appui des familles Akodo et Ikoma, mais seulement des familles Matsu et Kitsu. Pour ce faire, Ryûjin compose un poème en l'honneur des ancêtres du Lion, et bat en duel Dame Tsuko, mais l'épargne toutefois et la dissuade de se suicider, en déclarant que Tsuko aurait fait de même en étant émue par la vertu de son adversaire, mais qu'il ne pouvait se permettre de subir des blessures graves à la veille de cette bataille capitale, qui le nécéssitait au meilleur de sa forme. Dominant sa colère par l'admiration qu'elle lui voue subitement, elle accepte de lui venir en aide (pour son propre bien, selon les dires du Dragon). Selon Ryûjin, c'est la différence entre la compréhension instinctive de la Guerre, dont bénéficie Dame Tsuko, et la maîtrise acquise par l'effort, l'expérience et le génie qu'il possède.

Le sorcier maléfique Su Shen Wu Xian est écrasé avec son armée de 5000 morts-vivants, par à peine 2000 samouraïs sous les ordres de Ryûjin (dont sa garde personnelle). C'est peu avant cette bataille que Ryûjin s'empare, dans des circonstances mal déterminées, du destrier de guerre Otaku nommé Typhon de Nuit, et qui le portera pendant toute ses campagnes jusqu'à la fin de KYOD. "Nuage Blanc" est confié à l'un de ses sous-officiers, le Gunso de cavalerie Kakôen. Il est à noter que cette bataille fût la première au cours de laquelle des Ise Zumi servirent sous ses ordres, parmi eux figuraient Togashi Dôgen, qui a lui-même occis Su Shen Wu Xian. Le clan du Lion et le Champion Toturi doivent alors une grande Faveur à Ryûjin pour avoir sauvé leurs terres d'un deuxième outremonde, d'une part, et d'autre part d'avoir sauvé leurs ancêtres oubliés. A noter que Shigure est aussi du nombre des participants, il est alors le Gunso de l'infanterie lourde de l'unité de Dieu et est le meilleur combattant de cette unité. Pendant ce temps, Otomo Nankyô se trouve sur le Mur de Kaiu aux côtés d’Hida Kisada, il y a été envoyé en exil par la Cour, à cause de son comportement violent.


*******


"Par ordre de Togashi Uji no kami Yokuni-sama, nous devons nous rendre dans les terres du clan du Lion."

Mirumoto Ryûjin avait à cette époque l'âge de 28 ans, et était l'un des Shireikan de l'armée du clan du Dragon. Il se trouvait dans la salle d'audience du château de Kyuden Echizen, revêtu de l'armure lourde que lui avait offerte le Champion du Clan, son wakizashi était passé dans sa ceinture, et son katana se trouvait à son côté, sis sur un reposoir, tandis qu'il ponctuait ses paroles de gestes avec son Gunsen. Avec lui se trouvaient Mirumoto Shigure, Mirumoto Kagemaru (Bayushi Shurai), le gunso Mirumoto Seiji, Asahina Taki et Agasha Guren. Tous étaient assis sur les côtés, Taki assise directement à gauche de Ryûjin et Guren à droite. Asahina Taki était depuis quelques temps déjà venue vivre à Kyuden Echizen, en tant qu'invitée permanente du seigneur du château. Pour l'instant, la famille Doji laissait courir, pour une raison connue seulement de Doji Satsume et de Mirumoto Ryûjin.

« Ryûjin-dono, le moment n'est pas venu pour une attaque des terres du clan du Lion ! S'exclama Mirumoto Seiji, après avoir pivoté sur son coussin et salué son supérieur, comme lors d'un conseil de guerre.
-Je sais, et cela n'est point mon intention. Nous devons y aller pour une autre raison. Je vous ais demandé de venir pour que vous m'accompagnez, Kitsuki Masachika demeurera ici et continuera son travail de Karo en mon absence. Les affaires militaires seront réglées par le Taisa Mirumoto Shobojo, pendant mon absence.
-Excusez moi, dono, mais vou comptez vous y rendre seul, avec nous autres pour seule compagnie ? Demanda Agasha Guren, après avoir salué méthodiquement.
-Bien sur que non ! Comme pour tous mes déplacements, j'irai avec ma Garde Rapprochée.
-Il y aura beaucoup de monde. Le Lion ne va pas aimer ça, dit Shigure en faisant la grimace.
-Baste ! J'ai obtenu un Sauf-Conduit de la part de la Magistrature d'Emeraude, pour toute mon unité et pour vous autres. Je dois aller à Kyuden Ikoma, en premier lieu.
-Encore un mystère de Dragon ? Demanda Shurai sur un ton narquois.
-Hai, Kagemaru. Un problème avec ça ? Rétorqua Ryûjin en appuyant sur le nom de couverture de son ennemi, qu'il tenait en laisse depuis des années déjà.
-Iye, Ryûjin-dono, répondit Kagemaru en s'inclinant bien bas. Je suis à vos ordres, comme toujours."

Le silence plana pendant un long moment, puis fût romput par Asahina Taki. Si elle était la seule femme dans la pièce, ce n'était pas seulement cette raison qui faisait tourner les têtes de tous ses soldats dans sa direction, avec des regards avides, comme hypnotisés. A la notable exception de Ryûjin, qui semblait complètement indifférend à son égard. Pourtant, les relations intimes entre cette descendante de Dame Doji et le Shireikan ne faisaient aucun doute aux yeux de la garnison, et de la plupart des courtisans du pays. Quel autre genre de relation aurait put exister entre Mirumoto Ryûjin et une femme aussi belle, répondant parfaitement aux critères de beautés Rokugani, classiques comme modernes.

"Je vais préparer mes affaires. Nous partons bientôt ?"

Elle fît un sourire encourageant à Ryûjin, mais celui-ci se contentait de la regarder sans rien dire, et son menpo grimaçant qui laissait clairement apparaître ses yeux et sa bouche, ne laissait pourtant filtrer aucune émotion.

"Oui, nous partons demain, le temps que Seiji prépare le voyage. Vous attendiez ce moment avec impatience, n'est-ce pas ?
-Certes, répondit-elle, joviale. Je commençais à m'ennuyer de la vie de château.
-Soit, Taki-dono, déclara Ryûjin en se levant et en enfilant son sabre dans sa ceinture. Tant que j’y suis, Kagemaru, allez me chercher Togashi Dôgen-sama. Lui et quelques Ise-Zumi sont descendus de Kyuden Togashi."

Alors que Ryûjin terminait sa phrase, un moine entrait dans la pièce, sans que les gardes postés à l'entrée n'aient rien dit de sa présence, à la plus grande surprise des samouraïs présents.

"Tu m'a appellé ?" Demanda-t-il avec un grand sourire. Ryûjin lui lança un regard morne, sans relever l'impolitesse du moine, et déclara la séance finie, puis il se retira dans ses appartements, suivis de l'envoyé de Togashi Yokuni, et tout le monde partit vaquer à ses occupations.

(NB : Togashi Dôgen utilise le mot "kimi" (Toi) pour parler à quasiment tout le monde, tandis que la plupart des gens utilisent "Anata" (semblable à "vous") pour s'adresser à une personne de plus haut rang social, ce qu’il devrait faire dans le cas de Ryûjin).


*****


Leur voyage n'avait pas duré aussi longtemps qu'il aurait put. Ryûjin avait passé beaucoup de temps à former son infanterie légère à la technique des "pieds légers", dans les sentiers de montagnes, ce qui permet d'accroître considérablement la vitesse de marche et l’endurance. Son unité de 700 hommes avait franchie la frontière du clan du Lion sans trop de problèmes, grâce aux laissers-passers, et aussi par ce que les dignitaires pouvaient toujours voyager avec une escorte, pas seulement des yojimbo, mais aussi des gardes personnelles, pour les militaires, et autres escortes officielles. Sur leur passage, la cinquantaine d'Ise Zumi qui les accompagnaient laissaient présager des évènnements apocalyptiques aux gens supersitieux et simples d'esprit. En tête du cortège chevauchaient Mirumoto Ryûjin et Asahina Taki, sur des chevaux blancs. Ayant quitté ses kimono féminins luxueux, conçus pour l'apparât, elle surprenait tout le monde en chevauchant fièrement à l'avant-garde, telle une samouraï-ko Matsu des contes du clan du Lion, plus époustouflante de beauté encore.

Ils étaient directement allés à Kyuden Ikoma, se ravitaillant en fonction, en achetant du riz sur leur passage lorsque les provisions commençaient à manquer. Aussitôt que Taki, Shigure, Kagemaru et Seiji étaient revenus de la bibliothèque de Kyuden Ikoma, ils avaient trouvés une nouvelle direction pour leur petite troupe de 700 hommes, grâce aux capacités de persuasion de Dame Taki. Le village de la Source de Vie. Les troupes de Ryûjin avaient pris position en ces lieux et commencées à massacrer les escouades de samouraïs déchus et souillés, envoyés par Matsu Imamura et Su Shen Wu Xian pour raser le village et s'emparer des archives de la bataille. Celui-ci n'avait pas prévu que ses ennemis viendraient en nombre avant même le début de la bataille, s'attendant à un groupe de héros réduits, partit explorer le champ de bataille pendant qu'il attaquerait sournoisement. Il ne fallut que quelques instants à Kagemaru pour faire parler l'un des survivants des attaques ennemies sur l'emplaçement de la forteresse du sorcier, le regardant droit dans les yeux. Mais Ryûjin lui-même n'avait guère eut à intervenir, passant la journée à observer le champ de bataille, puis en une journée lut attentivement les archives de la bataille, seul dans la salle avec Taki et Ikoma Katsushiro, le fils du chef du village, un jeune Tacticien prometteur. Taki sortit au bout d'une demie-heure, lasse de les entendre discuter de stratégie et de manoeuvres tactiques des plus complexes. Kagemaru montait la garde, assis à l'entrée du bâtiment de pierre en regardant le ciel pluvieux, tandis que Seiji et les autres gunso de l'unité de Dieu buvaient avec les hommes la réserve de saké du chef du village.

Le lendemain, Ryûjin donna l'ordre d'aller faire le siège de la forteresse, la centaine de samouraïs Lions souillés fût massacrée par Ryûjin sans aucun problème, et le château tomba en quelques heures. Mais nulle trace du maître des lieux et de son infâme lieutenant, qui en avaient profités pour s'enfuir. La forteresse infâme fût incendiée et le passage entre les mondes qui y avait été installé commença à se refermé, tandis que Guren y répendait le sel purificateur sur ses cendres.

Lorsque cette étape ce fût concrétisée, Ryûjin ordonna de partir à l'Aube avec la cavalerie, ne laissant que les fantassins et les cinquante Ise Zumi au village.


*******


Leur première étape était le château de la famille Ikoma, qui les avait déjà accueillit précédement. Ikoma Joseki et Ikoma Ujiaki étaient là, tous les deux, pour l'accueillir avec des sourires féroces et narquois. Avant que l’entrevue officielle n’ait lieue, Joseki alla à sa rencontre et ils discutèrent assis l’un en face de l’autre, et on sentait qu’ils essayaient de percer l’esprit de leur adversaire à jour. Voici les paroles qu’ils échangèrent subitement, et dans le ton formel employé, il était possible de discerner leur opposition mortelle.

« Ryûjin-dono, dit Joseki, j’ai ouï dire qu’outre vôtre expertise au sabre et dans le Heiho, vous êtes versé dans l’art raffiné de la calligraphie, que vos caractères sont écrits bien droits et sans fautes et que vous avez connaissance des anciens caractères employés.
-Ces rumeurs sont exagérés, Joseki-dono, je ne suis qu’un modeste calligraphe et ma connaissance des arcanes demeure fort limité.
-Iye, Ryûjin-dono, vous faites preuve d’un talent indéniable, et vôtre écriture a le mérite d’être fort gracieuse et fluide… à défaut d’être factuelle. »

Dans le pays de Rokugan, la calligraphie est tenue en haute estime au sein de la noblesse cultivée du Kuge (Aristocratie), mais aussi par les Buke qui leurs sont soumis. Un gentilhomme, en plus de faire preuve d’une force et d’une intelligence exemplaire, doit posséder une personnalité noble et raffinée. La qualité de l’écriture et la connaissance d’un grand nombre de kanji reflètent le rang social, la personnalité de l’individu et sa renommée : tous les grands dirigeants ainsi que les grands Kengo, les maîtres du sabre, étaient de bons calligraphes. L’écriture était importante pour les postes officiels, car le bureaucrate en a la nécéssité pour complier les rapports et archives et le général pour transmettre les ordres à son armée. A la Cour, une calligraphie impeccable était même tenue pour être une caractéristique vitale faisant partie intégrante des charmes d’une femme distinguée, autant que la beauté purement esthétique. Il était donc tout naturel pour deux généraux distingués tels que Ryûjin et Joseki de s’entretenir d’un tel sujet.

« Vos paroles élogieuses m’honnorent, Joseki-dono, je me sens vôtre obligé. Toutefois, vos caractères eux-mêmes sont impeccablement tracés et clairement lisibles, c’est ce que l’on dit à propos des manuscrits originaux de vôtre « Shuradani no Oh » (le Roi de la Vallée des Démons Guerriers), que j’ai parcouru avec attention. La partie concernant le comportement stratégique des guerriers individuels est d’ailleurs fort instructive, nul doute qu’elle sera profitable à l’entraînement de vos troupes.
-Certes, j’espère qu’elles seront davantage en mesure de servir l’Empereur, en profitant de mes humbles connaissances en matière de Tactique. Il est toutefois un problème que j’ai rencontré dans mes recherches pour l’écriture de « Shuradani no Oh », et dont j’aimerais vous faire part.
-Certes, Joseki-dono, je serais fort aise de vous venir en aide avec le peu de moyens dont je suis doué, répondit le dragon avec une humilité feinte.
-C’est que voyez-vous, dans l’ancien temps lorsque l’écriture n’était pas tout à fait unifiée, il y avait dit-on quinze moyens différends d’écrire « épée » et précisément, il y a un de ces caractères que j’aimerais que nous comparions. Si vous me faisiez l’honneur de m’instruire de vos sages préceptes, je souhaiterais que vous l’écriviez.
-Je vois que vous êtes fort docte et versé en la matière, répondit Ryûjin en acquiésçant.
-Neni, Ryûjin-dono, je ne suis qu’un amateur en matière de Calligraphie. »

Ikoma Joseki claqua dans ses mains et des serviteurs apportèrent deux nécéssaires à calligraphie placés sur de petites tables basses. Devant les samouraïs des clans du Lion et du Dragon, au summum de la perplexité, ils saisirent leurs pinceaux respectifs, puis tracèrent sur leurs feuille de papier le mot « épée » dans des formes anciennes, qui n’étaient guère plus usités à leur époque.

Voici ce que donnait le kanji écrit par Joseki, il était écrit de façon factuelle et les traits étaient fluides et énergiques : 剣 (tsurugi)

Le kanji écrit par Ryûjin était fait d’une manière fort nette et impersonelle, il était fort difficile d’y déceler ses sentiments et son état d’esprit. Et voici ce qu’il donnait, tracé dans une forme encore plus antique que celui de Joseki : 剑 (jian)

[NB : Ikoma Shinzo accompagne en fait les kanji de clarifications alphabétiques pour en indiquer la prononciation.]

Se penchant chacun sur la production de l’autre, ils observèrent sans rien dire puis prirent congés, satisfaits des informations qu’ils avaient obtenus tous deux. Personne n’avait compris qu’en vérité, cette scène entre les deux stratèges avait pour dessein de percer à jour le secret de l’art militaire de l’autre ainsi que ses intentions, en perçant à jour le secret de son écriture. Un samouraï est un virtuose de l’épée et de la plume. En réunissant ces deux critères en un seul, ils pensaient pouvoir transcender la technique de l’autre grâce à leur compréhension des arcanes militaires, et de se mesurer ainsi comme si cela avait été un champ de bataille.

Après qu’ils se furent séparés, Ryûjin et ses suivants se rendirent dans la salle de réception de Kyuden Ikoma. Le général Ikoma Joseki et le Daimyo Ikoma Ujiaki avaient entre temps tenus conseils et mit un plan en place. Là bas, lorsqu’ils eurent finis de s’expliquer et de les entretenir des enjeux, on offrit à Ryûjin de pleurer les ancêtres perdus du clan du Lion, leur souffrance dans ce cycle morbide et la douleur de l'oubli de leurs descendants. Mais pleurer eut été perdre la face en publique, il était à craindre que ce fût suggéré afin d’humilier les membres du clan du Dragon. Mais Ryûjin refusa de pleurer sans la moindre hésitation. Il ne permit pas même à ses compagnons de verser une seule larme, bien que celles de Taki et Katsushiro s'apprétaient à affluer, sincèrement, et qu'ils eurent du mal à les contenir. Ils les arrêta aussitôt, les coupants dans leur élan.

Le shireikan ne leur donna aucune explication, usant comme trop souvent ces temps-ci, de l’argument d’autorité. Ils quittèrent donc Kyuden Ikoma sous les regards méprisants des bardes et bushi de cette famille.


*******


Leur seconde étape était le château de Shiro Akodo, capitale du clan du Lion, où se trouvait sa prestigieuse académie militaire. C'est ici qu'eut lieu la première rencontre de Mirumoto Ryûjin avec Akodo Toturi. Celui-ci était le Champion du clan du Lion, arrivé depuis seulement trois ans au pouvoir, sortant tout juste du monastère. Nombre de ses samouraïs avaient une attitude ambigue envers lui, et certains membres de la famille Matsu n'avaient pas acceptés son autorité. Matsu Tsuko ne s'étais pas encore pleinement remise de la mort du précédent Champion, Arasu, frère cadet de Toturi, feu son fiancé. Ryûjin avait déjà prévu d'aller la voir en dernière.

Akodo Toturi écouta patiament, devant son état major, la raison de la venue de ce fameux shireikan du clan du Dragon, qui leur causait tant d'ennuis depuis tout une décade, lorsqu'à l'âge de 16 ans, il vainquit toute une compagnie avec une seule unité, majoritairement composée de réservistes et de soldats de peu d'importance. Toturi était un homme calme et à l'esprit brillant. Poli et courtois, il s'était révélé un excellent daimyo pour le clan, bien qu'ils étaient nombreux à regretter le talent fougueux d'Akodo Arasu.

"Cette bataille de l'Arbre de Vie dont vous nous parlez, qui effacerait de nos mémoires les samouraïs tombés pendant ses combats cycliques... Je n'en ais jamais entendu parler.
-Il n'y en a effectivement aucune trace dans les Archives de la famille Ikoma, répondit Mirumoto Ryûjin. C'est l'une des raisons qui les a faits s'abstenir de m'envoyer des troupes.
-Si un évènnement n'est pas catalogué dans les Archives Impériales, c'est qu'il n'a jamais eut lieu.
-Bien entendu, Toturi-sama."

Les Archives Ikoma, malgré leur réputation, était très largement incomplètes, du point de vue de la vérité historique. Très souvent, un Empereur ordonnait que des évènnements ou des familles entières soient rayés des archives. Tous deux savaient pertinament à quoi s'en tenir là-dessus.

"Néanmoins, vous avez fait un geste et vos paroles me semblent... sincères. Et puisque vous avez le soutien de vôtre Champion et à ce qu'il semblerait de la Fortune Megumi des Actes Héroïques..."

Toturi s'abstint de qualifier la façon dont Ryûjin usait pour relater les faits pour ce qu'elle était, c'est à dire de flegmatique, comme si c'était une mécanique qui lui adressait la parole. Et pour cela, il hésita un court instant avant de poursuivre, comme pour marquer la tension dans l'esprit de son interlocuteur impassible.

"Je suis prêt à faire un geste à mon tour, et à écouter les paroles d'un homme d'honneur. Accepteriez-vous de vous soumettre à une petite épreuve, Ryûjin-san, vous ou l'un de vos compagnons de voyage ? Demanda Toturi en désignant de son éventail les samouraïs des plus hauts rangs qui avaient accompagnés Ryûjin à Shiro Akodo.
-Vous êtes trop bon. De quoi s'agit-il, Toturi-sama ?"

Akodo Toturi regarda son interlocuteur droit dans les yeux, et ce fût comme si le temps s'était arrêté.

"Faites Seppuku."

Derrière Ryûjin, il sentit plusieurs de ses vassaux directs, les Gunso de sa Garde Personnelle, qui s'agitaient, comme pour se proposer à la place de leur seigneur. Shigure notamment avait déjà la main sur son wakizashi.

"Toturi-sama, vôtre proposition est fort généreuse. Toutefois, je me vois dans l'obligation de refuser cette offre.
-Cela est fort regrettable. D'autant plus que lors de cette bataille, à ce que j’ai compris, une... égalité se solderait par l’oubli de la mémoire de vos samouraïs tombés et la défaite par l'ouverture d'un second Outremonde en plein milieu de l'Empire, c'est-ce pas ?"

Toturi lui offrait la possibilité de sacrifier un ou plusieurs samouraïs honorables pour en obtenir des centaines d’autres pour garnir ses rangs. Ce n’était certes pas une décision bénigne, ni à refuser aussi légèrement, c’est pourquoi l’incompréhension se fît jour dans les esprits de tous ceux présents, car il était évident qu’obtenir une armée avec des preuves aussi légères ne pouvait être aussi aisé. Mais le regard de Ryûjin se fît intense, tandis qu'il dévoilait ses émotions, ses pensées qui débordaient tel des vagues de volonté depuis son esprit et bien que son visage fût serein d’aspet, ses yeux étincelaient. Et lors, Toturi eut l'impression que son adversaire ôtait un masque, un masque de Scorpion.

"En plein milieu du Royaume du clan du Lion, Akodo Toturi-sama."

Leurs regards s'embrasèrent, créant une tension palpable dans la pièce, alors que leurs esprits communiquaient silencieusement. Une sorte de "I shin den shin" pourtant bien loin de la communion spirituelle du maître zen à son disciple ayant atteint le Satori.

Que fais tu donc, Ryûjin ? Alors c'est ainsi, tu essaie d'humilier le clan du Lion ?

Non pas, Toturi. Ce que j'essaie de faire c'est de t'humilier toi. En prenant la tête du roi des bandits, la bande toute entière s'effondrera !

Oui, tu savais que j'allais t'arrêter au dernier moment, que j'épargnerai ta vie et celle de tous ceux qui se seront proposés pour accomplir le rite du Seppuku. Et maintenant, tout en me faisant passer pour un homme cruel et ne sachant pas accorder sa confiance à autrui, tu vas manipuler Tsuko, pour lui donner ce qu'elle désire.

Je vais t'humilier et te faire passer pour un lâche pour complaire à Tsuko. Elle m'en sera tellement redevable qu'elle me fournira des troupes et me devra une faveur, à titre personnel, et toi aussi, car toi seul possède la pénétration pour comprendre l'affront que je te fais.

Ainsi tu sèmera la discorde au sein du clan du Lion. Et tu t'éleveras en profitant de nos discenssions. Pourquoi est-ce que Joseki ne l'a pas venu venir ?! Il est celui qui te connaît le mieux, nôtre meilleur stratège !

Il a crut que je refusais de quémander son aide, il a compris que c'était de l'orgeuil de ma part, mais finalement, lui aussi je l'ai abusé ! N’ayant put percer à jour le secret de mon écriture, il n’est pas parvenu à apréhender le secret de mon épée. Et grâce à vous deux, mes pantins, je m'emparerais du Pouvoir Absolu. Ni toi, ni Shoju, ni Joseki ne pourrez m'en empêcher.

Pauvre fou, une telle politique est nuisible à l'Empire ! Tu n'arriveras pas à convaincre Tsuko de te fournir suffisament d'hommes pour l'emporter. L'Outremonde va s'installer au coeur de l'Empire, et tu en seras responsable !

Si cela arrive, la faute en retombera sur vous autres du Clan du Lion, je défenderais ma cause à la Cour en prétextant l’entêtement séculier de vous autres. Mes troupes manoeuvreront depuis le Nord et ferons une percée dans ton royaume, pour massacrer la horde impie et refermer la brèche, pendant que le reste de l’Empire se hâtera de venir me soutenir, son « Ichiban Yari », son fer de lance ! J'ai déjà tout prévu. Alors ça sera l'Empereur qui me devra une Faveur, et les clans du Crabe et du Phénix m'aduleront. Le résultat sera le même, mais le clan du Lion sera totalement discrédité, vos ancêtres morts pour l'Arbre de Vie seront damnés et on me louera pour cela ! Ahahahah !!!

Attends, Ryûjin !

Mais Mirumoto Ryûjin referma brutalement son esprit, comme les portes d’une forteresse que l’on clôt, et des gouttes de sueur froide coulaient sur leurs visages crispés. Personne parmi les samouraïs et vaillants généraux rassemblés ici n'avaient compris ce qui s'était passé dans leur deux esprits ; comuniants silencieusement, colère, peur, surprise mêlé d'émerveillement devant le trésor de ruse déployé ici bas. Toturi ne pouvait rien faire, il aurait perdu la face et risqué un incident diplomatique avec le clan du Dragon.

"Dans ce cas Ryûjin-san, reprit Toturi en dominant sa voix pour qu'elle ne tremble pas, je vous souhaite bonne chance pour cette... campagne militaire.
-Je vous remercie pour vôtre sollicitude, Akodo Toturi-sama, répondit Ryûjin en s'inclinant le front au sol, comme l'exigeait l'étiquette.
-La séance est close, merci à tous."

Toturi se leva, et l'atmosphère se détendit soudainement dans la pièce.

Un peu plus tard, pendant la nuit sur la route vers Shiro Sano Ken Hayai, demeure ancestrale de la famille Kitsu, une claque vint meurtrir la joue de Ryûjin, et Taki ressortit de la tente, frustrée, pour aller contempler les étoiles. Mirumoto Ryûjin ne lui donna aucune explication, ni à elle ni à personne d’autres. Mais il semblât satisfait d’avoir confronté à son esprit un adversaire à sa mesure.

Plus tard, alors que Toturi contenplait le Firmament en buvant son thé du soir, sa pupille, Ikoma Tsanuri, l'interrogea.

"Lui aussi, il a dût passer beaucoup de temps avec des moines. Mais pas assez pour apprendre l'humilité. Quel dommage, de la part d'un Stratège aussi brillant !"

Mais il faudra attendre l'arrivée de l'Hiver pour que Tsanuri puisse comprendre l'exacte teneur des évènnements. Toturi fît claquer son éventail et dit : « Faites manœuvrer les hommes, Tsanuri. Je veux qu’ils soient prêts à partir en campagne si ce fou de Dragon venait à échouer. »


A suivre...

Re: Ten'ka Ryûjin monogatari (extraits)

Publié : 09 déc. 2010, 11:49
par Togashi Dôgen
Afin de surmonter les échecs des requêtes adressées à Shiro Akodo et Kyuden Ikoma, Mirumoto Ryûjin se rendit à Shiro Matsu, la forteresse la plus au Sud. Et il semblait prendre son temps, bien qu’allant avec dilligence, il promenait sa petite troupe au gré d’un plan dont il avait laissé entrevoir une partie à Akodo Toturi.

Parvenu à Shiro Matsu, Ryûjin fût accueilli avec un froid mépris par la garnison en place, bien que l’attitude était en vérité moins hostile qu’à Kyuden Ikoma. Le Shireikan demanda audience en insistant sur le caractère urgent de la chose, mais dame Matsu Tsuko n’était point du genre à se laisser intimidée. Il attendit donc une journée entière avant qu’on lui annonce l’heure de l’entrevue, pour laquelle s’était rassemblée les plus proches hatamoto de Dame Tsuko, pour délibérer. Certains craignaient d’offenser Akodo Toturi en recevant Ryûjin, qui avait pourtant été refoulé, et ils étaient déjà au courant pour la raison de sa visite. Voici en somme les paroles échangées par Ryûjin et Tsuko lors de la réception.

« Ryûjin-san, on vous prétend le meilleur général au nord du pays, ainsi qu’un homme raffiné et cultivé. Vos exploits sur le champ de bataille sont remarquables, malgré vôtre jeune âge.
-Il est vrai, Tsuko-sama, que j’ai connaissance des classiques et que je possède quelque peu les arcanes du Heiho, répondit Ryûjin de façon factuelle et inexpressive. Il est toutefois possible de dire la même chose à vôtre propos.

Ignorant cette flatterie avec une moue de mépris, Tsuko répliqua au tac au tac en citant le maître que les Yodotai nommeront des siècles plus tard dans leur propre langue « Confucius ».

« Toutefois... Jukiu a dit : « Concevez un homme ayant mémorisé l’entièreté du Livre des Odes, puis envoyez le en ambassade, s’il ne parvient pas à donner la juste répartie, de quelle utilité lui est tout son savoir ? » Vôtre ambassade auprès des familles Ikoma, puis Akodo, n’a pas suffit à les convaincre alors qu’ils sont réputés pour leur objectivité. Pour quelle raison devrais-je vous accorder des troupes, alors que vous tuez déjà celles que l’on vous envoie au Nord sur le champ de bataille ?
-Roshi a dit : « En temps de guerre, la place d’honneur est à droite ; en temps de paix elle se trouve à gauche. » Bien qu’il soit la main droite de Sa Majesté l’Empereur, le seigneur Toturi est un homme de paix... cela est tout à son honneur. Quant à la famille Ikoma, j’ai simplement choisit de me passer de leur aide, par ce que leur façon d’écrire ne s’accorde pas à la mienne. »

Les samouraïs du clan du Lion assemblés lui lancèrent des regards noirs, et leur mine était sévère, ils semblaient vouloir le passer au crible. Le clan de la Grue, rival ancestral du clan du Lion, est considérée comme la main Gauche de l’Empereur, tandis que le clan du Lion en est sa main Dextre. Il s’agissait d’une critique dissimulée sous couvert de louange, qui s’accordait bien avec le caractère de Tsuko et ses prises de position à l’encontre de Toturi, qu’elle considérait comme une pâle copie de son frère, Arasu, qui avait été le fiancé de la Dame. Au lieu de donner une raison à l'assignation des troupes, il se contentait d’attaquer bassement les deux familles du clan du Lion, rivales de la famille Matsu, en profitant des dissensions internes au clan. Sa manière de procéder était néanmoins fort curieuse. C’est pourquoi elle l’autorisa à poursuivre sa requête, cherchant à discerner où cela pouvait la menée.

« Son-shi a dit : « Un dirigeant avisé doit choisir des subordonnés talentueux, après avoir mandé un général, il n’a plus qu’à attendre les résultats de son commandement. » Si je vous envoie avec des troupes, cela signifie que vous serez mon féal pour un temps. Néanmoins, rien ne me garantis que vous serez capable de dompter mon armée à vôtre volonté et de remplir vôtre mission, si tant est que vous dites la vérité.
-Son-shi a dit : « Le Fils du Ciel prospérera s’il écoute la volonté du Ciel, mais sera détruit s’il l’a rejette. » L’assistance de Megumi no kami est à n’en point douter un signe du Ciel en faveur du succès de cette glorieuse entreprise. Si prendre le risque de perdre quelques milliers d’hommes au combat est certes périlleux, mais si cela peut être une chance de profiter à vos ancêtres, pourquoi hésiter, Tsuko-sama, quand le Ciel vous offre cette opportunité ? »

On venait enfin à l’argument des ancêtres qui n’avait suffit à convaincre personne jusqu’à présent. Tsuko tiqua quand il l’a compara par pure rhétorique au Tenshi (Fils du Ciel, Envoyé du Paradis), une expression qui peut servir notamment à désigner l’Empereur, mais aussi les 7 Kami. Elle ne releva pas toutefois et ignora cette assertion, en apparence du moins. Tsuko avait pris connaissance de ce qu’il était advenu à Shiro Akodô, et bien qu’elle ne puisse en apréhender les détails, elle savait que d’une manière ou d’une autre, Ryûjin tentait d’humilier Akodô Toturi. Les paroles qu’il avait tenus devant elle montrait qu’il semblait partager sa propre opinion sur Toturi, à savoir qu’il n’est qu’un couard, un Grue ou un moine déguisé en samouraï et en Champion. Si Ryûjin remportait cette bataill vitale pour le clan du Lion, sans l'aide de Toturi, la sagesse de celui-ci serait discrédité. Elle devait néanmoins s'assurer de laisser ses troupes entre les mains d'un bushi compétent.

« Dans ce cas, Ryûjin-san si vous êtes bien le général mandaté par le Ciel pour cette noble quête, vôtre lame conférée par le Ciel ne peut qu’être en mesure de l’emportée sur la mienne... quand bien même la mort serait le châtiment désigné pour vous, en cas de défaite, n’est-il pas ?
-En effet, Tsuko-sama, rétorqua Ryûjin sans l’ombre d’une hésitation. Je suis en mesure de vous défaire en duel.
-Ministres, Hatamoto ! Approuvez-vous cette proposition de mise à l’épreuve ?
-Assurément, ue-sama ! Assaina un samouraï vétéran. Elle permettra de discerner le bon grain et l’ivraie.
-Un duel honorable permettra de connaître la droiture des lames mises à l’épreuve, poursuivi un autre. Vôtre choix est d’une grande sagesse, ue-sama !
-Tono, faites l’honneur à ces duellistes dragons de leur montrer la force qui a remporté sans faillir un championnat de Topaze ! »

Aussitôt que les ministres eurent terminés de louer leur Dame, on se rendit au dojo, et les guerriers firent place, tandis que chacun se mettait en position Iai, pour tenter de pourfendre l’autre avec son katana. En garde, ils se contemplèrent un long moment, silencieux, tentant d’apréhender la véritable habileté de l’autre. Le duel était serré, pour autant que pouvait en juger les spectateurs. Mirumoto Ryûjin était certes un kensei, un maître duelliste du clan du Dragon, mais Matsu Tsuko était une ancienne championne de Topaze. Elle avait dominée tous ses adversaires par sa force et sa brutalité, y compris les spécialistes du duel de l’école Kakita. Qui plus est, Ryûjin avait participé à ce Championat de Topaze autrefois, et son résultat avait été bien médiocre, puisqu’il avait perdu au premier duel, contre feu Doji Hikobei.

Assis l’un à côté de l’autre, Kagemaru poussa légèrement du coude Mirumoto Shigure et se pencha à son oreille pour lui murmurer d'un ton taquin :

« Quatre koku sur Tsuko-chan, en trois coups.
-Je marche, répondit Shigure. Tono, le seigneur, en quatre coups. »

Un bushi du Lion assis derrière eux avait l’oreille fine, mais au lieu de les réprimander il se pencha vers eux et murmura :

« Nee-chan, la soeurette, en deux coups !
-Tenus ! Répliquèrent les deux autres en se retenant de rire. »

Et en regardant par-dessus leurs épaules, ils virent qu’il s’agissait d’un homme mince et élancé avec un sourire franc et un visage aimable sur le visage. Ce devait être Matsu Hokitare, le hatamoto et Karo de Matsu Tsuko, son premier ami depuis la mort d’Akodo Arasu. Hokitare était un homme réputé pour sa bonne humeur rafraîchissante et sa franchise, ainsi que ses qualités en tant qu’ambassadeur. Il avait ainsi donc parié sur la convivialité pour détendre les relations entre le clan du Lion et ses invités, plutôt que de chipoté sur une question d’étiquette. Le membre du clan du Scorpion et le membre du clan du Dragon lui vouèrent alors une grande estime pour sa capacité à bien s’entendre avec autrui.

Quant au duel, les deux adversaires avaient dépassés de loin la phase d’observation, et concentraient leur Chi dans leurs sabres afin de placer le coup décisif. Soudain, une hirondelle rentra dans la salle et traversa l’espace entre les deux duellistes. Par un coup réflexe, Ryûjin dégainna et frappa, l’hirondelle fût tranchée en deux. C’était un coup magistral, mais Tsuko esquiva à cause du manque de portée du sabre de son adversaire, et contre-attaqua aussitôt en rentrant dans son périmètre. La frappe iai fût évitée de justesse par Ryûjin qui bondit en arrière, alors que la berserker poursuivait sur sa lancée et effectuait une, puis deux Tsuki-uchi (percée vers la gorge) que Ryûjin esquivait en penchant la tête de côté : ses réflèxes étaient impressionants. Tsuko réarma et effectua une dai- kesa (grande coupe en diagonale en partant de l’épaule, litt. Grande Robe de bonze). Mais avant d’être tranché en deux, Ryûjin para avec son sabre. Zantetsuken glissa avec fluidité contre Kyôran-ken et effectua un contre. Le sabre de Tsuko fût rejeté de côté et aussitôt Zantetsuken enfonça sa pointe dans sa poitrine, à mi-chemin entre le hara et le plexus solaire.

C’était loin d’être suffisant pour défaire la féroce et endurante Tsuko, ce n’était qu’une blessure superficielle. Celle-ci envoya son poing dans le ventre de Ryûjin, qui fût plié en deux, puis plaça ses mains sur ses épaules afin d’effectuer une prise. Le duelliste vola par-dessus la tête de la femme, mais au lieu de se briser la nuque au sol, il lâcha son katana et se rattrapa avec ses deux mains, puis se projeta pour se remettre debout, d’un mouvement athlétique. Tsuko retira le sabre de Ryûjin et s’appréta à le brandir contre lui. Mais avant que le coup parte, Ryûjin la jeta à terre avec une prise de Kaze-do, s’assit sur sa poitrine en coinçant les bras de la jeune femme avec ses genoux. Il attrapa le wakizashi de Tsuko et en déposa le tranchant sur sa gorge pâle.

Il était penché sur la puissante daimyo de la famille Matsu, qui pouvait sentir son souffle de mâle sur son visage. Elle se rendit alors compte que Ryûjin était un homme mûre de 28 ans au corps athlétique, et qu’elle-même n’était âgée que de 20 ans et qu’elle venait de perdre son fiancé. Le menpo de son adversaire s’était défait pendant l’affrontement, lorsqu’effectuant des percées Tsuko avait tranché le cordon et infligé une légère éraflure à la joue du kensai, si bien que son visage lui était clairement visible pour la première fois, et que la posture dans laquelle elle était la contraignait à un temps d’arrêt suffisament long pour qu’elle puisse le détailler. Obsrvant la scène du duel, Taki demeurait coi, un éventail en main. Ceux qui avaient l’infortune de croiser son regard se détournait aussitôt devant la lueur furieuse qui émanait de son regard.

Mirumoto Ryûjin avait un visage jeune et bien conservé. Ses traits étaient étonaments fins, si bien que dans sa jeunesse il devait ressemblait à une fille. La maturité avait toutefois ôté le côté blanc-bec de son visage, lui donnant un air sévère et viril, accentué par les rides de son front plissé et l’éraflure sur son visage d’où perlait du sang, tombant tel des larmes sur le visage de Tsuko. Ses traits étaient pour ainsi dire parfaits, mais ses yeux étaient étrangement pénétrants et inexpressifs à la fois, si bien qu’il ressemblait à un masque de Noh. Comme sa coiffure était elle aussi défaite, des mèches de ses longs cheveux noirs, collés par la sueur, étaient tel un voile entre leurs deux visages. Ainsi emmêlés, Tsuko dût se rappeller qu’elle était femme, et l’humiliation de la défaite la fît rougir autant que le désir sauvage naissant de la posture dans laquelle ils se trouvaient. Lorsqu'il se releva, les yeux de Tsuko allaient de la lame de son propre wakizashi à l'hirondelle morte, tranchée en deux par Zantetsuken.

« Achevez-moi, Ryûjin !Invectiva-t-elle, sous le coup de la surprise.
-Mes excuses, je ne puis, répondit-il, et ce faisant il rengainna le wakizashi de Tsuko là où il l’avait pris, et récupéra son propre sabre.
-Et pourquoi donc ? J’ai perdu, c’est dans l’ordre des choses, déclara Tsuko, et elle se redressa en lui lançant un regard furibond.
-Je suis venu en ces lieux pour chercher des guerriers, par pour en tuer. Qui plus est, occire la Dame et Général de ces samouraïs saperait leur moral et leur confiance en moi qui sera amener à les commander. Je ne puis tolérer une telle rupture dans la discipline militaire.
-Vous m’insultez en m’épargnant de la sorte ! Cracha Tsuko, et son visage qui avait le charme de la jeunesse était déformé par la colère. Mes samouraïs sauront passés outre ma mort pour faire leur Devoir. Ce sont des membres du clan du Lion !
-Baste ! Je pourrais dire la même chose, à ma place vous m’aurez aussi épargné ! La seule différence, c’eut été pour démontrer au monde vôtre honneur et vôtre magnanimité. Mais puisque je vous ais vaincue, vous êtes ma débittrice : j’exige d’avoir mes troupes. Si vous voulez mourir, attendez que je vous les restitue donc pour faire seppuku, j’aurais dans les mois qui suivent autre chose à faire que de me recueillir devant vôtre tablette funéraire avec des centaines d’arcs pointés dans ma direction ! »

Matsu Tsuko se releva en grognant et pointa son katana ancestral dans la direction de Ryûjin, alors que celui-ci faisait « notto » (rengainnage) d’un coup sec. Il avait dit vrai, mais la compassion et la douceur d’un vainqueur offensent la fierté de celui qui a goûté à la défaite.

« Parfait, prenez vos soldats et dégagez de chez moi fissa ! Si vous perdez vôtre bataille imaginaire, je reviendrai pour vous tuer, tous autant que vous êtes !
-Parfait ! Donnez moi mes troupes et je vide le plancher dans l’heure ! Mais ne vous inquiétez pas pour le tranchant de l’épée de vôtre grand-mère, je ne perds jamais une bataille contre des lions vivants, alors des lions morts seront pour moi une proie facile. Pour leur plus grand bien, d’ailleurs ! »

Aussitôt ils se séparèrent en maugréant, tandis que l’argent des paris passaient de main en main, Shigure rangea le tout dans sa manche avec un grand sourire. Devant l’incroyable maîtrise du duel qu’avait démontré Ryûjin, les hatamoto n’avaient pas osés répondre à sa provocation et se contentaient de lui lancer des regards assassins. Matsu Tsuko était néanmoins fort surprise que son adversaire ait put si bien cerner son caractère, elle ne savait point toutefois à quoi s’en tenir à son propos.

Mirumoto Ryûjin et sa suite furent autorisés à passer la nuit à Shiro Matsu pour partir au matin avec 1600 samouraïs choisis parmi la garnison, soit 11 kaisha (compagnies) de la famille Matsu. C’était peu, mais Tsuko n’était guère d’humeur à lui accorder davantage, d’autant plus que ses troupes risquaient de faire face à une invasion Scorpionne par delà la passe de Beiden.

Pendant la nuit, une ombre se glissa jusque dans la chambre de Matsu Tsuko. Il n’y avait pas d’intention meurtrière, lui semblait-il, mais elle entendait le son d’un pas atténué. Une gêne qui n’était d’ailleurs pas le bienvenue dans sa chambre. Vigilante même dans son sommeil, elle se fendit pour attraper son sabre, mais une main se posa avec une douceur étonnante contre la sienne pour la dissuader de dégainner.

« Si vous faites cela, les gardes viendront interrompre nôtre rencontre, Tsuko-sama.
-Mirumoto Ryûjin ? Que faites vous ici ?! Demanda-t-elle en rougissant.
-Hai ! Je suis venu pour soulager vôtre solitude. Etant ma débittrice, vous ne pouvez refuser, n’est-ce pas ?
-Bien sur que si je le peux ! D’ailleurs, comment avez-vous fait pour passer les gardes ?
-Il est dit que l’amour peut octroyer des ailes, alors j’ai simplement voler jusqu’à vous. »

Et tandis qu’ils parlaient, l’homme l’a renversa sur le futon et l’embrassa goulument. Comme elle résistait dans un premier temps, l’autre glissa son visage le long du corps de la femme, jusque dans son intimité, et il ouvrit férocement son kimono de nuit. Entendant les gémissements de plaisirs, les deux gardes en faction à l’entrée de la chambre l’appellèrent depuis l’extérieur, sans oser entrer.

« Tono, y-a-t-il un problème ? »

Sentant sa langue se faufiler comme un serpent entre ses portes de jade, la lionne répondit que tout allait bien en essayant de dominer sa voix. Mais folle de désir, elle finit par s’y abandonnée et ils s’acouplèrent brutalement. Dehors, les gardes faisaient de leur mieux pour ignorer les gémissement étouffés et les cris de plaisirs féminins qui transparaissaient de temps à autre depuis les shoji. A l’aube, l’homme déposa un baiser sur le front de la femme, exhangue et endormie, puis se rhabilla. A la suite de quoi, le double sortit comme si de rien n’était et rejoignit l’original dans les quartiers qui lui furent attribués, afin de lui faire son rapport. Dans la chambre, Dame Taki dormait nue, allongée sur le futon.

« Ryûjin-sama, la mission est un succès.
-Parfait. Avait-elle bon goût, Kagemaru-san ?
-Hai, Ryûjin-sama, vos prévisions étaient correctes. Elle était un peu émoussée par l’abstinence, mais très énergique et endurante, comme au combat. Elle ne m’a pas non-plus reconnue.
-Bien, bien... »

Ryûjin se leva et servit du saké pour lui et pour Bayushi Shurai, son kagemusha. Le ninja lui ressemblait quelque peu dans les traits, mais leur attitude était radicalement différente. Lorsqu’il s’était glissé dans la chambre de Matsu Tsuko, Shurai avait utilisé son étrange magie pour prendre l’apparence de Ryujin, puis avait imité sa démarche. Sur le champ de bataille, reconnaître la façon de marcher d’un général ennemi peut être très utile pour démasquer un kagemusha, et il savait que l’habile Tsuko avait probablement été intiée à cette ruse de soldat professionnel.

« Si je puis me permettre, pourquoi m’avoir envoyé la satisfaire au lieu d’y aller vous-même ? Les techniques de discrétion que je vous ais apprises aurait suffit à passer les gardes.
-Cela n’a rien à voir, rétorqua Ryûjin en haussant les épaules. C’est à Taki-sama que j’appartiens, une seule femme sufit à mes besoins. Je ne suis pas come vous qui avez le diable au corps ! La seule chose qui me contrarie c’est que nous ne sommes pas dans le bon rythme : la matrice de Tsuko-sama n’est pas prête actuellement pour être fécondée. Il faudra réessayer cet hiver.
-Vous allez continuer de m’envoyer dans les bras de cette furie ? Demanda le ninja avec un air désabusé.
-Tout à fait, cela ne vous convient pas ? Demanda Ryûjin avec un air étonné.
-Si fait. Ca compense les pertes en koku que vôtre victoire au duel m’a infligée.
-Nous pouvons toujours échanger nos places : lorsque nous avons pris cette geisha en tierce il y a neuf ans j’ai put voir comment vous vous y preniez et vise versa. Si vous mourrez pendant la prochaine bataille je saurais comment m’y prendre !
-Mes techniques ont évoluées depuis, il faudrait y retourner pour une mise à jour ! Aux frais de l’armée, bien entendu. »

Et ils rièrent tous deux en buvant leur vin de riz. Taki bougea dans son sommeil et aussitôt ils sursauttèrent, comme deux enfants qui craignent d’avoir fait une bêtise, et se turent de peur de la réveiller. Avec un regard empli de tendresse, Ryûjin ajusta la couverture sur le corps de la jeune femme, puis referma le shoji qui donnait sur la chambre. Le kagemusha tentait tant bien que mal de dissimuler l’étincelle de jalousie dans son regard. Le shireikan demeura dans le séjour, buvant et discutant à voix basse avec Shurai, jusqu’à l‘heure du départ.

Les troupes sous le commandement de Ryûjin partirent au matin avec des provisions. Ryûjin fît seulement un signe de tête à Tsuko, en guise d’adieu, qui le regardait partir depuis le sommet du château. La jeune femme n’avait pas encore revêtue son armure. Elle portait alors un kimono féminin, un de ces yukata que les jeunes femmes portent pendant les festivals. Matsu Hokitare se tenait à ses cotés, un peu en retrait, il faisait un signe d'adieu du clan de la Licorne à ses deux nouveaux camarades, agitant sa main.

"Eh, Kagemaru-san, lança l'ashigaru Kazuo, qui s'est cette beauté à côté de Hokitare-sama ?
-Surveille ton langage, péon ! C'est Matsu Tsuko-sama, répliqua le ninja.
-Ah ouais ? Je croyais que ces femmelles Matsu portaient tout le temps des armures lourdes."

Bayushi Shurai ne répondit pas, mais il n'en pensait pas moins que lui. Il se dit alors qu'il était désolé pour elle, car bien que d'un physique agréable, elle n'avait pas la beauté quasi-divine de Dame Taki, ni l'attraction qui émanait de Mirumoto O-Yuki. Il estima néanmoins que le yukata lui allait fort bien, au moins autant que l'armure de cérémonie dans laquelle il l'avait vue pour la première fois.


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A Shiro Sano Ken Hayai, les sages de la famille Kitsu défièrent Ryûjin de prouver sa sincérité et la véracité de ses dires par l'écriture d'un poème en l'honneur des ancêtres. Ci-dessous est-il retranscris, tracé par la main dextre de Mirumoto Ryûjin, dans sa calligraphie au style élégant.

" Abreuvés de sang
Creusant le sol et la chair,
Les racines plongent.

Bloqués aux rives du Styx
Entendez-vous leurs larmes ?"

Ils furent émus par ses mots, car il avait composé un Tanka à leur intention, car c’est encore de nos jours la plus haute forme d’expression littéraire, mais aussi car la Cour avait jadis interdit que les gens du Buke en fassent la composition, sous peine de mort, et c’est pourquoi il le se contenta d’en murmurer les paroles à Dame Taki, qui l’écrivit et y plaça son sceau, avant de leur exposer son glorieux lignage, car bien que l’interdit avait été levé il y a quelques décénies déjà par Hantei 38, l’interdit demeurait dans les esprits pudiques. Ils furent néanmoins charmés par son audace, qui demeurait toutefois fort respectueuse et conciliante envers la tradition, et par ce que ces vers venaient du cœur, estimaient-ils, ils acceptèrent d'envoyer quelques centaines de shugenja pour assister Mirumoto Ryûjin à la Bataille de l’Arbre de Vie.

[NB : Il existe également une rivière dans l’enfer japonais, comparable au Styx, mais le nom étant trop long (et disparu dans les méandres de la mémoire), l’auteur triche en utilisant un nom occidental plus court.]


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Sa petite armée assemblée, son excellence le Commandant Mirumoto Ryûjin fît le regroupement avec les troupes stationnées au village, puis la mena sur le futur champ de bataille, chevauchant en tête avec son armée. Ryûjin, alors général mandé par Matsu Tsuko pour commander cette armée, était alors revêtu de sa fameuse armure lourde noire et portait une cape tombante verte émeraude qui voletait derrière lui. Son habileté à manier l’éventail de commandement et ordonner les différentes manœuvres laissaient les hommes admiratifs de leur jeune général. Ryûjin prit le temps, pendant le voyage, de discuter avec les officiers du clan du Lion qu’on lui avait confié, afin de les mieux connaître, d’apréhender leurs points forts et leurs points faibles, de sorte à mieux agencer la disposition de son armée pendant le combat qui s’apprétait. De ces discussions, il ressortit que les officiers du clan du Lion possédaient, comme il l’avait estimé depuis son long voyage, un caractère solide et bien trempé. Bien que certains soient dépourvus de bon sens, du point de vue de Ryûjin, il y en avait également doté d’un solide sens tactique et de pénétration dans les arts militaires, à l’image d’Ikoma Joseki, son rival.

Arrivés à la vallée de l’Arbre de Vie, la petite armée faisait à peine 2000 hommes. Selon les prévisions et calculs effectués sur la base des archives, l’ennemi ferait au moins 5000 à 6000 morts vivants. De plus, selon des entretiens avec les officiers militaires de la famille Matsu et Ikoma Katsushiro, il ressortait que chaque samouraï Lion vivant vaudrait jusqu’à deux samouraï Lion mort et placé sous les ordres de l’ennemi. Autrement dit, il y avait là une nette infériorité numérique, et les officiers Matsu qui avaient le moins d’ardeur à suivre les ordres d’un général aussi jeune et étranger au clan, un de leurs ennemis acharné de surcroit, propageait l’inquiétude parmi les troupes, malgré l’aspect rassurant que Ryûjin avait adopté lors des quelques entretiens individuels ou en groupe qu’il avait effectué avec eux. Car le Dragon et sa compagne de la Grue avait beau dire, personne ne se sentait à l’aise à l’idée de frapper les ancêtres du clan revenus d’entre les morts. Toutefois, personne dans l’armée du clan du Lion assemblée sous ses ordres ne pouvait nier son habileté et son assurance lorsqu’il maniait l’éventail et campait avec une ferme majesté sur son siège de campagne.

Parvenu au lieu dit, l’armée s’installa pour la nuit à l’intérieur de l’immense vallée, qui pouvait facilement contenir les deux armées ennemies. Ryûjin prit toutefois des dispositions pour que ses hommes n’investissent pas immédiatement les positions de l’ennemi. Dame Taki l’avait en effet conseillé sur ce point, prédisant que les défunts sortiraient de terre, tel que par le passé ils avaient étés ensevelis, dès lors que le sombre sorcier Su Shan Wu Xian déclencherait le rituel y conduisant. L’état major prit alors la décision de concentrer les troupes sur la défense de l’Arbre de Vie, étant donné que la victoire supposait que celui-ci ne subisse pas une seule blessure. La chose paraissait difficilement concevable aux yeux de la soldatesque du clan du Lion et des quelques bataillons de shugenja de la famille Kitsu envoyés pour régler l’affaire.

La soirée se passa tranquillement en discussion avec les officiers du clan du Lion, à laquelle s’adjoint Ikoma Katsushiro, Asahina Taki, Agasha Guren et, au grand déplaisir de Ryûjin, Togashi Dôgen, qui s’assit parmi eux dans le centre de commandement comme si de rien était. Le centre en question était situé un peu en arrière de la vallée, Ryûjin l’avait placé au niveau de l’Arbre de Vie. Puis, par mesure de sécurité, il avait ordonné aux shugenja du clan du Lion et à Guren d’invoquer des murs de terre tout autour de l’Arbre, pouvant servir de fortifications et empêcher les attaques ennemies de l’atteindre. L’Arbre lui-même était sous la garde de l’unité du clan du Dragon qui servait en tant que Garde Personnelle du Commandant de l’armée. Celle-ci était toutefois divisée en deux parties, afin de profiter des spécialités de ses diverses divisions. L’infanterie et l’archerie demeurait affectées à la protection de l’Etat Major, mais la cavalerie avait reçu des ordres spéciaux afin de semer la confusion dans le dispositif ennemi. Le reste de l’armée avait été placée selon un schéma inhabituel, et des troupes en réserves étaient parées à venir renforcer le dispositif sur ses points clés. Lorsque Ryûjin leur exposa son plan, tous purent voir à quel point il était ingénieux et habile dans l’art militaire, et voyant son génie, ils pensèrent que malgré tout, la confiance en la victoire leur était permise.

La nuit, Ryûjin l’a passa debout, complètement réveillé, observant les étoiles. Il dormait peu à la veille de la bataille, et dans ces circonstances son esprit était comme en veille. Lorsqu’il était jeune, il pensait toujours à s’emparer des châteaux ennemis, à investir des positions adverses, à remporter de glorieuses victoires. Après sa première bataille, le mot « guerre » évoquait en lui le son des tambours de guerre, la charge des armées, la sonate des sabres qui s’entrechoquent dans une volée d’étincelles et le sifflement des flèches… Mais aujourd’hui, alors que son âme même était dorénavent dissimulée sous le Masque Blanc que lui avait octroyé Togashi, que pouvait donc receler son esprit insondable ? Alors que la Lune était haute dans le ciel, Dame Taki, éblouissante sous la lumière de la Pleine Lune, le rejoignit. S’asseyant tous les deux dans l’herbe grasse, ils demeurèrent jusqu’au matin sans rien dire.

Alors que Dame Soleil émergeait de l’horizon, étendant sur la vallée la lumière de l’aurore, les samouraïs des clans du Dragon et du Lion avaient déjà revêtus leurs armures pour la bataille. Sur les plastrons couverts de la rosée matinale, les rayons du soleil se reflétaient agréablement, créant un arc-en-ciel, messager des dieux, qui illuminait la vallée. Mirumoto Ryûjin montait un énorme cheval à robe noire, qu'il appelait Typhon de Nuit, et que ses soldats voyaient pour la première fois. Ryûjin se contenta de remettre sa précédente monture, "Yuki", un beau cheval blanc de la famille Shinjo, à l'un de ses gunso, Mirumoto Kakôen. Le bushi, commandant la cavalerie, n'osa pas interroger son shireikan sur la provenance de ce qui avait tout l'air d'être un destrier Otaku.

A peine les samouraïs eurent-ils le temps de réajuster leurs formations que de l’autre côté de la vallée, dans ce qui serait le camp ennemi, une horde de morts-vivants sortaient du sol détrempé, et ils s’étendaient à perte de vue. A l’autre bout de la vallée, surplombant ses esclaves d’outre-tombe, un grand sorcier aux longs cheveux noirs et avec une fine et longue moustache, les amples manches de ses robes yobanjin (hanfu) flottaient dans l’air matinal. De loin, le jeune général vit son adversaire tendre une main aux longs ongles noirs en direction de l’armée des vaillants samouraïs, défenseurs de l’Arbre de Vie. Sitôt, répondant à son appel et soumis à sa sombre volonté, les cohortes des samouraïs déchus se mettent en branle, fendant la brume matinale, déposée sur la vallée comme un fin voile blanc. Mais les défenseurs de Rokugan ne se laissèrent pas impressionner, et, menés par leur général, le « Toki » qu’ils lancèrent ébranlèrent la vallée, tel le rugissement d’un lion.

Résolus, les samouraïs firent face, adoptant les positions défensives prévues la veille. Dès la première vague, le combat tourna au carnage. Les deux armées se battirent violement, l’un avançait et tantôt reculait sous la pression, les morts gisaient et l’eau du ruisseau se changea en sang. Bientôt, les troupes se jettèrent massivement dans la bataille et vers midi, alors que le soleil était au plus haut dans le ciel, on aurait dit une représentation de l’enfer. Le combat menaçait de stagner. Mais bientôt, la tactique supérieure de Ryûjin prévalue. Déboulant depuis l’arrière du champ de bataille, le sergent de division Mirumoto Kakôen chargea furieusement, suivi de ses 100 nikutai, et profitant de la pente, fît une percée sur le centre de commandement de l’ennemi, constitué de maho-tsukai bels et bien vivants, et y semant la panique. Dans la mêlée, la robe blanche étincelante au soleil de Yuki donnait l'impression que Kakôen chevauchait un rayon de soleil perçant dans le domaine de la nuit.

Dans la mêlée, les ise-zumi menés par Togashi Dôgen massacrèrent les morts vivants, les brisants en deux et déversant sur eux leur puissance mystique. Au plus fort de la mêlée, des flammes jaillirent de la bouche de Togashi Dôgen, et elles consumèrent tout une bande de maho-tsukai. Dans la bataille, il avait l’air d’un tigre ayant pris forme humaine, ses crocs et ses griffes tailladaient ceux qui se dressaient sur son passage et leur arrachait le cœur, si bien que même les morts éprouvèrent de la terreur face à lui et fuyait son avancée. Plus loin, Mirumoto Shigure et Ryûjin défendaient les remparts de terre protégeant l’Arbre de Vie. Mais malgré sa tactique habille, l’ennemi parvint à regrouper ses forces à l’écart de la ligne de front, puis lança une attaque massive sur le flanc gauche, au cours de l’après-midi. Hâtivement, Ryûjin utilisa les troupes en réserve pour renforcer le flanc du dispositif, confié aux bons soins de Ikoma Katsushiro. Shigure lui-même se lança dans la mêlée, envoyé par Ryûjin avec une division d’infanterie, tandis que les shugenja et les archers pillonaient les troupes ennemies qui se jetaient frénétiquement contre les remparts.

Le combat décisif sur le flanc gauche se poursuivit jusqu’au soir, et alors que le crépuscule arrivait, la vallée regorgeait tellement de cadavres que l’on aurait dit une vision de l’enfer. C’était un combat à mort, le genre où nulle retraite n’était envisgeable, et où les deux partis lanceraient dans la tuerie le moindre de leur soldat jusqu’à l’extermination totale de l’ennemi.

Profitant que la pression était diminuée sur le centre et le flanc droit, Ryûjin manoeuvra de sorte que ses troupes enfoncèrent le centre adverse, et le dispositif ennemi s’écroula. Menant la charge cape au vent, monté sur son splendide coursier Otaku noir, Mirumoto Ryûjin enfonca les lignes adverses jusqu’au quartiers généraux et affronta en duel Matsu Imamura. Joutant l’un contre l’autre, les deux adversaires tentaient de se sabrés mutuellement, mais le dragon, rompu aux combats équestres et plus fine lame que son adversaire, parvint à le faire chuter de cheval. L’infâme traître périt le crâne et la cage thoracique défoncée par les sabots de Typhon de Nuit.

Lorsque la nuit tomba enfin, les morts retournèrent à la terre. L’Arbre de Vie n’avait pas subis une seule blessure, il était indemne et les ennemis étaient morts ou en fuite. Le kachidoki s’éleva dans les rangs des clans du Lion et du Dragon, et on pouvait lire en eux le soulagement que tout sois finis et la fierté d’avoir si bien combattu sous les ordres d’un général si digne de les diriger.

Su Shen Wu Xian avait toutefois survécu, personne retrouva son corps. En revanche, parmi les samouraïs trépassés du clan du Lion, on retrouva la dépouille d’Ikoma Katsushiro, et tous ressentirent sa perte, car c’était un brave jeune homme charmant et talentueux, et un tacticien prometteur. Mirumoto Shigure avait toutefois survécu, et sa gloire en ressortie nettement agrandie, tant ses deux lames avaient fauchées de ses ennemis. Il n'avait d'ailleurs écopé que de blessures superficielles.

Plus loin, un combat furieux avait lieu entre six Ise-zumi et une quinzaine de bushi lion souillés, suivant le Noir Sorcier dans sa fuite. Su Shen Wu Xian déversa sur eux sa magie noire, mais le moine le plus puissant lui tint tête aisément et lança un puissant kiai qui stupéfia le Su Shen Wu Xian. Profiant de l’occasion, Togashi Dôgen utilisa la crosse de son bâton de moine pour lui placer un coup dans l’estomac, le sorcier chut au sol en maugréant. Les samouraïs autour de lui furent vite massacrés par les moines Togashi, qui se rassemblèrent en cercle autour de leur aîné, debout devant Su Shen Wu Xian. Jetant un oeil apeuré autour de lui, il eut l'impression que sept géants l'encerclaient, et dos à la Lune, ils projetaient leurs ombres sur lui. La silhouette dégingandée de celui-ci se redressa péniblement, son regard était empli d’une tristesse sans fin et du sang s'échappait de sa bouche. Mais sur les lèvres de Togashi Dôgen se dessinèrent un sourire compatissant, et dans ses derniers instants le cœur sombre du maho-tsukai fût éclairé d’un rayon de lumière. Et lorsque Dôgen trancha sa tête vivement, il périt un sourire au lèvre, et son visage exprimait du soulagement. La main de Dôgen, en partant du tranchant, était couverte de sang, et il l’essora à la manière d’un sabre vivant.

Togashi Dôgen rapporta la tête du général ennemi aux pieds de l’Arbre de Vie, dans le quartier général de Mirumoto Ryûjin. Le Shireikan afficha un air stupéfait derrière son menpo, de même que les officiers des clans du Lion et le Gunso Shigure. Depuis la fin de la bataille il n’y avait plus moyen de mettre la main sur l’étrange moine, et les samouraïs pensaient qu’il était déjà reparti. Mais le Togashi réapparut devant eux en souriant et déposa la tête avec délicatesse.

« C’est vous qui l’avez tué ? Interrogea Ryûjin, incrédule.
-Oui-da, je l’ai tué et je te ramène sa tête, répondit le moine, l’air de rien. »

Mirumoto Ryûjin plissa les yeux pour essayer de distinguer le disciple de Togashi dans la pénombre, était-ce bien son père, celui-là même qui l’avait trimballé de provinces en provinces depuis qu’il était un nourisson ?

« Togashi Dôgen ? Insista le jeune shireikan.
-C’est bien moi, répondit Dôgen avec son air ingénue habituel.
-Et où étiez-vous donc partis après la bataille, pendant que l’on donnait des soins aux bléssés ? Demanda un officier du clan du Lion.
-Je poursuivais le général ennemi avec quelques uns de mes frères, voilà tout. »

Les dits frères étaient aussi fourbus et blessés que les samouraïs des clans du Lion et du Dragon, mais Dôgen semblat être complètement indemne, alors qu’il avait guerroyé sans cesse au plus fort de la bataille. Ryûjin avait l'air au moins aussi surpris que les officiers du clan du Lion qui l'entourraient.

« Dewa… »

Le moine se retourna et partit sans se presser, le plus naturellement du monde, comme s’il les laissait en plan, et ce faisant il leur fît un grand sourire absolument décourageant et leur fît adieu en agitant sa main. Les officiers du clan du Lion se retournèrent vers Ryûjin, curieux de voir sa réaction. Le stratège se contenta de hausser les épaules et clotura la réunion pour rejoindre sa tante, montée un peu à l’écart. La suite des évènements ne serait pas non-plus de tout repos.

Re: Ten'ka Ryûjin monogatari (extraits)

Publié : 27 janv. 2011, 11:30
par Togashi Dôgen
Entretien stratégique avec Matsu Katamori


Le lendemain, le souvenir des ancêtres disparus étaient soudainement revenus dans les mémoires de tous. Ryûjin n’y préta guère attention, et les ordres de missions furent distribuées aussitôt que l’armée fût mise en formation, dans la matinée. Ils en surprirent plus d’un. Neuf des onze kaisha du clan du Lion avaient pour ordre de retourner à Shiro no Matsu et d’attendre le retour des troupes du clan du Dragon, qui passerait par la Passe de Beiden pour aller dans les terres du clan du Scorpion, avant de retourner au Nord. Les deux autres kaisha avaient pour ordres de rester en garnison au Village de la Source de Vie et dans la Vallée, d’établir un fort pour protéger l’Arbre de Vie et d’attendre les ordres du Clan du Lion. Ils seraient assistés dans leurs tâches par cent shugenja de la famille Kitsu, qui se chargeraient de la défense magique et des rites de purification, tandis que le reste des shugenja alloués à Ryûjin devaient retourner à Shiro Sano Ken Hayai. Les deux Chui qui dirigeaient ces unités, choisis pour leur bravoure durant la bataille, avaient pour instruction formelle d’empêcher quiconque d’approcher de l’Arbre à moins de 50 pas, excepté Kitsu Rihaku, le plus puissant Sodan-Senzo qui avait été alloué à Ryûjin. Matsu Sada, qui était une samouraï-ko, et Matsu Ginko, qui avait pris pas moins de dix-huit têtes dans cette bataille, jurèrent de suivre cet ordre scrupuleusement et de sanctionner par la mort toute intrusion.

Néanmoins curieux, le Taisa Matsu Katamori, qui commandaient les troupes placées sous le commandement de Ryûjin, interrogea le shireikan à ce sujet. Il était alors tard dans la soirée, ils avaient établis leur campement pour la nuit après être partis en direction du col de Beiden. C'était alors une soirée de fin d'été comme les autres, les moussons d'automne allaient bientôt se faire ressentir, tandis que les typhons visiteraient les côtes de l'Empire.

« Ryûjin-dono, pourquoi placez-vous une garnison de seulement 380 samouraïs pour défendre l’Arbre de Vie ? Et aussi pourquoi me confiez-vous la charge de vous attendre à Beiden, au lieu de prendre la tête des forces sur le retour, comme vous l’avez fait pour l’allée ?
-Quant à la garnison, il ne faut pas trop surcharger de responsabilités les ressources du village de la Source de Vie, car les champs sont peu fertiles. Ce n’est qu’une mesure provisoire, le clan du Lion s’occupera du reste. Quant à mon départ… C’est par ce que, Katamori-san, je me dois d’effectuer une seconde mission pour le compte de mon Suzerain.
-Mirumoto no Hitomi-sama ? Demanda Katamori en fronçant les sourcils.
-Non pas, je parle de son Eminence Togashi no Yokuni. Vous souvenez-vous des mouvements de troupes du clan du Scorpion, qui indispose Matsu Tsuko-sama ? »

A cause de la topographie de Rokugan, les frontières entre les clans du Lion et du Scorpion était délimitée par une chaîne de montagne parmi lesquelles le Mont des Sept Tonnerres, aux visages sculptés dans la roche, l’une des merveilles de Rokugan. Mais le principal lieu stratégique du secteur était le col fortifié de Beiden, principal passerelle transitoire entre les territoires du clan du Lion et du Scorpion de part et d’autres de la montagne. Pendant presque toute l’histoire de l’Empire, le col avait été sous le contrôle du clan du Lion, et plus précisément de la famille Matsu.

Car en effet, plus au nord se trouvait Shiro no Matsu, la plus grande forteresse du pays, un complexe militaire capable d’abriter une garnison de 20 000 samouraïs. Par conséquent, le Col de Beiden n’avait été perdu que très peu de fois, lors de bataille contre Outremonde… et une bataille entre le Lion et le Scorpion, auquel s’était allié dans le secret le Dragon. C’était la célèbre bataille du Grand Lac des Pétales de Fleurs de Cerisiers, qui permit au clan du Dragon de tenir le col pendant plus d’une semaine. Lorsque Mirumoto Ryûjin était venu, le clan du Lion pensait que son ennemi héréditaire du sud songeait à une revanche et préparait en secret un assaut sur le col de Beiden, dans l’idée de détruire Shiro no Matsu et de brûler le Hall des Ancêtres.

« Hai, nous pensons qu’ils préparent une attaque sur le col de Beiden.
-Ils s’en garderont bien, rétorqua Ryûjin. Mis à part Soshi Inuyasha, le clan du Scorpion ne possède aucun général à la fois valeureux et téméraire susceptible de mener une telle campagne. Et ce même Inuyasha ne possède pas assez d'autorité à la Cour du seigneur Shoju pour entreprendre une telle expédition à l'heure actuelle. Non, ils ont retenus la leçon, mes avis.
-Allons bon, ne me dites pas qu’ils préparent une attaque sur le clan de la Grue, ça serait trop beau pour être vrai. Voir ces deux clans de fiéffés courtisans s’entre déchirés sur un vrai champ de bataille pour une fois…
-En effet, je pense que l’un d’entre eux sera leur victime, ajouta-t-il en déroulant une carte de Rokugan, et il pointa du doigt les clans mineurs qui entouraient le Scorpion. Récemment, une triste affaire provoque du remue-ménage à la Cour, probablement un mensonge de Scorpion qui devient une fausse-réalité. Dans le même temps, il semble que les clans de la Guêpe, du Renard et du Moineau aient entamés des pourparlers souterrains.
-Compteriez-vous vous opposer à une décision de Sa Majesté ? Interrogea le bushi Lion avec suspiscion. Le clan du Scorpion n’attaquera pas un clan mineur sans l’aval de la Cour Impériale.
-J’y vais pour connaître la vérité, ma fidélité va à l’Empire, Katamori-san. Par ailleurs, il est probable que la Cour soit manipulée par la famille Bayushi.
-Encore la clique de Bayushi Goshiu qui fait des siennes, c’est ça ? Grogna le Matsu.
-Certes, si une décision a été prise, c’est avec des informations délibérément éronnées. Le clan du Scorpion contrôle la majeure partie des informations qui parviennent jusqu’à la Cour. Il n’est guère étonnant du reste que certains de ses membres peu scrupuleux induisent dans leurs jugements des… motifs personnels, arrangeant les affaires du clan le plus.. loyal à l’Empire. »

Aux yeux de Matsu Katamori, le clan du Scorpion était allé trop loin. Il est vrai que sa contribution, comme celle du clan de la Grue, était exceptionnelle quant à la grandeur de la culture et du mode de vie de l’Empire – encore qu’il puisse varier considérablement d’un endroit à l’autre – et que la contribution du clan du Scorpion aux affaires souterraines de l’état était vitale. Mais depuis les débuts, le clan du Scorpion avait eut une vision très étriquée de l’Empire. Là où les yeux de Sa Défunte Majesté Hantei Jimmu, loué soit-il, avait plongé leur regard clairvoyant dans l’avenir pour y déceler la gloire de Tengoku, unifié à la sagesse du monde, afin de créer en ces lieux un joyau à la splendeur sans pareille, le regard de Bayushi avait toujours été plus sombre, et ses ambitions d’une autre nature.

Le clan qu’il avait fondé, étant dénué de sa nature divine, avait par conséquent dévié nettement dans sa manière de penser l’Empire. Pour l’Empire, disaient-ils, mais entre l’Empire et le clan du Scorpion, il n’y avait guère de diffrences, puisque les intérêts du clan du Scorpion sont ceux de l’Empire. Et par conséquent ceux qui s’opposent à ces intérêts, que ce soit Sa Majesté l’Empereur où les autres clans majeurs, perdaient leur droit de vivre. Telle était l’opinion de Katamori, qui pensait que les clans de la Grue et du Scorpion se confondaient sournoisement avec l’Empire. En vérité, telle était l’opinion de la plupart des membres du clan du Lion. C’était un trait culturel qui s’était forgé avec le temps, tout comme il s’était forgé chez les autres clans.

« Je vous le concède, Mirumoto-dono. Je me conformerai donc à vos ordres et placerai les troupes en garnison à Beiden en attendant vôtre retour. Néanmoins, si vous prenez parti contre le Scorpion, vos troupes seront isolées en territoire ennemie, laissez moi adjoindre quelques compagnies supplémentaires à vôtre unité, vous avez perdu une centaine d’hommes dans la bataille, même pour vous ça sera difficile, car avec 600 soldats vous vous retrouverez largement isolé.
-Je ne vous permets pas, mes calculs sont justes, répliqua Ryûjin sur un ton cassant et légèrement agressif qui surpris Katamori. Si le Lion m’adjoint des troupes pour cette campagne pouvant tourner contre le clan du Scorpion, ajouta-t-il sur un ton plus conciliant, cela sera considéré comme allant à l’encontre de la volonté du Fils du Ciel. Par ailleurs, en restant neutre, vous m’offrez l’opportunité de rester chez vous pour l’Hiver qui s’annonce.
-Cela ne me plaît pas, vous êtes trop sûr de vous…
-Etre en surnombre ne multiplie pas le courage, il le divise, répondit-il sur un ton sentencieux, qui rappella furieusement à Katamori son propre senseï.
-Certes, certes, mais…
-J’ai une autre tâche à vous confier. L’un des mes hommes, Mirumoto Kagemaru va rester avec vous. Officiellement.
-Qu’est-ce que ça veut dire ?
-Que l’un de vos hommes devra se faire passer pour lui.
-Je ne comprends pas.
-C’est… Compliqué. Je suis occupé à me battre sur plusieurs fronts, et Kagemaru-san fait parti d’une de ces batailles. Afin que ma victoire soit assurée, j’ai besoin que l’ennemi ne sache à aucun moment qu’il est resté à mes côtés pendant mon voyage vers le Nord.
-Et officieusement ? Qui est donc ce Kagemaru et quel est son rôle ?
-C’est un espion du clan du scorpion. »

Katamori s’étrangla avec le saké qu’il était en train de boire. Bien sur, Katamori savait que le Scorpion avait des espions partout. Mais il savait aussi que les « retourner », comme on dit dans le vocabulaire militaire, était presque impossible, même quand on connaissait leurs noms et commanditaires. Pire encore, il savait que s’en prendre à eux était une invitation pour les inciter à s’intéresser à vos secrets. Katamori lui-même était un homme intègre, mais il savait que des hommes intègres pouvaient parfois se voir inventer de nouveaux défauts honteux, grâce à l’imagination fertile des courtisans du clan du Scorpion. Récemment, l’un de ses bons amis, Matsu Hokitare, le Karo de Dame Matsu Tsuko, avait eut des ennuis avec Bayushi Goshiu, lorsqu’il avait découvert un complot ourdi par un des proches collaborateurs de ce même Goshiu, un collaborateur qui bizarrement ne disposait ni du pouvoir ni de l’intelligence requise pour une telle machination… contrairement à son maître, le seigneur Goshiu-sama. Pour toutes ces raisons, Katamori ne voulait pas savoir. Il avait déjà assez à faire avec les espions au sein de son propre régiment de bushi pour se mêler des armées des autres.

« C’est compliqué, je vous l’ai dis. Mais vous n’avez pas besoin d’en savoir autant.
-Vous avez raison. D’ailleurs, je ne veux pas savoir en quoi consistent vos affaires avec ces gens là et si possible, arrangez vous pour qu’ils le sachent eux aussi.
-Je loue vôtre prudence, Katamori-san, mais officieusement seulement, je ne veux pas vous attirer des ennuis.
-Si on me le demande, je n’ai rien vu, ni rien entendu ; je n’étais pas là, je dormais. »

Pendant un instant, Matsu Katamori se demanda dans quoi il était en train de mettre les pieds. Le Shireikan qu’on lui avait imposé était en train de l’attirer dans quelque coup tordu, une embrouille souterraine avec le clan du Scorpion dont il n’avait en aucun cas envie d’être mêlé. Le rire discret de Ryûjin devant la réaction de son interlocuteur lui semblait de mauvaise augure. Le dragon était fou. Il fallait déjà être fou pour s’en prendre à une armée de morts vivants constitués d’ancêtres vénérables manipulés par un Maho-Tsukai sous les ordres d’un Shuten Doji, et les attaquer en sous-nombre qui plus est. Mais attaquer le clan du Scorpion en sous-nombre, dans un rapport de force d’au moins 1 contre 1000, c’était de la pure démence. Et le pire, c’est que Katamori savait que Ryûjin était certain de vaincre, de remporter cette audacieuse campagne en plein cœur du territoire ennemi. Cet homme n’avait peur de rien, que ce soit dans le monde des mortels ou au cœur du Jigoku, Mirumoto Ryûjin ne craignait rien ni personne. Cet homme là qui était allé jusqu’à se nommer lui-même « l’Être Lumineux » ou « le Dieu-Dragon » considérait révérencieusement le Champion du Clan, Togashi Yokuni, et semblait l’estimer digne de ses services grandioses. Katamori se demandait au fond de lui quel genre d’homme pouvait bien être ce Yokuni-sama pour que Ryûjin le serve avec tant de mortel enthousiasme, si bien qu’il ne savait pas lequel des deux était le plus à craindre, de Ryûjin ou de Yokuni.

« Pourquoi me racontez-vous tout cela ?
-Le Scorpion a des yeux et des oreilles à peu près partout. Si vous répétez ces informations confidentielles, le Scorpion sera au courant. Et s’ils l’apprennent, je m’en apercevrais aussi. Et par conséquent, s’ils ne vous tuent pas, c’est moi qui le ferais. Et vous êtes bien placé pour savoir à quel point je suis habile dans les arts militaires, n’est-ce pas ? Tant qu’à faire, restons amis jusqu’à ce que la guerre et les volontés de nos clans nous séparent.
-C’est bien beau tout ça, mais ça n’a rien à voir avec la bataille de l’Arbre de Vie pour laquelle Matsu Tsuko-sama vous a confiée mes troupes.
-Vous manquez de subtilité, Katamori-san. La Bataille de l’Arbre de Vie qui avait pour but de sauver vos ancêtres n’est qu’une des raisons pour laquelle Matsu-sama m’a confiée vos troupes. Peu importe, je m’occuperais de cela en temps et en heures, contentez vous d’attendre mon retour à la frontière. Je remettrais le commandement de vos samouraïs à Matsu-sama solennellement à mon retour. Refusez tout contre ordre.
-Je comprends, dit-il avec un soupir. Je ferais ce que vous ordonnez, Shireikan-dono. »

Voyant que le dragon n’en démordrait pas, Katamori n’insista pas sur les divers points de ses directives controversées, prit congé en réitérant sa promesse, puis rassembla ses troupes et les vivres qui lui avaient été imparties, prenant enfin le champ le chemin du retour. Mirumoto Ryûjin ne tarda pas lui non-plus, et emmena son armée avec lui. Elle avait alors subies de relativement faibles pertes, essentiellement des ashigaru et quelques dizaines de fantassins, mais le gros des troupes était encore paré au combat. C’est dans ce contexte qu’allait commencer la campagne militaire la plus célèbre de la carrière de Mirumoto Ryûjin.