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Blog : en direct de Ryoko Owari

Publié : 21 mai 2005, 13:05
par matsu aiko
Je m'appelle Matsu Aiko, je suis une servante de l'Empire Enchanté. Il y a un an je suis venue résider chez les Licornes, dans le cadre d'un rapprochement du clan des Licornes et du clan du Lion, et il y a 3 mois j'ai été nommée à Ryoko Owari comme magistrat d'Emeraude, tout en continuant d'assurer mes fonctions d'ambassadeur des Lions.
J'ai trois seigneurs à l'heure actuelle : le Champion d'Emeraude, qui est arrivé il y a quelques mois à Ryoko Owari, Otaku Benkei, le frère ainé d'Otaku Genshi, moins agressif que sa sœur mais aussi impulsif, et le gouverneur, Shosuro Hyobu.
Ma mission est complexe : en effet le Champion d'Emeraude m'a demandé de lui présenter un plan à trois ans permettant de rétablir la justice impériale à Ryoko Owari, et de juguler le trafic d'opium. Dans le même temps, je reste le porte-parole du clan du Lion, et les Licornes, qui m'ont complètement adoptée, comptent sur moi pour défendre leurs intérêts.
C 'est d'ailleurs à la demande des Licornes que j'ai gardé mes fonctions d'ambassadeur du clan du Lion, ce que le Champion a gracieusement accepté, en précisant qu'en ce cas je rapporterai également au gouverneur Hyobu. De façon évidente cela ne simplifie pas ma tâche, les intérêts du clan du Lion et du clan Scorpion pouvant sur certains sujets se trouver en conflit. Aussi je me définis avant tout comme une servante de l'Empire, et tente de résoudre les résoudre les éventuels conflits de loyauté en optant autant que faire se peut pour le meilleur choix pour l'Empire.

Il y a deux mois, j'ai découvert le journal de mon prédécesseur (sous la forme d'une analyse financière explosive) et y ai découvert, sur un sujet de dissension depuis deux ans entre les Scorpions d'un côté et le clan du Lion et les Licornes de l'autre, que la décision qui avait été prise par les Scorpions il y a deux ans au détriment du clan du Lion n'avait finalement pas été non plus au bénéfice du clan du Scorpion, mais que pour une question de face les Scorpions ne sont jamais revenus dessus.
Bien évidemment, si le clan du Lion, ou les Licornes, avaient eu connaissance de ce document, cela aurait rendu un conflit inévitable, et aurait précipité la ville dans la guerre civile. Par ailleurs, mon devoir envers les Shosuro m'empêchait de simplement transmettre le document au Champion d'Emeraude : nul doute que Hyobu-sama aurait considéré un tel acte comme une trahison. Mais bien évidemment, mon devoir de magistrat d'Emeraude m'imposait d'agir sur ce document, en évitant toutefois un conflit qui ne pouvait que nuire à tous.
Après avoir vérifié à l'aide d'un serviteur à la discrétion assurée le bien-fondé de mes conclusions, j'ai donc sollicité un entretien auprès du gouverneur et j'ai fait part de mon embarrassement sur la découverte de ce document. Hyobu-sama, avec son impassabilité habituelle, n'a pas eu l'air surprise quand je le lui ai montré, et m'a dit qu'elle avait connaissance de ce document, mais qu'en fait ce qui était relaté était entaché d'erreurs.Elle s'est également débrouillée pour discrètement escamoter le document au cours de l'entretien, comme je m'en suis aperçue en sortant de l'entrevue.
J'ai montré la copie que j'en avais faite à Yogo Osako, qui avait, d'après le journal, été à l'origine de cette analyse, et avec une légère hésitation, elle m'a confirmé que ce rapport était en grande partie exact, et qu'il avait même été montré à Bayushi Shoju et au Shogun. Elle ignorait pourquoi il n'avait pas été suivi d'effet.
Un peu plus tard, j'ai effectué une enquête à la demande du Champion d'Emeraude, sur les réseaux de distribution des marchandises , notamment le saké, et les prix pratiqués. J'avais bien sûr sollicité l'avis du gouverneur avant d'en écrire les conclusions, et de formuler un certain nombre de recommandations. Le Champion d'Emeraude et le gouverneur se sont l'un et l'autre montrés satisfaits de mon travail, mais quand j'ai demandé à Hyobu-sama à qui je pouvais communiquer ces recommandations, afin de pouvoir les mettre en application, elle m'a répondu : « A personne d'autre, il suffit que j'en ai connaissance ».
Il est clair que Hyobu-sama compte utiliser son considérable pouvoir pour maintenir le statu quo.

Un mois plus tard :
J'ai avancé dans ma mission principale, et j'ai montré un premier projet, qui comprend quelques tactiques audacieuses pour juguler le trafic d'opium, au Champion d'Emeraude, qui, de part son attitude, a été fort impressionné. Je l'ai également montré à Hyobu-sama, qui m'a conseillé d'aller interroger diverses personnalités de la ville sur la façon dont elles envisageraient les choses, ce qui , je le soupçonne, était aussi une façon pour elle de s'informer de façon détournée sur l'opinion et la loyauté des dites personnes. Dans la liste qu'elle m'a fournie ne figurait pas le nom du Shogun : mais, comme de façon évidente ce plan pouvait avoir des répercussions sur l'Empire tout entier, et qu'il ne pourrait voir le jour sans l'approbation du fils du ciel lui-même, j'ai de mon propre chef sollicité et obtenu une entrevue avec le Shogun.
Après m'être brièvement présentée je lui ai parlé de la façon dont j'estimai que l'on pouvait rétablir la justice dans la ville dans les trois ans à venir. Il m'a confié un document, en recommandant que je revienne le voir ensuite après l'avoir lu (document qui traite de la justice Impériale à Otosan Uchi) ; il m'a aussi demandé d'être personnellement informé de toute action concernant les intérêts du clan du Lion à Ryoko Owari.Nul doute que les Lions lui aient fait part de leurs doléances en la matière.Néanmoins, ceci me met dans une position délicate à l'égard de mes supérieurs, qui verront certainement d'un oeil mitigé que je communique directement avec le Shogun.
Puis peu de temps après j'ai vu Hyobu, qui m'a demandé ce que j'avais dit au Shogun. Un peu embarrassée, je lui ai répondu : rien de plus que ce dont nous avions déjà discuté ensemble. Apparemment, le Shogun a fait un courrier à chacun de mes supérieurs (le Champion d'Emeraude, Hyobu, et Shinjo Yochifusa, auquel rapporte Otaku Benkei) en leur disant qu'il avait été très impressionné par mes idées !
De façon complètement inopinée, il semble que je dispose actuellement de la faveur de la deuxième personne de l'Empire...
Cela, bien sûr, devrait faciliter ma tâche, qui sinon pourrait s'avérer ardue...Bayushi Korechika, notamment, tente de me manipuler de façon à ce que je mette le clan Lion et les Licornes en difficulté en prenant des engagements en leur nom, et en semant la confusion...tactique qui hélas semble couronnée de succès, Shinjo Yoshifusa, habituellement placide, était fort irrité ce soir...

Cette semaine j'ai discuté avec Bayushi Koremune, un jeune noble qui vient d'être affecté à Ryoko Owari à la demande expresse du Shogun, et qui semble sensible à mon souci de justice, mais Hyobu voit ces contacts d'un très mauvais oeil et m'a expressément interdit de communiquer aux Bayushi des éléments qu'elle n'ait pas approuvés au préalable.
Dans ce cas j'ai néanmoins estimé que ma loyauté à l'Empire prenait le pas sur ma loyauté à Shosuro Hyobu ; de plus, dans le cas de la décision prise il y a deux ans, il est très clair que le gouverneur ne reviendra pas dessus ; or, si la proposition venait du clan Bayushi, et était dans l'intérêt du clan du Scorpion, ce serait une façon de permettre à Hyobu-sama de sauver la face, tout en servant les intérêts des Scorpions, des Lions et des Licornes. J'ai donc transmis une copie d'une partie du journal à Bayushi Koremune. Je ne dois pas cependant oublier que sa loyauté va, avant tout, aux Bayushi.

Hier j'ai appris une nouvelle stupéfiante : il y a eu un coup d'état, le Shogun a pris le pouvoir et s'est proclamé Empereur ; le précédent Empereur est parti en exil et nul ne l'a même vu partir. Les daimyos de tous les clans, réunis pour la circonstance, étaient effarés, mais nul n'a osé protester. Il est vrai que le Shogun a une réputation redoutable, et fait facilement rouler des têtes pour des insultes réelles ou supposées. Le nouvel Empereur a également dit qu'il n'y aurait pas de nouveau Shogun, et qu'il assumerait les deux fonctions.
D'un certain côté, je me dis que mon protecteur est maintenant le Fils du Ciel ; d'un autre côté, je me demande si être sous la protection d'un tel personnage n'est pas à double tranchant. M'utilise-t-il pour déstabiliser Hyobu, ce n'est pas impossible…

Publié : 07 juin 2005, 23:06
par matsu aiko
Le daimyo du clan Licorne est venu en visite il y a deux semaines : c'est une femme d'un certain âge, souriante et à l'étiquette impeccable, mais on sent l'acier sous le poli du langage. Pour la venue d'un si éminent personnage, tous les efforts nécessaires avaient été faits. Nous avions organisé également toutes les rencontres nécessaires, avec tant les Licornes que les Scorpions ou les Lions, et j’ai eu l’honneur de servir d’accompagnatrice à cet éminent personnage, ce qui m’a valu de subir un nombre incalculable de cérémonies du thé et d’échanges de propos polis sans autre raison d’être que les demandes de l’étiquette. Nous avons également organisé un concours de calligraphie et de peinture en équipe, où participaient la famille Ide et les Shosuro, qui a eu un franc succès. Ide et Shosuro se sont découverts des intérêts communs et se sont mutuellement promis de renouveler l’expérience. Autant l’enthousiasme des Licornes me semblait sincère (certains avaient même les larmes aux yeux, signe d’émotion bien peu digne à dire vrai), autant j’ai plus de doute sur celui des Shosuro, encore que Shosuro Kimi, avec laquelle je converse souvent, et qui me soutient à l’occasion, me paraissait gagnée par l’enthousiasme ambiant. Quoiqu’il en soit tout le monde s’est déclaré ravi, et la visite aurait été parfaite si lors de la cérémonie de départ, Otaku Benkei n’avait mis les pieds dans le plat en parlant de la visite des Lions la semaine suivante, et en demandant crûment au daimyo Licorne ce qu’elle comptait faire à ce sujet pour aider ses loyaux sujets sur place. J’étais fort embarassée par cette rupture de l’étiquette et par la perte de face de mon supérieur ; mais avec une exquise politesse, le daimyo Licorne, sans s’offusquer de sa grossièreté, lui a fait une réponse courtoise à sa demande, alors qu’elle aurait pu légitimement être offensée, sa visite étant déjà en elle-même une réponse à cette préoccupation par la gloire qu’elle procurait. La perte d’harmonie était néanmoins sensible, et j’espère que nous n’avons pas perdu une alliée potentielle.


Sur un autre plan, après m’avoir demandé d’interroger un certain nombre de personnalités, Hyobu-sama m’a demandé de passer d’analyser un certain nombre de rapports préalables, qui assurait-elle étaient indispensables à la préparation du projet confié par le Champion d’Emeraude. J’ai obéi à sa requête, mais l’opération m’a pris plus d’un mois en raison de l’obscurité des rapports en question, qui se sont en fait révélés confirmer ce que je savais déjà. Entre les rendez-vous et ces analyses, j’ai donc perdu un temps précieux. Il me semble clair que Hyobu-sama, sans s’opposer à la demande du Champion d’Emeraude – surtout maintenant que j’ai le soutien de l’Empereur – fait tout ce qu’elle peut pour retarder ce projet au maximum.Cela n’était qu’une des tactiques à sa disposition, comme je devais m’en apercevoir plus tard…

Espérant la convaincre, j’ai proposé au gouverneur de diner ensemble, ce qu’elle a accepté. Elle m’a emmené dans un extraordinaire restaurant, où elle m’a parlé avec éloquence de l’histoire de la ville, et du maintien des traditions ; elle y connaissait chacun des serviteurs par son nom d’usage, et m’a expliqué qu’ils étaient là depuis trente ans, refusant de quitter l’endroit par attachement à la famille Shosuro ; elle m’a parlé des nombreuses affaires et accords d’importance qui s’étaient tenus là ; elle m’a fait goûter nombre de mets raffinés, et nous avons bu un excellent saké .
Après cette impressionnante introduction, j’ai amené la conversation sur les affaires de Ryoko Owari, et ai humblement sollicité son avis sur la meilleure approche à avoir en ce qui concernait le trafic d’opium. Hyobu-sama a nié que cela soit un problème, malgré tous les témoignages du contraire ; j’ai alors utilisé la voix du cœur, comme me l’ont appris les bardes Ikoma, et ai donc parlé de mon émotion à voir les misérables en manque dans les rues, ou ce désespéré qui s’était jeté dans le brasier où se consumait l’opium confisqué. Un instant j’ai cru l’avoir touchée, j’ai vu cette étincelle dans son regard ; mais c’était fugace, et l’instant d’après elle reprenait son prêche sur l’opium comme mal nécessaire voire préférable au saké.
Elle m’a demandé pourquoi j’étais par moment réservée « vous pouvez tout me dire, vous le savez ! » . Malgré le saké j’étais consciente du piège, et lui ai répondu que je n’étais pas toujours d’accord avec elle, mais que mon immense respect pour elle et mon devoir faisait que je ne pouvais au final que soutenir son avis.
Cette soirée a été plaisante, mais en définitive, je n’en sais pas plus long sur les intentions du gouverneur : malgré les déclarations de confiance, et la sincérité apparente de celle-ci, elle n’a fait que répéter ce qu’elle avait dit précédemment. Nul doute qu’elle, en revanche, ait beaucoup appris de moi.C’était probablement naïf de ma part que de vouloir me livrer à un tel exercice avec un grand maitre es-manipulation comme l’est le gouverneur.

J’ai fait le point cette semaine avec Yogo Osako sur les fonds qui me sont alloués pour l’année à venir afin de subvenir aux besoins de la magistrature, et j’ai manqué de m’étrangler quand elle m’a annoncé qu’en raison des restrictions budgétaires mon budget de magistrat était réduit à 36 koku pour l’année entière. Bien que je n‘ignore pas que les Lions ont mis des fonds importants – plus de 700 koku – à ma disposition, je ne puis les utiliser dans le cadre de projets qui ne soient pas strictement dans l’intérêt du clan du Lion, et les utiliser pour la magistrature d’Emeraude mettrait le doute sur ma neutralité de magistrat d’Emeraude, si essentielle dans cette situation délicate.
Je dispose actuellement d’une yoriki Licorne, fidèle et dévouée, d’un lieutenant des gardes tonnerre Shosuro, mis à ma disposition par le gouverneur, mais qui est régulièrement pris par des manœuvres de troupes, et de temps en temps de l’aide bénévole de Shosuro Kimi, d’une exquise amabilité mais pas très disponible ni très efficace. J’ai aussi quelques ronins qui travaillent pour moi à l’occasion. Malgré tout, ces ressources tant humaines que budgétaires sont complètement insuffisantes pour m’attaquer à l’immense problème du trafic d’opium – il me faudrait au moins deux personnes supplémentaires. Avec un peu d’appréhension – lors de ma dernière demande de fonds il avait opposé une fin de non-recevoir et m’avait envoyée solliciter le gouverneur - j’ai donc pris rendez-vous avec Doji Satsume, qui me recevra dans trois jours.
En attendant, j’ai eu aujourd’hui une excellente surprise : une jeune samourai Mirumoto, adoptée à la suite d'un échange dans le clan Soshi, est venue me voir, et m’a déclaré avec flamme qu’elle souhaitait travailler pour moi comme yoriki. Nous nous étions rencontrées lors de mon arrivée dans la ville, et apparemment notre rencontre, bien que brève, l’avait marquée ; j'imagine que mon style assez direct - après tout, je suis une bushi - devait trancher par rapport à la politesse raffinée et aux éternels atermoiements des Scorpions.De mon côté, j’avais apprécié sa franchise, sa compétence et son évidente droiture, et nous étions tombées d’accord sur la nécessité impérieuse de lutter contre le trafic d’opium.
Inutile de dire que sa proposition est providentielle. Qui plus est, c’est en fait la fille d’un daimyo mineur de la famille Mirumoto, et elle arrive avec un trésor de guerre de près de 600 koku, qui, si son clan d'accueil l’accepte, pourrait être mis au service de la magistrature. Je compte soumettre sa proposition à Doji Satsume, mais je doute qu’il s’y oppose. Il ne me reste plus qu’à espérer que son père sera d’accord. Elle a un entourage de cinq serviteurs, mais qui resterait a priori dans le clan Soshi.

Publié : 18 juin 2005, 22:12
par matsu aiko
La semaine dernière, j’ai reçu la visite d’une délégation Crabe : Yasuki Nobuko, aussi revêche, agressive et déplaisante que d’habitude, accompagnée d’un imposant bushi qu’elle m’a présenté comme Hida Heishiro, nouveau venu à Ryoko Owari. Sans qu’elle m’ait donné le nom de son clan j’aurais pu le deviner : la stature imposante, le côté direct voire rugueux du personnage, tout le désignait comme un rejeton de la famille Hida. Hida Heishoro est envoyé par son daimyo en ambassadeur à Ryoko Owari, et a requis les services (ou collabore, la chose n’est pas claire) avec Yasuki Nabuko. Je pourrais me réjouir de cette nouvelle, qui pourrait signifier que je ne vais plus avoir à subir la présence de cette femme déplaisante lors des discussions qui concernent les intérêts du clan du Crabe à Ryoko Owari, et où je me trouve régulièrement impliquée. Malheureusement, il est vite apparu qu’il n’en est rien, Yasuki Nabuko va continuer à user mes oreilles de ses revendications incessantes, appuyée d’Hida Heishiro. Et si ce dernier est a priori plus sympathique, je m’aperçois rapidement qu’il fait montre d’une impulsivité et d’une agressivité que l’on n’attend pas vraiment d’un diplomate. Mais existe-t-il vraiment des diplomates chez les Crabes ?
Cela dit, nos efforts de lutte contre le trafic d’opium commencent à porter leurs fruits, et j’ai eu vent d’une rumeur comme quoi les Crabes envisageaient de monter leur propre cartel. Après tout, ils ont de nombreux intérêts à Ryoko Owari, dont un certain nombre de fumeries plus ou moins clandestines et de tripots, il ne serait pas étonnnant que le daimyo du clan du Crabe s’intéresse de plus près à la chose, et que ce Hida mal dégrossi ait plutôt une vocation de monter une organisation musclée protégeant le réseau de contrebande Yasuki déjà existant…
Je laisse mon esprit vagabonder sur ces question tout en faisant mine de les écouter, quand soudain certaines de leurs paroles attirent mon attention : ils sont en train de parler du gouverneur.
- Oui, Hyobu va quitter son poste de gouverneur de Ryoko Owari. » dit Hida Heishiro sur un ton assuré.
Je me force à rester impassible , tant vis à vis de la familiarité déplacée de Hida Heishiro que vis à vis de l ‘énormité de la chose qui vient d’être dite, et je me tais délibérément. A mon regard interrrogatif le Crabe reprend « je l’ai entendu de trois sources différentes ».
La méprisable Yasuki opine du chef vigoureusement avec le sourire carnassier d’une hyène s’apprêtant à dépecer un cadavre.
Dans ma tête les pensées tournent furieusement. Je ne vois pas quel intérêt pourrait avoir le clan du Crabe à répandre pareille rumeur, et, de toutes façons, ce genre de méthode est plus typique des Scorpions.
Quand je repense à mon entretien avec le Fils du Ciel, si le gouverneur était déjà tombé en défaveur, cela pourrait expliquer beaucoup de choses…il y a eu un moment au cours de l’entretien où l’empereur, après m’avoir complimenté, a visiblement été sur le point de me faire une proposition, et quand je lui ai répondu que j’étais en poste depuis trois mois, il s’est ravisé…
En tous cas, je fais à la délégation Crabe la seule réponse possible : il peut toujours y avoir des rumeurs, mais Hyobu-sama est toujours à ma connaissance le gouverneur de Ryoko Owari, et sa maitresse indiscutée ; si jamais cet état des choses venait à changer, ils seraient naturellement avisés rapidement. Puis je me lève, invoquant un autre engagement , et mets ainsi fin à l’entretien.
Le clan du Scorpion est le clan des Secrets : je sais que si je venais à évoquer cette rumeur en compagnie de l’un d’eux, ils mourraient plutôt que d’en admettre la réalité. Certains, cependant, ont dû parler, à moins que, comme c’est plus probable, la rumeur vienne de l’administration impériale elle-même. Comment un Crabe qui devait plutôt être en poste sur la Muraille l’a appris, mystère ; mais il existe toujours des gens capables de trahir des secrets pour en gagner quelque avantage.
De telles réflexions ne menant à rien de concret, et n’étant pas un Grue friand de complots politiques, je les repousse fermement. Je suis au service de Hyobu-sama et de la magistrature, et tant que c’est le cas, mon devoir est clair.

Je suis allée voir le Champion d’Emeraude et le gouverneur à propos de la proposition de la jeune Mirumoto. Le Champion d’Emeraude, après m’avoir déclaré qu’il ne pouvait m’allouer des serviteurs supplémentaires, a paru soulagé en apprenant l’identité de la yoriki potentielle : si une jeune samourai-ko souhaitait venir travailler pour la magistrature avec le soutien financier de son clan, il n’avait aucune objection, bien sûr.
Hyobu-sama m’a dit avec une désarmante candeur qu’elle était ravie si j’avais une aide supplémentaire, mais que malheureusement, il ne lui était pas possible d’allouer un seul koku à l’entretien d’un ou d’une yoriki.
Quelque peu déçue par le résultat de ces deux entretiens, je me suis entretenue à nouveau avec Mirumoto Kaori. La bonne nouvelle est que ni Satsume-sama, ni Hyobu-sama ne s’oppose à sa candidature ; la mauvaise, qu’il va me falloir convaincre son père adoptif, le daimyo Soshi Hakaru, de la laisser venir travailler pour la magistrature tout en continuant à participer à son entretien, et sans pouvoir justifier d’un quelconque avantage pour le clan Soshi…
De plus, il se trouve que j’ai déjà rencontré Soshi Hakaru-sama. C’est un homme encore jeune, d’une forte corpulence, volubile, pragmatique à l'extrême ; dit autrement, c’est un opportuniste, qui change facilement d’avis, et dont le respect à la parole donnée est assez relatif ; et comme il ne fait jamais d’écrit….un individu assez peu honorable, donc, mais intelligent, entreprenant, imaginatif, et prompt à saisir toute occasion de faire prospérer son clan. Un ennemi dangereux, et un ami plus dangereux encore. La partie n'est pas gagnée...
Plus j’y réfléchis, plus je ne vois qu’une façon de parvenir à le convaincre : lui demander cette faveur, mais en engageant implicitement mon honneur de Lion ; en cette période troublée – surtout si la rumeur concernant le gouverneur est confirmée - il n’est pas impossible qu’il cherche des alliés, même des alliés faibles comme moi, et à se concilier les bonnes grâces de l’Empereur ; et je gage qu’il est au courant de la faveur dont je dispose actuellement.
Si cela ne marche pas… il ne me restera plus qu’à plaider ma cause devant l’Empereur lui-même.

Publié : 03 juil. 2005, 14:38
par matsu aiko
Tant de choses se sont passées que je ne sais par laquelle commencer.

Il y a un mois, j’ai été invitée, en compagnie de Shinjo Yoshifusa, à me rendre sur les Terres du Lion pour y rencontrer Matsu Masanori, daimyo de la famille Matsu, auquel je dois ma nomination comme ambassadeur des Lions dans le clan Licorne. Inutile de préciser que ce genre d’invitation a tout d’une convocation impérative. Matsu Masanori-sama n’étant pas renommé pour sa patience, je m’y suis rendue le cœur serré, en compagnie de Ide Kadiri, ma fidèle yoriki.
De fait, quand nous sommes arrivés, étaient présents Matsu Masanori, mais aussi une femme grande et sèche, que l’on m’a présentée comme Akodo Hiromushi, hatamoto de la famille Akodo, un homme de taille moyenne, mince comme une lame de sabre, à la mine afffable mais au regard acéré, Akodo Sanetsune, daimyo de la famille Akodo, et une figure familière et inattendue, Ikoma Yoriko.
Après les salutations et politesses d’usage, à l’opposé de tout protocole c’est Yoriko-san qui avec un charmant sourire a entamé la conversation…je devrais plutôt dire l’assaut.
Elle a tout d’abord rappelé les objectifs qui avaient présidé à ma nomination, et les engagements pris, notamment par les Licornes, lors de ma prise de fonction en tant que magistrat d’Emeraude. Elle a implacablement dressé le tableau des actions en cours à Ryoko Owari. Etant habituellement basée à Ryoko Owari, elle est bien sûr parfaitement au courant. Sans se départir de ce demi-sourire courtois qui la caractérise, elle a souligné le retard considérable pris par plusieurs projets clés, où s’affrontent les intérêts du clan du Lion avec ceux du clan du Scorpion ou du clan du Crabe.
Je ne pus que reconnaître la véracité de cet exposé impitoyable, et je me sentis pétrifiée de honte sous le poids de leurs regards courroucés.
Je ne peux me chercher aucune excuse - peu importe la complexité de la situation, la duplicité des Scorpions, les manœuvres douteuses des Crabes, les bévues des Licornes, et mes autres obligations envers le gouverneur et le Champion d’Emeraude : j’ai échoué à la mission qu’ils m’ont confiée.
Il ne me reste plus qu’à demander l’autorisation de me faire seppukku, si le Champion d’Emeraude veut bien me l’accorder.
C’est à ce moment que Shinjo Yoshifusa – puisse-t-il avoir une très longue vie ! – choisit d’intervenir, et de sa voix fluette il entreprit de parler des autres missions que j’avais menées à bien au service de l’Empereur, et des retombées favorables qu’elles allaient avoir pour le clan du lion et celui de la Licorne. Les Lions écoutèrent avec respect l’ancien parler, et progressivement sous leurs masques impassibles et fermés je perçus un infime relâchement. Ils avaient toujours la tension de la corde de l’arc avant que la flèche soit relâchée, mais cette tension était à présent celle de l’attention, et plus de la colère.
Jamais je n’aurais soupçonné une telle habileté oratoire de ce vieil homme à l’apparence inoffensive ; usant de son apparence vénérable pour forcer le calme, il parvint à calmer leur ire, et en définitive ce fut Ikoma Yoriko qui proposa un compromis permettant de concilier dans le temps les intérêts du clan du Lion, du Scorpion et du Crabe, résolvant ainsi le principal problème.
J’ai regardé le daimyo Licorne avec un respect renouvelé : je comprends à présent que même si certaines mauvaises langues prétendent que le gâtisme le guette, il est et demeure, malgré son âge avancé, un véritable meneur d’hommes, digne de diriger le clan Licorne.

Quelques jours plus tard, j’étais invitée par Hida Heishiro-san à une réception officielle Crabe, où devaient également se dérouler un tournoi d’arts martiaux. Je m’y suis rendue avec ma yoriki, Otaku Benkei était également invité.
A ma grande surprise, la réception était très bien organisée et d’un goût parfait. Hida Heishiro a été un hôte courtois, et si ses manières ne sont pas celles d’un courtisan, il s’est néanmoins montré affable et cordial. Yasuki Nabuko était présente, mais peut-être impressionnée par la présence de tant de dignitaires de son clan, s’est montré exceptionnellement discrète. Les démonstrations d ‘arts martiaux étaient d’un excellent niveau.
Dans mon fors intérieur, je m’attendais à une démonstration de tetsubo, tant sont ancrés les préjugés que nous pouvons avoir quand il s’agit du clan du Crabe.Mais en fait, nous avons vu de superbes exemples de combats combinés (sabre contre naginata, par exemple), et à un affrontement au yari de deux samourai-ko du clan du Crabe, l’une grande et forte, prompte malgré sa masse, Hida Mariko-san, l’autre de plus petite taille, blessée à la jambe, mais dont le corps compact laissait deviner une grande puissance, Hida Joruri-san. Dès les premiers moments du combat, il fut clair que si l’habileté des deux combattantes était équivalente, la concentration de Joruri-san était meilleure, lui permettant de mener malgré sa blessure des attaques fulgurantes auxquelles son adversaire avait bien du mal à résister. De fait, après près d’une heure de combat acharné, Mariko-san dut s’avouer vaincue, et salua son adversaire, dont le regard étincelant disait la sombre fierté.
Après le combat nous étions tous recueillis et méditatifs, en harmonie avec nous-mêmes et le monde extérieur.
Et c’est le moment qu’Otaku Benkei choisit pour annoncer « la bonne nouvelle », voulant parler du résultat de notre entrevue chez les Lions - bonne nouvelle toute relative puisqu’il s’agissait d’un compromis - en disant que j’allais tout leur expliquer.
J’ai tardé à répondre ; intérieurement, j’étais furieuse contre Benkei-san, qui détruisait l’harmonie qui s’était établie entre nous en rappelant nos habituels sujets de dissension ; et encore plus furieuse parce qu’il me forçait la main et m’obligeait à l’appuyer. Mais quel choix avais-je, c’est mon supérieur, et mon devoir était de lui sauver la face, ce que j’ai tenté de faire le mieux possible ; mais le mal était fait. Je doute après cela que nous parvenions à améliorer nos relations avec les Crabes.
Je sais que ses intentions étaient bonnes, mais ses maladresses répétées me rendent la vie difficile. Je n’ai nul besoin de rechercher des sujets de conflit supplémentaires.

Le début de la semaine suivante fut plutôt calme, comme quand la mer se retire, et que les oiseaux sont silencieux, avant l’arrivée du tsunami.

Pour la troisième fois consécutive, Soshi Hakaru-sama vient de décommander notre entrevue ; j’ai vu Mirumoto Kaoru, radieuse, qui m’a dit qu’il l’avait assurée qu’elle pourrait rejoindre la magistrature sous peu, ayant obtenu tous les accords nécessaires. Hélas, cette joie était mal fondée, comme j’eus l’occasion de m’en apercevoir ultérieurement….

Bayushi Koremune m’a fait rencontrer deux étranges personnages, en me demandant de bien vouloir répondre à leurs questions et de leur donner ma vision de la situation. Il s’agit d’un Kuni accompagnée d’une shugenja Yogo, et j’ai compris de ses allusions qu’il les a chargés d’enquêter sur la présence de maho à Ryoko Owari. Vu la façon dont il a présenté les choses, et le fait que par exemple ils s’abstiennent d’interroger Shosuro Kimi, je doute que le gouverneur soit au courant de cette enquête.
Le dépistage de la maho allant dans le sens du maintien de la justice impériale, j’ai jugé bon de répondre à sa demande, en évitant toutefois de mentionner des informations sensibles concernant le clan Shosuro. Clairement il y a là des manifestations d’une lutte d’influence entre le clan Bayushi et les Shosuro, peut-être même Bayushi Koremune agit-il sur l’ordre de Bayushi Shoju ou de l’Empereur ; mais la prudence me recommande de ne pas m’en mêler.

J’ai eu une entrevue avec le Champion d’Emeraude, où il m’a dit que le Fils du Ciel avait été très impressionné par ma personne, et qu’il pensait que j’étais la seule personne à avoir une vision globale de la situation à Ryoko Owari. Je me suis confondue en remerciements, en me demandant mentalement ce que j’avais bien pu dire pour mériter une opinion aussi flatteuse. J’en ai profité pour lui reparler de Mirumoto Kaoru, et lui rapporter la conversation que celle-ci avait eue avec son père adoptif. Le Champion d’Emeraude m’a regardé un instant, pensif ; puis, d’un ton calme qui contrastait avec la violence de ses propos, il m’a dit que Soshi Hakaru-san était un menteur, et un escroc ; il n’avait jamais été question que Kaoru-san soit prise en charge par la Magistrature ; en fait, Soshi Hakaru prenait le prétexte de cette demande pour bannir sa fille adoptive, faisant d’elle en pratique une ronin, sans clan, sans nom, sans avenir ; et il n’avait même pas eu le courage de lui annoncer sa décision, l’abusant au contraire et lui laissant croire que son souhait allait être réalisé. J’ai le cœur serré, en revoyant dans ma mémoire le sourire joyeux, confiant, de la jeune samourai-ko ; je comprends aussi les refus répétés de Soshi Hakaru à s’entretenir avec moi, et je reste écrasée par la réalisation de sa duplicité.

Mais tout ceci n’était rien au regard de la nouvelle qui allait bientôt être proclamée.

Un Seppun est arrivé, porteur d’un édit impérial. Tous les dignitaires de la ville ont été rassemblés. Certains commençaient à s’étonner du retard du gouverneur, quand l’émissaire a pris la parole et a annoncé que le gouverneur, Shosuro Hyobu-sama , était démis de ses fonctions.Le gouvernement de la ville allait être assuré par Bayushi Korechika et Shosuro Gobei, en attendant la nomination d’un nouveau gouverneur, qui n’aurait pas les pouvoirs absolus du précédent gouverneur, et rapporterait aux deux Scorpions susnommés. Il annonça également un certain nombre de modifications importantes : la confrérie des honorables marchands, qui était parrainée par Hyobu-sama, et dont les activités de fret maritime étaient à mon avis hautement suspectes, était mise sous la supervision d’un trésorier impérial Otomo ; les domaines de Soshi Hakaru-sama étaient mis sous la supervision de Bayushi Korechika-sama ; et d’autres modifications, liées à la perception de l’impôt impérial.
Cette nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre parmi les courtisans habituellement présents au palais du gouverneur. La rumeur rapportée par Hida Heishiro-san était donc exacte…
Mais l’écho de la proclamation n’avait pas encore disparu que déjà les hyènes commençaient à se disputer la carcasse.
Bayushi Korechika et Shosuro Gobei se partagèrent la ville et les fonctions en deux, Korechika-sama se chargeant des relations diplomatiques, notamment avec les différents clans, et Shosuro Gobei se chargeant de la sécurité et des gardes tonnerre.
Certaines personnes qui travaillaient pour le gouverneur se virent affectées d’office au service d’autres clans.
Shosuro Kimi était effondrée. Apparemment même elle, la propre fille du gouverneur, n’avait pas été mise au courant de la disgrâce de sa mère. Elle me raconta également, au bord des larmes, l’entrevue humiliante qu’elle avait eue avec Bayushi Korechika-sama. Je l’ai confortée du mieux que j’ai pu, en lui rappelant que c’était à elle de se montrer digne de son clan, que nous étions tous des serviteurs de l’Empire, et en l’assurant que je l’aiderais du mieux possible. Je pense qu’elle craint également d’être mariée d’office par cet homme redoutable, et pas forcément à Ide Asamitsu, comme il avait été convenu.

Quel paradoxe. Moi, une Lionne, en train de rassurer une fille du clan du Scorpion !
Mais Shosuro Kimi a raison de manifester de l’émotion : le départ de Hyobu-sama marque la fin d’une ère. Qui peut connaître les projets du Fils du Ciel en ce qui concerne la deuxième ville de l’Empire…

Publié : 03 juil. 2005, 14:38
par matsu aiko
J’ai oublié de mentionner deux incidents intervenus peu avant le départ du gouverneur .
J'ai reçu une missive du Champion d’Emeraude, qui se plaignait de troubles de l’ordre public, en particulier dans le secteur des pêcheurs, supervisé par le lieutenant de Gardes-Tonnerre, Bayushi Natsuko, placé sous mes ordres, et mentionnant qu’il en ferait part à l’Empereur. Je me suis aussitôt entretenue avec Natsuko-san, qui m’a fait un exposé clair de la situation, mettant en lumière le peu de coopération des patrons des établissements du quartier (que je soupçonne avoir également des fumeries d’opium semi-clandestines), et j’ai fait ensuite une réponse prudente à Doji Satsume-sama, expliquant le contexte.
Dès le lendemain, l’émissaire Seppun m’apportait une missive du Fils du Ciel, me faisant part de son impatience vis à vis de ce manque de respect de la Justice Impériale, et me sommant de collaborer instamment avec son émissaire, Seppun Hanosuke, pour que celui-ci fasse une recommandation sur la meilleure façon de rétablir l’ordre public à Ryoko Owari. Dans l’heure qui suivait, je recevais une convocation du gouverneur et du Champion d’Emeraude, chacun m’expliquant qu’il souhaitait me voir avant que je transmette quelque recommandation que ce soit à Seppun Hanosuke-sama.
Je passe sur les journées qui ont suivi, passées à essuyer la colère de divers personnages travaillant pour Shosuro Gobei, et parrainant des dits établissements, qui s'indignaient de ne pas avoir été consultés, et à essayer de construire une recommandation permettant de répondre à l'ordre du Fils du Ciel sans me mettre l'ensemble du clan Shosuro à dos.
Après que celles-ci aient été validées par le Champion d'Emeraude, Hanosuke-sama est reparti avec pour la capitale.
L’affaire m’a laissé une impression étrange : que le Fils du Ciel s’intéresse à de pareils détails, voilà qui est surprenant ; qu’il prenne la peine d’envoyer un shugenja pour être directement au courant des résultats, voilà qui l’est encore plus ; qu’il se soit adressé à moi directement, au mépris de toute hiérarchie existante, cela atteint l’incompréhensible et me met dans une position inconfortable vis à vis de mes supérieurs. Mon rang de gloire est bien trop bas pour que je sois une interlocutrice directe en principe pour Doji Satsume, a fortiori pour le Fils du Ciel ; une nouvelle fois je soupçonne que je suis un pion dans une partie de shugo qui me dépasse complètement. Un autre incident similaire devait se reproduire la semaine suivante, me donnant un aperçu des intrigues compliquées de la Cour, et me montrant à quel point mes capacités en matière de diplomatie et de talents de courtisan étaient insuffisantes.

En effet, juste avant le départ du gouverneur, je devais recevoir à nouveau une missive directe du Fils du ciel, me demandant de tirer au clair une affaire de prostitution enfantine, affaire dont je n'étais absolument pas au courant. A nouveau, j'eus un message quasi simultané du Champion d'Emeraude et du gouverneur de les consulter avant de répondre à l'Empereur.
Après une rapide enquête,qui m'a montré qu'en fait ce problème était déjà l'objet de nombreuses tractations entre les Scorpions et le Fils du Ciel, j'envoyais un premier résumé de la situation au Champion d'Emeraude, en expliquant quelle était ma recommandation à partir des données à date. Il me répondit par écrit qu'il était d'accord, puis simultanément envoya une réponse au Fils du Ciel s'interrogeant sur la nécessité des actions que j'avais recommandées, en me mettant en copie de cette réponse !
inutile de dire que je perdis en conjectures sur quel pouvait être l'objet d'une pareille manoeuvre ; malgré mes demandes d'entrevue, je ne réussis pas à rencontrer Satsume-sama, et pendant ce temps les courriers se multipliaient, dont un notamment de Bayushi Koremune-san, où il se proposait de résoudre le problème, et le temps imparti pour répondre à la demande du Fils du Ciel s'évaporait comme neige au soleil.
Aussi j'écrivis une recommandation plus complète, qui allait dans le sens de la première que j'avais faite, en informant toutes les personnes impliquées. Las ! quelques heures plus tard, je recevais une missive du Fils du Ciel, remettant en cause la fiabilité d'un des témoins principaux de l'affaire, ce qui m'attira les foudres immédiates du Champion d'Emeraude, me disant que j'aurais dû le consulter avant tout envoi, et que mon excellente image ne devait pas souffrir d'une trop grande promptitude. Quand je réussis enfin à le voir, il eut l'air surpris quand je lui ai dit qu'il m'avait signifié son accord par écrit.
En fait dans ce cas précis le Fils du Ciel se trompait - mais il m'était bien évidemment impossible d'en faire acte.
J'ai réalisé à cette occasion que le Champion d'Emeraude a son propre jeu ; quel but poursuit-il, je n'en sais rien; il devait sur un autre sujet me répondre de la même façon, m'envoyant un message personnel différent de sa réponse publique ; mais ce sont là des subtilités Grue qui passent au-dessus de ma pauvre tête.

J’ai rencontré hier Bayushi Korechika et Shosuro Gobei. Bien que j’ai croisé précédemment Shosuro Gobei au Palais du gouverneur, c’était en fait la première fois que j’avais l’occasion de m’entretenir avec lui. Mon entrevue avec eux était censée être très brève, elle a en fait presque duré une heure et demie.
Je me suis rapidement présentée, et je leur ai expliqué la mission que m’avait confiée le Champion d’Emeraude, et pour laquelle Hyobu-sama m’avait prodigué ses conseils (même si ceux-ci étaient, comme je le réalise à présent, plus une façon de repousser l’application des actions contre le trafic d’opium qu’une aide réelle). Je leur ai également demandé comment ils voyaient le rôle du nouveau gouverneur.
De la discussion qui a suivi, j’ai compris qu’ils étaient dans un état proche de la panique : apparemment, Hyobu-sama ne leur avait jamais expliqué le détail de ses affaires, et le Fils du Ciel les a nommés sans vraiment leur expliquer ce qu’il avait en tête, ce qui fait qu’ils ignorent tout de l’organisation actuelle, et de la future ; par ailleurs, l’Empereur les avait apparemment sommés de donner à très brève échéance un exposé complet de la situation et ce qu’ils comptaient faire pour la redresser l’année à venir, et j’ai lu un intense soulagement dans leur attitude quand je leur ai parlé du plan stratégique, à présent presque finalisé. Je leur en ai donné une copie, ce qui est probablement imprudent de ma part ; mais comme je dois partir en voyage, je préfère qu’ils fassent leur réponse au Fils du Ciel en s’inspirant au moins partiellement de ce que j’ai pu écrire qu’en mettant quelque chose qui serait complètement différent. Nous avons convenu qu’à mon retour, nous organiserions une rencontre entre eux et Satsume-sama, de façon à discuter ces aspects plus en détail.

Publié : 03 sept. 2005, 22:07
par matsu aiko
Une nouvelle fois, tant de choses se sont passées en un mois que je ne sais par laquelle commencer.

Je suis rentrée de mon périple dans les Terres du Lion pleine d’énergie : voir ma terre natale, les gens de ma famille, retrouver mes racines, m’a fait beaucoup de bien.
Mais ce bénéfice devait être de courte durée. Une mauvaise surprise m’attendait à mon retour : pendant mon absence, le budget annuel de la magistrature avait été diminué à…six koku par an ! A peine de quoi me nourrir avec ma yoriki.

J’ai eu également avec Shosuro Gobei un entretien qui s’est révélé fort peu agréable. Dans leur partage de la ville, Korechika-sama et Gobei-sama ont décidé en effet qu’il serait mon principal contact chez les Scorpions, en lieu et place de Shosuro Hyobu. Je n’appréciais guère Bayushi Korechika, mais en vérité je tombais de Charybde en Scylla.
Shosuro Gobei s’est révélé être un rustre préoccupé uniquement de son enrichissement personnel, et insoucieux de la sécurité de la ville. Il m’a expliqué que je devais concentrer mes efforts sur une histoire de contrebande qui nuisait à son commerce avec le clan du Phénix…un épiphénomène en vérité. Et comme je tentais d’évoquer des problématiques plus larges et plus cruciales, il me dit : « Revenez sur terre, Aiko-san » au moins à deux reprises.
Humiliée et déçue de cet entretien, j’avais néanmoins appris quelque chose : je n’arriverai à rien avec cet individu borné.

J’attendis donc l’entrevue que nous avions prévue avant mon périple, avec Bayushi Korechika, Shosuro Gobei, Doji Satsume, et moi-même, pour leur exposer ce que j’avais préparé : le plan d’action pour rétablir la justice et la sécurité à Ryoko Owari.
Je leur fis d’abord d’abord un exposé sans complaisance de la situation : la contrebande, le grand banditisme, les méfaits de l’opium…
Je vis leurs yeux s’écarquiller alors que je leur montrai, chiffres à l’appui ce que ces troubles coûtaient annuellement à la ville. Et alors que je leur parlai des mêmes orientations que celles que j’avais proposées quelques jours plus tôt à Shosuro Gobei, j’eus la satisfaction de voir Bayushi Korechika et Doji Satsume opiner du chef, et Shosuro Gobei, après un regard de chaque côté, se taire, pris entre ces protagonistes d’une gloire largement supérieure à la sienne.
De fait Bayushi Korechika me chargea de renouveler cette fructueuse rencontre le mois suivant, en invitant également un des conseillers de l’Empereur, Kakita Danshiro, qui devait justement passer à Ryoko Owari le mois suivant.

Du côté du clan Shosuro, suite au départ du gouverneur et au rattachement à Shosuro Gobei, régnait une atmosphère de confusion et de malaise ; les courtisans erraient sans but, les fonctionnaires du Palais continuaient leur routine mais en se demandant chaque matin si on n’allait pas leur demander de rejoindre leurs ancêtres. Ceux qui avaient été sommairement rattachés à d’autres clans, comme la sous-intendante qui avait été rattachée à présent à l’entourage du Champion d4Emeraude, étaient d’humeur particulièrement sombre.

Et de façon prévisible, les jeux d’influence, les intrigues et contre intrigues se multipliaient : qui serait le prochain gouverneur ?

Il y avait eu une scission immédiate entre les clans Shosuro et Bayushi, mais même au sein du clan Shosuro, il y avait des cliques et des coteries, chacune supportant un candidat différent ; l’un de ceux-ci, un homme de forte corpulence qui aurait pu avoir du sang Hida dans les veines, nommé Shosuro Bairei, briguait même ouvertement le poste. Hâbleur, sûr de lui, autoritaire, peu soucieux de nuances, sa candidature recevait un support plus ou moins mitigé, bien que Shosuro Gobei l’appréciât visiblement. Des alliances se formaient, pour être dénoncées le lendemain. Des flatteries étaient émises, et se transformaient en assassinat verbal dès que l’intéressé avait le dos tourné.

Plus que jamais, Ryoko Owari était la cité des Rumeurs, la cité des Mensonges, la ville née de l’ordure.

J’étais peu impliquée dans tous ces conciliabules. Ma nomination auprès de l’ex-gouverneur ne datait finalement que de quelques mois, et le gouverneur avait veillé à ce que je cause le moins de bouleversement possible. En fait, comme je m’en aperçus rapidement, Shosuro Hyobu n’avait communiqué à âme qui vive tous les rapports que j’avais effectués à sa demande.
Je pense qu’en fait, quand j’avais été nommée Magistrat d’Emeraude, le gouverneur était déjà dans une position périlleuse, et avait donc mené une fort efficace campagne d’immobilisme et d’isolement systématique, pour éviter tout changement qui pourrait rendre sa situation plus difficile encore.
Cette tactique s’était révélée fructueuse à mon égard, puisque je n’avais eu aucun contact avec les autres membres du clan, au point qu’au départ Shosuro Gobei ignorait même que je travaillais pour Shosuro Hyobu.
Au regard des informations dont je disposais à présent, je comprenais aisément pourquoi le gouverneur ne souhaitait pas que certaines choses soient mises en pleine lumière.

J’avais également rencontré une jeune femme, Bayushi Sawako, récemment arrivée à Ryoko Owari, et qui avait été nommée par Bayushi Koremune. De dix ans ma cadette, elle était énergique, compétente, et d’une loyauté passionnée à son clan. Elle était aussi horrifiée – et actuellement beaucoup plus virulente – que moi au regard de la situation dans la ville, et avait accepté de m’assister dans le secteur dont elle était chargée - le quartier marchand, d’une importance cruciale - mais en définissant très clairement la limite de ce que je pouvais lui demander au regard de ses obligations envers son seigneur.
J’appréciais sa rafraîchissante franchise, et son extrême loyauté. C’était certainement un exemple de ce que le clan du Scorpion pouvait produire de mieux.

Quelques jours plus tard, j’étais conviée à assister à une réunion du clan Bayushi, où étaient abordées plusieurs affaires importantes, et notamment les recommandations que j’avais faites qui concernaient plus particulièrement le clan Bayushi. En soi, être admise à participer à une telle occasion était un honneur ; mais ma mâchoire se décrocha de surprise quand Korechika-sama m’apprit qu’ils avaient décidé de revenir sur la décision prise il y a deux ans, et qui avait causé la brouille diplomatique entre les Scorpions d’une part, le clan Licorne et le clan du Lion d’autre part. Ils procédaient à un essai dans un des plus grands établissements de la ville dès la semaine suivante. Je me dis que finalement, mes tentatives dans ce sens auprès de Bayushi Koremune et d’autres personnes avaient porté leurs fruits.

En fait, comme je l’appris ultérieurement, c’est le Fils du Ciel lui-même, sollicité à la fois par le clan du Lion, le clan Licorne représenté par Shinjo Yoshifusa, et Bayushi Koremune, en faveur auprès de l’Empereur, qui avait tranché. Ce vieux renard de Korechika s’en attribuait naturellement tout le mérite. Et en fait, dix jours plus tard, devant le franc succès de la tentative, il décida de l’étendre à deux autres établissements, situés tous deux dans le quartier marchand. Si les résultats étaient concluants, la décision serait étendue à toute la ville.

Je partageais ma joie avec les Licornes, et j’informais les Lions de la bonne nouvelle. Akodo Hiromushi en resta sans voix, avant de me dire finalement que c’était une excellente nouvelle. Ikoma Yoriko nous adressa une lettre de remerciements officiels particulièrement bien tournée.

Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, dans cette même réunion Bayushi Korechika m’apprit sa décision concernant le problème houleux qui opposait actuellement le clan du Scorpion, les Licornes et le clan du Crabe.

Mais il me faut pour cela revenir un peu en arrière.

Otaku Benkei et Bayushi Koremune avaient négocié un accord avec le clan du Crabe, concernant la redistribution de certaines activités commerciales. La famille Ide et la famille Bayushi se partageaient le trafic de la soie tandis que le clan du Crabe prenait le contrôle du commerce des armes et armures, où ils avaient déjà une large contribution.

Or juste avant son départ, Shosuro Hyobu avait décrété un embargo sur l’exportation des armes – en effet les commerces précédemment gérés par la famille Ide et la famille Bayushi empruntaient les voies fluviales, sous le contrôle des Shosuro, qui recevaient ainsi de substantiels subsides. Or les Crabes disposant de leur propre réseau de distribution n’avaient aucune raison d’avoir la main généreuse à l‘égard des Shosuro.

Au départ du gouverneur, la situation était dans l’impasse.

Les Ide et les Bayushi s’étaient fermement appropriés le commerce de la soie, et n’entendaient pas le lâcher, mais les Crabes, eux, étaient toujours dans l’impossibilité de sortir quelque marchandise que ce fut de la ville, ce qui les mettaient dans un état de fureur indescriptible, ce qui était, avouons-le, parfaitement justifié.

Ils n’étaient pas les seuls. Le bouillant Otaku Benkei, qui s’était engagé envers le clan Crabe et avait donc perdu la face suite à l’intervention autocratique de l’ex-gouverneur, était dans le même état de fureur. Bayushi Koremune, dont la parole avait également été engagée, supportait apparemment beaucoup mieux la situation.

En raison de cette violation flagrante des accords, les relations diplomatiques avec le clan du Crabe étaient à nouveau rompus ; il y avait déjà eu plusieurs incidents en ville, et je vivais dans l’angoisse de voir la situation dégénérer encore plus, alors que nous étions à la veille de renégocier des accords essentiels.

Je m’étais donc rapprochée du fonctionnaire impérial, Otomo Dokuohtei, qui avait été nommé en charge de la confrérie des honorables marchands, chargés du fret maritime, en remplacement du gouverneur.
Dokuohtei-sama m’avait assuré qu’il règlerait la chose avant de partir pour son voyage à la capitale.

Las, le temps passait, et la veille de son départ, je n’avais toujours aucune nouvelle, malgré mes discrets messages de rappel. Je sollicitais donc urgemment une entrevue, en compagnie de Bayushi Koremune. Ma yoriki, Ide Kadiri, était également présente, bien que sa discrétion naturelle l’ait retenue de faire la moindre réflexion.

Cette entrevue fut un désastre, dont la responsabilité m’incombe ; je crains fort que mon tempérament Matsu n’ait pris le dessus à cette occasion.

Mais entendre Otomo Dokuohtei dire une chose et son contraire dans la même phrase, mentir de façon éhontée, mettre en doute l’intelligence des Crabes, essayer de gagner du temps en nous parlant de la fondation d’une commission inexistante, à laquelle il participerait, en nous faisant bien sentir que nous n’en étions pas dignes, et tenter de retourner la situation à son bénéfice de façon à obtenir des subsides encore plus substantiels que les précédents et à garder la possibilité de choisir d’autoriser, ou non, tout commerce fluvial dans la ville…c’en était trop. J’explosai.
Je lui rappelai qu’il s’était engagé à résoudre le problème avant son départ ; je lui spécifiai que si une partie était compétente en termes de commerce des armes, c’était bien le clan du Crabe ; qu’il était hors de question de laisser pendant plusieurs mois des marchandises d’une grande valeur dans un entrepôt, pénalisant le clan du Crabe au plan commercial et créant un risque non négligeable que lesdites marchandises disparaissent dans la nature.
Je dis tout cela, et je me serais probablement laissée aller à des excès verbaux encore plus regrettables, comme de conclure que les dignitaires impériaux étaient encore plus corrompus que les Scorpions, si Bayushi Koremune n’avait pris la parole, et expliqué posément pourquoi l’option proposée n’était pas envisageable.

Je crains néanmoins de m’être fait un ennemi redoutable. Dokuohtei-sama est d’un statut nettement supérieur au mien, et il a pu être légitimement se sentir offensé par mon ton et mes paroles, même s’il a continué à m’abreuver de belles paroles tout au long de notre discussion, y compris pendant ma tirade. Les Otomo ont le bras long, et il lui sera facile de glisser un mot ou deux aux bonnes personnes, se vengeant en sabotant définitivement ma carrière.

Pourtant, au moment où l’entrevue se terminait, toute à ma fureur je ne pensai aucunement aux conséquences de mon emportement, mais prévins immédiatement Bayushi korechika et Shinjo Yoshifusa que l’honorable Otomo Dokuohtei se montrait peu coopératif.
Korechika-sama n’en fut pas surpris : en fait, il avait lui-même convoqué Otomo Dokuohtei la veille, et n’avait pas eu plus de résultats. Il l’avait prévenu que l’on n’attendrait pas son bon vouloir et son retour de voyage pour faire avancer les choses ; qui plus est il avait déjà lancé les démarches nécessaires auprès de l’administration Impériale.
Yoshifusa-sama fut plus réservé, mais me promit également son aide.

La semaine suivante, trois jours après le départ de l’honorable Otomo Dokuohtei pour Otosan Uchi, à la grande satisfaction des Crabes, le blocus était levé.
Le retour de bâton allait se faire, bien évidemment, au retour d’Otomo Dokuohtei, trois semaines plus tard.

Après notre réunion commune avec Bayushi Korechika et Doji Satsume, Gobei-sama se montra moins méprisant – à défaut d’être plus aimable – et se mit à m’assaillir d’une foule de demandes diverses et variées, mais qui avaient le point commun d’être toutes urgentes et toutes importantes. Etait-ce de l'estime pour mes capacités, un simple changement de tactique, une mise à l'épreuve, ou une subtile vengeance ? Je l'ignore.

Mais je manquais déjà de main d’œuvre, le budget ridicule qui m’avait été alloué ne me permettait certes pas d’embaucher un autre yoriki, la situation devenait critique. Même en travaillant jour et nuit je ne parvenais pas à satisfaire la totalité des demandes.

Je tentais alors de convaincre certains fonctionnaires du Palais de m’assister, mais ceux-ci étaient plein de suspicion envers mes objectifs.
Il faut dire que Shosuro Gobei faisait parfois les mêmes demandes à différentes personnes, ajoutant à la confusion ambiante. L’atmosphère empoisonnée du Palais faisait le reste.

Certains néanmoins acceptèrent, tel ce jeune Shosuro tranquille et silencieux qui avait été l’assistant personnel de l’ancien gouverneur ; mais leur aide se révéla à double tranchant. Je passais autant de temps à vérifier leur travail – où je découvris plus d’un subtil sabotage – qu’à le faire moi-même.

Au bout d’un mois de ce rythme effréné, j’étais abrutie de fatigue.
Et Shosuro Gobei continuait de me noyer sous les demandes, certaines devant être présentées à l’Empereur lui-même.
Même sans ce facteur aggravant, je n’aurais pu les refuser.

Il avait beau jeu, ensuite, de me mettre en cause sur certains dossiers sur lesquels je n’avais pas encore avancé, ou pas suffisammment vite à son goût. Et malheureusement, la seule réponse que je pouvais lui faire était « Hai, Gobei-sama ».

J’avais l’impression de sombrer progressivement dans un univers crépusculaire ; pour gagner du temps, j’avais délaissé mon agréable bureau de l’Hotel de Ville pour une petite salle sombre située au Palais du gouverneur, et dont je ne sortais même pas pour prendre une collation, me faisant apporter un bol de riz et un peu de soupe de miso en guise de repas. Je n’en émergeais qu’à la nuit tombée, titubante de fatigue à la lueur des étoiles.
Je ne mangeais guère, dormais à peine. En l’espace de quelques semaines, je devins l’ombre de moi-même. Et tout autour de moi continuaient les intrigues, les chausse-trappes, les complots.

Mais je n’avais plus le loisir de rechercher des alliés, ou même de prendre un peu de recul pour analyser la situation.
Mon cerveau surchauffé volait d’un sujet à l’autre, analysant, construisant, synthétisant, projetant, parfois glissant à la dérobée vers des royaumes étranges, où résonnaient dans ma tête d’autres voix que la mienne.

Une fois je me réveillai en sursaut : je m’étais assoupie en rédigeant un rapport de plus, mais le phénomène inquiétant, c’est que pendant ces quelques minutes d’absence, ma main avait continué à écrire, et que ce que j’avais inscrit ne correspondait à rien de connu. Ce n’était pas des gribouillis inintelligibles, non, c’était plutôt comme si une autre plume, porteuse d’une expérience et d’un vécu totalement distincts des miens, s’était entrecroisée avec la mienne.

Un soir, alors que je revenais solitaire à la résidence, me revint soudain en mémoire un poème de mon collègue Dragon, Kitsuki Katsume, cruellement emblématique de ma situation présente :

Chaque journée noire
Et partout des ennemis
Des nuits sans repos

Un à un les tuer tous
Elégie de la folie

C’était devenu une lutte féroce pour la survie.

Publié : 27 oct. 2005, 07:31
par matsu aiko
Quelques semaines ont passé ; assez pour construire un monde ; assez pour le détruire, d’un seul coup. En l’espace de quelques jours, voire de quelques heures, mon destin a basculé.
Quelle folie m’a saisie, quelle ambition irraisonnée …?
Et pourtant je sais qu’un samouraï est d’abord là pour servir.
Mais j’ai écouté les paroles habiles de certains courtisans, et je suis prise à espérer, à croire à l’impossible. Mes seules récompenses ont été l’humiliation et le déshonneur. C’est ce qu’on récolte, à jouer avec les Scorpions.
Vais-je devoir me faire seppukku, ou, si cela m’est interdit, prendre la vie errante d’un ronin ?

Ils ont été plusieurs à me le suggérer : pourquoi est-ce que je ne postulerais pas pour le poste de gouverneur ? A défaut d’être Scorpion, j’avais les capacités, la vision…
Et j’y ai réfléchi, et je me suis dit : « Pourquoi pas. Après tout, le pire que les Scorpions peuvent faire, c’est me dire non. »
Je me trompais lourdement. Comme l’avenir allait le montrer, ils pouvaient largement faire pire.

Je commençais prudemment en demandant à Bayushi Korechika et Shosuro Gobei s’ils avaient déterminé quel type de personne était pressentie pour remplacer Shosuro Hyobu : recherchaient-ils un administrateur, un chef militaire ?
Ils levèrent les bras au ciel, en disant qu’ils n’avaient même pas eu l’occasion de s’en entretenir avec le Fils du Ciel. Je les remerciais, et reposais la question un mois plus tard à Shosuro Gobei, en lui demandant s’ils avaient progressé dans leur démarche. Il feignit l’ignorance, et comme je le questionnais plus avant, finit par m’avouer qu’une requête pour un nouveau gouverneur avait été lancée auprès de l’ensemble des Provinces de l’Empire. Il ne m’avait cependant toujours rien dit sur les qualifications requises, se réfugiant à nouveau sur la nécessité de consulter la capitale en la matière.

Je décidais de prendre le taureau par les cornes.

Lors de notre entretien quelques mois auparavant, le Fils du Ciel m’avait demandé un certain nombre de choses, que j’avais dûment transmises à Shosuro Hyobu à son intention ; mais je n’avais pas eu de retour, et je doutais que les documents en question lui aient bien été transmis – avec raison.
Je saisis donc ce prétexte pour solliciter une entrevue avec l’Empereur. En parallèle, j’avais indiqué mon intérêt pour le poste à l’administration impériale, qui se montra pour une fois remarquablement efficace à relayer l’information.

L’entrevue fut brève. L’Empereur fut, comme à son habitude, direct, et m’annonça de but en blanc :
- Je sais que vous êtes intéressée par le poste de gouverneur de Ryoko Owari. »
Il m’expliqua qu’il comptait voir des candidats de plusieurs clans. Il n’était pas sûr qu’un Scorpion soit le mieux adapté pour diriger la ville. Je me risquais à lui demander ce qu’il recherchait.
- Je ne sais pas ce que je cherche…je n’ai pas encore décidé. Mais je veux quelqu’un qui soit capable de mener les hommes, et d’organiser. Capable de conseiller sans imposer, d’influencer sans contrôler. Quelqu’un capable de prendre des risques, de penser en dehors des sentiers battus. Quelqu’un qui ne me mentira pas. » Il me regarda dans les yeux.
Réunissant tout mon courage, je lui dis que je pensais avoir les compétences, l’énergie et la motivation nécessaires. Il m’examina du regard, ni approbateur ni désapprobateur, et finit par lâcher :
- Allez parler à Kyosuke ». Ce que je fis.

Otomo Kyosuke était un des conseillers clefs de l’Empereur, et se chargeait habituellement des nominations. C’était un homme jeune, de belle allure, à l’esprit aigu, très loin de l’image poussiéreuse que j’avais des dignitaires impériaux. Il me reçut poliment, mais sans chaleur. Clairement son seul objectif était de m’expliquer la suite des évènements et non de m’écouter vanter mes hauts faits. Ce n’est qu’à la fin que je réussis à accrocher son intérêt, quand je lui parlais du plan concernant Ryoko Owari que j’avais conçu. Il me dit alors que l’Empereur devait en prendre connaissance au plus vite, et qu’il en parlerait à Doji Satsume.

Deux semaines plus tard, sans nouvelles du Champion d’Emeraude, je me hasardais à lui faire porter une missive. La réponse de ce dernier fut brève : je n’ai pas actuellement le temps de m’en occuper, prenez donc rendez-vous directement avec le Fils du Ciel, en lui disant que vous souhaitez solliciter son avis éclairé en la matière. Ce que je fis, avec toutes les précautions oratoires de circonstances.

En parallèle, je continuais à tenter de satisfaire les demandes multiples et pressantes de Shosuro Gobei. Avec un petit groupe de Shosuro, je réalisais notamment un projet de réhabilitation de plusieurs maisons de thé du quartier marchand, qui fut fort apprécié de Shosuro Gobei, même si la façon dont il l’annonça et l’exécuta – en ordonnant aux propriétaires de venir sur le champ – était à mon avis fort brutale.

Voyant que je disposais de la faveur de Gobei-sama, l’attitude des courtisans à la cour se modifia à mon égard ; même les plus sceptiques reconnurent la valeur du travail que j’accomplissais ; et des rumeurs sur ma possible nomination commencèrent à courir.

Je réussis à voir brièvement Bayushi Korechika, auquel je fis part, avec prudence, de mon intérêt pour le poste. Il se montra ouvert et aimable, me parlant de la difficulté pour un gouverneur étranger de s’adapter à Ryoko Owari, ajoutant que j’avais toutes mes chances.

J’étais par ailleurs en train d’organiser une réception à laquelle j’avais invité tous les notables Shosuro, Yogo et Bayushi de la ville, de façon à pouvoir recueillir leurs avis et leurs suggestions sur plusieurs aspects délicats de l’application de la justice impériale en ville. C’était la première fois qu’on les consultait ainsi, et ils étaient intrigués et intéressés par la démarche.

Le Champion d’Emeraude me fit passer une missive dans laquelle il me disait avec sa concision habituelle : « J’ai entendu de grandes choses à propos de votre futur, discutons-en dès que possible ». Bien évidemment, le cœur battant je me hâtais de solliciter une entrevue. C’est là qu’il m’informa que les Scorpions souhaitaient me voir rejoindre leur clan…il n’avait pas plus d’informations, mais mon nom était apparemment mentionné de façon favorable par Bayushi Shoju. Je n’avais de mon côté aucune information à lui communiquer.

Un peu plus tard, je reçus une convocation à la cour, qui émanait d’une fonctionnaire Otomo sous les ordres d’Otomo Kyosuke – celle-là même qui interrogeait pour son compte les candidats potentiels pour le poste de gouverneur. C’était une femme d’un certain âge, au regard intelligent et dur. L’entretien qui suivit fut sans complaisance. Mais en voyant le travail que j’avais déjà accompli, elle me dit que j’avais fait la moitié de la tâche nécessaire, et à voir ses réactions il était clair que pour elle j’avais beaucoup d’atouts pour le poste – elle me dit d’ailleurs qu’elle allait immédiatement parler à Kyosuke-sama.

Quand une date me fut proposée pour l’entrevue avec le Fils du Ciel, par loyauté j’en informais oralement Bayushi Korechika, en lui expliquant mes différentes conversations - ainsi que celle avec la fonctionnaire Otomo - et le contexte dans lequel j’avais cette entrevue. Il m’approuva…mais dès le lendemain, je recevais une missive de sa part me disant qu’il souhaitait d’abord en discuter avec le Fils du Ciel, et que cette entrevue devrait se faire avec Shosuro Gobei et lui-même. Naturellement, ils me tiendraient au courant.
C’était ma première erreur.

La semaine suivante je n’avais pas de nouvelles de Bayushi Korechika, mais une proclamation officielle sur les nominations à Ryoko Owari allait être faite, de façon à mettre un peu d’ordre dans l’organisation.
Deux jours avant ladite proclamation, je rencontrais Shosuro Gobei, qui me dit qu’ils envisageaient de me confier certaines fonctions. Il ne me donna pas plus de détails, et je savais que même si je l’interrogeais, il ne m’en dirait pas plus. Je savais néanmoins par d’autres sources qu’ils ne s’étaient pas encore décidés sur la nomination de gouverneur – il devait donc s’agir d’un autre poste. Je fis part de cette information, si vague fut-elle, à Otaku Benkei, qui avec le Champion d’Emeraude finançait mes émoluments.

Le lendemain, Otaku Benkei, très agité, fit irruption au Palais de Justice. Des heimins du clan Scorpion s’étaient présentés pour déménager la totalité de mes affaires, sur un ordre signé par Shosuro Gobei. Seule l’intervention inopiné de l’intendant, qui s'était enquis de l’autorisation du Champion d’Emeraude et du clan Licorne, avait empêché la chose.
Dans un état de fureur à peine contrôlée, Otaku Benkei me demanda ce que j’avais manigancé avec le clan du Scorpion, et comment je pouvais me permettre d’abandonner sans tambour ni trompette mes devoirs d’ambassadeur du Lion et de Magistrat d’Emeraude pour un obscur mariage dans le clan Shosuro.
Prise au dépourvu par la violence de l’attaque, je lui répondis véridiquement que je n’avais pas connaissance d’un quelconque mariage. Certes, Gobei-sama avait manifesté de l’intérêt pour mon travail, mais je n’en savais pas plus. Si une alliance était envisagée, il m’en ferait certainement part le surlendemain, jour de la proclamation.
Cette réponse sans artifice eut pour effet de mettre le Licorne dans un état de rage encore plus prononcé. Le surlendemain, ce serait trop tard. Dès le lendemain matin, des accords allaient être ratifiés par le fils du Ciel. Tremblant de rage, il me demanda de choisir si j’étais du côté des Lions, des Licornes et de la Magistrature d’Emeraude, ou du côté des Scorpions. Il souligna par ailleurs que s’il voyait d’un œil favorable mon accession au poste de gouverneur, il était hors de question qu’il se passe de mes services pour le bénéfice d’un mariage sans gloire ou d’un obscur poste d’administration chez les Shosuro. Il lui semblait également improbable que si j’acceptais cette alliance, je sois nommée au poste de gouverneur. Accepter ce mariage était donc renoncer à cette ambition, en étais-je consciente ?
- Benkei-sama, lui dis-je, vous me mettez dans une situation impossible. Comme vous le savez, j’ai sollicité la position de gouverneur de Ryoko Owari, et seulement celle-ci. Je n’ai pas à ce jour connaissance d’une réponse à cette demande, ou d’une proposition alternative claire de la part du clan Scorpion. Je ne puis faire le choix que vous me demandez. »
- Je vois » me répondit-il, les mâchoires serrées. « J’en parlerais à Yoshifusa-sama. »

Le soir-même, je tentais de joindre Bayushi Korechika, de façon à avoir des éclaircissements. Je savais que les deux Scorpions avaient pour habitude ce genre de décisions autocratiques – même si dans ce cas, ils avaient complètement négligé d’en aviser qui que ce soit, ce qui était soit une rare maladresse, soit – plus probablement, hélas – un plan machiavélique pour s’assurer de ma loyauté, en m’obligeant à me mettre dans leurs griffes à l’aveuglette, et en me fâchant définitivement avec à la fois les Licornes, les Lions, et Doji Satsume.
Je voulais aussi savoir dans le cas où j’acceptais l’alliance proposée, est-ce que cela constituait une façon pour eux que je fasse mes preuves, ou avaient-ils d’ors et déjà décidé que je ne serais jamais gouverneur – comme l’avait fait remarquer Otaku Benkei.
Je ne réussis malheureusement pas à voir Korechika-sama, mais je reçus un message de son intendant m’informant que la proclamation ne faisait état que d’une situation temporaire.
Ceci ne m’avançait guère. Et même si je savais que je ferais plus pour le bien de l’Empire en étant à l’intérieur du clan Scorpion, et que mon désir de le faire était grand, ce saut en aveugle ne me plaisait guère.
Mais en fait, la décision n’était déjà plus dans mes mains, comme je devais l’apprendre quelques heures plus tard.

Le lendemain matin, Otaku Benkei m’annonça avec un sourire farouche que Shinjo Yoshifusa était en train de régler les choses avec Bayushi Korechika et Shosuro Gobei. En parallèle, la proclamation fut différée.
Je fus convoquée le surlendemain par Shinjo Yoshifusa, assez irrité, qui me demanda mes intentions. Je me contentais de répéter ce que j’avais dit à Otaku Benkei, en ajoutant qu’à mon sens, il était urgent de ne rien faire. La précipitation, en la matière, pouvait s’avérer mauvaise conseillère.
- Bien, dit-il. Je ne sais pas si c’est un excès de zèle de votre part, une relation coupable avec un Shosuro, ou une manipulation du clan du Scorpion, mais en tous cas je me suis assuré qu’il n’y aura pas de mariage. Je compte aussi sur vous pour assurer à nouveau vos fonctions d’ambassadeur du Lion et de magistrat d’Emeraude – fonctions que vous avez fort négligé dernièrement. » Je le reconnus humblement - les demandes de Shosuro Gobei m’avaient effectivement accaparée. « Par ailleurs Bayushi Korechika m’a confirmé qu’à l’heure actuelle ils n’ont pas encore pris leur décision pour le poste de gouverneur. Vos compétences sont reconnues, mais ils vous reprochent votre manque de clarté et votre attitude cassante et hautaine. Bien que je dois dire que de mon côté je n’ai pas eu l’occasion de percevoir ces défauts jusqu’à présent, je pense qu’il est bon que vous soyez au courant, afin de progresser dans la voie du bushido. » Je m’inclinais, le visage brûlant de honte devant cette remontrance. Un peu plus tard, je me hasardais à lui demander s’il avait des précisions, de façon à ce que je puisse m’amender.
- En ce qui concerne le manque de clarté, il semble que vous ayez indiqué que Shosuro Hyobu comptait vous proposer une alliance avec le clan du Scorpion, et c’est donc pour vous être agréable qu’ils ont organisé ce mariage. » C’était un mensonge éhonté.
- En ce qui concerne votre attitude, il semble que cela soit un sentiment général des samouraï Scorpions à la cour du gouverneur. »
Je savais que mes excellentes relations avec la famille Bayushi n’étaient pas en question. J’eus par ailleurs une confirmation fortuite – une déclaration spontanée de la part de la servante particulière de Shosuro Hyobu – que mon ouverture d’esprit, ma franchise et mes tentatives de fédérer avaient été particulièrement appréciées des samouraï présents à la cour du gouverneur.
Je posais également en toute humilité la question au Champion d’Emeraude, en lui demandant s’il fallait que je m’amende sur un point donné pour être digne de devenir gouverneur, et il me répondit qu’il n’y avait rien à changer, qu’il suffisait que je reste moi-même. Il semblait donc que là aussi, les Scorpions aient saisi un fallacieux prétexte.
Peu importait. Clairement, Shosuro Gobei et Bayushi Korechika ne comptaient pas me proposer le poste – sans quoi ils l’auraient déjà fait.
Je pensais que les choses allaient en rester là – un simple statut quo, avec juste un peu de déception que mes espoirs ne soient pas réalisés.

C’était mal connaître le clan du Scorpion. Leur réaction fut d’une violence inouïe.

La loyauté est la vertu principale demandée à un samouraï du clan du Scorpion. En refusant de tout sacrifier pour rentrer dans le clan du Scorpion – mon amitié avec les Licornes, mes liens avec le clan du Lion, ma fonction de magistrat d’Emeraude, le service de Doji Satsume, mon ambition de devenir gouverneur – je leur avais fait une injure mortelle. Même s’ils ne m’avaient pas fait de proposition directe, même s’ils m’avaient tenue dans l’ignorance de leurs projets, même s’ils n’avaient pas daigné me parler directement - ils attendaient de moi une soumission aveugle et inconditionnelle à leurs demandes, quelles qu’elles fussent.

Ils me convoquèrent, la veille de la réception officielle que j’avais organisée depuis près de deux mois.
Bayushi Korechika fit l’essentiel de la conversation.
Les Lions et les Licornes ne consentaient pas à mon mariage, donc ils allaient être forcés de donner à d’autres personnes les dossiers dont je m’occupais jusqu’à présent, et ceux qu’ils avaient prévu de me confier. Par ailleurs, ils étaient forcés d’annuler la réception, les Scorpions que j’avais invités étant requis ailleurs.
Ceci bien sûr me mettait dans une situation très embarrassante par rapport aux autres invités, sans parler de l’organisation pratique.
Korechika-sama m’informa par ailleurs qu’ils avaient cette année une situation financière préoccupante à résoudre et que tous les autres sujets – dont la justice impériale – passaient après. Ce qui revenait à dire que mon travail des six mois précédents n’allait pas être utilisé. Avec son côté retors caractéristique, le Bayushi me signala que bien sûr, je pourrais continuer cette étude dans le cadre que nous avions défini, et notamment avec le Champion d’Emeraude. Mais, clairement, il ne voulait pas que je perturbe le clan avec mes suggestions…mon travail resterait donc lettre morte.
Il conclut l’entretien en me disant : « C’est moi qui définis ce qui est important. Et on n’exerce pas de pression sur son daimyo…c’est une leçon à retenir. » Puis il me congédia sèchement, alors que je me perdais en conjectures sur la signification de ce dernier message.

Je pris rendez-vous avec Shosuro Gobei pour la transmission des dits dossiers.
Il annula à deux reprises notre entrevue, puis fit finalement l’attribution des dits dossiers lors de la réunion mensuelle du clan, où j’étais encore invitée, en quelques minutes, aux personnes présentes, sans se préoccuper du contenu du dossier ou de la pertinence de l’attribution.
C’était pour moi une énorme perte de face que cette humiliation publique. Je n’étais plus persona grata chez les Scorpions, le message était clair pour tous.

Publié : 11 mai 2006, 23:10
par matsu aiko
Six mois ont passé depuis la dernière entrée de ce journal.
Je ne reprends la plume que maintenant, par manque de temps et d’envie, et aussi parce que j’étais absorbée dans d’autres travaux d’écriture (…).
Aussi ce récit n’est probablement pas complet, et n’a pas vocation à l’être ; mais certains des évènements qui se passèrent méritent d’être contés.
La tradition du clan du Lion nous enseigne le respect des ancêtres et de la destinée ; je suis trop respectueuse des traditions pour penser autrement.
Mais je dois dire que le destin, parfois, a un sens de l’humour que je qualifierais de douteux.


L’on aurait pu croire qu’après l ‘incident malheureux de ce mariage avorté, les choses se seraient calmées.
Or, ce même matin où j’étais en train de perdre la face devant le clan du Scorpion tout entier, à mon insu du côté du clan du Lion une crise majeure était en train d’éclater.

Pour expliquer la signification de ce qui se passait, il me faut rentrer plus en détail dans certaines de mes attributions en tant qu’ambassadeur du clan du Lion.
Une de mes tâches est l’administration des fonds considérables alloués par les Lions pour le développement de leurs projets à Ryoko Owari, plus de 700 koku.
Je m’occupais activement de la façon dont ces fonds étaient investis pour le bénéfice du clan du Lion, et avais dans ce cadre plusieurs succès à mon actif, comme il a été relaté précédemment, mais mon dernier rapport à ce sujet datait de six mois auparavant – j’avais été trop accaparée par mes multiples tâches pour formaliser le récapitulatif des succès remportés et la façon dont les fonds avaient été investis.
Or l’administration impériale avait découvert une façon légale de réclamer une partie de ces fonds au nom de l’Empereur. Les Lions étaient bien évidemment furieux, et avaient exigé une résolution immédiate.
Or ce matin-là où l’orage grondait chez les Lions et leurs alliés Licornes était précisément le même que celui où Shosuro Gobei était en train de procéder à mon humiliation publique. N’étant pas là, je ne pouvais faire la mise à jour et leur fournir ce fameux relevé de compte.

Les absents ont toujours tort.
L’épreuve montre le cœur du samouraï. Celui d’Otaku Benkei est petit, égoïste et méprisable.
Benkei saisit l’occasion pour faire porter tout le blâme sur ma personne. J’avais abandonné mes devoirs pour aller courtiser le clan du Scorpion, j’étais d’une coupable négligence envers le clan qui était le mien, j’étais la seule responsable du déclenchement de cette crise. Il ne me dit pas cela, il me l’écrivit dans des termes à peine polis – et la réaction impatiente de Shinjo Yoshifusa, les discussions qui suivirent, démontrèrent sa mesquinerie d’une façon éclatante.
S’il n’avait pas été l’un de mes supérieurs, je l’aurais défié en duel.
Alors que les mois précédents il m’encensait, et qu’il n’avait pas levé le petit doigt pour aider les Lions, je servais à présent de bouc émissaire. En fait, il saisissait cette occasion pour redorer son blason, notamment vis-à-vis de l’Empereur.
En effet, lors de nos conversations, le Fils du Ciel m’avait confié qu’Otaku Benkei avait un style d’élocution qui pouvait être irritant pour certaines personnes – autrement dit, il le considérait comme un individu arrogant et imbu de sa personne.
Shinjo Yoshifusa lui avait fait le même reproche, comme toujours l’écho de l’autorité officielle. J’avais aussi appris indirectement le peu de cas que faisaient les Lions de sa personne – au point pour certains de refuser de traiter avec lui. Il avait donc un besoin urgent d’améliorer son image.

La vengeance d’Otaku Benkei se manifesta d’une autre façon : alors que précédemment il m’avait laissé une complète autonomie, il se mit à agir en seigneur tatillon, m’imposant des tâches subalternes et mille vexations essentiellement destinées à me rappeler qu’il était mon seigneur au même titre que Bayushi Korechika, Shosuro Gobei et Doji Satsume, bien que ceux-ci lui fussent largement supérieurs en gloire et en statut.
Je supportais cela en silence, avec l’aide de ma yoriki, qui se montrait d’une indéfectible loyauté à mon égard en dépit de ma défaveur.
Mais après cet été où j’avais travaillé à la limite de la folie je ne pouvais en endurer davantage. Aussi je poussais un soupir de soulagement quand arriva le jour de mon voyage dans les Provinces Impériales, qui avait été prévu depuis longtemps.

Le daimyo du clan Licorne, que j’avais rencontrée précédemment, s’était gracieusement proposée pour me servir de guide à la capitale et m’introduire à d’éminents membres de la famille Impériale. Je partis, mon plan à trois ans sous le bras, espérant pouvoir me faire des alliés, les gagner à ma cause.
Ce séjour à la Cour fut fort instructif, mais me démontra une nouvelle fois que je n’avais pas l’étoffe d’un courtisan.
Shinjo Farris m’avait préparé une interminable suite d’entrevues et de cérémonies du thé en compagnie de hauts personnages, où elle assura l’essentiel de la conversation, ne me laissant intervenir qu’en de rares occasions. Je n’eus pas la moindre chance de partager mon travail avec les personnes que cela aurait pu intéresser, aussi incroyable que cela puisse paraître – le moment n’était jamais approprié. J’étais une nouvelle venue, et l’étiquette exigeait que j’écoute humblement la sagesse qui tombait des lèvres de mes très honorables interlocuteurs.
En fait Shinjo Farris avait clairement prévu ce voyage comme un prétexte pour aller visiter de nombreux dignitaires, et je lui servais de faire-valoir et d’excuse commode. Je fus passablement embarrassée, néanmoins, quand l’une des dignitaires Seppun se mit à me présenter à sa famille comme le nouveau gouverneur de Ryoko Owari – Shinjo Farris m’avait évidemment vendue comme telle. Je pris à part l’honorable dignitaire et lui signalais délicatement que hélas je n’étais que magistrat d’Emeraude. Je vis sa figure se décomposer, et elle me mit à la porte avec une hâte avoisinant l’indécence.

Hormis ces aspects distrayants, ce voyage fut salutaire par la coupure complète qu’il offrait avec l’activité effrénée qui avait été la mienne à Ryoko Owari. C’était reposant de n’avoir rien d’autre à faire que d’écouter poliment tout ce qu’on m’exposait, qui était souvent fort intéressant.
A quelques reprises, je reçus des messages acides d’Otaku Benkei, concernant la crise diplomatique avec le clan du Lion, que j’ignorais complètement. Il ne pouvait attendre de moi que je la résolve à plusieurs milliers de Km de distance.
Le seul bémol de ce voyage fut qu’à force de soupers fins, je pris quelques kilos. J’étais habituée à manger de façon frugale, et les repas raffinés qui étaient la norme à la cour, matin, midi et soir, jointe à l’agréable atmosphère entretenue par Shinjo Farris, firent que me laissais aller à une coupable indulgence. Bah, le retour à ma diète habituelle les ferait promptement disparaître.

Le retour à Ryoko Owari fut un peu plus difficile.
Otaku Benkei était irritable et acerbe – avoir dû me remplacer pendant ces deux semaines et affronter les problèmes à ma place l’avait mis de mauvaise humeur.
J’étais néanmoins suffisamment détendue pour que ses reproches glissent sur moi sans m’affecter le moins du monde. Il ne pouvait me reprocher d’avoir été en voyage, alors que celui-ci avait été décidé par le daimyo Licorne plusieurs mois auparavant. Ou peut-être était-ce le fait qu’il avait demandé à m’accompagner à Otosan Uchi, et que cette permission lui avait été refusée par Yoshifusa-sama, qui lui restait en travers de la gorge.
Il y avait également eu des tractations entre les Licornes et les Scorpions pendant mon absence.
Ils s’étaient mis d’accord sur le fait que pour les mois à venir, ma fonction d’ambassadeur était la priorité.
La nomination du gouverneur était toujours en cours, et ils pensaient qu’une décision serait prise pour la fin de l’année. Shinjo Yoshifusa m’avait assurée suite à un entretien qu’il avait eu avec Bayushi Korechika que l’incident n’aurait pas d’incidence sur ma candidature comme gouverneur. Bien qu’ayant de sérieux doutes sur la question, je conservais un faible espoir.
Je me plongeais donc dans mes tâches de diplomate, surtout qu’une autre négociation, avec les Crabes cette fois, était en train de s’amorcer.

J’avais eu un entretien avec le Champion d’Emeraude, auquel j’avais confié mon ennui des manœuvres dilatoires de Bayushi Korechika, qui à chaque fois retardait la présentation de mon travail au Fils du Ciel.
Je savais fort bien qu’en parallèle, il ne manquait pas une occasion, ainsi que Shosuro Gobei, de mettre en avant Shosuro Bairei, le candidat qu’ils soutenaient, malgré ses déficiences évidentes.
Le Champion d’Emeraude m’informa le lendemain qu’il en avait discuté avec l’Empereur, et m’instruisit de faire une demande d’audience.
Je ne sais comment, Korechika eut vent de la démarche. Le lendemain, je recevais un courrier de sa part, m’indiquant que le daimyo du clan du Scorpion devait au préalable s’entretenir avec le Champion d’Emeraude avant que cette présentation n’ait lieu.
A nouveau j’étais dans l’impasse.

Les choses en étaient là quand par le plus grand des hasards je dus me rendre à une réception officielle à la capitale. J’étais en train de me hâter dans les couloirs du Palais Impérial - des délais m’avaient mis en retard - quand l’Empereur fit soudain son apparition.
Je transformais brutalement ma course en prosternation, collant mon front en sueur contre le tatami.
- Relevez-vous, Matsu Aiko-san »
J’obtempérais. Le Fils du Ciel me dominait de sa taille imposante, son regard était impassible mais sans méchanceté.
- Votre travail…je veux le voir. » Voyant ma légère hésitation, il ajouta : « Ne vous préoccupez ni de Bayushi Shoju, ni du Champion d’Emeraude, prenez rendez-vous directement. »
- Hai, Empereur-dono. » Je m’inclinai à nouveau, et les pas s’éloignèrent.
Je restais soufflée de l’honneur qui venait de m’être fait, avant de reprendre ma course pour rejoindre la réception.
Il s’avéra que deux mois s’écoulèrent avant que cette entrevue puisse prendre place mais savoir que je bénéficiais d’un appui aussi direct du Fils du Ciel me faisait chaud au cœur.

Otaku Benkei, quant à lui, continuait dans la mesquinerie, avec un comportement qui était par moment à la limite de l’irrationnel. Il avait passé la totalité de l’entretien annuel que nous avions ensemble pour faire le bilan de mes tâches d’ambassadeur à tenter de me convaincre d’abandonner mon mandat de Magistrat d’Emeraude, allant jusqu’à me menacer de faire bannir du clan du Lion si je n’obtempérais pas.
En dehors du fait qu’une telle menace ne pouvait que me convaincre de ne plus travailler pour cet individu, je n’en avais bien sûr aucune envie.
Je connaissais pertinemment ses motivations. Tant que j’étais là à sa disposition, il était dans une situation très confortable - j’étais capable de faire son travail mieux qu’il ne pouvait le faire lui-même. Il pouvait alors se contenter d’apparaître dans les réceptions officielles en saluant aimablement tout le monde sans avoir d’autres sujets de préoccupation.
Je réussis cependant à le convaincre que ce double mandat était un avantage pour le clan du Lion et celui des Licornes, parce qu’il me donnait une légitimité pour intervenir chez les Scorpions, pour maintenir la Justice Impériale mais en poussant éventuellement les intérêts des Lions.
Je poussai néanmoins un soupir de soulagement en le quittant.
Aurait-il été capable de faire de moi une rônin ? Ce n’était pas impossible. Il y a bien des façons de mettre quelqu’un en disgrâce, et il avait prouvé son pouvoir de nuisance.
Ce que je me demandais aussi, c’est si lui n’avait pas subi ce genre de pression, et si sa réaction absurde n’était pas la simple répercussion de pressions qu’il avait subies personnellement. Il n’était pas impossible que Yoshifusa-sama, et le clan du Lion, lui aient signifié en privé leur déplaisir.
Après quelques semaines, voyant que je m’occupais à nouveau de mes tâches d’ambassadeur à plein temps, il finit par se détendre, et nos rapports redevirent cordiaux, au moins en surface, même si je n’oubliais ni ses paroles ni ses actes.
Je devais avoir hélas un nouvel exemple flagrant de son incompétence et de son ingratitude.