La Voix De Rokugan

Elle lui jeta son encrier sur le dos au moment où Hora sortait judicieusement du bureau en fermant les shoji. Dévoué ou curieux ou les deux, il resta devant pour empêcher les gens de rentrer.

- T'es pas bien ou quoi? Lève toi bon sang !

La phrase ponctua le rebond de l'objet au sol dans un tintement métallique.

Retsu sursauta au choc de l'encrier sur son dos. Il n'aurait pas cru qu'elle lui ferait une chose pareille...

"Hai Hida-sama." répondit-il en se relevant.

Il resta un instant à la regarder silencieusement, se demandant ce qu'elle allait bien pouvoir lui balancer d'autre...

- Mais arrête avec ça! On est tous les deux! T'admires tant les parquets que tu te sentes obligé de coller la tête dessus toutes les demi-heures?!

"D'accord..." marmonna-t-il.

"Et pour répondre à ta question, Kei-chan, ça s'appelle le respect. Respect des supérieurs, respect des titres, respect d'un hôte qui nous reçoit chez lui..." expliqua-t-il.

"C'est ce qui fait de notre Empire une civilisation digne de ce nom..."

- C'est surtout ce qui fait de toi une lavette.

Elle regretta ses mots là aussitôt mais ils étaient déjà dits. Elle continua :

- D'où tu t'inclines devant Shiranai? Qui nous traite de menteurs, d'ecervelés et qui nous menace? C'est ça le respect? T'es le shireikan de la ville ! Tu ne lèches pas son plancher merde!

Retsu se redressa, son orgueil piqué au vif.

"C'est ce qui fait de moi autre chose qu'un bakemono."

"Parce que c'est ça la différence entre les séides de Fu Leng et nous. Pas les armures, pas les tetsubo, pas les singes qui se pavanent au son de la musique martiale..."

"Tout ce que les crétins de notre clan considèrent comme futile, c'est ça qui nous différencie d'eux. Rien d'autre."

Il n'avait plus l'air de rire du tout.

"Donc oui, quand je suis ici, bien éloigné du Mur et de la guerre permanente, alors oui je profite de ce luxe. Car c'est effectivement un luxe. Un joyau à chérir."

Il inspira puissamment.

"Alors je profite de ces futilités qui me font dire que bien que souillé par la corruption de l'Outremonde, je ne suis pas encore devenu l'un des leurs."

"Et en ce qui concerne Shiranai, nous avons été l'insulter chez elle, sous son toit. Nous avons bafoué les règles les plus évidentes de l'hospitalité. Des règles qui remontent à bien avant l'arrivée des Grands Kamis sur notre terre. Des règles qui remontent au moment où les hommes ont cessé d'être des bêtes."

"Alors oui je me suis excusé pour ça. Même si son comportement n'a pas été meilleur. Parce que comme je lui ai dit en sortant "contrairement au chêne, le roseau plie mais ne rompt pas". Parce que tenir vaille que vaille, vivre sans concession, sans jamais s'excuser, ça ne mène qu'au néant. Parce qu'il faut que le plus intelligent cède pour que les choses puissent continuer."

"Mais si au lieu de vous crêper le chignon, vous aviez été un minimum concentrées toutes les deux, vous auriez peut-être saisi les implications catastrophiques de cette histoire."

"Parce que si Shiranai-san a raison. Si elle a effectivement été manipulée ou droguée, alors nous sommes dans la merde jusqu'au cou."

"Quelle sera la prochaine étape ? Hida Sakamasu-sama qui tripote la femme de Yasuki Taka-sama en pleine audience ??"

- À parce que tu crois que je n'ai pas saisi le problème non plus? Et tu crois peut-être toi que tu seras sauvé par tes bonnes manières? Le seul truc que ça fait c'est que tout le monde sait qu'on peut faire exactement ce qu'on veut avec toi, même te manquer de respect, parce que tu seras trop poli pour ouvrir ta bouche.

Elle se leva.

- La prochaine fois je lui mettrai une mandale en pleine rue si ça peut te rassurer que je ne bafoue pas les sacro-saintes règles de la bienséance. En attendant tu t'appelles Hida c'est clair. Hida. Pas Doji. Pas Yasuki. Pas Kuni. T'aimes bien les petites fleurs et les poèmes tant mieux pour toi. T'as vu des horreurs et ça te calme, tant mieux pour toi aussi. Maintenant je vois pas en quoi c'est raffiné de se faire prendre pour un paillasson. Si ça te convenait de te faire marcher dessus, avec ton petit complexe d'infériorité maladif que tu te traines depuis l'enfance, fallait continuer à t'appeler Matsudaira. Tu l'as pris mon nom. Je t'ai pas forcé. T'as pas à te coucher devant tout le monde. Chez lui ou pas j'm'en cogne. Le front par terre! Par terre! Je vais me trimballer avec une pelle, que je puisse te creuser un trou au cas où on croise Hantei sait-on jamais?!

Retsu avait retiré son katana de son obi.

"C'est ça que tu veux que je sois, alors ?" fit-il alors qu'il sortait la lame de son saya.

"Ça ?" dit-il en lui présentant l'arme alors qu'il envoyait valdinguer le fourreau vide dans un coin de la pièce.

"Parce que c'est ce que je suis. Un tueur. Un tueur qui ne sait même pas combien de vies il a prise."

"Alors dis-moi comment est-ce qu'un sabre, dépourvu de tout ornement, dépourvu de son fourreau peut être d'une quelconque utilité dans cette ville ?"

"Prends cette arme et montre-moi ! Montre-moi comment le porter sans saya. Montre-moi comment être ce que je suis sensé vivre sans tuer quiconque parce qu'il m'aura regardé de travers !"

Ce disant, il avait attrapé l'arme par sa lame, tendant la garde de cette dernière à Kei afin qu'elle puisse l'empoigner.

Il s'était bien évidemment entaillé les mains sur le fil acéré du katana et du sang commençait à ruisseler le long de ses mains et à goutter sur le sol...

- Faut toujours que ce soit dramatique et déprimant avec toi hein. Faut toujours que ce soit le grand combat contre l'Outremonde ! Puis les grands discours et le sacrifice puis re un petit peu de déprime!

Elle contourna son bureau, ramassa le saya et se plantant devant lui.

- Lâche ça!

Elle tira un grand coup sur la tsuka... Avant de lui mettre un grand coup du plat de la lame sur le haut du bras. Elle n'était pas manchote non plus.

- Voilà je t'ai tué là?!

Elle prit le katana et de toutes ses forces le planta dans le mur de son bureau.

- Maintenant avec tes métaphores à la con, si tu veux toujours pas accepter qu'une arme est une arme, bah tiens t'as qu'à suspendre ton haori là-dessus, ça fait un chouette porte manteau.

Retsu resta dans un silence estomaqué pendant quelques secondes avant d'éclater de rire.

"Ha Kei-chan." fit-il en s'approchant d'elle pour l'embrasser.

"Heureusement que tu es là..."

J'avoue j'ai rit en lisant ton post. Du coup, Retsu rit aussi

Elle lui fila un coup de saya sur l'autre bras, avant de le laisser tomber par terre.

- Va apprendre à tes soldats à se faire des colliers de pâquerettes, le bakemono belliqueux doit faire de la paperasse. Tu me feras signe quand t'auras trouvé un Hida assez bien élevé pour passer tous tes tests d'étiquettes. Et méfie toit de la première neige quand tu reviendras. Parce que ce sera sûrement l'hiver prochain.

Elle retourna à son bureau, furieuse, mais sûrement moins que toute à l'heure malgré tout.

Dans le silence qui s'établit, Retsu récupéra son katana...

- Ugh.

Le mur transpercé émit un son curieux... Ils se précipitèrent tous deux dehors. Et regardant de l'autre côté se rendirent compte qu'elle venait de transpercer les côtés d'un serviteur qui passait dans le couloir.

Il pissait le sang mais il était bel et bien debout, et il grimacait de l'accorte manière "j'ai mal, j'ai mal" plutôt que de celle, beaucoup moins seyante de "je vais mourir, je vais mourir".

Retsu soutint le blessé, l'aidant à s'allonger.

"A l'aide ! Un médecin, un shugenja tout de suite !!" cria le jeune homme alors qu'il comprimait la plaie pour arrêter l'hémorragie.

Mais t'es vraiment un gros con Retsu, t'es vraiment un putain de GROS CON !

Il avait défié Kei-sama, sa supérieure, et voilà ce qui arrivait. Les kamis le punissait pour son arrogance en se jouant de lui de la plus cruelle des façons : en lui donnant raison. Et cela c'était sans doute pour punir Kei-sama de son côté.

"J'ai besoin d'aide tout de suite !!" cria-t-il.

Kamis et Fortunes, faites qu'un pauvre innocent ne paie pas pour mes conneries...

Des souvenirs lui revinrent par flash : Reika-dono agonisant dans ses bras alors qu'il se vidait de son sang, Minako-dono au sol, son sang coulant abondamment entre ses doigts...

Merde, merde, merde, MERDE !!

Les secours accoururent ; les soins furent dispenses par Kuni Shiranai.
- Vous avez sauvé sa vie, dit-elle remarquer, plus tard, apres qu'elle ait cautérise la plaie et lui ait redonne des forces. Le tumulte s'était apaisé et il n'y avait plus qu'elle et lui dans l'infirmerie - et le blessé, endormi. Que s'est-il passé ?

Kei s'assura que l'homme était sauf, puis partit. Elle avait assez vu Shiranai pour la semaine. Elle viendrait voir le convalescent plus tard.

Elle ne le regarda même pas avant de sortir et laissa sa question sans réponse.