De mon côté, j'ai prévenu mes joueurs de ne pas lire la storyline. Du coup, je peux faire un peu ce que je veux. Ma campagne se situe entre 1120 et 1127 et mélange des évènements de la storyline future. Elle a commencé dans la période pré-SCC et elle se terminera avec une ère du Vide revisitée où les PJ seront en première ligne.
J'ai découpé ma campagne en saisons. Actuellement, les PJ doivent faire face à une nouvelle guerre du sang et un retour de Iuchiban. La saison suivante sera sur l'Ombre et les deux dernières conteront l'ère du Vide.
La storyline et les scénarios publiés m'ont permis de tenir depuis cinq ans de jeu à un rythme de jeu d'un scénario par mois (en fait il est arrivé qu'on ne puisse pas jouer, ou qu'un scénario soit découpé en plusieurs week-ends, donc là, on n'en est qu'à environ cinquante épisodes).
Tout cela aurait été impossible à faire si mes joueurs avait eu connaissance de la storyline… Je n'ai d'ailleurs jamais compris l'intérêt pour les joueurs de lire les suppléments qui sont remplis de spoilers et de secrets que leurs personnages ne sont pas censés connaître et qui ouvrent plein de possibilités d'aventures pour le MJ… C'est un peu comme lire le résumé d'un roman avant de le commencer.
La découverte et les retournements de situation sont des principes importants dans une narration et c'est dommage de s'en priver en masterisant à des joueurs qui connaissent déjà toute la storyline et les secrets du monde.
Sinon effectivement, il reste la possibilité de se concentrer sur des micro-évènements (perso je trouve ça moins intéressant, dans la mesure où L5R est clairement un jeu épique à grande échelle, si c'est pour jouer à une petite échelle Sengoku, par exemple, me paraît plus adapté que L5R et la campagne Shiki, publiée en Anglais pour ce jeu est un bon exemple de ce type de narration) ou de créer une storyline très différente, mais le setting est pensé de telle façon qu'on risque de se retrouver avec une simple variation sur les thèmes principaux (conquête du pouvoir, ennemis de l'Empire etc.).
Maintenant, si je devais masteriser des joueurs qui connaisent la storyline, je pense que je masteriserais une campagne courte (3 à 10 scénarios) sur une menace ou un évènement limité mais ayant un impact important sur le monde, quitte à créer l'élément de toutes pièces mais d'une façon qui me permette d'utiliser au maximum toutes les ressources du monde (par exemple avec une campagne dont chaque épisode se situe dans un Clan majeur différent).
Faire jouer des samurai de base à L5R qui vivent dans un petit fief et se battent à petite échelle, alors que les joueurs sont gavés d'informations sur un monde complexe et détaillé dont les enjeux ne les concernent pas, je ne vois pas trop l'intérêt, c'est un peu comme essayer de détruire une mouche avec un bazooka : autant créer un monde alternatif ou utiliser un jeu mieux adapté à une petite échelle (Sengoku, Bushido etc.).
Rokugan est un monde de fantasy épique, qui appelle des histoires ayant une charge mythologique, qu'il s'agisse de "voyage du héros" (à prendre au sens large cf. Joseph Campell), de situations tragiques (Shakespeariennes), etc. Dans tous les cas, une campagne de L5R devrait à mon sens laisser aux joueurs le sentiment que leurs personnages ont "changé le monde" ou ont participé à son changement.
Dans le cas contraire, le risque est de sacrifier l'implication des joueurs à une pure description des évènements ou de tomber dans la péripétie (c'est à dire une suite d'évènements arbitraires et d'informations non reliées qui demandent aux joueurs de réagir mais ne leur demandent pas de faire de choix importants et ne parviennent pas à établir une cohérence thématique à l'histoire).
Ce qui fait la force d'une histoire (en JdR et ailleurs), c'est l'implication du ou des protagoniste(s) dans son déroulement. Les choix d'un personnage définissent son caractère (et inversement) et l'impact de ces choix doit résonner pour créer un sens qui dépasse la simple anecdote (ce qui donne une unité thématique qui sert à la fois à créer une vibration émotionnelle et l'impression satisfaisante que l'histoire a "du fond"). Si c'est une histoire épique, la résonance doit être obtenue par des situations les plus dramatiques et les plus ambitieuses possible ("dramatique" ne veut pas dire tragique mais qui posent un conflit et donc une action). Utiliser un univers épique pour raconter une histoire ayant un impact minimal sur le monde reste possible, mais c'est un choix dramatique qui doit être en adéquation avec les thèmes même du scénario.
Dans tous les cas, l'exposition (c'est à dire la connaissance des éléments informatifs sur le monde) devraient être limités à ce qui est absolument nécessaire pour traiter du thème choisi. Or il est très difficile, voire impossible, d'avoir une cohérence entre l'exposition et la narration quand on choisit un monde complexe, aux secrets nombreux, aux diverses coutumes, à la politique épineuse, fait pour les aventures grandioses (après tout John Wick l'avait construit de son propre aveu pour pouvoir y raconter l'Ere du Vide) pour raconter une simple enquête dans une province a moitié isolée et sans importance pour l'avenir de l'Empire (à moins que cette enquête ne soit qu'une étape dans une narration beaucoup plus grande, qu'elle débouche sur une découverte majeure, ou qu'elle soit choisie précisément pour son décentrage dramatique).
On peut certes vouloir faire une campagne anti-dramatique (c'est à dire dont toute la construction tourne autour du principe de décentrage de l'action au sens classique - qui est reléguée au second plan) – pourquoi pas ? – mais, dans ce cas, il y a intérêt à savoir le faire d'une façon cohérente (or, ça demande une certaine virtuosité technique) et il faut un peu des joueurs qui apprécient ce genre de narrations modernes (ce qui est assez rare en fait).
Après, on peut aussi s'amuser avec une campagne pas prise de tête qui se contente de raconter la vie d'une province, mais là encore, pourquoi s'encombrer de toute la complexité de l'univers L5R qui risquent de géner les actions et la liberté des joueurs, et les frustrer par l'impression que de nombreuses possibilités ne sont pas explorées ? Mieux vaut créer son propre univers, plus simple, quitte à conserver le système L5R (et même les techniques si on veut) si besoin est, pour mieux surprendre ses joueurs et donner la possibilité à leurs personnages d'avoir l'impression qu'ils sont bien au centre de l'histoire…
Akodo Heichin a écrit :Toutefois, mes joueurs n'ont jamais dans aucune de mes campagnes eut la possibilité d'avoir une influence majeure sur la storyline. Je n'aime pas faire des joueurs des héros capables d'inverser le cour de l'histoire et d'en redire aux champions de clan/daimyo de familles.
Un des intérêts de L5R est qu'un héros peut changer le cours de l'histoire et sauver le monde, mais pour autant il ne sortira pas de la condition de samurai. Donc quel que soit son exploit, il sera éventuellement remercié par une "promotion" c'est à dire qu'on lui confiera des responsabilités importantes (charge de magistrat, de diplomate ou autre…), mais cela ne le libèrera absolument pas des obligations liées à l'ordre céleste (il reste soumis à sa hiérarchie et ne peut donc "en redire aux daimyo"… ce qui donne des situations très intéressantes, quand le samurai en question sait que le daimyo a montré par le passé une certaine incompétence, ou qu'il le soupçonne d'avoir sacrifié l'intéret général à ses propres intérets.)