Description du perso qui amène le cadeau :
Complètement ignorant des affres de son compatriote, Hida Toburo s’avançait en grommelant vers le château. Pourquoi l’avait-on envoyé ici, il était un bushi, pas un putain de courtisan. Pourquoi ce n’était pas un Yasuki qui s’y collait ?
Quand il avait reçu l’ordre de mission, rédigé de façon plutôt hâtive et signé d’un des conseillers de son daimyo, les bras lui en étaient tombés. D’accord, il n’était plus tout jeune, il avait bonne réputation, mais de là à faire le livreur pour une greluche qui se moquait éperdument du clan du Crabe…Quand à la convaincre de venir y étudier…!
Il avait tenté de passer la patate chaude, mais on lui avait fait comprendre sans trop de détours que c’était comme ça. Il avait trois filles, il savait ce qui pouvait convenir à une fille. C’était l’argument le plus stupide, le plus
humiliant qu’on lui ait jamais sorti.
Il s’était creusé la tête. Ses propres filles n’étaient pas vraiment une référence. La première était bushi. Pas de commentaires. La deuxième était une bonne vivante, mère de quatre enfants, qui aimait bien rire et bien manger. Ca ne collait pas non plus. Restait la troisième. Jolie, mais une vraie peste. Il avait réussi à s’en débarrasser en la mariant à un riche Yasuki, un négociant un peu plus âgé, dans l’espoir qu’il la mate, mais c’était l’inverse qui s’était produit. Elle menait son mari par le bout du nez et menait grand train, se piquait de mode, et aimait à se vanter que ses toilettes étaient au dernier cri de la capitale. Elle aurait peut-être des idées. Mais quand il lui avait posé la question, Izuko lui avait ri au nez.
- Une princesse impériale ? Otosan, que peux-tu offrir qui soit digne d’elle à une princesse impériale ? Ton daimyo s’est moqué de toi, tu vas aller faire de la figuration. Tache juste de ne pas être trop ridicule !
Un peu vexé, il avait grommelé, l’air susceptible, que personne ne l’avait jamais trouvé ridicule, et était parti avant que sa fille éclate de rire.
Il avait réfléchi. Et réfléchi. Et réfléchi. Puis, utilisant la bourse dont on l’avait généreusement pourvu, et demandant quelques conseils à son gendre, il était allé dénicher le cadeau qu’il avait en tête, ainsi qu’un nouveau kimono. Le sien était vraiment fatigué. Puis il était parti en traînant les pieds.
Il avait mis un certain temps à arriver. Les auberges étaient accueillantes, et dans la région le saké n’était pas mauvais. Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et un beau matin, il s’était retrouvé aux portes de Kyuden Seppun, le sourcil froncé, l’air renfrogné, et franchement mal à l’aise.
A cinquante trois ans, Hida Toburo était toujours droit comme un chêne, et semblait aussi robuste. Sa poitrine et ses bras massifs portaient les cicatrices de maints combats, et si ses cheveux grisonnaient, et que sa fonction actuelle l’amenait à présent plus à trancher des querelles que des ennemis, il restait une figure imposante et respectée de la famille Hida. Personne de sensé ne serait allé lui chercher des noises.
Toburo avait enlevé son armure lourde pour passer le kimono neuf aux plis raides, et gardé seulement ses sabres. Rien que ça, il se sentait tout nu. Et à voir les regards surpris qu’on lui jetait, ce foutu kimono n’était pas ce qu’on portait ici…Il aurait dû garder son armure. Ils auraient continué à le toiser, mais au moins lui, il aurait été à l’aise. Le héraut, avec cette politesse excessive qui lui donnait l’impression qu’on le prenait pour un demeuré, lui avait répété les consignes : comment saluer, comment s’adresser à leurs altesses, etcetera, etcetera.
- Ca va, j’ai compris, avait-il grogné. Bon, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?
Plus tôt il serait libéré de cette corvée, plus vite il pourrait rentrer chez lui.
- Dame Miya Kazuko, princesse Miya Yumin ! tonna-t-il.
Trop tard, il réalisa qu’il avait parlé beaucoup trop fort. Pas pour la salle, immense. Mais l’habitude l’avait trahi.
- Je m’appelle Hida Toburo, je viens vous apporter ce présent. De la part de ma famille et de mon clan, rajouta-t-il après réflexion.
Il sortit de sa manche un mince coffret et le posa devant lui.
Mentalement, Miya Kazuko se prépara au pire. Après le goût douteux du précédent…Mais elle était trop bien élevée pour lever les yeux au ciel et sourit poliment.
Description du cadeau :
Un serviteur vint chercher le coffret et l’apporta à la jeune fille. Le coffret était de bois sombre, on y avait gravé avec soin le caractère jin, compassion. A l’intérieur, dans un fourreau de métal incrusté de jade, se trouvait une lame étroite, se rapprochant plus par la taille d’un aiguchi que d’un tanto : un kaiken. La poignée était courte mais fonctionnelle, adaptée à une main de femme ou d’enfant. Le pommeau était un petit cristal arrondi.
- Prenez-le et dégainez-le, princesse.
La lame était fine et droite, longue d’une paume et demie à peine, mais affilée comme un rasoir.
Premier Refus de Yumin :
La jeune fille qui avait tout de même saisi ce qui c'était passé juste avant... au moins en partie, craignit en voyant arriver à nouveau un samurai du clan du Crabe. Mais celui-ci avait l'air honnête et droit, même s'il était brusque. Elle avait pouffé un peu quand il avait hurlé sur le héraut, aussi fort qu'elle entendait des fois hurler le cuisinier sur ses commis, puis il s'était calmé et elle aussi. On voyait encore un peu le sourire qu'elle avait eu quelques secondes auparavant... mais seulement dans ses yeux. Yumin était estomaquée. Une arme, ça aussi c'était la considérer comme quelqu'un de responsable... Et elle était si jolie...
"Je ne peux accepter Toburo-sempai, je ne sais pas m'en servir" mentit-elle... On lui apprenait toutes sortes de choses. Ne voulant pas mentir au vieil homme elle se reprit
"Je ne sais pas assez bien m'en servir... Et je crains que le cristal ne s'abîme si je le tiens mal." Ce n'était pas un refus catégorique, ni très bien exécuté, ni bien inspiré, ni rien du tout... Kazuko, juste derrière soupira assez fort pour que sa fille se sente gênée. Mais la présentation du vieil homme était si succinte... Et le présent précédent si biscornu... que finalement cette offrande en valait bien une autre, elle permettrait peut-être de remettre tout le monde d'applomb se dit Kazuko.
Premier "Insistance" :
- Le cristal ne craint rien.
Il écarta l’objection de la main comme il aurait écarté une mouche importune.
- Et ce n’est pas un objet décoratif. Même s’il vous sera utile le jour où vous traverserez le seuil de la demeure de votre époux.
Traditionnellement, le jour de son mariage l’épousée portait un kaiken, soit glissé dans sa ceinture, soit dans un furoshiki spécial. C’était le signe qu’elle était à présent garante de l’honneur de son époux, de la même façon que le wakizashi représentait l’honneur d’un samurai.
Soyons honnête, chez lui, tout le monde aurait pris ce truc pour un jouet, ou un colifichet de courtisane. Mais bon, se décapiter soi-même avec un naginata ou un kama demandait une habileté certaine et pas mal de force. Tandis que pour s’ouvrir la gorge avec ce joujou-là, il suffisait d’appuyer, et même pas tant que ça.
- Gardez-le avec vous, de jour comme de nuit. Il pourra peut-être vous servir à vous défendre, dit-il, dubitatif. Mais surtout, il vous permettra de prendre votre propre vie si c’est nécessaire. Et pour cela, pas besoin d’un grand entrainement. Il suffit de trancher là. C’est une mort rapide et miséricordieuse.
Il pointa sa propre carotide et mima le geste. Le kanji inscrit sur la boite s’éclairait sous un nouveau jour.
Deuxième refus de Yumin :
La jeune fille blanchit un peu, mais il fallait être doué pour remarquer ce changement subtil de couleur sur son cou alors que tout son visage était fardé.
Je n'en veux pas, je ne compte pas m'ôter la vie, fut-elle tenté de lui crier à la face, mais elle sut que ce n'était pas la bonne réponse et que seule sa peur aurait parlé si elle s'était laissée aller.
"Il est des histoires que je ne peux envisager sans trembler mais pour le moment ma vie n'est pas en danger, Toburo-sempai. Il serait inconvenant d'insulter ainsi mes cousins les Seppun en gardant auprès de moi ce bijou censé veiller à ma sécurité. Je ne peux assurément pas le garder."
Deuxième "insistance" :
- Ce n’est pas un bijou. Mais ce poignard a une autre utilité, princesse. Tout le monde ignore ce qu’il y a de l’autre côté du Mur. Tout le monde, sauf ses défenseurs - nous. Et heureusement, car sinon vous en feriez des cauchemars. Si jamais le jade de ce fourreau noircit, si jamais le cristal se met à luire, c’est que vous serez en très grand danger. Avertissez de toute urgence vos cousins Seppun ou qui que ce soit qui vous défende, mettez la main si vous pouvez sur un shugenja Kuni, et préparez-vous à prendre votre vie si les choses devaient mal tourner. Il y a des choses bien pires que la mort, princesse.
Un silence.
- On dit que la famille Miya cherche à connaître toutes les contrées de l’Empire. Je ne pense pas que vous puissiez vraiment faire votre métier de princesse impériale si vous ne comprenez pas les périls qui le menacent. Alors faites ce que vous avez à faire et si vous en avez le courage, venez sur les Terres du clan du Crabe. Alors vous comprendrez mes paroles. Vous comprendrez à quel point ce que vous tenez pour acquis est fragile, à quel point la guerre que nous menons est cruciale. Et vous prierez pour que le clan du Crabe continue à défendre l’Empire contre ce qu’il y a de l’autre côté du Mur. Car si nous tombons, l’univers que vous connaissez cessera d’exister.
Gardez-nous dans vos prières, princesse. Nous en avons besoin. Comme cette arme peut sauver votre âme.
Yumin accepte
Chaque fois qu'on avait abordé ce type de problématique dans son éducation elle était restée perplexe, à osciller entre l'impression que tout ceci n'était que fadaises et un fort sentiment de peur. Là, à l'écouter, elle était beaucoup plus effrayée que lorsque son précepteur la mettait en garde. La fin de sa tirade pourtant en appela à son sens de la compassion...
Tout comme cela était écrit sur la boîte se dit-elle.
"Je prierai pour vous et tous les membres de votre clan Toburo-sempai. Les Fortunes soient témoins de mon serment. Et je garderai ce kaiken près de moi, ainsi il me le rappellera également"
"Nous prierons pour vous et pour chaque serviteur de l'Empereur" ajouta Kazuko.
- Princesse Yumin, Dame Kazuko, au nom de mon clan, je vous en remercie.
Il s'inclina profondément.