1120 :
Retsu se retourna sur son futon.
Cela faisait plusieurs heures qu'il cherchait en vain le sommeil, sans succès. Les premiers rayons d'Amaterasu filtraient doucement à travers les shoji et venaient baigner la chambre d'une douce lueur dorée.
Le jeune homme se tourna de nouveau en soupirant, s'allongeant sur le dos. Cela faisait des années qu'il ne dormait presque plus... Et quand il y parvenait, c'était pour sombrer dans d'affreux cauchemars...
Mais ces quelques jours aux côtés de Kei-chan avaient été bien différents... Avec elle, il dormait.
D'un sommeil sans rêves, qui plus est, ce qui il fallait le reconnaître était un vrai soulagement...
Mais avec ce qu'il s'était passé la veille, Kei-chan lui en voulait... Elle avait décidé de dormir ailleurs... Il ne savait même pas où...
L'image hideuse de Reika, le visage dévoré par une gangrène noirâtre, s'imposa à Retsu qui se redressa et s'assit sur son futon.
Inutile de chercher à dormir, il n'y parviendrai plus...
Le jeune homme se leva et se dirigea vers un shoji donnant sur l'extérieur et le fit coulisser lentement.
L'air frais du matin et la douce lumière d'Amaterasu-O-kami envahirent la chambre. Retsu pris une longue bouffée d'air et s'étonna un instant du calme du dojo. Seul le bruit lointain d'un shishi-odoshi* se faisait entendre.
Mais le souvenir de l'opération nocturne dans les souterrains lui revint bien vite à l'esprit.
Tout le monde récupérait encore de la nuit dernière...
Il s'agenouilla et en profita pour détailler le jardin du dojo.
Son regard s'attarda sur les roches couvertes de mousse, la mare où venait parfois affleurer le dos d'une carpe koi et le superbe érable dont les feuilles prenaient déjà une magnifique teinte écarlate.
Un calme serein l'emplit et il ferma les yeux un court instant puisant dans cet atmosphère un réconfort bienvenu.
Après quelque minutes, Retsu finit par se lever. L'ambiance du moment lui donnait envie de jouer de la musique mais il ne voulait pas déranger ses camarades...
Il pris alors dans ses affaires un rouleau de papier, ses pinceaux et ses encres, revenant ensuite s'installer devant le jardin.
Étalant le rouleau devant lui, il trempa délicatement la pointe de son pinceau dans l'encre sombre et s'arrêta un instant, songeur.
Il aurait bien peint le spectacle qui s'offrait à ses yeux... Mais par quoi commencer ??
Il sourit un court instant en songeant à Kei-chan. Encore une chose qu'elle ignorait... Et qu'elle ne manquerait pas de considérer comme un nouveau manque de virilité...
Finalement c'est avec le sourire qu'il commença à peindre, faisant glisser d'un geste souple le pinceau sur le papier immaculé. De vagues taches sombres apparurent puis, peu à peu, émergea la branche d'un arbre. Puis une autre.
Quand apparurent les premières fleurs, déployant leurs magnifiques pétales colorés, Retsu ne put s'empêcher de sourire.
Elles ressemblaient étonnement à celles qui ornaient le corps de sa bien-aimée...
La peinture de Retsu :
La peinture représente bien sûr Kei (le cerisier, tatouage qu'elle porte) et Retsu (le pin, matsu, de son nom de famille matsudaira). Les deux arbres s'effleurent à chaque souffle de la brise...
*shishi-odoshi : dispositif que l'on trouve dans les jardins. Il s'agit d'une section de bambou qui se rempli peu à peu d'eau. Une fois le bambou plein, il pivote autour d'un axe, se vide et le bambou retombe dans sa position initiale, émettant un bruit caractéristique...