[RP]Le Pavillon de la Source et de la Pureté

"Il y a des livres dangereux comme il y a des amis dangereux. Peut-être faut-il découvrir les uns comme les autres ?"

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Iuchi Mushu
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[RP]Le Pavillon de la Source et de la Pureté

Message par Iuchi Mushu » 22 juil. 2010, 18:27

- 23ème jour de Bayushi, heure de Shinjo - Les appartements de Sa Majesté Hantei XXXV-

Fuji-hime appréhenda le chemin jusqu'aux appartements de Sa Majesté avec l'incident qui avait encore eu lieu le matin même, mais accompagnée de Saya et de sa suite minimum, il ne se passa rien. Les gardes Seppun lui ouvrirent les panneaux décorés d'or et de nacre qui fermaient le Pavillon de la Source et de la Pureté. A partir de là personne ne put la suivre et la soie de ses vêtements glissa sur les tatamis les plus riches de l'Empire jusqu'à la chambre impériale.
La responsable du Grand Intérieur l’avait sévèrement regardée avant son entrée dans les appartements du souverain, puis semblant juger sa tenue à son goût, elle avait fait ouvrir les shoji.
La jeune femme entra, le personnel attendait à côté. A tout instant, Sa Majesté pouvait avoir un souhait qu’ils devraient s’empresser de réaliser.

Fuji-hime s'agenouilla élégamment et posa son front au sol.

- Konban wa Votre Majesté.
- Konbanwa Fuji-chan. Merci d'être venue aussi vite.

L'Empereur la regarda avec affection. Toute la journée, assiégé par les demandes inutiles et les commentaires ennuyeux de ses conseillers, il avait tenu bon - parce qu'il attendait ce moment.
Cela ne faisait que quelques semaines, mais il ne pouvait plus se passer de sa présence.
Les jours défilaient, inutiles et mornes, dans l'attente de ces nuits lumineuses, où il attendait l'éclat de sa présence. Elle était si belle, si fraîche, si modeste...

- C'est bien naturel Votre Majesté, vous m'avez fait mander pour l'heure de Shinjo, et je suis là.

Elle n'avait pas encore relevé la tête parce qu'il ne l'avait pas autorisée à le faire. Malgré sa position de favorite, elle n'avait jamais aucun manquement à l'étiquette, pourtant elle aurait pu se permettre certaines choses.

- Relève-toi, Fuji-chan.

Il aurait voulu lui dire bien plus, comment il lui tardait de l'embrasser, de la toucher, combien il était anxieux de se fondre en elle. Mais il était l'Empereur, il y avait tout cet héritage de rituels et d'étiquette, et la crainte d'être ridicule en se laissant aller à des déclarations enflammées comme un jouvenceau. Aussi il se borna à lui dire :

- Approche-toi, s'il te plait, et viens me raconter ta journée.

Elle avança auprès de lui et eut un sourire.

- Ma journée a été bien simple Votre Majesté ; après les gestes du matin j'ai fait une promenade dans les jardins en compagnie de Saya san. Les jardins commencent à être saisis de la beauté de l'hiver qui est à notre porte, ils sont magnifiques sous le givre.

Elle lui décrivit les beautés du jardin, le ciel mitigé, les formes des nuages. En aucun cas elle n'évoqua l'incident des grenouilles, l'humiliation de la fouille de ses appartements. Non, ces tracas devaient être épargnés à l'Empereur.
Il aimait sa façon simple et sans malice de conter les choses, à mille lieues des roueries et des manoeuvres courtisanes des autres femmes de la Cour. Elle ne calculait pas, ne se vantait pas, se livrait en toute ingénuité, avec une candeur et une innocence confondantes, des mines naïves qui le charmaient. Et à l'entendre, il se sentait comme un jardin en hiver, lorsqu'arrivent les premiers rayons du soleil du printemps, et que les bourgeons pointent timidement, promesses de jeunes feuilles à venir.
Comme un jardin en hiver, elle l'avait éveillé, ranimé ; avec elle la vie avait à nouveau un intérêt. Pour la grâce de leurs moments ensemble, il pouvait supporter cette cage dorée, l'humiliation permanente d'être une effigie glorieusement attiffée et sans réel pouvoir ; il pouvait supporter les incessantes chicaneries de la Cour, les ambitions et les jalousies derrière les sourires feints, tous ces vaines simagrées qui sous l'illusion d'une Cour harmonieuse laissaient ennemis et rivaux se déchirer dans l'ombre.
Il sourit à ses commentaires.

- Quand la première neige tombera, il faudra venir la regarder avec moi, Fuji-chan.
Regarder les flocons qui tombent, une coupe de saké chaud à la main, et en ta compagnie, rien ne me ferait plus plaisir.
- Oui votre Majesté, la neige recouvrira bientôt le monde de son manteau immaculé. Toute chose sera pure à nos yeux lorsque s'ouvriront les shoji du matin, comme dans un palais de nuages.

Fuji-hime savait combien les journées du souverain étaient éprouvantes, combien il avait besoin de penser à autre chose qu'aux affaire de l'Etat.
Il lui prit la main, avec une certaine timidité. Même si elle partageait sa couche depuis maintenant de nombreuses nuits, il avait toujours l'impression d'un miracle fragile, qui pouvait se briser à tout instant, disparaissant comme s'il n'avait jamais existé.
Son coeur eut un soubresaut dans sa poitrine quand sa main large et chaude prit le sienne. Elle baissa les yeux, un peu de rouge apparut sur ses joues. Elle aima sa main dans la sienne, cette promesse d'un hiver blanc, pur à ses côtés.

- Votre Majesté a-t-elle une envie particulière pour ce soir ? Souhaite-t-elle que je lui lise de la poésie ou a-t-elle envie d'un peu de musique ?
- De la poésie, oui...c'est une bonne idée. Des poèmes sur la neige et l'hiver...

Si la neige pouvait recouvrir tous ses soucis, les oblitérant comme s'ils n'avaient jamais existé, souhaita-t-il silencieusement. Il eut envie de cette pureté virginale, de ce manteau blanc, doux et froid. Sa petite main blanche était toujours dans la sienne.

- Mais reste près de moi, si tu veux bien.
- Oui Votre Majesté.
Cependant, pour vous lire un peu de poésie, il va vous falloir me rendre ma main, dit-elle en lui souriant très timidement.
J'ai apporté un ouvrage qui je pense, plaira à votre oreille
- Bien sûr, excuse-moi, dit le souverain, avec la mine penaude d'un petit garçon surpris le nez dans le pot de miel, avant de lâcher sa main.

Elle l'invita à venir s'asseoir auprès du brasero, s'enquit de savoir s'il désirait du saké avant qu'elle ne commence sa lecture. Elle savait combien il détestait être interrompu quand la lecture lui plaisait.
Peu de temps après, une servante amenait un délicat flacon de porcelaine, et deux coupelles assorties. Fuji-hime la laissa remplir sa première coupe pour ne pas rompre avec les usages. Puis quand leur intimité fut rétablie, elle sortit de sa manche un livret tout fin dont la couverture était cachée d'un papier de soie aux décors dorés et elle commença sa lecture.

- Un immortel est parti à dos de grue cendrée
Et seul maintenant se dresse le pavillon au-dessus des nuages,
La grue n'est jamais revenue à cet endroit,
La rivière limpide reflète les arbres de prunier,
Puis leur succède le vent descendu de la vallée,
Mais sous ma plume qui trace le ruban de la rivière glacée
Et qui scrute l'horizon blanc à perte de vue,
Je me demande s'il cherche le chemin du retour.

Fuji hime posa ses yeux sur le souverain pour voir s'il appréciait le poème, c'était Saya qui lui avait conseillé cet ouvrage qui n'était pas courant. Il lui adressa un sourire encourageant.

- Qu'est-il advenu de l'Immortel, Fuji-chan ?
- Le poème ne le dit pas Votre Majesté, mais je gage qu'il a souhaité voir l'étendue et les beautés du monde aussi loin que son céleste coursier pouvait le mener.

Partir au loin, découvrir le vaste monde...oui, il aurait aimé cela.

- La poésie n'est-elle pas un coursier, Fuji-chan ? Un coursier capable de nous emmener dans toutes les contrées, de nous faire rencontrer dieux et démons ?
- Si votre Majesté, elle a le pouvoir de vous emmener là où vous voulez, aussi loin que porte votre imagination.

L'Empereur semblait désireux de discourir sur la poésie ; aussi s'engagea-t-elle sur la voie qu'il souhaitait, le principal étant de le distraire, de lui offrir un havre de paix.
Ils parlèrent poésie encore un moment. L'Empereur se laissait bercer par sa voix, aussi fraîche à son oreille que la chanson d'un ruisseau. Puis il lui dit tendrement :

- Viens, Fuji-chan...

en écartant largement les bras.

Elle posa le livre sur la table puis élégamment vint auprès de lui .Elle vint contre lui mais n'osa initier de le toucher, de répondre à ce qu'elle sentait comme un désir, elle ne voulait pas lui déplaire, ressembler aux autres femmes avides d'attentions et de tendresse.
Il l'enlaça de ses bras, avec une grande douceur, il sentait sa timidité, sa réserve.

- Si ça ne t'ennuie pas d'égayer de ta présence un vieil homme comme moi ...
- Vous n'êtes pas un vieil homme dit-elle avec beaucoup de sincérité.

L'Empereur eut un sourire inattendu.

- Je ne suis plus aussi jeune que je l'ai été...Mais c'est vrai qu'avec toi je me sens revivre.

Il la serra contre lui. Elle sentait bon. Une touche de rose trémière, légère, évanescente, rien à voir avec les parfums capiteux qui parfois lui donnait mal à la tête. Il sentait son corps contre le sien, tiède et menu, comme s'il tenait un poussin dans ses paumes.

- Je suis bien auprès de vous, je ne voudrais être nulle part ailleurs, murmura-t-elle.

L'Empereur resta silencieux. Lui non plus, n'aurait échangé sa place pour rien au monde.
Ils restèrent blottis ainsi l'un contre l'autre un long moment. Puis il caressa sa joue, inclina sa tête vers la sienne et l'embrassa tendrement.

- Tu es ce que j'ai de plus cher au monde, Fuji-chan, murmura-t-il.

Elle se laissa fondre sous ses lèvres, sous sa douceur, ferma les yeux et savoura cet instant. Pour ces quelques instants avec lui, elle était capable de tout supporter.

- Ne change pas, surtout ne change pas...

Elle se sentait aimée, unique, précieuse dans ses bras et elle avait l'impression que lui aussi était heureux. Tout le monde disait qu'elle avait rendu le sourire à l'Empereur et elle espérait que ce fut vrai.

- Je serais toujours comme cela Votre Majesté, vous n'avez pas à vous inquiéter, murmura-t-elle contre ses lèvres.

Il l'embrassa à nouveau. Il aimait ce temps qu'ils passaient ensemble, les étreintes qu'ils partageaient, tendres et douces, sans urgence, sans enjeu.
Parfois ils faisaient l'amour, parfois non, mais cela n'avait guère d'importance. La grâce de sa présence était un cadeau du ciel et cela suffisait.
Parfois il avait honte de son corps, de ce corps d'homme mûr à côté du sien dans toute la splendeur de sa jeunesse.
Mais elle ne paraissait pas s'en offusquer, et la sincérité de ses réactions, de ses émotions, de ses sentiments était manifeste. Elle l'aimait tel qu'il était, et pour lui-même, pas pour la charge qu'il occupait. Il n'en était pas encore revenu.
Elle l’aimait sans vouloir prendre autre chose que ce qu'il lui offrait. Elle était auprès de lui, c'est tout ce qu'il souhaitait.
Parfois ils discutaient toute la nuit ou il s'endormait sur ses genoux.

Chaque soir, il s'émerveillait de ce miracle fragile. Elle n'était pas celle qu'il avait passionnément aimée, vingt ans plus tôt, bien qu'elle en soit la vivante image. Mais la joie de sa compagnie, cette illusion bienheureuse, suffisait à le rendre pleinement heureux. Il était humblement reconnaissant de ce bonheur inespéré, et en remerciait chaque soir les Fortunes.

Elle posa la tête sur son épaule après ce second baiser passionné et sa main fine glissa dans la soie précieuse de sa manche pour enlacer ses doigts. Elle resta ainsi contre lui dans le grand pavillon doré, le pavillon le plus convoité de tout un Empire, mais pour elle ce n'était rien qu'autre qu'un décor autour d'eux.
L'or se changea lentement en bronze, puis en obsidienne. La nuit était tombée, les murmures tendres s'étaient tus ; elle reposait à présent, abandonnée, dans le lit immense. Son souffle tiède était à peine perceptible. L'Empereur se redressa sur un coude, et la regarda dormir avec une immense tendresse, tout cet amour qui lui gonflait le coeur et qu'il ne pouvait exprimer autant qu’il l’eut voulu.
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)

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