Qui veut gagner des millions ?
Les réformes qu'entend mettre en oeuvre le gouvernement Fillon privilégient les gros revenus et pourraient coûter près de 4 milliards à l'Etat.
Par Muriel GREMILLET
QUOTIDIEN : vendredi 25 mai 2007
Jaurès et la valorisation des fruits du travail dans les discours. L'impôt sur la fortune, le bouclier fiscal, la baisse des droits de succession et la prime à la rente quand il s'agit de prendre des mesures concrètes. Au final, une politique fiscale menée par le gouvernement Fillon, qui, selon Michel Sapin, député et spécialiste de la fiscalité au PS, «va profiter aux grosses fortunes tout en faisant croire aux petits contribuables qu'ils vont en bénéficier». Le doute n'est guère permis. Le cumul des mesures annoncées pendant la campagne par Nicolas Sarkozy et que s'apprête à présenter devant le Parlement en juillet son ministre du Budget, Eric Woerth, cible les gros revenus.
Superprivilégiés. Ainsi le bouclier fiscal. Dès l'été, le gouvernement va le faire passer de 60 % à 50 %. En clair, selon un slogan simple, un contribuable ne pourra pas donner plus de la moitié de ses revenus tirés du travail à l'Etat par l'impôt. Populaire. Mais le Snui (Syndicat national unifié des impôts) relativise la portée de la mesure. «Le bouclier, c'est juste un moyen d'augmenter sans effort et sans mérite la fortune de ceux qui sont déjà les plus riches, tranche Vincent Drezet, le secrétaire national du Snui. Il profite à 93 000 foyers, dont 16 000 contribuables assujettis à l'ISF. Alors que 18 millions de foyers fiscaux paient l'impôt sur le revenu...» Ces contribuables superprivilégiés ont déjà reçu en trop-perçu de l'administration fiscale près de 350 millions d'euros en remboursement.
A cette mesure il faut ajouter la réforme de l'impôt sur la fortune, qui touche les contribuables qui déclarent plus de 760 000 euros de patrimoine net, soit 500 000 foyers en France. Si, dès l'été, le gouvernement met en place une nouvelle déduction contre un investissement dans les PME, ce sont de nouveaux milliards qui s'envolent pour le budget de l'Etat. Mais les cadeaux fiscaux ne s'arrêtent pas là, puisqu'une réforme des droits de succession est prévue. Sarkozy souhaite que 95 % des successions soient exonérées d'impôts. Mesure archipopulaire. Y compris chez les contribuables qui ne sont pas assujettis à ces prélèvements. Aujourd'hui, selon les chiffres du ministère des Finances, seules 25 % des successions à la suite d'un décès sont imposées. Alors quel est intérêt, au-delà de la popularité ? Là aussi, un cadeau aux plus riches.
Tirer un trait. Ces mesures risquent de coûter près de 4 milliards d'euros à l'Etat. «Le bouclier à 50 %, plus la modification de l'ISF et les successions, auquel il faut ajouter la défiscalisation des heures supplémentaires et la déduction des intérêts d'emprunt, vont coûter pas loin de 13 milliards d'euros», selon Drezet. Ce qui revient à tirer un trait sur le produit annuel de la taxe d'habitation... Que la gauche et les syndicats s'offusquent n'est pas surprenant. Ce qui l'est plus, c'est que même à droite on traîne des pieds. Les orthodoxes budgétaires sortent les calculettes et arrivent peu ou prou aux mêmes chiffres que la gauche. «C'est une révolution fiscale qui peut coûter très cher, note un député UMP. Surtout si tout ça n'a pas les effets espérés sur la croissance.» Derrière, difficile de tenir les engagements européens, de désendetter l'Etat, de baisser le taux de prélèvements obligatoires. Bref, de mettre en oeuvre l'autre volet économique du programme de Sarkozy. Mais manifestement, le nouveau gouvernement espère mettre en avant le retour des exilés de l'ISF. Toujours plus médiatique qu'un impôt plus juste ou une comptabilité publique plus équilibrée.
Et pour faire un peu contrebalance ( ) j'ai trouvé un article intéressant :«Le bénéfice pour l'économie sera marginal»
Pierre-Cyrille Hautcoeur, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales.
Par Grégoire BISEAU
QUOTIDIEN : vendredi 25 mai 2007
Pierre-Cyrille Hautcoeur, directeur d'études à l'EHESS, détaille les possibles effets économiques des mesures fiscales du gouvernement.
Les mesures fiscales présentées par le gouvernement Fillon auront-elles des effets positifs sur l'économie ?
Avoir des riches plus riches n'a pas beaucoup d'intérêt sur le plan macroéconomique. Leur propension à consommer est bien moindre que celles des classes défavorisées : un riche réinjectera moins d'argent dans l'économie que plusieurs personnes défavorisées à qui on aura reversé la même somme. En matière d'investissements, il ne faut pas non plus en attendre des miracles. Dans une économie ouverte comme celle de la France, l'investissement se finance aussi bien par des capitaux étrangers que français. Enfin, abaisser le bouclier fiscal à 50 % risque de privilégier d'abord ceux qui possèdent un gros patrimoine, comme les riches retraités. Et peu les jeunes entrepreneurs. C'est vrai aussi pour la réduction des droits de succession, dont les bénéficiaires et les héritiers ont en moyenne 52 ans.
Mais faire revenir des riches expatriés en France peut avoir un intérêt économique ?
Peu. Cela peut éventuellement avoir un intérêt pour le fisc français, en espérant que les nouvelles rentrées fiscales compensent la baisse générale. Mais c'est très improbable. Il est très difficile de dire combien de riches seront assez sensibles à ces baisses d'impôt pour revenir. Quoi qu'il en soit, le bénéfice pour l'économie sera assez marginal. Sauf à ce que les expatriés soient irremplaçables pour le développement de nouvelles entreprises.
Ne faut-il pas favoriser, par des mesures fiscales, la transmission d'entreprises familiales pour éviter qu'elles soient, par exemple, rachetées par des fonds d'investissement ?
D'abord, il faudrait être certain que les effets de ces fonds sur la gestion des entreprises sont si néfastes que ça. Aujourd'hui, on n'est pas encore au clair sur cette question : plusieurs études ont produit des conclusions très différentes. Ensuite, je ne suis pas sûr qu'il faille, fiscalement, encourager le capitalisme familial. Il n'y a en effet aucune raison pour que le fils d'un entrepreneur génial se révèle nécessairement un bon gestionnaire. L'histoire économique regorge d'exemples d'entreprises familiales qui se sont cassé la figure quand la transmission se restreint à la famille. Il faudrait au contraire réussir à dissocier l'entreprise de la famille en réfléchissant à des formules juridiques d'adoption de cadres dirigeants compétents.
Et favoriser l'accès à la propriété en rendant les intérêts d'emprunt déductibles de ses revenus...
Là, on peut être réservé sur le timing. Cette mesure risque de doper la demande, mais, comme l'offre d'appartements est limitée, cela va donc encourager la hausse des prix et une spéculation. Quant à la justification de fond, ce n'est pas en encourageant l'investissement dans la pierre que l'on va doper l'innovation et le développement économique.
Au final, selon vous, ces mesures ont peu de chances de stimuler la croissance française ?
On ne voit pas très bien en quoi tout cela va permettre de faire émerger de nouveaux entrepreneurs qui ont le goût du risque. A la rigueur, la seule mesure qui ne m'apparaît pas déraisonnable est celle qui encourage des contribuables qui paient l'ISF à investir dans les PME.
En même temps je me dis que finalement c'est peut être ce dernier article qui est le plus "à charge"L'élection de Nicolas Sarkozy dope certaines actions en Bourse
LE MONDE | 25.05.07 | 08h59
L'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République entretient la spéculation boursière. Le nouveau chef de l'Etat n'a pas caché ses intentions d'agir dans certains domaines et la Bourse anticipe de la création de valeur.
"Le marché travaille sur des scénarios susceptibles de modifier certains domaines de l'économie en fonction des priorités annoncées par le gouvernement", explique AlainBokobza, stratège à la Société générale.
La refonte du secteur énergétique notamment est au cœur des spéculations. Quelques jours à peine après l'investiture de M. Sarkozy, un trio de valeurs – Bouygues, Alstom et Areva – a flambé. Depuis le 6 mai, les actions de ces sociétés ont progressé respectivement de 8,5 %, 2,8 % et 0,8 %.
Misant sur les liens d'amitié qui unissent Martin Bouygues, le PDG du groupe éponyme, au nouveau président, les investisseurs s'attendent à une ouverture du capital d'Areva, à laquelle pourrait participer Alstom, dont Bouygues détient 25 %.
Par ailleurs, le choix du gouvernement de faire des questions d'environnement une priorité profite au secteur des énergies renouvelables déjà très à la mode, sur lequel EDF Energies Nouvelles ou Theolia sont actifs.
LE "PANIER SARKOZY" PLUS FORT QUE LE CAC 40
"L'effet Sarkozy" s'exerce aussi sur les valeurs de promotion immobilière, dont certaines, comme Icade, s'envolent. Elles profitent de la volonté du nouveau chef de l'Etat de faire de la France un "pays de propriétaires".
L'impact de la victoire du candidat UMP sur le marché peut aussi se mesurer via la performance du "certificat droite" émis par la Société générale pendant la campagne. En réunissant les valeurs potentiellement impactées par le programme de l'UMP, la banque constate une performance du "panier Sarkozy" de 10 % supérieure à celle du CAC40.
La Bourse ne semble en tout cas pas douter de la victoire de la droite aux élections législatives qui confirmerait la marge du gouvernement pour faire passer ses réformes. Toutefois, "le fait que M. Sarkozy milite pour un certain protectionnisme inquiète aussi", remarque René Desfossez stratège chez Natixis.
Claire Gatinois