[Nouvelles] C'est comme si ils étaient de la famille

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Kitsune Udon
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[Nouvelles] C'est comme si ils étaient de la famille

Message par Kitsune Udon » 12 nov. 2018, 16:52

La main dans les vagues
Chaque fois que Yoritomo Shinanai se réveillait, un écho de vagues sombres continuait de résonner dans sa tête. Cette berceuse macabre, à la fois douce et terrifiante, semblait lui signifier que sa place était au fond de l'océan, mais Shinanai avait depuis longtemps décidé de ne pas mourir.
Après sa toilette, elle déjeunait en compagnie de Tesaki, qui lui faisait la revue de son emploi du temps de la journée. Quand il en avait, il lui donnait également les dernières nouvelles, commençant par celles de l'Empire pour finalement se focaliser sur celles de son petit monde de joueurs, de prostitués et de criminels.

Tesaki était le propriétaire officiel du commerce dont elle assurait la protection. Comme ses prédécesseurs, il n'était en réalité qu'un homme de paille, un simple assistant pour Shinanai, qui pouvait ainsi gérer, sans perdre la face, les activités aussi peu légales qu'honorables de la maison de thé « La main dans les vagues », sans doute la maison close la plus populaire des côtes de Rokugan. Habituellement, ce genre de commerce était géré par des familles dont la taille était inversement proportionnelle à la réputation. Hélas pour Shinanai, de famille, il ne lui restait que deux enfants et un beau-frère, et de réputation, celle d'une femme qu'il ne fallait pas avoir pour ennemie.

Lorsqu'elle s'était échouée dans cette ville il y a de cela une vingtaine d'année, elle avait tout de suite compris que ce serait par la peur qu'elle laverait la honte liée à son nom. Mais avec les années, elle se demandait si elle n'était pas seulement parvenue à engloutir cette honte sous la peur. Qu'importe, rien ne résistait bien longtemps au poids des flots, et à sa mort, sa fille Sachi hériterait de ce que toute sa fortune et son influence n'avait jamais pu lui offrir : une seconde chance, un nouveau départ dans ce monde.

C'était sans doute là la clé de la réussite de Shinanai. Le secret qui l'avait fait passer de pauvre femme de bushi rebelle aux perspectives d'avenir plus douteuses encore que ses origines à personnalité intouchable de la côte : elle n'avait jamais cherché le pouvoir ni la richesse que dans le seul but de survivre. Elle, et son fils Norainu.

Mais si elle se remémorait régulièrement le long cycle de menaces et de violences grâce auquel elle avait tenu en respect et en échec une société qui ne voulait alors que son suicide, Shinanai s'interdisait de penser à l'époque qui avait précédé son exil. Le jour où elle avait enlevé son propre fils pour abandonner son mari et sa fille à la folie et à la mort, là-bas, loin sur leur île natale.

Quand elle était arrivée sur le continent, elle avait espéré compter sur la solidarité et la pitié mais n'avait rencontré que de la malveillance et de la perversité. Elle apprit alors que l'honneur ne dépendait pas tant de la personne, mais de qui elle avait en face d'elle et que le plus digne des samurais devant l'Empereur était capable d'horreurs pourvu qu'il ait en face de lui une jeune veuve en disgrâce, à la réputation souillée par la bêtise de son mari.

Personne n'avait su ce qui était arrivé au premier homme qui avait tenté de l'avilir. Malgré sa position, il avait brusquement disparu du jour au lendemain. Quand ses pairs finirent par faire le rapprochement avec cette « refoulée du large », il était déjà trop tard. Shinanai avait apprit à se servir des rumeurs des marins comme d'une arme et s'était assurée que ses ennemis prenne bien conscience du prix qu'ils paieraient pour se mettre en travers de son chemin. Elle leur offrirait une mort si violente, si absurde et si sale que leurs proches préféreraient étouffer l'affaire eux-mêmes. Sa faiblesse faisait désormais sa force. Elle avait moins d'honneur et de réputation à perdre que n'importe qui dans cette ville, et elle faisait confiance à l'esprit pragmatique (d'aucuns diraient même commercial) du clan à l'époque. Si l'honneur était un luxe que peu pouvaient s'offrir, il serait également un luxe que peu pourraient sacrifier.

Mais si c'était par la peur du bâton qu'elle avait survécu les premières années, Shinanai savait que la seule assurance-vie durable dans ce monde serait l'appât du gain. Une fois son autorité reconnue sur son quartier, elle avait su court-circuiter la hiérarchie. Le clan savait apprécier la valeur d'une courtisane dont l'ambition n'était mue par aucun ego. Très vite, elle avait appris à récolter les confidences et les secrets que certains clients déposaient sur l'oreiller de ses filles et à les envoyer au clan. Ces informations étaient autant de moyens de pression et de monnaie d'échange pour la politique diplomatique de la famille Yoritomo. Ainsi protégée, le temps avait eu raison de ses ennemis bien plus efficacement que la lame de son fidèle beau-frère Zenigata.

Celui-ci l'avait rejoint au lendemain du rétablissement de l'ordre sur leur île et de l’exécution de son mari. Son état lamentable alors n'était rien comparé à ses yeux, qui étaient méconnaissables. Après lui avoir confié le secret de sa trahison qui lui avait valu d'être épargné, il lui avoua qu'il avait été incapable de tirer Sachi des griffes de son frère et Shinanai su ce jour là qu'elle avait perdu son enfant.

Zenigata ne l'avait jamais quitté depuis. On dit qu'un homme qui a trahit trahira à nouveau. Ce genre de dicton était une malédiction pour la conscience de Zenigata mais Shinanai était bien placée pour juger entre la valeur d'un dicton et celle d'un homme qui avait vendu son propre frère pour sauver la réputation de son nom. A partir du moment où il se mit à son service, elle sut qu'elle aurait une confiance totale en lui et qu'il ne reculerait devant rien pour assurer la survie de ce qu'il restait de sa famille.

Mais ni lui, et encore moins elle-même n'auraient pu remplacer le père du petit Norainu. Il n'avait sans doute jamais accepté la mort pathétique de celui-ci et avait préféré la rejeter, et avec elle, le reste de la réalité. Feignant d'ignorer le prix de sa petite vie oisive de jeune coq inconséquent, plus prompt à engrosser les servantes qu'à apprendre la comptabilité indispensable à la gestion de la maison de jeux, insolent avec ses aînés, méprisant les préceptes du bushido, il passait son temps dans les bars (concurrents) et au théâtre à chaque fois qu'une nouvelle pièce stupide de « Tigre Brûlant », son héros d'enfance, se produisait. Au fil des années, il se mit à ressembler de plus en plus à un homme que Shinanai avait décidé d'oublier. Si bien qu'elle avait fini par désespérer de faire quoique ce soit de son imbécile de fils.

Mais le destin est comme la mer. Tantôt cruel, tantôt surprenant, il peut être amené à prendre bien des formes quand il frappe à la porte. Et il lui fallait au moins prendre celle d'un diplomate du clan du Lion pour lui porter une telle nouvelle. Sachi, la fille que Shinanai croyait disparue avec son père était bien vivante. Elle avait survécu à la répression de la révolte de l'île et un officier compatissant l'avait placé sous sa protection dans ses terres pendant toutes ces années. Estimant que la colère vengeresse des autorités s'était désormais dissipée, il avait décidé de lui rendre sa fille, sous bonne escorte, dans les plus brefs délais.

Zenigata enquêta longuement (et dû parlementer plus longuement encore) pour la convaincre de ne pas lancer de représailles contre cet ambassadeur avant d'avoir eu la certitude que toute cette histoire était bien une odieuse machination destinée à toucher la seule corde encore capable de l'émouvoir.

Pourtant, le jour où elle revit officiellement sa fille, entourée d'une petite délégation du clan du Lion, elle sut rester digne. Pourquoi se serait-elle précipitée pour l'embrasser ? Pourquoi serait-elle tombée en larmes ? Après tout, il ne s'agissait que de simples retrouvailles familiales sans le moindre passif.

Le soir, elle se rendit dans une petite grotte à moitié submergée connue d'elle seule. Elle avait pris l'habitude de s'y rendre quand sa volonté vacillait afin d'y nourrir l'épave humaine qu'elle retenait prisonnier depuis maintenant 20 ans. Comme à son habitude la chose la supplia de lui parler. Et pour la première fois elle lui parla. Elle lui dit qu'elle s'était lassée de son supplice et qu'elle n'aurait dorénavant plus besoin de lui. En fait, elle avait trouvé une nouvelle raison de vivre.
Elle étrangla son premier ennemi et jeta son cadavre à la mer. Elle ne s'était jamais sentie aussi légère.

Après une rapide toilette, elle se posta dans la chambre de sa fille, s'agenouilla et la contempla jusqu'à son réveil. Et lorsqu'elle ouvrit les yeux, Sachi fit renaître sa mère.

Personne ne se rendit compte de la disparition de son fils ce même soir. L'hypothèse d'une énième fugue fut émise histoire de passer à autre chose et ce ne fut que lorsque Sachi commença à se poser des question sur son frère que Shinanai demanda à Zenigata de lancer une enquête. Norainu ne revint jamais à la maison et tout le talent de son oncle ne parvint pas à le retrouver. Il faut dire que l'influence de la famille se limitait à la côte et que Norainu avait dû partir dans les terres. Ce fut à cette époque que Zenigata prit sous son aile une jeune prostituée du nom de Meiko qu'il commença à former en vue de devenir espionne et yojimbo pour le compte de la famille. Mais en cette époque de joie, Shinanai aurait juré que son beau-frère vieillissant voulait, lui aussi, une fille à élever.

Sachi ne mentionna jamais ni l'île ni le passé ni l'incident, pour le plus grand plaisir de Shinanai. En revanche, elle raconta comment elle avait été destinée à épouser son « protecteur » et en quoi ses longues années passées au sein du clan du Lion avaient été celles d'une otage, repoussant chaque fois les avances de son protecteur. Shinanai fut secrètement admirative de la ténacité de sa fille autant que de la dignité de son protecteur. En lui restituant sa fille, celui-ci avait assumé d'avoir gâché 20 ans de sa vie à courtiser en vain une femme dont le statut lui aurait pourtant autorisé les pires faveurs. Sachi était par conséquent bien trop vieille pour un mariage intéressant mais elle saurait régler ce soucis plus tard. Le monde ne manquait pas de doux imbéciles inoffensifs tout juste capables de féconder une femme. Et ce fut justement à ce moment précis que Tesaki la tira de sa rêverie :

« Dame Shinanai ? Vous... vous avez écouté ce que j'ai dit ?
_Pas du tout mon cher Tesaki. Et ça n'a pas la moindre importance. Dites-moi... Que pensez-vous de ma fille ? »

Le petit comptable bava son thé de surprise avant de tenter de se ressaisir en essuyant frénétiquement ses habits.

« Oh euh.. Dame Sachi ? Ce que j'en pense ? Oh mais j'en pense rien du tout moi madame ! »

Shinanai se mit à sourire et resservit son assistant.

« Allons allons, nous savons pertinemment que mon seul problème désormais est la transmission de l'entreprise familiale. Ce serait un grave manquement à notre devoir que de priver le clan de cette précieuse ressource diplomatique n'est-ce pas ? »

Tesaki but sa tasse cul-sec en rougissant.

« Vous même, je suis sûr que vous vous en voudriez de laisser cette entreprise péricliter. Après tout, vous avez aussi participé à son édification...
_Oh madame !
_C'est la vérité. Et une autre vérité tout aussi incontestable est que je ne suis pas éternelle. Lorsque j'imagine l’œuvre de ma vie entre les mains de ma fille, je me sens emplie d'une immense fierté. Mais lorsque j'imagine vos mains autour des siennes, c'est un sentiment de sécurité qui vient sertir cette fierté. »

Tesaki manqua de recracher à nouveau son thé.

« Madame... vous n'imaginez tout même pas... Un simple heimin avec... »

Shinanai éclate d'un rire aigu.

« Mon bon Tesaki, vous êtes sans doute la seule personne capable de m'amuser autant. Vous ne pensiez tout de même pas à un mariage ? Je vous ai dit que je voulais assurer la transmission de l'entreprise, je veux donc simplement que ma fille ait un héritier. Nous trouverons bien un mort quelque part pour lui transmettre son nom. Ce ne sont pas les morts qui manquent. Je comptais sur vous pour lui transmettre le reste... »

Tesaki était à présent en sueur.

« Le reste. Le... le reste ?
_Je comprends... Je sais que ma fille est à présent d'un certain âge. Pourtant, choisissez le médecin que vous voudrez et il vous garantira...
_Madame ! Il ne s'agit pas de ça enfin ! Votre fille est... Tout à fait... Indigne d'un homme comme moi ! »

Shinanai lui fit signe de cesser tant de manière d'un geste nonchalant de la main.

« Sottises. Depuis le temps que je travaille dans le milieu, pour ce qu'est la chose, n'importe qui fait très bien l'affaire. »

Tesaki se resservit une tasse de thé les yeux hagards, la bue pour se donner une contenance, s'en resservit une autre au mépris de toutes les convenances pour peu qu'il en restait encore à cette table, et osa finalement toiser le regard de sa maîtresse qui lui souriait toujours.

« Oh madame Shinanai. Je dois vous avouer que je ne m'attendais pas à une telle preuve de confiance de votre part. Il y a eu tant de prédécesseurs à mon poste que je croyais l'heure de ma retraite arrivée. Vous n'imaginez pas ce que ce travail signifie pour moi.
_Et pour votre famille !
_Et pour ma famille tout à fait ! Sans vous, nous serions encore à courber l'échine pour notre seigneur. Dire que ce rêve n'aura pas de réveil...
_Vous ne croyez pas si bien dire. D'ailleurs, il va sans dire que maintenant que votre poste parmi nous est assuré sur le long terme, vous allez devoir songer à faire venir votre famille près de vous afin de dissiper toute rumeur.
_Bien entendu ! J'imagine la tête de ma femme et de mes enfants quand je leur annoncerais la nouvelle !
_Vous n'aurez pas à vous donner cette peine, nous sommes allés prévenir votre famille nous-même.»

Le visage de Tesaki changea en une fraction de seconde.

« Ah oui ? Et quelle a été leur réaction ?
_Aucune puisqu'ils n'existent pas. »

Tesaki se mit à pâlir.

« Vous voulez dire qu'ils ont démén...
_Je veux dire que Zenigata enquête sur vous depuis que vous êtes entré à mon service Tesaki. Et qu'il est vrai que le clan du Scorpion sait cacher un secret. Seulement voilà, la petite Meiko est plein de ressources. »

Après un silence, le masque de Tesaki tomba finalement dans un long soupir. Puis, il releva la tête et sourit en regardant Shinanai.

« Mon clan aurait pu la mener loin celle-là...
_Je sais, Meiko aurait été une très bonne Bayushi, Sachi une très bonne Ikoma et Zenigata un très bon Kitsuki si seulement les clans étaient capables de voir plus loin que le bout de leur lignage. Mais vous savez de quoi je parle n'est-ce pas mon petit Daremo ? Puisque c'est là votre seul nom.»

Daremo éclata de rire.

« Bravo. Toutou Zenigata à bien fait son travail. Est-ce que vous vous déciderez un jour à vous le faire celui-là ? Moi ça me fait de la peine pour lui. Et puis je suis sûr que vous avez de beaux restes du bon vieux temps... »

Shinanai fut dégoûtée par les paroles de l'imposteur, mais pas réellement surprise.

« Vous pensiez qu'en m'insultant je vous tuerais plus vite ?
_Non, je tiens à vous faire comprendre deux choses : Premièrement, ça m'arrange bien d'être démasqué. Le rôle du charmant petit Tesaki, toutes ces années, je commençais à n'en plus pouvoir. Alors maintenant que nous pouvons jouer cartes sur tables, vous vous trouverez un autre assistant pour faire mon boulot et vous me remettrez une copie régulière des rapports que vous envoyez à vos supérieurs. Vous faites de l'excellent travail, pas la peine que je me fatigue. Deuxièmement, vous ne me ferez rien, si ce n'est un autre thé. Car n'imaginez pas un seul instant que vous pourrez vous débarrasser de moi sans que mon clan ne vous le fasse payer plus cher que même vous ne pouvez l'imaginer. Aucun statut, aucune fortune, aucun Zenigata ne vous protégera contre les miens. »

Shinanai se leva et commença à s'approcher doucement de Daremo. Il savait qu'elle n'était pas armée et aucun ustensile de cuisine ne saurait constituer une arme suffisamment létale contre lui.

« Les « vôtres »... Comme vous y allez Daremo... Votre tirade était inspirée mais elle ne m'a rien apprit. Voyez vous, mon clan et celui qui vous emploie sont en affaire. Mes supérieurs lui vendent parfois certaines des informations recueillies ici. Vous pensez bien que dans le domaine de la contrebande, la Mante et le Scorpion sont deux partenaires. Et non deux ennemis. »

Daremo commença à sentir un malaise.

« Et pourquoi m'ont-ils envoyé dans ce cas ? »

Shinanai posa sa main sur son épaule. Daremo voulu l'envoyer à terre mais resta paralysé. Le thé. L'idiot.

« Parce que c'est dans la nature de votre clan que de vouloir plus qu'on ne lui offre. Alors ils vous ont envoyé tester le terrain, voir si j'étais dupe. Je ne juge pas. D'ailleurs, nous avons un point commun avec vos supérieurs. Nous comprenons le concept d'un mauvais investissement. Et vous, vous étiez un petit, minuscule investissement destiné à me tester. Si maigre et pourtant si mauvais. J'en ai discuté avec les autorités de mon clan, et ils n'apprécient pas que l'on tente d'outrepasser les termes du contrat de la sorte. Aussi, en plus de l'augmentation des tarifs de mes informations, je vais faire de vous mon message... »

Avait-elle dit message ou messager ? Daremo sombrait à présent dans un sommeil profond. Il connaissait cette drogue, elle était normalement utilisée par les médecins pour pratiquer...

Shinanai fit un brin de toilette et de rangement puis attendit tranquillement le retour de Zenigata. Elle aimait parfois ranger elle-même les choses. Cela lui rappelait l'époque où sa maison de jeux n'étaient qu'une auberge et où ils descendaient eux-même régler leurs comptes dans les bas-quartiers. Si les corsaires ne sont que des pirates sous contrat, qu'étaient-ils pour le clan ? Des yakuzas sous contrat ? Lorsque Zenigata entra enfin dans la pièce, il fit la grimace quand il vit le visage de Daremo, désormais dépourvu d'oreilles et ligoté, inconscient.

« Qu'est-ce que tu en pense ? Moi je lis : « La prochaine fois, envoyez-moi autre chose qu'un paysan et estimez-vous heureux que je vous le rende opérationnel, le prochain perdra les yeux et la langue et on verra ce que vous arriverez à espionner avec ça », mais je me dit que je devrais peut être l'écrire sur une lettre ?
_Tu devrais surtout de contenter de « N'essayez pas de doubler le clan de la Mante ».
_Je sais, mais quand il m'a insulté, c'est devenu tout de suite plus personnel... Bon, tu le remets aux autorités et tu vas me chercher Sachi, avec tout ça je dois me trouver un nouvel homme de paille et je n'ai même pas pris mon thé. »

Zenigata s’exécuta et laissa Shinanai seule dans la pièce. Elle n'avait pas plus de remords que de pitié pour le pauvre espion. Il fallait envoyer un avertissement fort au Clan du Scorpion car la moindre faiblesse serait vue comme une faille à exploiter. Ils savaient désormais qu'ils avaient plus à perdre qu'à gagner à prétendre se fournir à la source. Elle avait fait ce que le clan attendait d'elle, tout allait bien. Alors pourquoi entendait-elle encore résonner les vagues à ses oreilles ?

Est-ce que Sachi serait capable de gérer ce genre de situation ? Zenigata la protégerait mais il ne pourrait pas empêcher la violence de l'atteindre. Serait-elle capable de se défendre ? De payer le prix pour cela ? Étais-ce cela qu'elle voulait pour sa fille ? Du sang sur ses mains pures ? C'est alors que Sachi, de l'autre côté de la pièce, la fit sursauter.

« Vous m'avez demandé mère ? Mère ? A quoi pensiez-vous ? »

Sachi s'interrompit lorsqu'elle vit pour la première fois l'inquiétude dans les yeux de sa mère. Gênée, elle détourna son regard et le posa plutôt sur ses mains. Shinanai fit de même. La mère et la fille constatèrent qu'elles avaient les mêmes mains.

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Re: [Nouvelles] C'est comme si ils étaient de la famille

Message par Kitsune Udon » 20 nov. 2018, 19:23

Ceux qui partent.


Le père de Sachi était agenouillé, les mains liées, face à un billot, parmi d'autres insurgés. Derrière eux s'étendait une armée flamboyante tournant le dos au soleil couchant. Cachée dans la jungle, la jeune Sachi aperçut son oncle Zenigata émerger des rangs ennemis, dépouillé de ses attributs de bushi. Il se mit à crier à l'attention des derniers résistants retranchés avec elle. Il leur suppliait de se rendre pour mourir dans l'honneur. Leurs enfants seraient donnés à des familles dignes et auraient la vie sauve. Sinon, l'armée ferait en sorte de rayer leurs noms des registres, d'exterminer leurs lignées et de leur offrir une mort d'animaux afin que jamais leurs esprits ne connaissent le repos et hantent pour toujours leur île maudite.
Autour d'elle, les enfants en avaient déjà trop vu pour pleurer face à de telles malédictions. Mais leurs mères, elles, tremblaient et la plupart de leurs pères, si ils n'étaient pas morts, étaient parmi ceux alignés de l'autre côté de la plage.
Un officier prit alors la parole, bousculant son oncle. D'une voix rugissante, il annonça qu'à chaque seconde, une tête tomberait. Il abaissa sa main et une femme poussa un cri dans la jungle. Son mari avait été la 1ère tête, et le père de Sachi était la 12ème. La jeune fille sauta de son arbre et se précipita vers l'armée en courant. Elle n'avait pas d'arme. Là où elle allait, elle n'en avait pas besoin.
2. « Imbéciles... » grogna l'officier.
3. Une poignée d'hommes et de femmes décidèrent de suivre l'exemple de la jeune fille et de retenir l'armée tandis que les autres fuiraient avec leurs enfants.
4. Sachi courait toujours en silence, le regard fixé sur son père.
5. Les soldats, eux, se regardaient sans savoir quoi faire face à tant de déshonneur et de folie.
6. Un autre officier ordonna aux archers de tirer avant que les insurgés ne parviennent au corps à corps. Hors de question de s'abaisser à achever une bande de traîtres et de souiller leurs katanas.
7. Sachi reçu une flèche qui stoppa sa charge et la fit s'écrouler au sol dans un nuage de sable. Elle fut la seule à se relever.
8. Autour d'elle, plusieurs éclaireurs équipés de cordes s'avançaient prudemment.
9. Elle sauta sur le premier et lui creva les yeux. Un violent coup de tête en avant de sa part la fit saigner mais le premier soldat était neutralisé.
10. Elle recrachait déjà la joue sanglante du second.
11. La corde l'étranglait maintenant et le troisième hurlait tandis qu'elle lui fouillait les entrailles comme pour lui arracher son âme du corps.
12. Le bourreau, horrifié par la scène, retint son geste. Sachi eu le temps de voir le plus triste des sourires sur le visage de son père. Puis, il baissa la nuque, le bourreau se ressaisit et un jeune officier ennemi hurla tandis qu'elle perdait connaissance.

Elle se réveilla en sursaut, son lit était maculé de sang et sa bouche remplie de chair humaine. Elle couru vomir dans un coin de la pièce, priant pour qu'elle n'ait pas réveillé les serviteurs. Puis, ayant repris son souffle, elle se rappela qu'elle n'était plus dans les terres du Lion, et que sa mère n'avait presque aucun serviteur. Elle n'avait vomi que son repas du soir et son lit n'était maculé que de sueur. La nuit était douce et résonnait du bruit des ivrognes et des chants des marins.

Évidemment. Il était normal que des souvenirs reviennent à la surface maintenant qu'elle avait retrouvé sa famille exilée sur la côte. Habituée à ses crises mais pas encore à sa nouvelle maison, Sachi sortit de sa chambre à la recherche d'un peu d'eau pour nettoyer. Ce n'était pas là le rôle d'une dame de son rang, mais sa honte était moindre que lorsqu'une domestique s'en acquittait et n'osait plus la regarder en face après cela.

Au bout du couloir, la chambre de sa mère était allumée. Un instant elle cru l'entendre rire, son père à ses côtés. Mais ce n'était encore qu'un souvenir, et cette mère là était bien différente de celle qui aurait dû l'élever. Et puis, elle n'avait plus l'âge d'entrer dans la chambre de ses parents en pleine nuit pour qu'ils la consolent d'un cauchemar, elle était même plus âgée désormais que le souvenir qu'elle avait de sa mère quand elle était enfant. Sachi passa donc silencieusement devant la porte de la vieille femme, trop absorbée par son boulier pour la remarquer.

En revanche, au détour du couloir, Sachi sentit soudainement une présence dans l'ombre formée par l'angle. Son corps se crispa tandis qu'elle s'apprêtait à se battre contre n'importe quel monstre qui en jaillirait, mais ce n'était que Meiko, la garde du corps, qui la regardait avec étonnement.

« Dame Sachi ? Comment vous avez fait pour me voir ? »

Sachi soupira de soulagement et lui répondit, sans la regarder et avec un faible sourire :

« Ça doit être la vie dans la jungle, je suppose... ». Meiko la regardait avec des yeux plus étonnés encore.

« Ben... Vous avez pas grandi chez les Lions ?
_C'était une autre jungle. » répondit-elle avec mélancolie. Meiko se tût, gênée.

Sachi ne voulait pas lui demander de l'eau, brave comme elle était, elle aurait été capable de quitter son poste et de se faire réprimander par oncle Zenigata à cause d'elle. Aussi elle la rassura, la salua et continua sa recherche hors du couloir. Bien sûr, elle finit par se perdre et se retrouver sur un balcon. Elle surplombait la rue animée du quartier des plaisirs de la ville et préféra finalement abandonner sa quête pour contempler l'activité des hommes.

Elle aimait déjà cette ville. Aussi mal-famé puisse être son quartier, les hommes de main de sa mère y maintenaient un ordre strict et une étroite surveillance si bien que le seul danger dans les environs était qu'un ivrogne ne souille votre kimono, ce qu'elle était mal placée pour condamner. Pour elle, qui avait passé la majorité de sa vie dans les campagnes austères du clan du Lion, où il ne se passe rien et où le silence assourdissant des nuits laissait ses souvenirs se déverser dans l'obscurité, le bruit et les lumières de la ville l'apaisaient.

Elle savait qu'un jour, elle hériterait du minuscule empire de sa mère. Les revenus de la maison de thé, la protection du clan grâce à la collecte d'informations et de scandales par les prostituées lui assuraient un avenir stable sur le long terme. Elle se doutait que lors de la transition, les rares rivaux de sa mère se précipiteraient sur elle comme des charognards mais elle ne craignait pas la guerre des gangs. Son père l'avait initiée aux tactiques de guérilla et cette ville n'était qu'une jungle demandant à lui servir de terrain de chasse.

C'était peut-être là sa vraie nature. Celle d'une prédatrice qui n'avait jamais vraiment quitté la jungle. Pourtant elle avait essayé d'oublier. Et durant sa vie dans les terres du Lion, elle était même parvenue à prétendre incarner une honorable courtisane comme les autres. Ce n'est pas qu'elle aimait la violence ou le sang. C'était juste qu'ils étaient son élément. Comme l'eau pour les grenouilles, qui peuvent pourtant vivre sur la terre ferme. Elle n'espérait pas la guerre, pas plus qu'elle ne la craignait. Elle y était juste préparée à chaque instant. La rébellion lui avait appris celle des armes, sa captivité dorée celle des mots. Car il lui avait fallu toute la patience et la diplomatie du monde pour parvenir à retourner la mère et la femme de son protecteur contre lui plutôt que contre elle, sale petite sauvage des îles venue briser leur foyer. Sachi savait comment l'on gagnait une guerre et elle savait à quel prix.

Une odeur de tabac vint soudain la ramener des décennies encore en arrière, sur les genoux de son père, entourée d'autres géants qui parlaient de choses plus grandes qu'eux encore. L'un de ces géants osait ne pas écouter la conversation pour lui faire des grimaces et des figures avec la fumée de son tabac. C'était son oncle Zenigata.

Sachi le reconnu accoudé au balcon en dessous du sien. Il ne faisait pas de figures avec sa fumée. La première fois qu'ils s'étaient retrouvés, il s'était agenouillé devant elle plutôt que de la prendre dans ses bras et lui avait dit en pleurant que sa vie de traître lui appartenait et qu'elle pouvait la reprendre dès maintenant.
Dans ses souvenirs, ses blagues étaient plus drôles...
Ils avaient par la suite eu une longue conversation où elle lui avait expliqué qu'elle n'avait aucun ressentiment contre lui, qu'elle comprenait totalement son choix d'abandonner la révolte, qu'elle n'était même pas adulte à l'époque et qu'elle n'avait agit que comme une enfant qui obéit à son père. Parce qu'elle l'aimait ou simplement parce qu'elle était sage. Elle avait insisté sur le fait que ça n'était ni plus noble, ni plus intelligent que de sacrifier son frère pour sauver l'honneur de la famille.
Zenigata lui avait alors répondu que ça n'avait rien sauvé. Ou alors rien de bon. Qu'il était resté Ronin et que lui et Shinanai avaient du se battre pour ne pas finir broyés par ceux qui autrefois étaient leurs frères et sœurs. Chassés du ciel, ils avaient alors décidés qu'ils régneraient sur l'enfer et aujourd'hui, le clan les tolérait enfin.
Sachi avait été touchée par le désespoir de son oncle. Et admirait ce qu'il avait construit avec ce désespoir. Cependant elle s'était gardé de lui avouer qu'il lui inspirait également de la pitié et que son oncle farceur lui manquait, qu'elle avait suffisamment connu de personnes graves dans sa vie.

Zenigata tira la dernière bouffée de son tabac, fit un rond de fumée, et rentra à l'intérieur. Sachi regarda disparaître le rond de fumée en souriant.

Sa jambe commençait à faiblir, et elle avait oubliée sa canne dans sa chambre. La blessure qu'elle avait reçu lors de sa capture avait beau avoir été soignée par le meilleur médecin de l'armée ennemie, elle finissait toujours par se fatiguer quand elle restait debout trop longtemps.

Alors qu'elle allait rentrer à l'intérieur, elle vit une forme se glisser comme un fantôme là où se trouvait Zenigata quelques instants avant.

« Tu t'en vas, frère ? »

Norainu se raidit et regarda sa sœur qui le surplombait. Elle ne reconnut pas ses yeux noirs. Depuis son retour, son frère avait été presque invisible, manquant les repas et les cérémonies. Il avait été impossible pour elle de lui adresser le moindre mot. De fait, c'était la première qu'il la regardait dans les yeux.

« Je m'en vais, sœur. Encore. Mais cette fois je l'ai choisi. Mère a enfin retrouvé un enfant dont elle pourra être fière et je suis sûr que vous serez tous très heureux ici sans moi.
_Pourquoi ?
_Pourquoi je pars ? » Norainu avait ce ton solennel des adolescents sincères. Sachi se rendit compte à quel point il avait grandit. Il continua : « Je pars parce que je ne veux pas être comme mère et qu'elle ne me le permet pas. Je pars parce que je ne veux pas finir comme oncle Zenigata. Parce que je ne veux plus participer à cette mascarade lamentable où l'on perd son honneur pour un rien et où on peut le récupérer par le mensonge, le sexe et le sang. Un jeu où l'innocent perd toujours et où le coupable gagne toujours.» Norainu détourna les yeux de sa sœur pour les porter vers l'horizon, au delà des toits de la ville.

« Je vais donc trouver le moyen d'être quelqu'un d'autre, je ne sais pas encore qui. Juste quelqu'un de meilleur sera déjà pas mal. »

Sachi regarda au loin à son tour.
« Je ne te parlais pas de ça. Je te demandais ce qui te faisait croire que nous serions plus heureux sans toi. » Elle ne voulait pas soutenir le regard gênée que son petit frère posait sur elle et resta fixée, elle aussi sur l'horizon. Les lumières de la ville masquaient les étoiles.

Il y eut un long silence. Sachi avait oublié comment on parlait à son frère de ce qu'on avait sur le cœur. Elle voulait lui raconter comment son père était devenu sombre et nihiliste quand lui et leur mère avaient quittés l'île, que c'était autant par pitié que par amour qu'elle avait choisi de rester, juste pour qu'une personne au moins ne l'abandonne pas. Que quand elle l'avait dit à sa mère, elle lui avait fait terriblement mal, comme si elle lui avait dit ne plus vouloir être sa fille. Sachi voulait raconter la guerre à son frère, comment celle-ci n'avait rien à voir avec toutes les guerres des légendes et même celles de la réalité. Comment c'était une guerre sans honneur. Elle voulait lui raconter ce qui se passe quand la fin justifie les moyens et comment leurs tactiques désespérées avaient rendus fous de haine leurs ennemis. Elle voulait lui raconter que son père était mort triste et bientôt plus jeune qu'elle. Elle voulait lui hurler qu'elle avait passé 20 ans à vivre une vie de trophée de guerre dans un pays qui n'était pas le sien, une famille qui n'était pas la sienne et qu'elle avait du repousser un homme pendant ces 20 ans car elle ne se jugeait digne que d'une bête pire encore que lui.

Sachi fermait les yeux et serrait les poings. En bas, les gens riaient et buvaient, criant successivement leur chance et leur malchance. Elle finit par réussir à dire :

« Tu sais que j'ai rencontré « Tigre Brûlant » ? »

Norainu sursauta :

« Quoi ?! En vrai ? »

Sachi se mit à sourire mais retenait ses larmes.

«Ah ! Il existe ! Je le savais ! »

La rancœur de Norainu semblait s'être envolée de ses épaules et quelque chose de familier s'était rallumé dans son regard.

« Dit Sachi ! Il ressemblait à quoi ?
_Monte et je te raconte. »

Norainu grimpa jusqu'à son balcon et se posa, assis en tailleur, en face d'elle. Les coudes sur les genoux, la tête entre les mains, il écouta sa grande sœur lui raconter comment était leur héros d'enfance en vrai. Un vieux monsieur heureux entouré de sa femme et de ses enfants. Le genre de monsieur qui n'aurait jamais abandonné sa famille pour une cause absurde.

Mais bien sûr, Sachi était toute seule à pleurer sur son balcon. Norainu était déjà parti depuis longtemps, sans prendre la peine de lui dire au revoir, sans en savoir d'avantage sur leur héros, leur père, ou même elle-même.

Après un court moment passé sur le plancher du balcon, elle se releva et fixa la foule qui avait engloutit son frère. Résolue, elle laissa la brise nocturne sécher ses larmes pour le jour où il reviendrait. Puis elle retourna se coucher.

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