(Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

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matsu aiko
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 24 nov. 2014, 18:06

Un peu plus tard…

- Quel kimono aimerais-tu que je mette ce soir ?
- Hmmm...Sur toi, je les aime tous.
- Cela ne m'aide guère, Jocho.
- Un de tes kimonos rouges, alors. C'est une couleur qui te va très bien.
- Hmmm... Je vais voir ce que j'ai...

La courtisane disparaît dans le grand placard qui sert à entreposer ses nombreuses tenues.
- J'arriverai avec la troupe ce soir, tu resteras avec nous ou avec la noble assemblée ?
- Hum, comme c'est une invitation de Shoju-dono, je pense que je ne peux échapper aux corvées officielles.

Tsukiko passe la main au milieu des étoffes précieuses, les caresse. Lequel mettre ce soir... Celui-là ? Hmmm... Pas mal...
- Je n'ai pas envie d'aller à cette soirée, j'ai un mauvais pressentiment.
- Tiens, tu te laisses influencer par ce que je dis, maintenant ?

Son ton est moqueur.
- Non, j'ai vraiment un mauvais pressentiment.

Il se rapproche, lui caresse la nuque.
- Bon, je te le promets. J'ai fait un pacte avec le fantôme, ce ne sera pas toi qui sera choisie ce soir.
- Oh, s'il te plaît... Ne me tourne pas en ridicule quand je te dis quelque chose.
- Jamais.

Puis il ajoute, sérieux :
- Je ne laisserai jamais personne te faire du mal, tu le sais ?
- Oui, je le sais...
- Alors ne t'en fais pas.
- Je ne m'en fais pas, j'ai un mauvais pressentiment, c'est tout.

Il garde le silence, masquant son agacement. Il avait bien entendu la première fois.
- Bon, je vais m'habiller. Inutile de continuer à en parler.
- Je vais faire de même.

Le shoji des bains coulisse et la silhouette de la jeune femme disparaît dans la pièce d'eau.
Non, elle n'aime pas cette histoire de fantômes, ni le fait qu'il y aura peut-être un mort ce soir...

Une heure plus tard, elle est parfaitement apprêtée dans un somptueux kimono rouge sang décoré d'un entrelacs de lianes compliqué soulignant ses courbes sensuelles. Les longues boucles noir corbeau s'enroulent autour d'un peigne en nacre en forme d'esquif, comme une mer déchaînée parsemée de perles.
Elle se penche vers le miroir de bronze et retouche le rouge qui ourle ses lèvres pleines, jette un dernier coup d'oeil critique à son maquillage avant de mettre le masque qui dissimulera ses traits parfaits aux regards de tous.
Ce sera suffisant pour cette soirée, je pense.
Jocho de son côté choisit un kimono formel. Ce soir il sera là en tant que représentant des Shosuro, il doit en avoir les atours. Un kimono de brocard noir orné des entrelacs de sa famille, un haori assorti avec les mêmes motifs se détachant en écarlate, un obi écarlate avec des motifs noirs et or, dans lequel il glisse ses sabres. La coupe du vêtement met en valeur ses larges épaules et sa silhouette athlétique, l'accord parfait de ses habits, le raffinement et l'élégance qu'on attend de lui.
Là. Shoju-dono devrait être satisfait.

- Tu es prête ?
- Je pense.

Il passe une tête, siffle doucement.
- Ca a mis longtemps, mais le résultat en vaut la peine...Tu es superbe.
- Merci. Tu crois que ça ira pour cette fichue soirée ?
- Oui, ce sera parfait. Bon, il va falloir que j'y aille...A tout à l'heure, Tsukiko-chan.
- A tout à l'heure, Jocho. Fais attention à toi. Et ne te moque pas de moi !

Il lui adresse un sourire très tendre.
- A tout à l'heure, ma belle.

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matsu aiko
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 27 nov. 2014, 22:44

La grande salle de réception du palais du Clan du Scorpion est plongée dans une étrange semi-obscurité, entretenue par les innombrables bougies que les serviteurs ont disséminées un peu partout. Des petites tables accueillent les convives en un ovale parfait au bout duquel se trouvent le daimyo et son épouse.
Il règne une atmosphère particulière, presque... mystique, née de la lueur vacillante des lampions, du lourd parfum de l'encens et du froissement de la soie précieuse des vêtements. A la lueur des bougies, les riches étoffes ont un poli de pierre précieuse.
Toute la cour est là, autant que la pénombre permette de le discerner.

Le daimyo du clan du Scorpion prend la parole.
- Mes amis, merci d'avoir accepté cette invitation. Ce soir, je vous invite à découvrir un des loisirs préférés du clan du Scorpion, le jeu des cent histoires de fantômes, Yokai Hyakku monogatari. Le principe en est simple. Chaque participant raconte une histoire de fantôme, puis à la fin souffle une bougie. Quand il n'y a plus de bougies, un fantôme apparait.
C'est, en tout cas, ce qu'affirme la légende.

On entend le sourire dans sa voix.
- Vous le voyez, le principe de ce divertissement est simple. Qui souhaite commencer ?
- Mon seigneur, peut-être pourriez-vous leur donner l'exemple...sussurre son épouse.
- Très bien, je commence donc.

Venant des provinces de l’ouest, un rônin montait vers Ryoko Owari. Depuis de nombreux jours, il marchait en se rapprochant de la ville. Cependant, ce jour-là, comme il atteignait la limite des terres Soshi, la nuit tombait et il se demanda : « N’y aurait-il pas un endroit où je pourrais m’arrêter ? »
Mais il eut beau regarder autour de lui, il n’y avait que la lande sauvage et désolée, aucun village où trouver abri. Toutefois il distingua une pauvre petite hutte qui servait à garder les récoltes dans les champs de montagne.
« Bon, se dit-il, pour cette nuit cela fera l’affaire, attendons-y le lever du jour ! »
Et il se glissa à l’intérieur. Le froid était glacial.
Par précaution, bien qu’il se trouvât loin de toute habitation, il garda son sabre à portée de main.
Au milieu de la nuit, il perçut une rumeur. Venant de l’Ouest, frappant des gongs et psalmodiant des invocations, des gens arrivaient en grand nombre. L’homme en fut fort étonné, et regardant dans la direction d’où ils s’en venaient, il distingua une foule portant de nombreuses torches ; les moines en tête récitaient des sutra en faisant résonner les gongs, suivis d’autres qui marchaient en une longue file derrière.
Quand ils se rapprochèrent, il comprit :
« Ah ! Mais c’est un enterrement ! »
Et ils se dirigeaient justement vers la cabane où il se trouvait !
A une vingtaine de mètres de la cahute, ils déposèrent le cercueil dans lequel se trouvait le mort et procédèrent aux funérailles.
Pendant ce temps, notre homme, de plus en plus mal à l’aise, se tenait coi et ne bougeait pas d’un pouce.
« Si l’on me trouve ici et qu’on m’interroge, décida-t-il, je dirai la vérité, que j’ai pris refuge dans cette cabane pour la nuit ! »
Puis il se dit qu’il pourrait ajouter : « Sur les lieux d’un enterrement, on voit normalement des signes de préparation, mais là je n’ai rien vu, je suis désolé ! »
Il était encore plongé dans ses réflexions quand la foule se rassembla et reforma le cortège : la cérémonie des funérailles était finie.
Aussitôt, des eta s’approchèrent, portant houes et bêches ; la tombe fut creusée et dressée en un rien de temps, puis, sur le tumulus, ils plantèrent la stèle de pierre qu’ils avaient apportée avec eux. Dès qu’ils eurent fini toute l’assemblée s’en retourna.
L’homme, maintenant seul, avait encore plus peur…Voilà qu’il allait cohabiter avec un mort !
Il sentit ses cheveux se hérisser sur sa tête, sa frayeur ne connaissait plus de limites.
« Vite, que le jour se lève ! » pria-t-il. Le cœur étreint par l’épouvante, il fixait la tombe du regard.
Les caractères qui y étaient inscrits lui parurent vaguement familiers.
Le cœur battant, il se rapprocha.
Le nom qui était inscrit sur la tombe était le sien.
Il comprit alors que cette nuit-là, dans cette cabane insalubre mal abritée des intempéries, il était mort de froid.
Il était l’heure du Bœuf.

Bayushi Shoju attend un instant, puis souffle une bougie. L'odeur de la cire chaude se répandit dans la pièce.
- Qui souhaite poursuivre ?

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 29 nov. 2014, 13:47

Tsukiko s'est installée avec le reste de la troupe dans le second cercle d'invités, à quelques mètres des grands de ce monde. Elle suit avec désintérêt le divertissement du soir, observant l'assemblée derrière le masque élaboré qui noie son visage dans ses rubans et ses plumes multicolores. Jocho s'est installé avec le reste de la délégation de sa famille, l'ignorant en apparence.
Un courtisan d'allure déliée, qui porte sur son kimono élégant le mon de la famille Bayushi, prend la parole.
Tsukiko le reconnait instantanément. Ah non, encore lui !
- Permettez-moi de poursuivre, seigneur.

Le cadavre était froid comme de la glace. Le cœur avait cessé de battre depuis longtemps. Pourtant il n’y avait pas d’autre signes de la mort. Pas le moindre signe de décomposition. Personne ne parlait d’inhumer la morte. Elle était morte de chagrin et de colère d’être divorcée. Il eut été inutile de l’enterrer, car le dernier vœu de vengeance d’une personne mourante peut faire éclater n’importe quelle pierre tombale. Les gens qui avaient vécu près de la maison où elle était étendue s’enfuirent vers leur demeure. Ils savaient qu’elle attendait le retour de l’homme qui avait osé divorcer d’elle.

Au moment de sa mort, il était en voyage. Quand il apprit ce qui s’était passé, la terreur l’étreignit.
- Si je ne puis trouver d’aide avant la nuit, se dit-il, elle me mettra en pièces !

Il n’était encore que l’heure du Dragon, mais il savait qu’il n’avait pas de temps à perdre. Il se rendit chez un moine et implora du secours. Le moine connaissait l’histoire, et il avait vu le cadavre. Il lui dit :
- Un très grave danger vous menace. Je vais essayer de vous sauver. Mais il vous faut me promettre de faire tout ce que je vous dirai. Il n’y a qu’une façon de vous sauver, et elle est redoutable. Mais à moins que vous ne trouviez le courage de l’essayer, la morte vous déchiquettera membre par membre. Si vous vous sentez le courage nécessaire, venez me retrouver ce soir avant le coucher du soleil.

Au coucher du soleil, le moine se rendit avec lui dans la maison où gisait le cadavre. Le moine repoussa les cloisons et dit à l’homme d’entrer. La nuit tombait rapidement.
- Je n’ose pas ! cria l’homme tremblant de la tête aux pieds. Je n’ose même pas la regarder !
- Vous allez devoir faire bien autre chose que la regarder, et vous m’avez promis d’obéir. Allez, entrez !
Et il força l’homme tremblant à entrer et le mena près du cadavre. La morte était étendue contre le sol.
- Maintenant, dit le moine, il vous faut vous mettre à cheval dessus, et vous asseoir comme si vous chevauchiez un cheval. Allons ! Il faut le faire !
L’homme frissonna si fort que le moine dut le soutenir. Mais il obéit.
- Maintenant, ordonna le moine, prenez ses cheveux dans vos mains, la moitié dans votre main droite, l’autre moitié dans votre main gauche. Comme des rênes ! Entortillez-les autour de vos deux mains, très fort ! Comme cela. Il vous faudra rester ainsi jusqu’au matin. Quoi qu’il se passe, ne lâchez jamais ses cheveux. Si vous les lâchez – même pour une seconde – elle vous mettra en pièces !
Le moine murmura alors un mot mystérieux à l’oreille de la morte et dit à son cavalier :
- Maintenant, je dois vous laisser seul avec elle, pour mon propre salut. Restez comme vous êtes. Et surtout ne lâchez pas ses cheveux.
Et il partit, refermant les cloisons derrière lui.

Le temps passa, le silence de la nuit s’approfondit, heure après heure, comme une eau noire. Puis soudain, des cris terribles s’élevèrent. Le moine, qui était resté à l’extérieur, se redressa. Les cris redoublèrent d’intensité, avant de se calmer d’un coup.
Le moine attendit l’aube, avant de glisser prudemment un coup d’œil à l’intérieur. L’homme était encore là, les mains crispées sur les cheveux de la morte, rigide de terreur. Ses joues étaient lacérées. Il haletait convulsivement. La morte n’était plus dans la même position, et une odeur fétide émanait de la pièce.

- Ainsi, vous n’avez pas lâché ses cheveux ! observa le moine. Voilà qui est bien. Maintenant, vous pouvez vous relever.
L’homme lui jeta un regard halluciné, où régnait la folie. Ses cheveux étaient tout blancs.

C’était l’heure du Bœuf.

Le courtisan Bayushi attend un instant, puis souffle une bougie.
Les autres participants se regardent. Ils commencent à comprendre.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 30 nov. 2014, 12:39

Les Fortunes soient louées, on ne nous demandera pas de raconter quoi que ce soit.
La courtisane retient un soupir. Cette impression de catastrophe imminente qu'elle a depuis tout à l'heure ne s'est pas dissipée et elle n'arrive pas à se concentrer sur ces histoires macabres qu'elle entend depuis tout à l'heure.

Ryuji se racle la gorge. Il ne sera pas dit qu'il sera en reste ! Il réfléchit, puis se lance.

Les plaines s'étendaient à perte de vue, tapis drus jaunis par le soleil et la chaleur accablante de l’été, même autant au nord de la chaîne du Toit du Monde. Le cavalier au chèche beige se dressa sur ses étriers, ses yeux gris s'étrécissant dans l'ombre du tissu enroulé autour de sa tête et de son visage. Peut-être, là-bas, une petite forêt, un endroit où camper. Une heure de galop, guère plus - cela conviendrait parfaitement. Il appela son aigle avant de presser les flancs de son cheval. Ce dernier était vif comme les vents et plus endurant que les montagnes. Même après une journée de chevauchée, il avait encore la force de galoper à la vitesse d'un étalon retrouvant son écurie ; peut-être devinait-il l'herbe fraîche qui l’attendait là-bas…

Le paysage défila à une allure folle autour du cavalier Licorne, l’aigle trompetant de temps à autre, signalant sa présence. L'homme au chèche avait dressé lui-même ses deux animaux, et il en était fier. Aussi fier que de sa vue, lorsqu’il atteignit enfin le couvert des arbres. Mais il n’était pas seul. Un splendide destrier, dont le harnachement ne pouvait appartenir qu’à une guerrière, broutait tranquillement. Aussi ce fut au pas qu'il s'introduisit sous la frondaison, sans hâte, son corps souple compensant avec aisance les mouvements de sa monture. Devant un feu surmonté d'un petit récipient en métal, une jeune femme sculpturale aux yeux verts et aux cheveux d'un noir bleuté attendait, sereine. Elle était en kimono - son armure devait se trouver dans la tente un peu plus loin. En l'entendant arriver, la guerrière leva les yeux vers lui. Le cavalier descendit de sa monture tranquillement, avant de s'agenouiller et de s'incliner. Elle fit de même, exactement à la même hauteur.
- Shinjo Malik.
- Otaku Yu Meili. Vous venez partager ma retraite ?
- Si cela ne vous dérange pas, Otaku-san. Si vous le souhaitez, j'ai de quoi faire à manger.
Elle eut un rire cristallin en se couvrant la bouche de la main, les yeux étincelants.
- Ce ne sera pas nécessaire. J'ai assez pour nous deux.
Malik hocha la tête, avant de se relever. Il déchargea son petit sac de l'arrière de sa selle, avant de donner un petit coup du plat de la main sur la croupe de sa monture. Le cheval comprit le signal et partit brouter dans son coin. Le cavalier défit le sac, posant deux couvertures sur le sol, son arc et son carquois à côté. Ainsi, à la réflexion, que son katana. Il sortit ensuite de quoi faire un thé, et se mit à l’œuvre comme son père le lui avait appris.
Lorsque le thé fut prêt, il en versa avec cérémonie une tasse de thé épais, moussu, à Yu Meili. Il se servit une tasse, puis ôta le tissu qui recouvrait son visage. Il entendit le hoquet de surprise de la jeune femme. Son visage faisait cet effet à tout le monde.
- Les tatouages de la famille... Les ronces nourries par l'eau du désert.
Ce faisant, il suivait le tracé des ronces le long de son front, ses tempes, ses pommettes ; il esquissa le tracé le long des mâchoires et du cou ; on pouvait également discerner, de-ci de-là, des gouttes qui perlaient des pointes acérées. Il arborait un sourire tranquille avant de boire son thé brûlant à petites gorgées. Yu Meili mit un instant à s'en remettre, mais parut apprécier le thé.
- Amer mais... délicieux.
- Ce thé, le premier d'un service de trois, est amer comme la vie.
- Et les deux autres ?
- Vous verrez, Otaku-san.
Son sourire s'élargit légèrement. Après avoir fini sa tasse, il se leva pour aller voir le riz. Cuit à point.
- Donnez-moi votre bol, je vais le remplir.
Yu Meili n'avait pas menti : il y avait largement assez de riz pour deux. Durant tout le repas, ils n'avaient cessé de se regarder à la dérobée. Et s’étaient décidés de passer à plus de familiarité, réunis par la solitude du lieu.
- Tu n'as pas de tente ?
- J'aime dormir à la belle étoile. Sauf lorsqu'il pleut, mais je gage que ce ne sera pas le cas cette nuit.
- Voudrais-tu partager la mienne ?
Malik prit le temps de mesurer sa réponse, regardant la jeune femme et son sourire, engageant, chaleureux.
- C'est une proposition, Yu-san ?
- Oh que oui. Comme ca, j'apprendrai tous tes secrets !
Elle eut une grimace amusée. Elle se moquait gentiment de lui, mais en fait, ces avances ne lui déplaisaient pas.
- En ce cas, laisse-moi préparer le second thé.
- Qui est ?
- Fort comme l'amour.

Lorsqu'elle but le second thé, ses yeux pétillèrent. Elle reposa sa tasse avec un sourire.
- Il est plus équilibré que fort...
Malik se leva pour s'agenouiller derrière elle, l'enlaçant doucement.
- Tu n'as pas goûté le troisième encore.
Il dégagea délicatement les cheveux de la jeune femme, posa ses lèvres sur son cou. Il commença à préparer le troisième thé, alternant les gestes familiers avec des baisers et caresses. La jeune femme se laissait faire, les yeux fermés. Le parfum du thé les enveloppait comme un voile de soie. Il porta la tasse à ses lèvres, y faisant couler une gorgée du liquide crémeux et odorant. Elle avala docilement une gorgée, toujours immobile. Le jeune homme s'enhardit, glissa sa main dans le kimono. La jeune femme poussa un gémissement et saisissant son kimono, le mit au sol avec une force surprenante, puis l'embrassa, pleine de désir. Elle ôta d'un geste brusque son chèche et caressa ses cheveux bruns, commençant de l'autre main à défaire sa ceinture, son kimono. Elle s’écarta le temps de lui murmurer, les yeux dans les yeux :
- Je te veux. Maintenant.
Elle se pencha ensuite, son regard toujours fixé dans celui de Malik, lui embrassant le cou, s'attardant lascivement sur sa poitrine, avant de descendre plus bas, laissant ses lèvres, sa langue, goûter la peau du jeune homme. Elle était douce, un peu salée, musquée – comme elle aimait. Elle lui donna encore un coup de langue langoureux, savourant l’anticipation du plaisir à venir, l’abîme avide au creux de son ventre, qui allait bientôt être comblé. Puis elle ouvrit la bouche, et mordit à pleines dents.

Un peu plus tard…
Une petite brise soulevait un morceau de tissu beige, le faisant onduler comme une mer miniature, à côté de la ceinture de cuir délaissée. Cela avait été délicieux, vraiment délicieux. Elle se lécha les lèvres, le nez, avant de poursuivre le nettoyage par le reste du visage et de sa poitrine, quelque peu collants du festin qu’elle venait de s’offrir. Elle se cura la mâchoire inférieure de son ongle de fer, puis recracha négligemment un débris resté coincé entre deux molaires et écarta avec un soupir l’os à présent vidé de sa moelle. Ah, si seulement ils pouvaient tous être comme ça…Elle jeta un regard attendri sur les habits épars, les armes abandonnées, et avisa la tasse de thé, à présent tiède. Doux comme la mort, avait soufflé Malik à son oreille, pour sceller cette nuit d’amour sans attache, sans lendemain. L’ironie involontaire l’avait fait sourire.
Elle prit la tasse, et savoura l’arôme du thé, avant de l’avaler d’un seul coup, tasse comprise, broyant la porcelaine dans ses mâchoires puissantes, avant de la recracher par petits morceaux, comme des pépins. Son ex-propriétaire méritait bien ça.

La yama-onna s’étira, bailla. Le cheval avait fui, effrayé par le hurlement suraigu de l’homme avant qu’elle ne lui broie la gorge. Il faudrait probablement qu’elle le traque – l’isolement de cette contrée avait ses avantages, mais la viande était rare.
Elle s’apprêtait à se lever quand une brusque douleur lui cisailla le ventre. Un fragment de porcelaine ? Non, son estomac insatiable était à l’épreuve de ce genre de chose. Elle n’eut pas le temps de s’interroger plus avant car un nouveau spasme la plia en deux, bien plus violent que le précédent. Puis un troisième, qui lui coupa la respiration.
Elle se tordit de douleur, le visage violacé, sous l’effet de nouveaux spasmes, et se remémora les gouttes dessinées du tatouage d’épines. Elle commença à maudire Malik, ses ancêtres, sa descendance, et toute cette misérable engeance de pillards du désert, avant de s’abattre lourdement dans les plis du chèche ensanglanté.
On ne peut vraiment plus faire confiance à personne, fut sa dernière pensée.

Tout était tranquille sous les frondaisons obscures, Seigneur Lune était haut dans le ciel. C’était l’heure du Bœuf.

Le barde a un sourire satisfait et se rassied avec élégance au milieu de la délégation du Clan du Lion, médusée.
Il se tourne vers Ikoma Sume, bouche bée, qui le regarde comme s'il avait craché sur son kimono.
- Quoi ? On a dit une histoire de fantôme, non ? On n'a pas donné de consigne au sujet de son contenu. Ce petit conte vous agrée-t-il, Bayushi Shoju-dono ? Je sais qu'il n'est pas très conventionnel mais... je ne suis pas moi-même conventionnel.
- Il n’y a pas de souci, Ikoma-san. N'oubliez pas de souffler la bougie.
- C'est vrai.
Et Ryuji se penche pour obtempérer, ce qu'il fait avec une emphase dramatique fort à propos.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 01 déc. 2014, 13:00

Quelqu'un du clan Licorne se lève ensuite.
- Comme mon prédécesseur a mis en scène des membres de notre clan, permettez-moi de poursuivre...
- Je vous en prie, Ide Asamitsu-san.

Un soir très tard, comme il se hâtait de gravir une côte, un vieux marchand aperçut une jeune femme qui se tenait accroupie près du fossé. Elle était toute seule et semblait pleurer amèrement. Le vieux marchand s’arrêta pour lui prêter secours. Il vit que la jeune personne était menue, gracieuse, très richement vêtue, et coiffée comme une fille de bonne famille.
- Honorable demoiselle ! s’écria-t-il en s’approchant. Ne sanglotez pas ainsi ! Dites-moi quel est votre chagrin…je serai si heureux de vous aider !
Il était sincère, c’était un homme de cœur.
La jeune fille continua à pleurer en cachant son visage avec l’une de ses longues manches.
- Honorable demoiselle ! Ecoutez-moi, je vous en prie…Ceci n’est guère un lieu convenable, la nuit, pour une jeune personne seule. Ne pleurez pas mais dites-moi la cause de votre émoi. Peut-être pourrais-je vous aider ?
La jeune fille se leva lentement. Elle lui tournait toujours le dos et tenait son visage caché…Elle gémissait et pleurait alternativement.
Le vieil homme posa alors sa main sur son épaule et lui dit une troisième fois :
- Honorable demoiselle ! Ecoutez-moi un instant…
Elle se retourna brusquement. Elle laissa tomber sa manche, et se caressa le visage avec la main…Le vieillard vit qu’elle n’avait ni nez, ni bouche, ni yeux ! Et il s’enfuit en hurlant !
Il courut jusqu’au bout de la côte obscure et déserte, sans s’arrêter, sans oser regarder en arrière…
Enfin, il aperçut dans le lointain une lanterne qui brillait…Elle était si petite qu’on l’aurait prise pour un ver luisant. C’était le lumignon d’un vendeur de nouille ambulant, qui avait mis son étal au bord de la route. Après l’expérience qu’il venait avoir, cette humble compagnie lui parut le salut. Il arriva tout essoufflé auprès du marchand en s’écriant :
- Ah ! …Ah..
- Koré ! Koré ! Mais qu’avez-vous donc ? Vous a-t-on fait du mal ?
- Non, haleta l’autre. Mais ah ! …ah… !
- On vous a effrayé, en tout cas… ! ricana le marchand d’une manière peu sympathique. Avez-vous rencontré un brigand ?
- Non ! Mais…près du fossé j’ai aperçu une femme qui m’a fait voir…Ah !..Je ne pourrai jamais vous dire ce qu’elle m’a fait voir !
- Quelque chose comme cela, peut-être ?
Et le marchand se caressa le visage, qui, tout de suite, devint pareil à un œuf !
Il était l’heure du Bœuf.

Asamitsu s'incline, et souffle poliment une bougie. Son épouse Kimi approuve du regard. C'est rare qu'il ose se manifester de la sorte.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 02 déc. 2014, 14:14

Les histoires racontées, les ténèbres croissantes, créent une atmosphère étrange dans la salle. Une frêle silhouette habillée de bleu pâle se lève à son tour.
Les longs cheveux blancs, les yeux bleus très clairs, font déjà d'elle un fantôme dans cette salle obscure.
- Si vous me permettez...murmure Doji Shizue.
Puis elle entame, de sa voix flexible de conteuse.

Le quatrième jour du mois du Sanglier, le daimyo Doji Sado s’arrêta avec sa suite dans une maison de thé. Tandis que les autres se reposaient, un de ses vassaux, Sekinai, éprouvant une soif ardente, se versa une grande tasse de thé. Il la portait à ses lèvres quand il vit soudain dans l’infusion limpide l’image réfléchie d’une figure qui n’était pas la sienne. Surpris, il regarda tout autour de lui sans découvrir personne. Le visage aperçu dans le liquide était, à en juger par la coiffure, celui d’un jeune samourai. Il était singulièrement net, très beau, et d’une délicatesse presque féminine. Et l’image renvoyée paraissait bien vivante car les yeux et les lèvres se mouvaient. Effrayé par cette apparition mystérieuse, Sekinai jeta le breuvage et examina le récipient. C’était un bol très simple, sans ornementation.
Il se fit rapporter du thé, qu’il versa, et au même instant l’étrange figure reparut, cette fois avec un sourire moqueur. Mais Sekinai refusa de laisser effrayer.
- Qui que tu sois, tu ne te joueras pas de moi plus longtemps !
Et il but le thé.

Le même soir, très tard, Sekinai fut surpris par l’entrée silencieuse d’un jeune samurai richement vêtu. Celui-ci vint s’asseoir en face de lui et lui dit :
- Je suis Shikibu Heinai ; nous nous sommes rencontrés aujourd’hui. Vous n’avez pas l’air de me reconnaître ?

Il parlait à voix basse, presque un murmure, mais pénétrant. Et Sekinai reconnut le visage sinistre et beau, que le jour même il avait vu – et bu…- l’apparition de la tasse de thé. Il souriait comme avait souri l’apparition ; mais au-dessus des lèvres ironiques, les yeux avec leur regard fixe insultaient et provoquaient tout à la fois.
- Non, je ne vous connais pas, répondit Sekinai, irrité. Peut-être auriez-vous l’amabilité de m’expliquer comment vous êtes parvenu à vous introduire dans mes appartements ?
- Ah ! Vous ne me reconnaissez pas ? Non ? Cependant, vous vous êtes permis ce matin de me faire une injure mortelle !

Sekinai prit son tanto et d’un coup violent frappa l’étranger à la gorge. La lame ne rencontra que le vide. Au même instant, l’intrus fit un bond vers la paroi et disparut…sans laisser aucune trace de son passage. Il était passé au travers du bois comme la lumière d’une bougie au travers du papier d’une lanterne.

La nuit suivante, on indiqua à Sekinai que des étrangers s’étaient présentés et souhaitaient s’entretenir avec lui. Il prit son sabre et se rendit à la porte. Trois hommes armés l’attendaient sur le seuil. Ils s’inclinèrent avec respect et se présentèrent.
- Nous sommes attachés à la maison du noble Shikibu Heinai. Notre maître vous a honoré de sa visite la nuit dernière et vous l’avez frappé d’un coup de lame. Il est grièvement blessé. Le seizième jour du mois prochain, il reviendra. Vous recevrez alors la juste rétribution de l’outrage que vous lui avez fait.

Impulsivement, Sekinai tira son sabre et attaqua les étrangers. Mais les trois hommes se précipitèrent vers la muraille, qu’ils franchirent en l’escaladant comme des ombres.

Le soir suivant, le serviteur de Sekinai chercha son maître. La maison était déserte.
Pourtant, il y avait une théière sur un plateau, et une tasse de thé fumante à côté. Le serviteur se pencha, et crut voir une ombre dans la tasse.
Il était l’heure du Bœuf.

La jeune fille souffle une bougie, et se rassied. Un long soupir parcourt la pièce. Boire un fantôme...quelles peuvent en être les conséquences ?
L'assistance frissonne. Est-ce une impression, ou la température est-elle en train de baisser ?
Les shoji claquent et le vent s'engouffre dans la pièce, éteignant d'un coup toutes les chandelles.
Ce n'était pas prévu, ça.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 03 déc. 2014, 13:47

Il y a une sorte de cri, comme le mugissement d'une bête blessée. Le son strident tourbillonne dans le vent glacé, prenant les gens par surprise, bousculant les meubles, faisant voler les tentures, les calligraphies.
Tsukiko sursaute, la peur lui serre le ventre sans qu'elle comprenne pourquoi et elle sent le courant d'air s'enrouler autour des convives, chercher... oui, chercher... quelque chose ou quelqu'un, elle ne saurait le dire.
Le mugissement se transforme en cri, puis en hurlement. Les invités s'affolent comme une volée de moineaux prise pour cible par un faucon, il y a une bousculade, des femmes s'effrayent.
Une forme se matérialise soudain au milieu du cercle formé par les tables disposées pour la soirée, vaporeuse, blafarde. Ses longs cheveux s'agitent comme des serpents furieux dans le vent et les deux orbites vides de ses yeux remplis d'une vive lueur blanche parcourent l'assemblée, avant que la silhouette ne se jette sur un homme au bord du cercle. Immédiatement, son yojimbo s'interpose mais il ne peut l'arrêter et se fait traverser comme s'il n'était qu'une illusion. Il s'écroule sans un cri alors que sa charge derrière lui se fige. Elle à son tour se fait transpercer par le fantôme et s'effondre en silence. L'apparition s'évanouit dans le néant aussi vite qu'elle est apparue.
La scène n'a duré que le temps d'une inspiration.
L'assistance s'agite comme la houle, il y a des cris, des personnes s'évanouissent.
- De la lumière ! Apportez de la lumière !
Quelques instants plus tard apparaissent des samurai Bayushi portant des lanternes, prêts à trancher sur place le premier qui éternuera de travers.
Dans l'assistance, de nombreuses armes ont été sorties, les clans se regroupant instinctivement autour de leurs seigneurs respectifs.
Heureusement qu'une certaine discipline a prévalu, et que la lumière est arrivée promptement, sans quoi la panique aurait aisément pu dégénérer en massacre.
Les samurai, yojimbo et vassaux se détendent imperceptiblement. Peut-être le danger est-il toujours là, mais au moins ils y voient.
- Que se passe-t-il donc ici ? demande Doji Satsume, d'un ton calme.
Tsukiko s'est instinctivement reculée au milieu de ses condisciples au moment où le fantôme est apparu, terrifiée. Elle s'est tapie derrière le plus grand des comédiens, comme si cette précaution dérisoire pouvait la dissimuler aux yeux du revenant.
Lorsque la lumière est revenue, elle a repris sa place sur son coussin mais soudain, son regard s'arrête sur les deux corps affalés un peu plus loin. Elle reconnait immédiatement le kimono du courtisan Doji qui lui a fait un compliment en entrant dans la salle de réception.
Fortunes... Elle cherche Jocho du regard, paniquée.
Elle le voit debout, alerte, l'arme au clair. Il n'a pas bougé de l'endroit où il était, mais son regard embrasse toute la salle, prêt à toute éventualité. L'espace d'un instant, ses yeux croisent les siens. Il y lit la peur, la certitude que son intuition était la bonne.
Les samurai Bayushi se sont répartis tout autour de la salle, certains d'entre eux se sont dirigés vers les deux corps étendus. Doji Satsume fend la foule de son pas tranquille, aussi lent et inexorable que la fatalité.
- Ils sont morts, seigneur, dit l'un des officiers, rompant le silence tendu.
Les deux corps ne montrent nulle trace de violence, mais l'expression d’extrême terreur de leurs visages a de quoi donner le frisson.
Satsume reste silencieux. Doji Kosuke, et son yojimbo...
On entend les cris des gardes qui sécurisent le périmètre.
- Rien par ici !
- Rien ici non plus !
Le champion d'Emeraude se tourne vers le maître des lieux.
- J'espère, Shoju-dono, que vous saurez fournir une explication à ce regrettable incident.
Il n'a pas haussé le ton.
- Soyez certains, Satsume-dono, que tous nos efforts y seront appliqués, s'incline le daimyo du clan du Scorpion. Nous trouverons le responsable de tout cela et justice sera rendue.
Il se tourne vers les autres personnes de l'assemblée.
- Veuillez accepter nos plus humbles excuses. Nous vous prions à présent de bien vouloir regagner vos appartements. Nous ne manquerons pas de vous tenir informés.
La foule des dignitaires, aristocrates et courtisans de tout poil présents bruisse de soulagement. Ils ont craint un moment de se retrouver otages de la salle alors qu'on chercherait à dénicher l'assassin qui vient de frapper.
La troupe de Shichisaburo est restée figée de stupeur en assistant à la scène. De stupeur... et de terreur aussi... Assister à la mort de deux hommes au cours d'une soirée dans le palais du Clan du Scorpion n'est pas ce qu'on peut appeler un événement courant. Les acteurs se sont instinctivement regroupés dans un coin de la salle et ont un instant craint qu'on vienne leur reprocher ce qui vient de se passer.
C'est donc avec un soulagement évident qu'ils quittent l'endroit, trop heureux de retourner dans les quartiers qu'on leur a attribués.

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Message par matsu aiko » 04 déc. 2014, 12:58

Tsukiko les a suivis et sa main tremble toujours dans sa manche quand elle a discrètement regagné les appartements qu'elle occupe avec Jocho. Elle le savait... Son intuition ne l'a jamais trompée quand il s'agit de danger.
Elle ôte le lourd kimono de cérémonie et les ornements de sa coiffure, passe un épais et confortable yukata avant de s'asseoir devant le miroir, de croiser son reflet dans le bronze poli. Son regard clair exprime encore la peur qui a été la sienne quand elle se regarde. Elle ne se reconnait pas.
Jamais elle n'a éprouvé une telle frayeur. Jamais. Même quand les rônin ont cherché à la tuer à Ryoko Owari Toshi, même quand elle était enfant face à sa mère, puis à l'assassin. Jamais. Pourquoi a-t-elle si peur ?
Elle sent la présence de Jocho à son arrivée mais ne se lève pas.
- Tsukiko.
Ses bras l'enlacent, solides, rassurants. Il la tient contre lui, sans rien dire, sentant son coeur battre dans sa poitrine, comme un oiseau affolé.
Elle glisse ses bras autour de sa taille, se serre contre lui en enfouissant son visage dans la soie de son vêtement.
- Jocho...
Il la sent trembler de tout son corps.
- Je te l'avais dit... Je t'avais dit que j'avais un mauvais pressentiment.
- Shhh...fait-il gentiment. Calme-toi. Tu vas bien, et je vais bien.
- Oui...
Toujours la tenant contre lui, il lui glisse à l'oreille :
- Je te l'avais promis. J'avais demandé au fantôme de ne pas s'attaquer à toi ce soir...
- Ne plaisante pas, Jocho. Deux hommes sont morts ce soir et personne ne l'avait prévu. Oh Fortunes, pourquoi j'ai eu si peur...
- Je préfère te voir reprendre tes esprits, sourit-il.
Puis il reprend, sérieux.
- En effet. Les choses vont se compliquer. Surtout que je ne vois vraiment pas qui s'en prendrait à un courtisan insignifiant comme Doji Kosuke...Ni pourquoi.
- Moi non plus et je suis sûre que ce n'est pas imputable au Clan.
Ils restent ensemble enlacés un long, très long moment.

Pendant ce temps...

- Il me semblait pourtant avoir été clair.
Le ton est très calme, mais ce calme même le rend encore plus intimidant.
- Comment expliquez-vous cette erreur impardonnable ?
L'autre a le front à terre.
- Seigneur...s'il s'agissait d'une erreur de ma part, je me serai déjà ôté la vie, vous le savez bien. Je n'y suis pour rien.
Le premier le toise. Il ne ment pas. Il ne pourrait lui mentir.
- Alors qui est responsable ?
- Je ne sais pas. Qui que ce soit - ou quoi que ce soit - il est intervenu bien avant le moment que j'avais prévu pour ma propre action.
Le premier regarde la forme courbée. C'est l'un de ses meilleurs éléments, c'est la première fois qu'il échoue.
- Soit. Ta mission perdure. Mais éliminer la cible va à présent être beaucoup plus compliqué. Toute la cour va être en alerte.
- J'en ai conscience, seigneur. Mais j'accomplirai la mission que vous m'avez confiée.
Je vous ramènerai la tête de Doji Hoturi.

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Message par matsu aiko » 05 déc. 2014, 15:47


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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 05 déc. 2014, 15:51

Les jours suivants voient un net renforcement de la sécurité. Les patrouilles sont doublées, de jour comme de nuit, et bien que leur présence soit beaucoup plus discrète que celles des gardes armurés d'écarlate, des shugenja inspectent régulièrement les lieux. Tout ce déploiement a un premier objectif, rassurer leurs honorables visiteurs sur le soin apporté à leur sécurité.

Mais l'enquête réalisée à la demande du daimyo du clan du Scorpion a été de loin beaucoup plus rapide et beaucoup plus occulte.
Et les enseignements qu'il en a tirés ne sont pas de nature à le mettre en confiance pour la suite des évènements.

Tout d'abord, malgré tout le scepticisme de Shoju, il semble bien que ce soir-là, l'esprit d'un mort se soit manifesté. Un esprit particulièrement violent et vindicatif.
Ensuite, malgré toutes les questions posées, ses shugenja ne parviennent pas à détecter la présence du responsable de l'apparition du fantôme. La personne qui l'aurait appelé de l'au-delà. Le coupable qu’il a promis d’interpeller. Et ses meilleurs espions n'ont pas détecté d'intrus.

La seule explication qu'on lui ait fournie, ô combien insatisfaisante, c'est que le rituel, bien qu'incomplet et traité comme un divertissement, aurait fonctionné, d'une façon ou d'une autre.

Du coup, malgré ses assurances à Doji Satsume, le daimyo du clan du Scorpion sent comme un dérangement, comme une gêne, presque un début d'inquiétude. Malgré sa puissance, malgré les ressources du clan, malgré qu’il soit au cœur de son palais, il ne maîtrise pas complètement la situation.

Bayushi Dayu met la dernière main à sa tenue pour la journée. Vérifiant l'alignement de son obi, l'attache de la cordelette et le passement de son wakizashi, il réfléchit aux tractations qui doivent avoir lieu dans le courant de la matinée, puis au déjeuner auquel il est invité.
Beaucoup de choses à faire, à n'en point douter.
Il faut également qu'il assiste aux funérailles de son malheureux homologue du Clan de la Grue. Son passage brutal de vie à trépas a choqué l'assemblée et c'est un doux euphémisme.
La nuit a été courte, il a travaillé tard pour préparer réunions et négociations. Cependant, la faiblesse n'est pas de mise et la fatigue ne doit pas obscurcir son jugement.

Cet évènement est très embarrassant pour le clan. Bien que Doji Kosuke n'ait été qu'un courtisan mineur, on peut compter sur le clan de la Grue pour tirer le profit maximal de ce double décès. Et c'est une de ses tâches les plus importantes que de s'assurer que cet avantage dû aux circonstances reste circonscrit à sa place légitime : celle d'un malheureux incident, que le clan du Scorpion déplore, mais qui ne doit pas entraver des négociations prévues de longue date.
Il va devoir user d'un mélange de fermeté et de douceur, en y appliquant la juste nuance de compassion pour la parentèle éventuelle.
L'homme avait le coeur fragile, tout le monde le savait.

Dayu peut rapidement trouver une bonne douzaine de personnes prêtes à jurer de sa faiblesse devant des magistrats. Et convaincre la famille Doji qu'elle n'a rien à gagner en essayant de faire du chantage. Cet argument teinté de menace pourra sans doute trouver un écho auprès des bonnes personnes. C'est une simple question de dosage.
Bien... Je n'ai que trop tardé. Allons-y.
Dayu ramasse son éventail sur la table basse et fait une dernière fois le tour de ses appartements pour s'assurer qu'il n'a rien oublié, puis se dirige vers le shoji.

Mais il s'arrête soudain, interloqué. Quel est donc ce courant d'air glacé qu'il sent tout à coup ? Tout est fermé pourtant...
Et pourquoi a-t-il l'impression que quelqu'un d'autre est dans la pièce ? Il n'est pas fou, il n'y avait personne avec lui ici. Il revient sur ses pas, intrigué.

D'un coup, il sent une vague glacée le parcourir, comme s'il venait d'ouvrir la porte au blizzard. Ses yeux piquent, il peine à respirer tant le froid est intense. Et cette sensation de menace, cette hostilité presque tangible...
Il chancelle sous l'impact, pourtant la pièce est vide.
Son souffle et ses pensées semblent se mouvoir au ralenti. Résister. Il faut qu'il résiste.
Il faut qu'il tienne. Qu’il recule, qu’il sorte de ce piège invisible.
Mais son énergie semble diminuer comme un vase qu'on renverse, dans ce froid intense à figer toute pensée. Résister. Il faut qu'il résiste.
Un pas en arrière, puis un autre. Un autre encore. Sortir de la pièce. Il y est, il y est presque ! Mais non…la chose le suit !
La tempête invisible et glacée redouble de violence, il se sent tomber...

Puis tout devient noir.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 06 déc. 2014, 11:36

Yogo Seijuro tourne le coin du couloir suivi comme son ombre par son yojimbo, l'esprit préoccupé par l'affaire qui a entaché la Cour d'hiver de son seigneur. Le daimyo est contrarié et on le serait à moins... C'est une enquête délicate, la présence d'un esprit dans les murs du palais n'est pas une chose à prendre à la légère. Les yorei peuvent provoquer nombre de catastrophes quand ils sont en colère.
Mais...Que se passe-t-il...

Le shugenja sent soudain le flot des énergies qui s'agite brutalement et le froid intense qui règne dans ce couloir. Ainsi que l'agitation des kami. Il y a ici quelque chose de très anormal.
Oh non... Pas encore... ?

Sans attendre, le jeune homme ouvre son esprit aux éléments et interroge l'Air. Les impressions qu'il lui rapporte, les sensations, la colère, la haine... Tout cela se bouscule et se télescope en lui, instillant un sentiment d'urgence, de danger imminent.

Puis il sent le déchainement furieux. Ca vient de là !
Sans hésiter, il se rue vers la tourmente invisible.

- Laissez-moi passer !

Les gardes à l'entrée hésitent un instant, puis lui cèdent le passage en voyant les insignes de sa fonction.
Seijuro se précipite à l'intérieur. Le froid est plus vif encore, son souffle s'exhale en vapeurs blanchâtres. Son esprit est assailli par un tsunami d'émotions si intenses et si violentes qu'elles manquent de lui couper la respiration.

- Arrière !

Il se précipite vers la victime, rassemblant les énergies, et érige en hâte une barrière autour d'eux. Il a besoin de temps pour lui prodiguer les premiers soins, du moins s'il reste encore quelque chose à soigner...
Il pose sa main sur la carotide, et perçoit un pouls, faible, irrégulier, mais présent.

Les Fortunes soient louées. Il suffit de renforcer ses énergies vitales et si les Fortunes le veulent, il pourra s'en sortir.
Sans attendre, Seijuro psalmodie les prières à Jurojin et une lueur bleutée vient nimber ses mains, qu'il pose sur la poitrine du samurai inconscient. Le visage de l’homme perd sa teinte maladive, et bien que toujours très pâle, reprend quelques couleurs.

Maintenant, à nous deux...

Une fois sa charge hors de danger, le shugenja se relève et inspire profondément, se concentre sur le ressentiment si puissant qu'il a senti en arrivant dans le couloir. Cette... chose... hait si profondément l'homme qui gît sur le sol de ses appartements qu'il en a la nausée.
Comment peut-on haïr quelqu'un à ce point ? C'est hautement déstabilisant.

Sa conscience se projette avec prudence hors de la bulle, explore les environs. Il sent plus qu'il ne voit une silhouette un peu plus loin, qui tourne furieusement à la périphérie de sa vision.
Il est difficile de l'identifier avec précision, mais il a l'impression que c'est une femme. Il ne pourrait le jurer... Mais les robes, les formes... Non, il n'en est pas certain.
Le fantôme semble hésiter, tourner et virer, il s'avance et recule. Mais les énergies déployées par Seijuro ont l'air de l'effrayer.

Soudain, en un élan furieux l'être tente de s'approcher, n'y parvient pas, et hurle sa rage à se voir dénier sa proie. Avec un cri de haine il bat en retraite, et disparait à sa perception.

Seijuro pousse un soupir de soulagement et dissipe sa barrière un moment plus tard, quand il est sûr que leur ennemi ne reviendra pas.

- Allez chercher de l'aide, Kenichi-san ! Nous avons un blessé !
- Hai !

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 07 déc. 2014, 11:44

Quelques minutes plus tard, arrive un de ses collègues, un peu plus âgé.
- Ah, enfin... Venez m'aider, il faut nous occuper de cet homme, il est bien mal en point. Je ferai mon rapport à Shoju-dono ensuite.
Yogo Heishiro s'approche, se penche vers l'homme toujours inconscient. Bayushi Dayu...un des courtisans les plus en vue du clan. Par les Fortunes...
Il examine ses signes vitaux. Le pouls est faible mais perceptible, il respire faiblement, et sa température est anormalement basse. S'il se fiait à ces seuls signes, il dirait que Dayu a une bonne chance de se rétablir.
Mais il sent autre chose - comme un manque, une absence. Il se concentre, touchant le front de l'homme inconscient, et murmure une prière.
Son jeune collègue le regarde, ses traits emprunts d'anxiété.
Au bout de quelques longues minutes, Heishiro se tourne vers lui.
- Je crains qu'il n'ait que peu de chances de reprendre conscience.
- Pourquoi donc ?
- Son corps n'a que peu souffert de l'agression, grâce à votre promptitude. Mais son esprit...
Il hésite.
- Autant que je puisse le dire, cette enveloppe n'est qu'une coquille vide.
- Comment ça ?
- Son esprit est en train d'errer en dehors de son enveloppe corporelle. Vous connaissez les risques d'une telle situation. Il faut impérativement maintenir son corps dans une enceinte protégée, jusqu'à ce que son esprit en retrouve le chemin. Sinon, n'importe quel esprit errant pourra s'en emparer. Aidez-moi à le porter sur son lit.
- Hai !
Une bonne vingtaine de minutes plus tard, le corps de Bayushi Dayu, toujours aussi pâle, repose entre quatre bougies allumées. Des petits serpentins de papier comportant des sutra sacrées ont été disposés selon les quatre orientations principales, et un cinquième au Nord-Est, d'où viennent les maléfices.
- Voilà, cela devrait suffire à le protéger jusqu'au coucher du soleil...Ensuite il faudra recommencer. Idéalement, il faudrait le transporter dans un temple, les protections seront plus efficaces. Mais nous avons gagné un peu de temps.
- Nous pourrons le faire un peu plus tard, lorsque Shoju-dono sera au courant et nous aura donné ses instructions.
- Oui.
Comment leur daimyo va-t-il réagir à cette nouvelle, c'est une bonne question.

Le shugenja attend que le courtisan soit installé et correctement protégé par les rituels idoines, puis passe par ses appartements pour se purifier avant de se rendre chez Bayushi Shoju.
Sur le trajet et en patientant dans l'antichambre, il essaie de préparer un rapport cohérent et clair des derniers événements, mais la chose est ardue. La situation est très tendue depuis la mort du courtisan du clan de la Grue...
L'attente est brève. Et ce n'est pas très bon signe...
- Entrez, Seijuro-san. Il vous attend.
Un bushi impressionnant, armuré d’acier, voilé d’écarlate. C'est Aramoro en personne, le frère du daimyo, le yojimbo de son épouse, qui vient l'accueillir.
- Suivez-moi.
Le jeune homme se lève et le suit dans les couloirs des appartements.
Aramoro l'emmène dans une petite salle d'audience, bien moins imposante que celle où le daimyo accueille ses visiteurs. Mais ses sens exercés de shugenja perçoivent immédiatement les nombreux enchantements qui la protègent. Le daimyo tient à la confidentialité de cette conversation...
Aramoro ferme la cloison derrière eux.
Seijuro s'incline front au sol devant son seigneur et maître et attend tête baissée qu'il entame la conversation.
- Relevez-vous, Seijuro-san, et expliquez-moi ce qui s'est passé, le plus précisément possible.
- Hai.
L'homme de foi réfléchit quelques instants, rassemblant ses idées, puis se lance dans un récit concis des choses telles qu'il les a perçues.
- De quoi s'agissait-il, selon vous ?
- Un yorei à n'en point douter. Peut-être une femme mais je ne pourrais le jurer, seigneur.
- Selon vous, est-ce le même esprit que celui qui s'est manifesté lors de la soirée ?
- C'étaient en tout cas les mêmes symptômes : le froid, le coeur qui s'emballe, la pâleur...
- Hmmm. Et comment l'avez-vous mis en fuite ?
- J'ai fait appel à la puissance des kami et érigé une barrière de protection autour de nous. Au bout d'un moment, il a abandonné et s'est enfui mais ce n'est qu'une question de temps à mon humble avis avant qu'il ne recommence.
- Je vois, murmure Shoju. Et comment va Dayu-san ?
- Ce n'est pas brillant d'après mon confrère. Il faudra songer à le transporter jusqu'au temple où il sera mieux protégé. Son esprit erre en dehors de son corps et l'ensemble séparé est vulnérable aux agressions.
- Vous voulez dire qu'il va rester inconscient ?
La question cingle Seijuro comme un coup de fouet.
- Oui, seigneur. Et toujours d'après mon confrère qui sait plus de choses que moi sur le sujet, il n'est pas prêt de se réveiller.
Shoju garde le silence. Il avait compris que le courtisan avait été blessé, mais avait compté sur un témoignage de première main. Qu'il n'aura pas de sitôt.
- Bien. Prenez les dispositions nécessaires pour faire transporter Dayu-san au temple. Que suggérez-vous pour neutraliser l'esprit errant ?
- J'avoue mon ignorance en matière de fantôme, seigneur... Si nous pouvions demander au Clan du Crabe d'intercéder pour nous auprès du Clan du Faucon, nous aurions une chance de le neutraliser.
- Je prends bonne note de votre suggestion. Vous pouvez disposer, Seijuro-san.
Le shugenja s'incline front au sol et sort de la pièce à reculons, encore étonné d'avoir gardé son calme et impressionné de s'être retrouvé en présence du daimyo de son clan.

Après son départ Shoju demeure pensif. Un courtisan du clan de la Grue mort...un yorei bien opportun...un courtisan en vue du clan du Scorpion dans le coma...la coïncidence semble trop belle. Il ne met pas en doute le témoignage de son visiteur, mais ne peut s'empêcher de soupçonner une contre-attaque occulte du clan de la Grue. Et même si ce n'est pas le cas, d'autres pourront en faire la même interprétation, ce qui peut créer des réactions en chaîne incontrôlables.
Par ailleurs, il n'a aucun désir que ses propres opérations apparaissent dans une lumière fort dommageable.
Et dans ce genre de cas, la meilleure façon de brouiller les pistes est de prendre l'initiative.
- Je pense que nous allons solliciter une intervention du Champion d'Emeraude.
- Tu en es sûr ?
- Oui. C'est la meilleure façon de dégager notre responsabilité et de montrer notre bonne volonté. Surtout vis à vis de Satsume. Le courtisan décédé portait, après tout, le même nom que lui...
- Bien, je vais lui faire porter une demande officielle. Qui va-t-il charger de l'enquête à ton avis ?
- Il cherchera à nommer un enquêteur impartial. Ni un Doji, ni un Bayushi.
- Tu as un nom à lui suggérer ?
- Non. Et même si j'en avais un, à ce stade je ne le suggèrerai pas. Il faut attendre qu'il décide de lui-même.
- Alors laissons-le venir avec ses propositions, nous aviserons à ce moment-là.
- Oui.
Le bushi de haute taille et le daimyo portant un masque de démon sortent de la petite pièce. Ils se seraient bien passés, l'un et l'autre, de ce genre de distraction. Pour une fois que la Cour d'hiver se déroule à Kyuden Bayushi…

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Message par matsu aiko » 08 déc. 2014, 11:37

(paragraphe de transition, à compléter / modifier / amender)

La cloison se referme sur le daimyo du clan du Scorpion.
Satsume reste pensif. Son dilemme est, à peu de choses près, le même que celui de Shoju. Désigner un enquêteur appartenant au clan de la Grue, c’est un moyen sûr d’être accusé d’abus de pouvoir et de partialité. Mais son souhait de neutralité ne va pas jusqu’à désigner un enquêteur Scorpion.
Un honorable membre du clan du Lion, alors. Puis Satsume fait la grimace. Il y a beaucoup de Matsu dans la Délégation du Lion. Lâcher une horde de Matsu assoiffés de sang – surtout de sang Scorpion - dans Kyuden Bayushi n’est pas non plus une bonne idée. Non. Pas de Matsu.
Un enquêteur du clan du Dragon aurait été le bienvenu, encore que les enquêtes surnaturelles ne soient pas leur spécialité…Mais vu les derniers échos qu’il a eus de l’humeur massacrante de Mirumoto Hitomi, il doute d’avoir beaucoup d’assistance de ce côté. En plus elle serait bien capable de tout mettre sur le dos du clan du Crabe…
Non, il faut quelqu’un qui ne soit ni Grue, ni Scorpion, assez diplomate pour ménager les susceptibilités des uns et des autres, et d’un rang suffisamment modeste pour mettre ses interlocuteurs à l’aise.
D’avoir évoqué Hitomi lui rappelle quelqu’un. Il y avait ce barde…comment s’appelle-t-il…ah oui, Ikoma Ryuji. Quelqu’un capable d’apprivoiser la daimyo Mirumoto devrait se tirer de n’importe quelle discussion un peu épineuse… Oui, il sera parfait.
Non pour l’enquête – il a des agents et la magistrature pour cela – mais pour préserver les apparences. Et il compte bien doubler la garde des appartements de la délégation de la Grue. Juste au cas où.

Obtenir l’accord du daimyo du clan du Lion n’est qu’une simple formalité. Toturi s’est montré tout à fait disposé venir en aide à l’enquête, dont il perçoit les délicats aspects diplomatiques. Il a confirmé que Ikoma Ryuji, malgré son exubérance et son comportement parfois peu conventionnel, a les talents nécessaires pour se concilier les bonnes grâces des uns et des autres et rassembler les témoignages.
Mais à l’annonce de la nomination du barde par Satsume, quelqu’un d’autre se propose pour l’assister : le discret Katsumoto, l’époux de sa nièce Shizue. Satsume est agréablement surpris. Il sait que le jeune homme mettra un point d’honneur à être scrupuleusement honnête, justement parce que l’affaire concerne aussi son ancien clan.
Un Lion et un ex-Scorpion fraîchement habillé de bleu pâle : l’équilibre est idéal.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 09 déc. 2014, 13:59

C'est comme une faim dévorante. Quelque chose qui ronge de l'intérieur. La rage. La haine. La soif de vengeance. Tout est rouge autour d’elle, une brume écarlate qui l’aveugle et l’enivre de carnage. Pourquoi et comment s’est-elle retrouvée ici, la créature n’en sait rien. Mais quelque part dans cette brume couleur de sang, ils sont là, ceux qui l'ont blessée, humiliée, torturée. Ses proies. Comme un prédateur aveugle, elle les sent, elle perçoit les traces évanescentes de leur aura de pitoyables créatures humaines. Elle renifle, salive et grogne. Le dernier lui a échappé avant qu'elle ne puisse déchiqueter son âme, se réfugiant entre ces choses brillantes à l'éclat insoutenable. Il ne perd rien pour attendre.
Pour le moment, elle va s'occuper des autres.

Kyuden Bayushi est silencieux et immobile ce soir ; pourtant les soldats de garde, impassibles sous les mempo grimaçants, sentent comme un froid plus intense qui se glisse tout autour d'eux, et les entoure de ses anneaux, comme un serpent. La nuit va être fraîche, c'est sûr.

Yogo Seijuro est passé voir sa charge, et a refait les prières rituelles. Entre les rubans à prières, Bayushi Dayu est toujours aussi pâle et immobile qu'un mort.
Le jeune homme se souvient des évènements de la journée, et frémit. Comment peut-on haïr autant…

Tsukiko se prépare avec soin pour la soirée. C'est sa première sortie depuis la comédie qu'elle a jouée à Jocho au sujet de cet enfant, et elle a bien l'intention d'en profiter un peu. Son amant est morose mais le contraire aurait été étonnant. Il est assis dans un coin, une coupelle de saké à la main, qu'il boit distraitement.

Une touche de rouge éclaboussé d'or pour compléter sa tenue, un trait noir sous ses yeux turquoise, deux baguettes laquées d'écarlate piquées dans son chignon. Elle regarde le masque posé près du miroir sur la coiffeuse, une merveille de délicatesse soyeuse ornée de perles scintillantes et de rubans multicolores. Il viendra compléter parfaitement la tenue qu'elle a choisie.
- Tu es prêt, Jocho ?
- Hmm ?

Visiblement, ses pensées sont ailleurs.
- Tu es prêt ?

Il avale le fond de sa coupe, se redresse. Se passe la main sur le visage. Puis se met debout avec un soupir, avant de glisser ses sabres à sa ceinture.
- Hé bien... On dirait que ça te pèse ce soir de sortir.
- Non, ce n'est pas ça. Je suis préoccupé, c'est tout.
- Préoccupé par quoi ?
- Je viens d'apprendre que Bayushi Dayu s'est fait attaquer à son tour.
- Oh... Et il est mort ?
- Aux dernières nouvelles, il est entre la vie et la mort.
- Tu ne devrais pas t'inquiéter pour lui, il s'en tirera. Il s'en tire toujours.
- Un de tes amis, je vois, commente-t-il, pince-sans-rire.
- Non, Jocho. Je n'ai pas d'ami.

Elle ajuste son masque et jette un dernier regard à son reflet dans le miroir, retouche du bout du doigt la couleur au coin de sa bouche, puis prend son éventail.
Voyant que la raillerie ne la déride pas, il s'approche, pose ses lèvres sur son front.
- Allez, tu as raison, cela nous fera du bien de nous changer les idées.

La jeune femme lui sourit et hoche la tête, puis prend en sa compagnie la direction de la salle de réception. Décidément, elle n'aime pas les mondanités de la Cour d'hiver. Trop de monde, trop tard, trop d'excès... Ce n'est pas le genre de vie qui lui plaît.

Ce soir, c'est un concours de poésie qui est le clou de la soirée. Tous les amateurs de haiku se seront donnés rendez-vous dans l'espoir de briller.
Cela ne fait pas partie des talents de Jocho, mais il sait apprécier des vers bien tournés, ainsi que les piques subtiles qui parfois s'y dissimulent. Mais ce soir, c'est surtout une façon d'alléger l'atmosphère pesante qui s'est installée depuis ce que tout le monde nomme "les évènements".

Le daimyo du clan du Scorpion et son épouse sont assis sur l'estrade, en compagnie d'autres dignitaires. Bayushi Shoju porte ce soir une armure d'acier et de soie et son habituel masque de démon. La dame des Scorpions, superbe dans ses amples atours de toutes les teintes de rouge ressemble à une rose épanouie étalant ses pétales. Voyant l'assemblée réunie, elle tapote délicatement son éventail et prend la parole pour annoncer le divertissement de la soirée. Il s'agit de composer des haiku enchaînés, le dernier mot du haiku devant être le premier du suivant.
- Et pour commencer, ce sera...elle réfléchit un instant...ce sera...Les cerisiers en fleur !
Autant débuter avec quelque chose de facile, commente-t-elle avec un petit rire de gorge. Les suivants seront peut-être moins simples.

Son sourire est rayonnant. On se damnerait, pour un sourire comme ça. Beaucoup l'ont déjà fait.
Tsukiko assiste de loin au petit numéro de charme de l'épouse de son seigneur et voit l'expression stupide qui se peint sur le visage des représentants de la gent masculine. Les hommes sont si prévisibles... C'en est juste navrant.
La troupe a pris place tout au fond, dans un coin où sa présence n'incommodera personne. Après tout, ce sont des hinin et c'est déjà bien beau qu'on leur ait accordé le privilège d'assister au spectacle.
Tu parles d'un privilège... S'ennuyer pendant des heures à écouter des artistes médiocres débiter de la poésie...

Une silhouette habillée de bleu et fort reconnaissable se lève, avec un sourire qui répond à celui de leur hôtesse.
- Si vous me permettez d'ouvrir le bal, Kachiko-hime...
« Cerisiers en fleurs
Immobile dans le ciel
Le son de la cloche »

Il y a des "aahh" appréciatifs et des applaudissements.
- Classique, mais de très bon goût, Hoturi-dono, commente Kachiko en lui dédiant un sourire irrésistible.
- Merci, Kachiko-hime. Comme le cerisier est fragile, j'ai pris soin de ne pas l'effeuiller...
Oh que c'est mauvais...
La courtisane sort son éventail et le déploie, se prend à détailler les motifs délicats que l'artisan a peint sur le papier de soie pour passer le temps. Elle s'ennuie, et fermement encore.

Des rangs des dignitaires Licornes sort une silhouette féminine. Tsukiko reconnait Ide Kimi, l'épouse d'Asamitsu, de Ryoko Owari. La jeune femme fait quelques pas et récite :
« Le son de la cloche
Du parfum des fleurs
L'écho dans le soir »
avant de saluer élégamment. Les applaudissements sont plus nourris.
- Excellent effet miroir, Kimi-sama. Je vois que vous n'avez pas perdu votre talent.
L'intéressée se contente de s'incliner en souriant.

Un samourai habillé du vert des Dragons s'avance à son tour, et déclame d'une voix pleine de nostalgie :
« Brume du soir
Pensant à autrefois
Comme c'est loin »
Nouveaux applaudissements.
- Magnifique, Daisuke-sama. Et cette émotion...mais malheureusement, ce n'était pas la brume, mais le soir qu'il fallait enchaîner !

Kachiko incline son éventail et prend un air désolé, avant de sourire avec malice.
- Il me faut donc vous donner un gage....qui sera de composer un haiku commençant par...le navet !
Le malheureux s'empourpre de confusion.
En voilà une belle collection de navets, au teint blafard et à la toupe verdissante, tiens...

Alors qu'il lutte sous les regards amusés de l'assistance, une frêle silhouette aux longs cheveux blancs, habillée de bleu glace, s'avance à son tour.
- Si vous me permettez...
« Dans le navet piquant
Qui me transperce
Le vent d'automne »
Cette fois les applaudissements sont nourris et les compliments élogieux.

Quelque peu frustrée que Doji Shizue lui ait ravi son jouet du moment, mais continuant à jouer à la perfection son rôle, Kachiko commente de bonne grâce :
- Vous avez fort bien relevé ce défi, ma chère....Qui poursuit ?

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matsu aiko
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 10 déc. 2014, 13:18

Oh oui, j'en ai un ! Et il ne va pas leur plaire, c'est ça qui est drôle...
Le barde déplie sa grande carcasse et s'étire discrètement tandis qu'il se déplace pour venir au centre du cercle. Sa scène. Son public. Et son coup d'estoc.
Il prend son plus beau timbre de voix, cette voix chaude et caressante faite pour le conte, la déclamation, le discours. Pose son intonation juste là où il faut.

"Vent d'automne
Un mendiant me dévisage
En faisant des comparaisons."

Des rires s'élèvent. Et de nombreux regards désapprobateurs.
- Quoi ? Au moins il a fait rire les gens de bon goût.
- Tout à fait, Ryuji-sama, s'exclame Kachiko avec un sourire éclatant, les pommettes rosies de plaisir. Impossible d'enchainer après ça...
- Merci, dame Kachiko. Même si je complique un peu la tâche de mes successeurs…Qui oserait enchaîner sur une comparaison... sans s'attirer les foudres des puristes ?
Nous sommes ici pour nous amuser, n'est-ce pas ? Alors amusons-nous ! Connaissez-vous l'histoire du samurai, du moine et du tigre ?

Il y a quelques toussotements nerveux, mais il sent qu'il a l'attention de l'assistance.
- Les gens qui me connaissent savent que la peau de mon dos est ornée d'un tatouage que sans fausse modestie, je qualifie de beau. Je m'en vais vous conter l’histoire de ce tatouage, qui fut je ne vous le cache pas un peu particulière. J’étais en voyage aux portes du clan du Dragon et j’attendais la permission pour y entrer depuis déjà… un long moment. L'hospitalité du Clan de la Libellule n'est pas un vain mot, avis à tous les visiteurs qui auraient à séjourner parmi ces samurai remarquables. J’avais fait le tour de tout le kyuden de la famille Tombo, parlé à chacun des samurai de l’endroit, ainsi qu’à une bonne partie des heimin de la province, joué au go pendant des heures contre moi-même et récolté toutes les histoires du clan de la Libellule que les gens avaient bien voulu me raconter. Pour tout dire, j’étais à bout de patience. J’ai donc décidé de m’évader… De nuit.

Je me suis donc faufilé jusqu’au pied de la forteresse à l’aide d’une corde que j’avais réussi à subtiliser lors d’une de mes explorations. Tout se passait bien. Les samurai ne m’avaient pas remarqué, Seigneur Lune en personne couvrait ma retraite en disparaissant derrière les nuages. Or donc, tout semblait me sourire et j’ai décidé de pousser ma chance jusqu’à la frontière. Mais c’était sans compter avec ce satané moine qui décida de me prendre en chasse.

J’ai réussi à lui échapper durant deux longs jours, rampant dans les fourrés, me dissimulant parmi les hautes herbes, grimpant dans des arbres feuillus pour cacher ma présence. J’étais devenu une vraie anguille. Malheureusement, je dus bientôt me rendre à l’évidence : l’individu dont j’avais aperçu les tatouages était toujours sur mes talons. Quelle galère ! Je pris donc la décision de l’affronter, et j’expliquerai pourquoi ce n’était pas une bonne idée.

Comment faire à présent que l’homme en question était devant moi ? C’était un véritable colosse, grand et musculeux, aux mouvements vifs et déliés, au crâne rasé orné d’un dragon crachant des flammes. Je n’avais pas peur de lui. Me battre semblait une bonne option, mais je ne pouvais décemment tirer mon sabre contre un saint homme désarmé ! Je décidai donc d‘utiliser mes mains nues. La plus mauvaise idée de toute ma fichue vie ! J’ai pris une volée tellement cuisante ce jour-là que tous mes os s’en souviennent ! Il m’a pilé comme de la glace et pratiquement assommé avant de me traîner je ne sais où.
Je repris conscience dans une cellule de moine. La brute qui avait piétiné ma cage thoracique était à mes côtés, assis dans la position du lotus, en méditation. Il ouvrit les yeux quelques secondes après moi, me regarda… et éclata d’un rire sonore en apercevant ma face bleue, mon oeil gonflé, ma lèvre fendue et ma pommette éclatée. Je dois bien avouer que sur le moment, j’ai été atrocement vexé mais j’avais bien trop mal partout pour protester.

Je suis resté au sein de cette communauté pendant deux saisons et j’y ai entendu de merveilleuses histoires, dont une en particulier que je vous raconterai ensuite s'il vous reste un peu de patience. J’ai parlé à des hommes incroyables, passé des nuits en méditation, appris à me battre plus correctement, selon mon poursuivant, et un jour on m’annonça que j’allais rencontrer un personnage très important au sein du temple. Je suivis mes condisciples temporaires et l’on me présenta au maître tatoueur du lieu. Un vieil homme parcheminé aux yeux vifs et aux mains qui semblaient perpétuellement en mouvement. J’appris ce jour là, après une très longue conversation avec lui, que le moine qui m’avait amené ici avait demandé à ce que je reçoive un tatouage. Parce que, d’après ses dires, je m’étais battu comme un tigre enragé.

J’en fus le premier surpris, croyez-moi, car j’avais juste eu l’impression de n’avoir été qu’un sac rempli de sable qu’il avait frappé avec constance et application pendant un long moment. Nous discutâmes longtemps, plusieurs jours je crois. Il me demanda comment était le monde en dehors des terres de son clan, ce qu’on disait de lui, les choses extraordinaires que l’on voyait dans l’Empire, comment était la capitale, ce que j’aimais, ce que je détestais… Mille et une choses que j’avais vues, entendues, senties, ressenties, éprouvées. Je dois bien dire que ces conversations me furent bénéfiques. Elles m’apprirent à tempérer mes ardeurs, analyser les situations, prendre la mesure des choses. Cet homme m’a non seulement fait le cadeau inestimable de graver dans ma peau l’animal qui semblait, aux yeux de celui qui avait requis cette faveur, me représenter le mieux, mais il a également pris le temps de m’enseigner la patience, la constance et l’abnégation - en plus de quelques histoires savoureuses dont je garde pour l’instant le secret.

J’ai reçu ce tatouage durant la semaine qui suivit, et su bien plus tard qu’il s’agissait du maître tatoueur du clan du Dragon, de passage dans la communauté. Il ne me fut pas aisé de supporter la douleur qu’il provoqua, mais j’ai enduré cela grâce à l’enseignement de ce moine étrange qui m’avait rossé. Il resta à mes côtés, distrayant mon attention, récitant des mantra avec moi, priant avec moi, m’assommant d’aphorismes lorsque ses histoires étranges ne suffisaient plus. Lorsque je suis reparti en direction des terres de la famille Kitsuki, au bout de quelques mois, il m’accompagna et me laissa entre les mains du magistrat que je devais selon lui aider. Mais ceci est une autre histoire...

Et voilà, nobles samurai, comment moi, Ikoma Ryuji, omoidasu émérite et modeste du Clan du Lion, je supporte la comparaison face au mendiant qui me dévisage.
Serviteur... ajoute-t-il en accrochant son plus beau sourire le temps d'une révérence.

Dans l'assistance, la féroce daimyo de la famille Matsu se prend à sourire. Il est vraiment impossible...

- Merci de ce récit, susurre Kachiko avec un gracieux mouvement d'éventail. Mais tout ceci ne doit pas nous détourner de l'objectif principal de cette soirée...
- Distraire cette noble assemblée ?
- Avec des haiku, répond-elle en haussant un sourcil élégant. Elle réussit dans ce simple mouvement à faire passer à la fois un amusement attendri et un rappel discret mais clair que c'est elle qui fixe les règles du jeu.

"De quel air revêche
elle me regarde
la grenouille !"
Marmonne le barde en reprenant sa place à côté de son voisin effaré.

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