(Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

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matsu aiko
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 10 nov. 2014, 13:40

Il ne manquait plus que ça... Comme si je n'avais pas assez de problèmes en ce moment, il faut encore qu'on en rajoute une couche. Voilà pourquoi j'étais patraque depuis notre départ de Ryoko Owari Toshi. Fortunes, qu'est-ce que je vais pouvoir faire...

Tsukiko marche de long en large dans ses appartements, l'esprit en ébullition. Elle a pourtant pris toutes les précautions nécessaires pour éviter ce genre de problème ! Comment cela a-t-il pu arriver ? Question stupide. Ce genre de chose, ça arrive forcément quand on fait ce qu'ils font avec application.

Maintenant, quelles sont ses options ? Comment lui annoncer la nouvelle ? Quelle décision prendre ? Impossible d'anticiper sa réaction. Impossible de prendre une décision sans le consulter avant. Il est quand même concerné au premier chef...
Il va venir la voir, elle le sait. Alors, il n'y a qu'une chose à faire, l'attendre.

Elle entend le shoji qui coulisse et ses pas qui glissent sur les tatamis luxueux de la pièce. L'appréhension noue soudain son estomac.
Comme toujours, il se déplace avec la légèreté d'un chat, puis sa voix murmure à son oreille, alors qu'il l'enlace :

- Alors, comment va ma comédienne préférée ?
- Pas très bien, répond-elle sur le même ton.
- Hé oui, je sais, je t'ai manqué toute la journée... Si cela peut te consoler, ma propre journée a été assommante. Entendre ces dignitaires, qui n'ont jamais mis le nez dehors, expliquer d'un ton docte à quoi est censée ressembler une campagne militaire... J’ai eu le plus grand mal du monde à ne pas éclater de rire. Enfin, heureusement que j'ai ma petite actrice...

Il frotte son nez contre sa joue, taquin. Elle lui sourit et cependant, quelque chose dans son expression est étrange.

- Il faut que je te parle, Jocho.

Il commence à lui lécher le lobe de l'oreille.

- Je t'écoute.
- Je suis enceinte.
- Quoi ?

À son expression éberluée, il se demande s'il a bien entendu.

- Je suis enceinte.

Un long, un très long silence. Ce n'est pas possible, elle le fait marcher, là. Mais son expression est tout ce qu'il y a de plus sérieuse.

- Tu es sûre ?
- Oui. J'ai vu un médecin. Il me l'a confirmé.

Tsukiko détourne la tête, gênée.
Sur les traits de Jocho défile un mélange complexe d'émotions, où on peut lire à la fois la stupeur, la joie, le désarroi, la fierté, et une panique presque comique.

- Je suis désolée...

S'il n'y tenait qu'à lui, son premier mouvement serait de prendre la tangente, comme à son habitude. Mais Tsukiko a l'air tellement misérable qu'il réprime cette pulsion.

- Nous devons rapidement prendre une décision.

Prendre des décisions... C'est ce qu'il fait toute la journée. Mais là, il n'est pas dans son élément. C'est arrivé dans le passé, bien sûr. Mais jusqu'à présent, il s'est totalement désintéressé de la destinée des bâtards qui pouvaient naître dans son sillage, et de celle de leurs mères. Ce n'était pas son problème.
Non pas que ce soit du dédain ou de la cruauté, il lui est même arrivé de laisser une petite somme d'argent à une jeune mère. Mais il ne se sentait pas vraiment concerné. Si elle avait voulu le garder, c'était son choix.

Mais là, il s'agit de Tsukiko.

- Ce sont des choses qui arrivent...

Dire n'importe quoi, histoire de gagner du temps.

- Ne t'en fais pas.
- Je suis désolée...

La façon dont elle répète cette phrase le rend nerveux. A-t-elle déjà essayé de s'en débarrasser, sans succès ?
Elle frissonne d'appréhension. Comment va-t-elle faire pour assumer cette grossesse ? Il n'a pas l'air de bien se rendre compte.

- Il fallait que je t'en parle avant de faire quoi que ce soit.
- Oui, je comprends, dit-il d'un ton rassurant, même si au moment présent, son esprit est en plein chaos. Et... ça fait longtemps que tu sais ?
- Depuis le début de l'après-midi. Je t'attendais pour t'en parler.
- Ah.

Son embarras ne fait que croître. Ils sont tous les deux aussi mal à l'aise qu'il est possible, au point que cela en devient presque comique.

- Jocho... Je n'ai pas envie de faire partir cet enfant, mais je ferai ce que tu me diras.

Cela lui a coûté de dire une telle chose, bien plus que ce qu'elle n'aurait cru.

- Mais il faut me le dire vite...

Il se racle la gorge, mal à l'aise. C'est bien la première fois que Tsukiko le voit ainsi à court d'arguments.

- Écoute... C'est un peu soudain, là. J'ai besoin de réfléchir, tu comprends ?
- Je comprends.
- Bien, sourit-il, avec un soulagement difficilement dissimulé. Alors, repose-toi, tu en as besoin, et on reparle un peu plus tard, d'accord ?
- Hai.
- Je vais te faire apporter un repas chaud.
- Je n'ai pas très faim.
- Ha... D'accord.

Qu'est-ce qu'il y connaît, lui ?

- Un thé, peut-être.
- Oui, un thé, c'est une bonne idée.
- A plus tard, alors.

Il l'embrasse sur le front.

- Tu ne restes pas ?

Jocho, déjà en train de tourner les talons, se retourne, et rencontre les yeux implorants de Tsukiko. La fuite, en l'instant présent, présente un attrait irrésistible.

- J'ai besoin de réfléchir, répète-t-il.
- Bien sûr. Je comprends. A plus tard.

Elle se lève et se dirige vers la chambre, très digne. Qu'est-ce qu'elle peut bien attendre de lui, à part qu'il fiche le camp ? C'est ce qu'il fait, la plupart du temps.
Derrière elle, le shoji coulisse sans bruit.

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matsu aiko
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 11 nov. 2014, 13:46

Cela fait trois jours qu'a eu lieu le duel clandestin entre Hida Yakamo et Mirumoto Hitomi, trois jours que le karo du fils du Champion du clan du Crabe est venue se plaindre chez lui de la conduite de la daimyo de la famille Mirumoto à l'égard de son seigneur.
Trois jours, aussi, que personne n'a vu cette dernière.

Shoju s'est discrètement assuré que les shugenja attachés à la personne de Hitomi aient tout ce dont ils pourraient avoir besoin, et a offert à ceux-ci l'aide de ses propres shugenja. Il a en retour reçu l'assurance que les jours de la daimyo n'étaient pas en danger, et des remerciements pour l'aide apportée. Remerciements émanant du médecin personnel de Hitomi-hime, pas de cette dernière.

Autant que Shoju puisse en juger, la bouillante daimyo boude telle Achille sous sa tente, remâchant son humiliation et son désir de vengeance décuplé.
Shoju a son idée sur la façon de désamorcer les choses ; mais cela demande, idéalement, une petite mise en bouche, de façon à ce que Hitomi soit un peu plus réceptive à ses arguments.
Et pour cela, il a l'homme de la situation.

Encore une invitation à prendre le thé ? Mais ce n'est pas possible, ils se sont tous donnés le mot...
Ryuji passe la main dans ses cheveux ébouriffés, et lit à nouveau le courrier que son serviteur vient de lui transmettre.
Oui mais bon... c'est une invitation de Bayushi Shoju... et Ryuji aime bien le daimyo du Clan du Scorpion. Etrangement.

- Mais par toutes les Fortunes... Pourquoi toujours m'infliger des lettres au saut du lit !?

L’expression de son serviteur est limpide. Il n'est après tout que le début de l'après-midi.

Oui mais j'ai une vie sociale, moi ! Des amis ! Des trucs de prévus ! Tant pis, j'irai pas au concours de poésie. En même temps... au vu de la médiocrité des participants... Je ne rate rien...

Pour prendre soin de son apparence, Ryuji n'est jamais avare de son temps. Il lui reste deux bonnes heures pour se préparer. Ce sera tout juste suffisant. Surtout si l'épouse du daimyo du clan du Scorpion est là également...

Oh non... Faites qu'elle soit retenue ailleurs, loin... Genre avec les médiocres participants de ce concours de poésie. Que quelqu'un les écharpe avec grâce et légèreté puisque je ne serai pas là !

A l'heure dite, le barde se présente à la porte du maître du Clan des Secrets, impeccablement sanglé dans un kimono dont la sobriété est à l'opposé exact de la qualité de l'étoffe qui le constitue. Il a renoncé à discipliner ses cheveux éternellement en guerre contre lui avec autre chose qu'un catogan mais sans fausse modestie, il a fière allure. Juste au cas où Bayushi Kachiko serait dans les parages...

Il est admis avec célérité et courtoisie dans l'étrange jardin couvert envahi de feuillages où le daimyo reçoit habituellement ses invités. Heureusement pour lui, ce dernier est seul.

- Seigneur Shoju, je suis positivement enchanté de vous revoir. Avez-vous mangé du riz aujourd'hui ?
- Tout à fait, Ryuji-san, je vous remercie. Et vous-même, avez-vous eu le temps de vous restaurer ?
- Oh oui, je loue le sens de l'hospitalité du Clan du Scorpion tous les jours depuis mon arrivée.
- Vous m'en voyez ravi.

Sans que Shoju ait dit quoi que ce soit, un plateau de bois laqué de noir et d'écarlate se matérialise entre lui et son invité.

- Peut-être une tasse de thé, ou quelques douceurs ...?

L'omoidasu émérite du Clan du Lion se résigne. Encore de l'eau chaude pour les souffreteux...

- Hé bien ma foi... Si vous y tenez...
- Vous n'y êtes pas forcé. Goûtez peut-être l'une des pâtisseries, mon cuisinier en est très fier.
- Oh non ! Je vais en prendre, je raffole des sucreries... si vous me promettez de faire venir ce délicieux saké que l'on sert ici dans les flasques rouges. Il est tout à fait divin.
- Bien sûr. Je suis ravi que vous l’appréciiez, Ryuji-san.
- Et moi ravi que vous ayez la courtoisie de l'offrir à vos invités. A votre place, je ne serais pas sûr d'avoir autant de bonté d'âme !

Le daimyo incline poliment la tête.
- Nous nous efforçons que chacun, dans ce château, se sente le mieux possible.

Quelques instants plus tard, un deuxième plateau apparait, porteur d'un breuvage nettement plus en accord avec les goûts du barde.

- Je ne sais pas pour les autres... mais moi, je me sens très bien !

Le daimyo le laisse déguster son saké et une pâtisserie, lève sa tasse de thé, et lâche négligemment :

- Et c'est d'ailleurs de cela dont je souhaitais vous entretenir.
- M'entretenir de... ?

L'instinct de survie de Ryuji commence à s'affoler…

- Comment trouvez-vous votre saké, Ryuji-san ?
- Excellent, comme d'habitude. Quoique...

Les yeux bleus du barde se plissent et il porte sa coupe à ses narines.

- Il me semble beaucoup plus vieux... Les arômes sont bien plus développés que celui que l'on sert au cours des banquets...
- Vous parait-il meilleur que celui que vous avez pu déguster lors de la soirée où nous nous sommes vus, en compagnie de Hitomi-hime ?
- Il n'a rien à voir.
- J'ai toute confiance en votre… expertise… Me serait-il possible de vous demander un petit service, Ryuji-san ?
- Hé bien... Si je puis vous aider, je le ferais volontiers...

Le jeune homme reste prudent. Quand le Scorpion demande un petit service, c'est pas bon...

- Il est arrivé à Hitomi-hime un ...regrettable accident. Et comme je vous l'ai dit, j'ai à coeur le bien-être de tous mes invités. Accepteriez-vous de lui porter un petit cadeau de ma part, avec mes meilleurs voeux d'un prompt rétablissement ?
- Un regrettable accident ? De quelle nature ? Va-t-elle bien ?
- Oui, elle va bien, mais elle est en convalescence, et j’aurais adoucir ses tribulations avec quelques petites attentions. Peut-être auriez-vous des suggestions ?
- Hé bien... Cela dépend des circonstances de son accident... Peut-être du thé ?
- Excellente suggestion, Ryuji-san. J'avais aussi pensé à un petit ouvrage afin de la distraire, une pièce de théâtre, ou des poèmes...Qu'en pensez-vous ?
- Il y a un recueil de nouvelles du Clan du Dragon qui lui plairait, je pense. Il s'intitule "Le vent froid", je lui en ai parlé à l'occasion de notre conversation.

Le barde ressent comme des picotements dans sa nuque...C'est pas bon, ça, Ryuji...

- Ryuji-san, vous êtes décidément plein de ressources. J'oubliais votre talent de conteur ! C’est très aimable à vous de vous charger de cette petite mission et de participer ainsi au bien être des invités de ce château.
- Quelle... petite mission, seigneur Shoju ?
- Mais d'amener à Hitomi-hime le recueil dont vous me parlez, avec un peu de thé des plateaux des terres du Scorpion, et mes voeux pour son prompt rétablissement.

A nouveau un plateau apparaît comme par enchantement, celui-ci porteur d'un pli et d'une boite de thé délicatement marquetée. Décidément...

- Je... Mais pourquoi moi ?
- Allons, Ryuji-san. Comment pourrais-je faire appel à quelqu'un d'autre, après la maestria que vous avez déployée l'autre soir ? Et distraire Hitomi-hime au milieu de son affliction serait, sans nul doute, faire preuve de compassion. Une noble mission pour un représentant du clan du Lion.

Ryuji pense déjà à ce qu'il va devoir inventer pour contenir la fougue de sa dernière et unique conquête du moment... qui lui a dit quelque chose comme "Ne-t'approche-pas-d'elle" ponctué d'un index vengeur martelant son torse avec insistance. Pour éviter la guerre, tout ça...
Oui mais là, mon vieux... S'agirait de se montrer génial... Enfin, plus que d'habitude, quoi...
Ses pensées se lisent sur sa figure.

- Bien sûr, vous pouvez aussi vous contenter de lui apporter le thé et ce petit mot de ma part, si vous le préférez, poursuit Shoju, persuasif. Même une brève visite lui fera plaisir, j'en suis sûr.
- Non, non... Je vais vous rendre ce... petit service. Ce n'est jamais très gai d'être cloué au lit sans possibilité de profiter du bon air. J'en sais quelque chose.
- Merci Ryuji-san, je savais que je pouvais compter sur vous.
- Je suis un garçon à qui on demande souvent de rendre service. Je ne sais pas pourquoi... Sans doute ma prestance naturelle.
- Sans aucun doute, Ryuji-san. Sans aucun doute. Peut-être puis-je faire livrer à vos appartements un peu de ce saké qui a eu l'heur de retenir votre attention de connaisseur ?
- Mais très volontiers ! Je pense avoir un exemplaire de ce livre dans les ouvrages que j'ai amenés avec moi cet hiver. Pour le reste... Je devrais bien pouvoir me débrouiller.

Shoju sourit sous son masque.


Le barde a décidé de ne pas surseoir. D'abord parce que Tsuko n'est pas là - il n'est pas fou et il sait profiter de l'occasion qui lui est offerte, en plus de l'excuse en acier trempé que lui a donnée Shoju. Ensuite parce qu'il n'a rien à faire. Enfin parce que savoir que Mirumoto Hitomi a eu un accident l'ennuie. Il aime bien la bouillante daimyo de la famille éponyme, elle a un caractère aussi volcanique que Tsuko et c'est le genre de femme qui lui plaît.
Oh mais attention, Ryuji... Pas de bêtise ! Sinon c'est la guerre, tu te rappelles ? Hé oui, comment l'oublier...

Trouver le chemin de la Délégation du Dragon n'est pas un problème.

Il se fait donc annoncer et attend qu'on veuille bien le recevoir, son paquet sous le bras. Et pas tout à fait tranquille, il doit bien se l'avouer. Tsuko a un katana très très tranchant et... et elle sait s'en servir.

On le fait rentrer et patienter dans l'antichambre.
Sa nervosité a tout le temps de monter, il lui semble attendre des siècles. Sa popularité aurait-elle baissé ?
Mais non, Ryuji. Ta popularité ne PEUT PAS baisser. Elle est immortelle, comme ton incommensurable talent. Et toute la modestie qui te caractérise. Allez, un peu de patience, que diable !

Puis il entend un éclat de voix. Les paroles ne sont pas discernables, mais il n'y a pas à se tromper, ni sur la voix, ni sur le ton.
Oulah... ça chauffe...

- Mais que se passe-t-il ici ? On torture ?

Le bushi Mirumoto planté à côté de la porte le regarde, choqué.

- Détendez-vous, allons. Nous savons tous les deux que c'est une plaisanterie. Vous ne pensiez pas sérieusement que... Enfin !

L'autre se force à l'impassibilité et se mure dans son attitude de Dragon Mystérieux.

Ah, ces Dragons... Ils devraient en chevaucher un peu plus souvent, ça leur ferait du bien, tiens !

Enfin, un serviteur un peu empourpré débouche dans la pièce, et s'incline devant le barde.

- Mirumoto Hitomi-dono va vous recevoir, Ikoma-sama.
- Magnifique !

Le serviteur le regarde avec un peu d'inquiétude. S'il savait dans quelle humeur est son daimyo...

- Par ici, Ikoma-sama...
- Hé bien allons-y !

Le jeune homme se remet prestement debout et lui emboîte le pas en souriant. Il faut donner le change. Après tout, il risque sa vie en venant jusqu'ici mais c'est pour la bonne cause ! Et une petite faveur que lui devra Bayushi Shoju...Du positif. Que du positif !

Quelques couloirs et gardes plus tard...

Le serviteur fait coulisser la cloison, et s'incline, agenouillé, pour le laisser entrer.
A l'intérieur est installée Mirumoto Hitomi, en position semi-allongée, sous une épaisse couverture. Sur une table proche, des onguents, des pansements, montrent le passage récent d'un médecin.
Quand il entre, elle le toise sans aménités. Elle a l'air nettement plus furieuse que malade.

- Mais vous mériteriez d'être Lion, dame Hitomi ! Je vous ai entendue rugir à trois shoji d'ici. Non, non... Je ne peux que m'incliner.

La sortie du grand barde la déconcerte momentanément.

- Pourquoi êtes-vous ici, Ikoma Ryuji-san ? Pour vous repaître de mon humiliation ? rétorque-t-elle d'une voix aigre.
- Quelle idée saugrenue.

Le jeune homme s'approche d'un pas assuré, vient s'agenouiller près d'elle - les mauvais esprits diraient à portée de katana - en souriant. De plus près il voit les bandages qui enserrent ses épaules.

- Je ne comprendrai jamais les gens qui se moquent du malheur des autres. J'ai simplement entendu dire que vous étiez alitée et je suis venue vous rendre visite. Pour avoir passé quelques mois au fond d'un futon, complètement dépendant des autres, je suis tout à fait à même de savoir ce que ça fait.

L'expression de Hitomi se détend quelque peu. Enfin quelqu’un qui la comprend…
Etre clouée ici, avec les envies de meurtre qui lui dévorent le ventre, sans pouvoir rien faire, c’est juste insupportable. Et devoir dépendre des autres pour tout - vraiment tout - est une humiliation sans nom.

- Merci de l'intention, Ryuji-san.
- Mais c'est avec plaisir, ma Dame. Quand on a l'habitude d'être dehors, il est fort difficile de se retrouver incapable de faire les gestes du quotidien. Tenez ! Je vous ai amené de la lecture !

Il sort triomphalement de la manche de son vêtement un paquet rectangulaire joliment emballé. Hitomi ne fait pas le moindre geste pour le saisir.

- Et du thé aussi... de la part du seigneur Shoju qui vous transmet ses voeux de prompt rétablissement et m'a demandé de vous le remettre ainsi que cette lettre. Mais le livre, c'est moi !

Sans se démonter, le barde défait avec de grands gestes théâtraux le ruban qui retient les plis de la soie.

- Et voilà !

Il la gratifie de son plus beau sourire en lui collant sous le nez la couverture de l'ouvrage qu'il a déniché pour elle dans ses affaires.

- Le Vent froid ! Vous rappelez-vous l'extrait avec lequel je vous ai assommée il y a quelques jours ?
- Merci de cette attention.
Le ton de Hitomi est aussi froid que le vent en question.
- Ah mais qu'est-ce qui vous arrive ? Je ne vous ai rien fait ! Allez, dites-moi...
- Oui, je me souviens de votre récit, répond-elle, embarrassée et furieuse.

Le barde constate qu’elle n'a toujours pas fait un seul geste pour se saisir de l'ouvrage proposé. Et arrive à la conclusion logique.

- Vous ne pouvez pas vous servir de vos mains, c'est ça ? Et ne me regardez pas comme ça, j'ai l'impression que vous voulez me manger et ce n'est pas très agréable... Je préfère quand vous voulez me jeter du haut des remparts.

Elle le fixe sans ciller, puis soupire. Il est bien intentionné, et c’est encore pire.

- Lisez-moi un passage, si vous le voulez bien ?
- Bien sûr que je veux !

Le barde a un sourire hautement satisfait et ouvre le livre... à la dixième page.

« Ce vent-là… Oui, ce vent-là…
Je ne le sentirai plus quand je serai là-bas, enfermé entre les murs d’un palais inconnu dont je n’aurai aucune idée de la magnificence. Les odeurs capiteuses m’enchaîneront, les bruits incessants me cloîtreront, l’illusion de la chaleur me fera frissonner et les mets les plus fins ne seront que cendres dans ma bouche.
Le vent froid de l’hiver ne viendra pas m’emporter dans ses bras, au-dessus des nuages et loin de mes peurs, il ne sera pas là pour me soulager de mes peines et tourbillonner autour de mes chevilles, il ne me dira pas quand le printemps reviendra, ni quand le soleil va se cacher, ni quand la neige va tomber. Il restera là, dans les montagnes, avec les dragons.
Et je ne sais pas si je le sentirai de nouveau sur moi un jour. »
- Je vous ai épargné le début, vous l'avez déjà entendu.

Sa voix perd la touche moqueuse qui y perce souvent pour se poser naturellement sur les mots, faisant fi des difficultés de la langue, flirtant avec les sonorités les plus déstabilisantes avec une aisance déconcertante. Le barde égrène avec douceur les descriptions, les images prennent vie sous les intonations chaudes et chantantes de sa voix grave.
Il ne compte pas son temps, il sait le pouvoir que son art possède sur les esprits. Il sait que Hitomi a besoin de penser à autre chose, qu'elle a besoin de s'évader de cette chambre où elle est cloîtrée à son corps défendant.
Le conte prend vie au fur et à mesure de son récit, il donne du relief aux personnages, aux lieux, aux émotions. Il reste là, calme et concentré aux côtés de la bouillante jeune femme qu'il sent se détendre malgré elle.
Le serviteur est revenu avec des lanternes. Le soir est tombé sans que personne ne vienne interrompre la lecture. Il lui a montré les délicates illustrations qui parsèment l'ouvrage. Puis il a placé le marque-page et refermé le livre avec soin.

- Et c'est tout pour aujourd'hui, ma dame. Il faut en garder un peu pour plus tard.
- Merci, Ryuji-san.

Cela lui a beaucoup moins coûté de le remercier qu'elle ne l'aurait cru.

- Je vous en prie, le plaisir était pour moi. A demain même heure si je puis me libérer ?
- Vous serez le bienvenu.
- Parfait ! Vous me direz ce que vous avez pensé du thé. Je ne suis pas un fervent adepte de l'eau chaude.

La remarque tire un petit sourire de la bouche de la jeune femme. Le barde se lève et efface les plis sur la soie de son hakama, lui adresse un sourire chaleureux.

- Reposez-vous, dame Hitomi. Plus vous écouterez votre corps, plus vous guérirez vite. Je parle d'expérience.

Hitomi fait la moue, mais elle sent son interlocuteur bien intentionné, et le salue de la tête. Ryuji s'incline et sort de la pièce.
Dernière modification par matsu aiko le 12 déc. 2014, 18:34, modifié 1 fois.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 12 nov. 2014, 14:47

Palais Bayushi, jardin d'hiver.

Les feuillages élégants dessinent une trame d'ombres au-dessus des tables de pierre. De délicates orchidées, aux couleurs surprenantes et aux parfums entêtants, ornent les parterres. Des passages couverts de feuillages créent une artistique impression d'intimité. Par ci par là, on voit des courtisans aux tenues chamarrées, aux masques fantastiques, conversant deux à deux, comme issus de quelque bestiaire imaginaire coloré, dont cette architecture de verdure recherchée est l'habitat.

D'autres sont assis, prenant le thé ou concentrés sur une partie de go. Un peu à l'écart, deux hommes devant une partie de go. Mais Jocho est trop préoccupé pour que le goban retienne son attention. Sur une inspiration, il fouille dans sa manche, en sort une paire de dés.

- Ça te tente ?

Ryuji se met à rire.

- Tu les as toujours ? Ils sont truqués, tes dés ! Tu avais perdu dix koku avant de t'en rendre compte !
- Pas du tout, répond l'autre avec un large sourire. Mes dés ne sont pas pipés. Mais quand on triche, il faut le faire avec talent.
- Alors, il avait beaucoup de talent, ton adversaire, parce que tu as bien failli te faire plumer comme un débutant !

Le rire chaud du barde résonne encore.

- Pour un Ikoma, tu as une mémoire désastreuse. C'est toi qui avais perdu dix koku cette fois-là ! Et je triche aux dés depuis plus de temps qu'il n'y a de générations dans une généalogie du clan du Lion.

L'hilarité de son comparse s'accentue.

- Faut dire qu'avec tout le saké que tu avais bu, et le reste, je comprends que la mémoire te fasse défaut.

Le sourire de Jocho est complice.

- Pauvre, pauvre Scorpion ! Et dire qu'il a fallu que je vole à ton secours ce soir-là... Je me demande lequel de nous a la mémoire courte, ici !

Jocho a un sourire ironique.

- D'accord, j'écoute. Raconte-moi ta version des événements.
- Je te connais, Shosuro, tu vas encore dire que je ne suis qu'un menteur ! Tu prétendras que j'étais saoul, ou que je m'attribue le beau rôle, ou bien que je gisais assommé et que tu as dû voler à mon secours.
- Simplement que comme tous les bardes, tu réinventes l'histoire pour qu'elle puisse coller avec ce que tu veux en faire... C'est beau la créativité.
- Les bardes et les dramaturges du Clan du Scorpion. Et en matière de réinvention, je ne vous arrive pas à la cheville !

Cette fois, le Scorpion ne peut s'empêcher de rire.

- Oui, nous avons d'excellents comédiens.

Leur hilarité fait se tourner les têtes vers eux. Il est rare d'entendre des samurai rire aussi ouvertement dans ce lieu. Et rare de voir un Lion et un Scorpion rire ensemble.

- Bon en attendant, l'Ikoma, tu sais toujours comment tenir ton public en haleine ! Pour l'histoire, j'attends, là.
- Je sais. Je ne m'en lasse pas... J'adore quand je te sais suspendu à mes lèvres.
- Montre-moi ce qu'est un vrai Ikoma en pleine action, juste pour rire. Quand à mes lèvres, j’ai commandé du saké.
- Un vrai Ikoma ne rit pas, Shosuro. Un vrai Ikoma assène d'un ton docte des dates quand il n'a aucun talent. Ceux qui en ont suivent ceux qui prétendent en avoir pour chanter leurs louanges. Dans quelle catégorie dois-je te classer ?
- Moi ? Dans aucune. Je suis inimitable.
- C'est bien ce que je craignais. Parmi les vantards sans classe.

Un nouvel éclat de rire, plus sonore que le précédent. Les courtisans commencent à les regarder à leur tour.

- Dans ce cas, tu en fais également partie.
- Oui, c'est pour ça qu'on s'entend si bien !

Cela détonne assez franchement, dans ce décor raffiné, dans ces conversations murmurées, dans cette ambiance de subtilité, de mystère et d'intrigues qui est la coutume à la cour du daimyo du clan du Scorpion.

- Bon, pour en revenir à cette histoire de dés pipés - que tu as toujours en ta possession, infâme coquin que tu es - je te rappelle que nous avions commencé la soirée d'une façon passablement arrosée...


La fumée épaisse dans le tripot n'arrive pas à étouffer les clameurs des joueurs rassemblés autour des tables de jeu. Près de la porte, le maître des lieux, Viande-Maigre, contemple l'expression de son empire en souriant.
Les serviteurs vont et viennent entre les joueurs, déposant des coupes de saké près de ceux qui le demandent.

Les paris vont bon train ce soir et les habitués commencent à arriver. Il est encore tôt, enfin... pour les oiseaux de nuit qui fréquentent son établissement. Viande-Maigre sourit. Les bénéfices seront conséquents. Une bonne nouvelle, une de plus.
A l'entrée, Gras-Double redresse sa grande carcasse adipeuse et va ouvrir la porte. Une volée de gamins entre en courant et en criant, chassée par un homme de haute stature gesticulant avec force.

- Filez, mo kwai ! Et que je ne vous y reprenne plus, hein ! Non, mais... Me prendre pour un imbécile quand on fait à peine la moitié d'un ken... Gobelins, va ! Non, mais tu as vu ça ? A peine cinq ans et ça se prend déjà pour un tire-laine !

Celui qui l'accompagne frotte amicalement la tignasse drue d'un des gamins au passage.

- Bah, il faut bien qu'ils s'entraînent...
- C'est vrai. Mais pas sur moi.

L'autre lui envoie une bourrade amicale dans les côtes.

- Allez, viens ! Les tables doivent déjà être ouvertes.

Ils doivent l'un et l'autre se baisser pour entrer dans le bouge.

- Salut, Viande-Maigre ! Alors, l'ambiance est bonne, à ce que je vois !
- Ryuji-sama ! Voilà un moment que je ne vous avais pas vu ! Comment ça va ?
- Ma foi, comme quelqu'un qui revient à la vie après un long séjour en prison.
- Pardon ?
- Non, laisse tomber...
- Comme vous voulez.
- Ouais, je veux.
- Ce qu'il veut dire, intervient Jocho, c'est qu'il a besoin de tous les délices de la civilisation. De l'alcool, du jeu, des filles. Normal, quoi. Ça te fait quoi, Viande-Maigre, d'être un représentant de la civilisation ?
- J'en suis flatté, Jocho-sama, très flatté.
- Bon, alors amène-nous à ta meilleure table, on veut jouer, ce soir.
- Mon établissement vous est toujours ouvert, vous le savez bien !
- Vraiment jouer.
- Hé oui, c'est pour ça qu'on vient ! Pas du truc de mauviette, des fifrelins, de la demi-mesure, un truc d'hommes, quoi. Du sérieux.
- J'avais compris, Jocho-sama. Très bien. Dans ce cas, Panier va vous conduire à LA table. Panier ! Viens ici, chenapan !

Un gosse d'environ cinq ou six ans surgit d'un recoin derrière lui, la tête chiffonnée, le regard de celui qui vient de se réveiller.

- Hai ?
- Emmène mes amis à la table du fond !

Le gamin s'extirpe du panier d'osier dans lequel il dormait vraisemblablement, puis s'approche en souriant de toutes ses dents.

- C'est par ici ! s'exclama le dénommé Panier de sa voix encore légèrement zézayante.
- Tu ne devrais pas dormir dans un futon, toi ?
- Si, mais y'a personne pour me garder !
- Hé oui, alors tu es venu te faire garder au tripot.
- Voilà !

Ryuji se met à rire et ébouriffe la tignasse du gamin.

- Allez, mon ami veut du sérieux !
- Oui, Ikoma-sama, répond le petit garçon en les emmenant dans le labyrinthe des tables et les vociférations du public.

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matsu aiko
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 13 nov. 2014, 13:45

- Hé, ses dés sont pipés, vieux...

Le Scorpion tourne vers lui des yeux rougis par l'alcool et la fumée. Le barde avale en grimaçant le contenu de sa coupe et le saké lui fait monter les larmes aux yeux.

- Bon sang, c'est un vrai tord-boyau, ce truc...

Il attrape la pipe à opium et en tire une longue bouffée qui manque de l'achever. Retient la fumée dans ses poumons un moment et regarde son ami, aussi peu frais que lui. Voilà bien deux heures qu'ils jouent.

- Pipés ?
- Si on ne passe pas le reste de la nuit à vomir, on aura du bol... Oui, pipés. Pipés, truqués...

D'un geste nettement plus prompt de ce à quoi on aurait pu s'attendre au regard de son état, mais très inférieur à la rapidité foudroyante qu'il possède à jeun, le Scorpion intercepte au vol le poignet du joueur, le forçant à lâcher le cornet à dés et s'emparant du contenu.
Il coince un dé entre ses dents, puis le recrache. Une fine poudre s'écoule du dé fendu.

- Tu vois ? Je te l'avais dit !

Il jette celui-ci à la figure du lanceur, avant de saisir ce dernier par la gorge. La figure de l'homme commence à virer au pourpre.

- Oh là, oh là, oh là, Jocho, laisse-le respirer !

Ryuji se lève à son tour et tente de lui faire lâcher prise. Il y a un mouvement à la table, comme de la houle.

- Oh, merde !

Le barde se baisse juste à temps pour éviter un poing massif et se sent obligé de rendre la politesse. Bien entendu, le copain du gros poing arrive à la rescousse.

- Tu oses me balancer des dés pipés...gronde le Shosuro entre ses dents, fixant d'un regard noir l'homme qui fait des moulinets désespérés pour se dégager de sa poigne. Tu oses ! Avec moi !

Plusieurs silhouettes, dont certaines d'une carrure impressionnantes, se rapprochent de la table. Le reste des joueurs reflue précipitamment. Pendant qu'il demande des explications au sale tricheur qui a voulu l'arnaquer, les deux gros poings se sont rejoints autour de la gorge de son comparse, qui vire au violet malgré ses tentatives pour se libérer. Il a l'idée de génie de balancer son pied entre les jambes en-dessous des gros poings, ce qui a pour effet de dénouer la prise.

- Rhaaaa.... Rhaaaaa....

Le barde tapote frénétiquement sur l'épaule de Jocho.

- Quoi encore ?
- Rhaaaaa.... se contente d'éructer le Lion en lui désignant le groupe de brutes.

Il balance pour bonne mesure son pied dans la tête de celui qui a voulu l'étrangler. Le Scorpion fronce les sourcils, laisse tomber l'homme dont la figure est devenue toute bleue sans plus s'en préoccuper, et se tourne vers le groupe, l'air menaçant. L'homme tombé à terre fait des soubresauts comme un poisson sur le pont d'un bateau.

- Rhaaaa... lopard....
- Bon, alors vous, écoutez-moi bien. Lui, là, c'est mon pote. L'attaquer, c'est comme m'attaquer moi. Je n'aime pas du tout qu'on touche à mes copains.

Ryuji attrape le flacon de saké et en avale une bonne lampée pour se donner du courage. Ils vont se battre, c'est sûr. Histoire d'éviter les mauvaises surprises, il envoie son pied dans l'estomac du poisson sur le plancher. Le poisson cesse de bouger.

- Pareil que lui, lance-t-il ensuite à la troupe patibulaire. Copains tout ça !

Sans plus d'hésitation, Jocho plonge vers l'assaillant de l'Ikoma, avec la ferme intention d'opérer une connexion entre son poing et la figure de l'individu. Ce qu'il n'a pas prévu, c'est la déplorable qualité du revêtement de sol. Son assaut se transforme en chute et la connexion se fait, mais plutôt au niveau de l'estomac. L'homme se plie en deux, le souffle coupé, et les deux adversaires roulent à terre.

Dans le même temps, l'Ikoma balance son coude dans le nez de celui qui tente de prendre le Shosuro à revers. Une claque magistrale l'envoie bouler à un bon ken de la mêlée qui s'annonce et il doit se secouer la tête pour chasser les étoiles qui ponctuent soudain sa vision.

- Oh, mes ancêtres...

Il se relève tant bien que mal alors que le tripot se transforme soudain en champ de bataille.

- Oh, merde...

Le barde plonge derechef, volant au secours du bushi. Le sommet de son crâne heurte violemment le menton d'un pugiliste, qui éclate comme un melon. Tout comme le cuir chevelu de son assaillant.

- Argh... Aïe aïe aïe aïe aïe aïe... Lâche-le ! Lâche-le, je te dis !

En temps normal, Jocho n'aurait fait qu'une bouchée de son adversaire. Mais là, ils ont bu et fumé de façon astronomique, même pour lui. Il finit par s'extirper du corps à corps, laissant son massif adversaire sur le carreau.

- Ah, il y avait longtemps que je n'avais pas rigolé comme ça...

Deux autres hommes se lancent à l'assaut de l'Ikoma rossant d'importance un des agresseurs de son ami. Une pluie de coups s'abat sur ses épaules.

- Hé ! C'est pas du jeu !

Un atemi bien placé débarrasse Ryuji du premier, avant que Jocho ne s'occupe du deuxième. Rien de tel que l'adrénaline pour dessaouler. Attrapant un tabouret, Jocho le projette vers un de leurs adversaires, avant de renverser une table. L'homme s'écroule avec un gémissement.

Dans le même temps, Ryuji intercepte un téméraire qui tente une attaque en traître. Un magnifique coup de boule le cueille au nez et l'envoie rouler plus loin. La situation devient critique.

- Ah ! Et de cinq !

Jocho entonne une chanson de marin évoquant la tristesse de quitter le port, avant de projeter un de leurs adversaires au travers de la baie. On entend un 'plouf'. Toujours chantant d'une agréable voix de baryton, il en saisit un autre par le poignet et entreprend de lui faire faire un soleil à son corps défendant.

- Hissé oh ! chante à son tour Ryuji en canon. Ah ! Charogne !

Avec un grondement féroce, le Lion ramasse le plateau de jeu et le brise net sur la tête d'un qui passe par là. Il en empoigne un autre et le mord cruellement à l'oreille, comme un roquet qui s'acharne sur un malheureux rat.

- Jocho-sama ! gémit la voix geignarde de Viande-Maigre. Arrêtez ! Vous allez tout casser !

Son adversaire hurle de douleur, mais le barde ne lâche pas prise. Il secoue la tête, comme ledit roquet.

- Grrrrrr !!!!!
- Aaaaaaaaaahhhhh !!!!!!!!!!!!!!!
- Grrrrrrrrrr !!!!!!!!!!!!!!
- Aaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhh !!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Le Scorpion se retourne et hausse un sourcil interrogateur, avant d'éclater de rire devant le spectacle. Le bout d'oreille cède et le Lion le crache rageusement, puis se "purifie" avec le saké de l'établissement.

- Bâtard !

Un coup de pied le cueille au foie.

- Charogne ! Je vais t'apprendre la politesse, moi ! Salopard ! Ah !

Il y a un silence soudain, le silence qui suit les grandes batailles, alors que les deux amis regardent autour d'eux. Il ne reste plus que des corps à terre, gémissants ou inconscients, et la figure terrifiée de Viande Maigre, blêmissant au milieu du carnage.
Tous les autres ont jugé bon de s'éclipser.

- Ah, Viande-Maigre, mon ami ! lance Ryuji en ouvrant ses bras. Ton établissement est toujours aussi accueillant !

Jocho éclate de rire, entoure l'épaule de Ryuji, lance :

- Allez, la prochaine tournée est pour moi !
- Parfaitement ! Saké pour tout le monde ! Ou du moins, ce qu'il en reste... Tiens, pour la casse ! ajoute-t-il en lui jetant une petite bourse.
- Ah et je prends ça en souvenir, fait le Scorpion en ramassant à terre une paire de dés et un cornet.

Le barde se penche et fouille le corps de l'un de ses assaillants.

- Et moi, je prends ça ! C'est pas à lui !

Il montre à Jocho un petit pendentif en or.

- Indubitablement féminin, mon cher. Dès que ma lèvre aura dégonflé, nous nous mettons en quête de sa propriétaire légitime ! Ah, je saigne... Merde..
- N'importe quoi, déclare Jocho, comme une profonde vérité philosophique.

Ryuji a le nez qui saigne et un bel hématome en formation au niveau du front, là où il a heurté la table d'une façon un peu précipitée.

- Mon kimono est déchiré ! geint-il en regardant le trou béant au niveau de la manche. Regarde, ça a raisiné partout ! Ah, on va la terminer où, la soirée ? On n'est plus saoul, maintenant !
- Non, c'est un problème...

Il tire de sa poche un mouchoir, qu'il partage en deux.

- Ton nez... C'est une vraie fontaine.
- On va trouver, ne t'en fais pas. Merci, dit Jocho en coinçant le bout de mouchoir dans sa narine gauche.
- Je m'en fais pas. Ah, bravo... Non mais, je te jure, quelle classe... On va chez Magda ?
- Tu vois, c'est l'avantage du noir, ça ne tâche pas.
- Regarde ! Mon kimono est tout déchiré !
- Tu en as d'autres, non ?

Le barde fit demi-tour pour retourner à l'intérieur.

- Salopard ! Je vais t'apprendre, moi !

Gras-Double s'interpose calmement, et son énorme bras contient la colère de Ryuji avec une facilité déconcertante.

- Un kimono tout neuf ! Charogne !
- Faut pas rester là, Ikoma-sama...
- Grrrr... Je ne sais pas ce qui me retient, tiens !

Il tourne les talons, grommelant d'importance. Sa main se lève pour couper court à toute vanne.

- Ne dis rien !
- Le bras de Gras-Double, contre Jocho, amusé.

Trop tard. Le barde se jette sur lui et ils roulent dans la rue sur le pavé. Jocho hoquette de rire sous la charge furieuse.

- T'en as pas encore assez ? dit-il en contrant aisément les coups de poings du barde entre deux fous-rires.
- Non. Je pisse le sang ! Et j'ai dessoulé... Les Fortunes me détestent...
- Et se rouler par terre est une bonne façon d'y remédier.
- Ah, ferme-la. Bon, on va se changer. On peut pas aller chez Magda comme ça. Tu viens ? Je t'offre l'hospitalité.
- Bah, on peut faire plus simple, je peux envoyer quelqu'un nous chercher des tenues de rechange... Ça t'évitera de traverser la moitié de la ville comme ça.
- Ouais... C'est mieux, tu as raison.

Quelques minutes plus tard, un jeune garçon file ventre à terre vers le Palais, porteur d'une brève missive. Vingt minutes plus tard, Jocho et Ryuji ont en partie repris figure humaine. Leurs adversaires sont pour la plupart beaucoup moins glorieux. Viande-Maigre n'a pas tenté de remettre la salle en ordre, visiblement convaincu que tant qu'ils seront là, le reste de ses possessions court un risque.

- Hissez ho ! chante Ryuji à tue-tête en passant un bras autour des épaules de son ami.

Au bout de trois quarts d'heure, le jeune garçon revient, porteur d'un paquet et de deux coiffes panier. Il s'incline devant les deux hommes et dépose le paquet.

- Merci.

À l'intérieur, deux kimonos. Identiques. Noirs, avec le mon Shosuro.

- Ha, je n'avais pas précisé...
- Quoi ?! Mais...
- Bah, sous la coiffe, ça ne se verra pas...
- Ah, tu m'auras tout fait !

Le Scorpion se met à rire.

- C'est ce que je t'ai dit, le noir, c'est moins salissant... Ça t'évitera de te tâcher tant que tu saignes... Tu vois, c'est un avantage !

L'autre lui lance un regard mauvais.

- Remarque... On s'en fout, c'est pour la bonne cause.
- Tout à fait. Je veux bien m'habiller une fois en Lion, si ça t'amuse.

Il sort son wakizashi et découpe proprement le mon de sa famille sur son kimono fichu.

- Bon, tu n'as pas fini, avec tes opérations de coutures ?
- Comme ça, ton magistrat ne me collera pas en geôle pour usurpation d'identité ! Et oui, j'ai fini.
- Hmm, c'est une idée.
- Quoi ? Quoi ? Quoi ?
- Mais en attendant, nous avons mieux à faire. Chez Magda !
- Chez Magda !

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matsu aiko
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 14 nov. 2014, 14:03

L'incident Hitomi est sorti de l'esprit du barde, très occupé par ses diverses activités à la cour pour le compte de son daimyo. Il a fait savoir à Bayushi Shoju que son invitée n'était pas de bonne humeur, qu'elle avait probablement envie de tuer des gens et qu'il était sans doute dangereux de s'en approcher sans un bâton pour repousser les fauves, mais qu'en dehors de ça elle était tout à fait délicieuse.

- Merci de ces informations, Ryuji-san. Lui avez-vous remis ma lettre ? Comment a-t-elle réagi ?
- Je n'étais plus là quand elle l'a ouverte mais je suppose qu'elle a été sensible à l'attention. Je dois repasser en début d'après-midi. Si elle accepte de me recevoir, je le lui demanderai.
- Très bien, Ruyji-san. Tenez-moi au courant, sa santé me tient à coeur.
- Je n'y manquerai pas, seigneur Shoju.

L'après-midi passe et c'est l'heure de son rendez-vous avec la daimyo de la famille Mirumoto. Ryuji touche du bois, pour le moment Tsuko ne lui a parlé que de sa partie de chasse.
Mais il a son excuse en acier trempé, daimyo du Clan du Scorpion tout ça. Et puis il n'a aucune intention de lui faire la cour. En tout cas pas tout de suite. Ni dans un futur proche, à vrai dire. Parce qu'il faut bien l'avouer, il n'a pas envie de mourir.
Il se rend donc à l'heure évoquée la veille chez le daimyo de la famille Mirumoto et se fait annoncer.

Cette fois-ci, il n'a pas besoin d'attendre, et l'accueil est beaucoup plus cordial. La pièce a été aérée, réaménagée, et même la malade a un air beaucoup plus pimpant que la veille. Et ça, à l'aune de l'expérience du barde... c'est très suspect...

S'il s'agissait de quelqu'un d'autre, il aurait dit qu'elle s'est faite belle pour leur rendez-vous.
Aïe aïe aïe.... La guerre tout ça, Ryuji... N'oublie pas la guerre...
Même si cette marque d'attention est du miel pour l'ego démesuré de l'omoidasu, la perspective de voir flamber le torchon entre deux Clans Majeurs le pousse à avoir la retenue qui s'impose en ces circonstances. Il se contente donc d'un grand sourire cordial et s'incline.

- Ah, vous avez l'air d'être bien mieux qu'hier, ma dame ! Vous m'en voyez ravi.
- Bonjour Ryuji-san.

Hitomi a l'air sincèrement contente de le voir.

- Alors, vous êtes de bonne humeur ! Je suis content ! J'ai amené un peu de saké si ça vous dit. L'eau chaude... c'est bon pour les malades et vous ne semblez pas trop l'être cet après-midi !
- J'ai goûté votre thé ce matin, il était délicieux. Mais un peu de saké, pourquoi pas.
- Hé bien ça va faire plaisir au seigneur Shoju, il a choisi le meilleur thé du kyuden pour vous. Mais je savais qu'une personne de votre qualité ne pouvait qu'apprécier ce divin breuvage.

Le jeune homme tire de sa manche deux coupes de porcelaine et une flasque ventrue et cachetée à la cire avec un sourire satisfait, en brise le bouchon d'un geste expert et remplit avec soin les contenants.

- Si un jour vous vous rendez à Ryoko Owari Toshi, n'oubliez jamais cette tradition qui a court entre ses murs : venez toujours avec votre tasse. Vous montrerez ainsi le talent d'un artisan que vous parrainez et votre connaissance des usages de la cité. Et kampei, achève-t-il en lui tendant l'objet.
- Je ne puis accepter, cette tasse vous appartient.
- Ah non, j'ai amené mes coupes pour contourner les prescriptions de vos médecins... Ils sont toujours en train de vous interdire tout et n'importe quoi.

Malgré elle, Hitomi sent un début de fou-rire l'envahir. Le barde est vraiment hors-normes. Elle laisse échapper un gloussement fort peu seyant, puis réussit à articuler :

- Merci alors de me servir dans une de vos coupes, Ryuji-san.
- Je vous en prie.

Il s'exécute de bonne grâce et lui tend la porcelaine en souriant.

- Vous verrez, il a des arômes absolument surprenants.

La jeune femme se contente de le regarder sans mot dire.

- Bon... Vous voulez bien me dire ce qui ne va pas ?

Hitomi se tait toujours. Vous étiez plus perspicace hier, Ryuji-san...
Soudain la mémoire revient au barde. Difficile de boire sans les mains.

- Ah ben oui, forcément... L'accident... Hé bien, ce n'est pas grave, on va se débrouiller sans !

Son voisin se déplace sur les tatamis pour se rapprocher d'elle mais ne fait pas de geste déplacé. Sans se démonter, il approche la coupe de la bouche de la jeune femme, la penche pour qu'elle puisse boire. Ryuji sent l'odeur de sa peau, et un parfum léger, un peu floral. Hitomi ? Avec du parfum ?
Oh la la, du parfum... T'es dans la mouise, Ryuji...
Elle trempe ses lèvres dans la coupe qu'il a obligeamment présentée. Les longs doigts du barde sont tout proches de sa joue. Avale une gorgée. Ils sont si proches qu'il peut suivre le chemin du saké dans sa gorge.

- Alors, il est bon ?

Elle tourne légèrement la tête, ses yeux lui sourient.
Non, ne regarde pas ! Si tu regardes, tu sais qu'il va arriver une catastrophe. Genre Tsuko va rentrer et faire un esclandre. Tu le sais que tu n'es pas en veine en ce moment, ne tente pas l'oni !

- Délicieux.
- Vous voyez, je vous l'avais dit !

Il repose la coupe sur le tatami et attrape le livre posé près du futon, sourit avec chaleur.

- On reprend ?
- Ne voulez-vous pas m'en servir encore une gorgée ?

Pour un peu, le barde dirait qu'elle minaude. Mais non. C'est impossible. Non. Une femme de sa trempe ne minaude pas. Elle fait du charme.
Enfin... je crois ?

- A votre service, ma dame.

Il remplit à nouveau la coupe et la porte à sa bouche, l'incline pour lui permettre de boire. Hitomi entrouvre les lèvres. C'est bien la première fois qu'elle apprécie une des conséquences de son infirmité actuelle...
Et le barde se met à transpirer mentalement. Si jamais la Lionne débarque en défonçant un shoji, il est bon pour la plus monumentale des scènes de ménage depuis que le monde existe. Et pour une fois, il n'aura rien fait !

La jeune femme boit le saké, s'humecte les lèvres.

- Vous serait-il possible de bien vouloir m'essuyer la bouche, Ryuji-san ? demande-t-elle avec une pointe de malice.

Le barde transpire deux fois plus. Si ça ne ressemble pas à une invite, il veut bien être pendu...

- Mais bien sûr.

Il sort de sa manche un délicat mouchoir de soie et tamponne avec délicatesse les jolies lèvres pleines et bien dessinées de...
Oh Ryuji ! concentre-toi !
La guerre. La guerre. Tu te rappelles ?


- Merci, Ruyji-san.

Il va vraiment falloir qu'elle l'invite sur ses terres, une fois qu'elle aura récupéré.

- Je vous en prie.

Le jeune homme fait disparaître le mouchoir dans sa manche et reprend sa place, qui ne prête pas du tout à confusion, mais alors pas du tout...Mais il ne peut manquer le regard amusé de la jeune femme, tout à fait consciente de son trouble.

Oh la la... Mais qu'y puis-je si toutes les femmes ont envie de faire plus ample connaissance avec moi ? Fortunes, il faut un peu en laisser aux autres, ça va se voir que je suis un de vos chouchous...

Du coup il en a presque oublié ses intentions de lecture.

- Où... en étions-nous ?
- A la fin du premier chapitre, il me semble.
- Ah oui. Reprenons dans ce cas. Plus rien à essuyer, à boire, à manger ?
- Non, c'est parfait, je vous remercie.

Son ton est poli, mais son expression est franchement amusée. Le barde a un sourire complice et ouvre d'un geste emphatique l'ouvrage posé sur ses genoux.

- Dans ce cas, ma dame, souffrez que je vous emporte sur les terres mystérieuses de votre Clan le temps d'une lecture...

Et il reprend.

Une bonne heure plus tard, il ressort des appartements de Hitomi, pas peu fier de son irrésistible pouvoir de séduction. Même si ce dernier est sans doute en train de lui attirer des ennuis colossaux.
Du coup, il a complètement oublié de demander à Hitomi ce qu'elle avait pensé de la lettre de Bayushi Shoju. Qu’à cela ne tienne, il fait volte-face et le voilà qui revient et lance à travers la pièce.

- Ma dame ! J'étais tellement plongé dans cette histoire que j'en ai oublié une chose importante... Le seigneur Shoju voudrait savoir ce que vous avez pensé de son pli.
- Mais...rien de particulier, répond Hitomi, un peu interloquée. Remerciez-le de ma part pour le thé et ses attentions.
- Ce sera fait ! Une bonne fin de journée à vous !
- Bonne journée, Ryuji-san ! Et revenez vite me voir !
- Je vais tâcher, ma dame. Je vais tâcher.
Si tu as encore la tête sur les épaules à ce moment-là...
- Ah mais j'insiste ! Je souhaite connaître la fin de ce recueil !
- Je vais tâcher, j'ai hélas mon lot d'obligations... Nous nous devons tous à nos seigneurs, vous le savez bien.
- Vous trouverez bien un moyen de vous libérer...

Les yeux de Hitomi pétillent.

- Je trouve toujours, ma dame. Ayez confiance...

Et sur ces mots il s'éclipse avant qu'elle ait le temps de lui arracher une promesse plus définitive.
Ah oui parce que tu les connais, les femmes ! Elles te font faire n'importe quoi... Et toi, tu cours !
Et si Tsuko se fâche, il risque de courir longtemps...
Non... Si elle se fâche, tu n'auras pas le temps de courir. De toute façon, elle court plus vite que toi.

Malgré le katana suspendu au-dessus de sa tête, c'est donc fort satisfait de lui-même que le barde regagne les halls du Palais, et ses appartements après avoir informé le seigneur du Clan des Masques du résultat de son entrevue avec la volcanique Mirumoto Hitomi. Il faut qu'il se pomponne, ce soir c'est fête.

Shoju le remercie de son intermédiation, s'informe de l'humeur du volcan en question, et termine l'entrevue en se frottant les mains. Tout se passe à la perfection.


Quelques jours plus tard…

Ryuji a consacré une partie de l'après-midi en diverses obligations sociales pour son daimyo et néanmoins ami Akodo Toturi, puis il est allé chez Mirumoto Hitomi lui apporter un livre et prendre une tasse d'eau chaude. Il y a passé un moment agréable avant de se rendre chez Bayushi Shoju pour une partie de go, et enfin de retourner chez lui, passablement fourbu. La journée a été longue même pour lui.

Devant ses appartements, l'attend une guerrière habillée de noir et d'or. Une bushi de la Fierté. En train de faire le pied de grue devant chez lui - le comble pour un Lion.
Ohlala... On est déjà en guerre ?
Quand elle le voit arriver, elle claque des talons avec une précision toute militaire, s'incline avec raideur, et déclare :

- Matsu Tsuko-dono vous attend, Ikoma Ryuji-sama. Veuillez me suivre.
- Heu... Si vous voulez...

Le jeune homme lui emboîte le pas, pas contrariant. Et puis de toute façon, il vaut mieux ne pas contrarier son unique conquête du moment.
La guerrière l'escorte jusqu'aux portes de la délégation de la famille Matsu, claque à nouveau des talons, l'amène le long des couloirs jusqu'à la salle d'audience, où elle l'annonce. Les cloisons s'ouvrent. Le barde entre sans se méfier. Normal, il est ici en invité, il n'a en théorie rien à craindre.
En théorie seulement...
Tsuko est en train de discuter avec plusieurs de ses officiers.

- Sortez. Sortez tous, ordonne-t-elle.

Ses troupes obtempèrent et les cloisons se referment derrière le barde. Rien que dans le ton, Ryuji sent que cela va barder...
Et pour un barde... c'est quand même un comble...

Il regarde les shoji clos, puis la femme debout devant lui. Les yeux noirs de Tsuko lancent des éclairs, son expression annonce une tempête digne de l'Outremonde. Et des picotements dans sa nuque lui annoncent d'entrée la couleur tandis que son instinct de survie commence à s'affoler.
Non non non, Ryuji. Du calme. Pour une fois, tu n'as rien à te reprocher.

- Bonsoir, Tsuko.

Rien que son regard furieux suffirait à convaincre n'importe qui que prendre ses jambes à son cou est la seule option raisonnable.
Elle va te découper comme une dorade et donner ton foie à ses chiens, je vois que ça...

- Qu'est-ce que tu fichais dans les appartements de la Délégation du Dragon ?
- Je suis allé apporter un livre à Mirumoto Hitomi et j'ai pris le thé avec elle.
Voilà, des faits, Ryuji. Les faits, c'est imparable.
- Je croyais avoir été assez claire.
- Je rends un service à Bayushi Shoju, je ne fais rien de répréhensible.

Ce dernier mot fait éclater la fureur de Tsuko.

- Qu'est-ce que je t'avais dit, Ryuji ? Ne t'approche pas d'elle. Ce n'était pas assez clair pour toi ?

Devant la porte, les sentinelles se tassent un peu. Quand elle se met en rogne comme cela, ça fait du dégât. Pour un peu, elles plaindraient presque le barde.

- Ah non, ça ne va pas recommencer... soupire-t-il en se frottant le visage.
- C'est toi qui a recommencé ! Si tu crois que je vais te laisser faire...! Je t'avais dit de rester à l'écart de cette pétasse au crâne rasé !

Il regarde la furie devant lui et sent à son tour l'agacement le gagner.

- Je lui ai rendu visite, c’est tout ! Mais bon sang, qu'est-ce qui te prend, Tsuko ? Tu crois que si j'avais quelque chose à me reprocher, j'irais voir une femme en disant à quelle heure j'y vais, où je suis et ce que j'y fais, sans prendre de précaution, au vu et au su de tout le monde, en saluant des gens dans les couloirs, sans me cacher ?
- Oui, tu en es bien capable ! Tu crois que je ne te connais pas ? Quel besoin avais-tu de lui rendre visite ?
- Non, tu ne me connais pas si tu penses ça à mon sujet ! Je suis toujours en train de me justifier alors que je n'ai rien à me reprocher, c'est quand même un comble ! Bayushi Shoju m'a demandé de lui rendre service et de passer voir Hitomi parce qu'elle est alitée et de très méchante humeur. Elle a les deux bras cassés, Tsuko. Les deux bras ! Tu crois qu'on fait quoi, tous les deux ?
- Justement, j'aimerai bien le savoir !
- Hé bien maintenant, tu le sais ! Je lui fais la lecture ! Je lui raconte des histoires !
- Oh… et tu te sens obligé de jouer les gardes malades, à présent ?
- Je ne joue pas les garde-malades, je passe une heure avec elle l'après-midi, entre deux obligations pour notre Clan. En quoi est-ce mal ?
- Je ne savais pas de raconter des histoires rendait sourd. Je t'avais dit de ne pas t'approcher d'elle !
- Alors écoute-moi bien parce que je ne le répéterai pas, Tsuko. Je ne fais rien de mal. Je rends simplement visite au daimyo alité d'une famille de Clan Majeur. Je ne cherche pas à séduire qui que ce soit. Je ne te trompe pas. Je ne te mens pas.
- Personne ne t'obligeait à lui rendre visite, que je sache ! Moi, je ne suis pas allée lui rendre visite !
- Et qu'est-ce qui t'en empêchait, hein ? Pour lui apporter ton soutien, de daimyo et de femme. Tu aurais vu comme ça que je ne faisais rien de mal. Je te dis que je lui fais la lecture et toi, tu me traites de menteur ?
- Ryuji... gronde-t-elle.
- Je lui fais la lecture ! Quand on ouvre un lire et qu'on le lit à quelqu'un, ça s'appelle faire la lecture ! Même chez les Matsu ! Aha !
- Ne joue pas l'innocence bafouée. Ça ne prend pas avec moi.
- Je suis outré que tu puisses penser que je vais voir ailleurs, sous ton nez, sans me cacher, en disant à tout le monde où je vais. Non mais on croit rêver... La fourberie dont on me caractérise vient d'en prendre un sacré coup.
- Je crois surtout que je vais aller lui régler son compte, à la chauve. Et la découper en morceaux suffisamment petits pour t'ôter définitivement l'envie d'aller lui faire la lecture. Ou quoi que ce soit.
- Tu vas la tuer parce que tu es jalouse que je passe la voir chez elle ? Mais... C'est n'importe quoi !
- Non. Ça s'appelle tenir ses promesses. Je t'avais prévenu.
- Tu vas provoquer une guerre entre deux clans parce que tu... es convaincue ? Que je te fais des infidélités ? Oh, Tsuko... Faut arrêter, là.
- Oh oui, ça va s'arrêter. Une fois que je lui aurais réglé son compte, à cette catin.
- Ce n'est pas une catin et ce langage ne te ressemble pas.
- Tu la défends, à présent ?
- Je dis simplement la vérité. Ce n'est pas une catin et nous ne faisons rien d'autre que ce que j'ai dit. Parce que quand même... avec trois servantes et un médecin dans la même pièce, j'aime les défis mais tu pousses le bouchon un peu loin !
- Tu oses… gronde-t-elle.
- Je n'ose rien du tout ! Tu me prends pour qui ?
- Tu m'expliques que seule la présence des servantes et du médecin t'a retenu ? Monsieur-j’aime-les-défis ?
- Oh, alors là... ne me dis plus jamais que je suis de mauvaise foi parce que là... même moi, j'aurais jamais osé... C'était de l'ironie, mademoiselle-je-découpe-tout-le-monde-en-morceaux ! Sur mes ancêtres, il ne se passe rien de déshonorant entre elle et moi !
- Ah oui ? Sur tes ancêtres Scorpion, peut-être ?
- Oui, et sur mes ancêtres Lion aussi ! Aucun de mes ancêtres n'a jamais eu à rougir de moi ! Ils ont sans doute beaucoup ri mais ils n'ont jamais rougi ! Il faut que je fasse venir un prêtre aussi pour jurer ? Que je me flagelle nu dans la neige en récitant des mantra ? Ma parole ne te suffit pas ?
- Ryuji... j'espère pour toi que tu dis la vérité, gronde-t-elle. Parce que sinon, ce seront les miens, d’ancêtres, qui viendront t'étrangler pendant la nuit.

Elle se rapproche de lui. Le barde la regarde, la main sur le coeur.

- Je te jure que je ne fais rien d'autre que ce que je t'ai dit avec Mirumoto Hitomi. Je lui fais la lecture, nous buvons du thé et parfois du saké. C'est tout.
- Et arrête de me parler d'elle.
- Mais c'est toi qui me fais une scène !

Elle met ses mains autour de son visage et le muselle d'un baiser féroce.
Deuxième round, Ryuji... T'as bien fait de faire une sieste après le déjeuner, tu vas payer...
Quand ils reprennent leur souffle, elle souffle à son oreille :

- Et arrête de la voir. Sinon, dès qu'elle a récupéré, j'en fais du sashimi. Et moi, je tiens mes promesses.
- Tu parles trop, aussi. Alors maintenant...

Et c'est au tour du barde de la bâillonner d'un baiser et de glisser ses mains dans les plis de la soie de son kimono. Il ne faut pas beaucoup d'efforts pour que la violence de leur altercation se transforme en étreinte passionnée. Et à l'aune de l'expérience du barde, c'est la seule manière de la faire taire pour de bon.
Ses vêtements volent dans la pièce alors qu'elle le dévore de baisers.
T'as décroché le gros lot, mon vieux... Cette fille a de la lave dans les veines !
Et son amant n'est pas en reste même s'il aurait aimé lui faire l'amour dans l'étoffe de prix froissée. Mais il faut bien reconnaître que l'étreinte qui s'annonce n'a absolument rien de langoureux. Finalement, que son kimono préféré se retrouve à l'abri est une bonne chose.
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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 14 nov. 2014, 15:31

La discussion avec Ryuji, et le saké ingurgité, l’ont décidé à passer à l’action. Il faut qu'il règle cette histoire. Le plus tôt sera le mieux. D'un pas décidé, Jocho se dirige vers ses appartements.
Sa maîtresse est toujours dans sa chambre, assise sur les tatamis devant une tasse de thé. Une expression complexe peinte sur son visage maquillé avec soin, ses yeux clairs fixent sans les voir les flammes qui brûlent dans la cheminée.

- Tsukiko ! lance Jocho en rentrant dans la pièce, un peu plus fort qu'il ne voudrait.

Les prunelles turquoise quittent le feu et se posent sur lui. Visiblement, il a bu.

- Tsukiko, j'ai réfléchi.
- Oui...

Les grands yeux plongent dans les siens. Malgré l'alcool, ce regard clair le trouble. Un regard rempli d'un mélange d'espoir et de résignation...

- J'ai bien réfléchi, répète-t-il avec emphase.

Elle reste silencieuse et continue de le fixer.

- Je pense que, euh... il vaut mieux que... enfin ce n'est pas le moment, tu comprends, finit-il lamentablement.

Même à ses propres oreilles, ça manque de conviction.

- On ne peut pas faire autrement, pas maintenant.

Les larmes coulent librement sur son visage, à présent. Il la prend doucement dans ses bras.

- Écoute, je suis vraiment désolé… Mais on ne peut pas faire autrement, pas maintenant, répète-t-il, comme pour s’en convaincre.
- Ce ne... sera... jamais le... moment..., hoquette-t-elle avec difficulté. Je te... connais...
- Non, tu ne comprends pas, dit-il avec douceur. Là, ce fichu mariage n'est pas encore fait. Tant que ce n'est pas le cas, tant que je suis dans cette période critique entre fiançailles et mariage, l'alliance entre notre clan et le Lion n'est pas assurée. Une fois les noces célébrées, j'aurais plus de latitude. Et rien ne m'empêchera de prendre la personne de mon choix pour assurer ma descendance, si j'en ai envie.
- Non, tu trouveras... une autre excuse... Personne ne sait que... que je suis encore en ville... Je... je suis revenue... pour toi. Pour toi...
- Je le sais, Tsukiko… Cela ne me fait pas plus plaisir qu'à toi. Crois-tu que j'ai envie de me farcir cette Matsu rigide ? Mais notre clan a besoin de cette alliance. Avoir cet enfant maintenant, c'est juste trop risqué, et pour toi, et pour moi. Imagine que ma mère en entende parler... Je tiens à toi, Tsukiko, je ne veux pas te perdre.
- Ta mère est... trop sûre de... de ce qu'elle pense. Elle pense que... que je suis partie. Je n'existe déjà plus... pour elle.

Il secoue la tête, attristé.

- Je suis désolé, Tsukiko. Le risque est juste trop grand. Ne t'en fais pas. Nous en aurons d'autres...

Il la serre dans ses bras, embrasse ses cheveux. La courtisane continue de pleurer à chaudes larmes contre lui. Mais son esprit, lui, est parfaitement fonctionnel. Et il lui dit une seule chose : il est juste hors de question d'obéir.

Bon, le coup du chagrin, ça ne marche pas... Il va falloir envisager une autre solution. En tout premier lieu, gagner du temps. Ne pas répondre, continuer de pleurer. Tant que tu pleures, il ne cherchera pas à t'arracher une promesse. Et puis de toute façon, tu peux promettre. Rien ne t'empêche de faire ce que tu veux ensuite... Pour une fois, ce sera lui, le dindon de la farce. Tu auras ce que tu veux et lui aura ses yeux pour pleurer.
C'est ça, continue de pleurer. Fais-le culpabiliser.


Jocho caresse doucement le dos de Tsukiko. Ce flot de larmes est intarissable, il ne l'a jamais vue dans cet état. Alors il fait la seule chose qu'il puisse faire, la garder contre lui, en faisant ce qu'il peut pour apaiser son désespoir, de son contact, de la voix. Il était loin d'imaginer que cela la toucherait à ce point-là.

- Shh, là, là, ça va aller, ne t'en fais pas...

Elle met un long moment avant de se calmer un peu, de pouvoir sécher ses joues. Le chagrin la rend plus belle encore avec ses yeux brillants, le rouge sur ses joues et sa bouche gonflée.

- Je vais me coucher, dit-elle d'une toute petite voix.

Jocho a un sourire compréhensif.

- D'accord. Repose-toi, on en reparle demain.

Tsukiko hausse les épaules et se retire, tête basse. Il va falloir penser à un plan B.

Jocho la regarde partir avec un obscur mélange de soulagement et de pitié. Il s’éloigne, quelque peu désemparé par la violence de sa réaction. Même quand elle s'était faite agresser, qu'elle avait failli être tuée, et qu'elle avait tué, cela n'avait pas abouti à un déluge de larmes comme celui auquel il vient d'avoir droit. Cette décision doit vraiment lui peser...
Normal. Elle n'a plus de famille et sans doute souhaitait-elle en former une. Mais elle sait où se trouve l'intérêt du clan.
Il allonge le pas, mal à l'aise. Ce sont des histoires de femmes, tout ça. Il n'a pas l'habitude.

Non. Et c'est justement là-dessus que compte Tsukiko.

Elle écoute le shoji se fermer, se relève sur le futon, se passe un peu d'eau sur la figure, prépare du thé. Il fallait d'abord essayer les pleurs, elle aurait pu l'avoir au sentiment mais ça n'a pas fonctionné. Ce n'est pas dramatique, elle a d'autres cordes à son arc.
Il faut que ce soit assez convaincant pour que Jocho ait tellement peur de la perdre qu'il n'envisage pas de lui demander de réitérer. Et il faut que ce soit assez impressionnant pour que le médecin qu'il ne va pas manquer d'appeler lui interdise de faire quoi que ce soit.
Le plus difficile dans l'histoire, ce sera de berner le shugenja.

Fortunes, je déteste m'épancher comme une pleureuse à un enterrement...

Son thé achevé, elle retourne se coucher et souffle la lanterne. D'abord se reposer, la suite des réflexions demain matin.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 16 nov. 2014, 13:12

Le lendemain matin quand elle se réveille, il n'est pas là. Elle a bien dormi avec un futon rien que pour elle. Quelques mouvements pour dérouiller ses muscles engourdis, puis elle passe dans les bains et se prépare avec soin pour la journée. Il lui faut afficher une petite mine pour le cas où elle le croiserait dans la pièce commune pour le petit déjeuner. Un peu de gris sous les yeux pour accentuer les cernes, juste ce qu'il faut pour lui donner l'impression qu'elle les a dissimulées sous son fard.

Dans la pièce principale l'attend le thé, et un petit mot :
"Repose-toi bien. Je serai là à midi. J"
Tsukiko hoche la tête. Il sera là mais peut-être pas elle. "Il faut du temps pour trouver ce genre de produit" est une bonne excuse. Heureusement qu'il n'y a pas de répétition aujourd'hui.

Elle quitte le palais en toute discrétion, se glisse dans la foule qui va et vient dans la ville et prend la direction du quartier marchand. Elle n'a eu besoin que de quelques minutes pour mettre la main sur une purge spectaculaire, mais il lui faut une bonne partie de la matinée pour trouver un apothicaire qui accepte contre quelques koku de lui donner ce qu'elle veut, une potion abortive efficace. S'il cherche à savoir ce qu'elle a pris, il pourra le lui dire.
Elle s'arrête à une fontaine, vide la potion abortive dans le caniveau, rince la fiole avec soin puis y transvase la purge. L'illusion doit être parfaite. Puis elle rentre tranquillement au palais.

Ce matin, Jocho est parti en la laissant dormir paisiblement. A midi, elle devrait être fraîche et reposée, se dit-il. Mais quand il revient, l'appartement est vide. Son serviteur lui apprend que la jeune femme est sortie un peu plus tôt, sans pouvoir lui en dire plus.
Jocho tergiverse, puis décide d'attendre. Elle a certainement vu son mot, elle devrait repasser par ici.

Tsukiko passe le shoji de leurs appartements avec une petite mine et un pli triste sur ses lèvres en général souriantes. Elle donne son manteau au serviteur, le salue d'une voix éteinte. Puis elle entre dans la pièce commune, les yeux au sol. Jocho voit son allure contrainte, retient sa phrase de bienvenue, mal à l'aise. Que dire dans ce genre de circonstances ?

- As-tu bien dormi ? demande-t-il inutilement.
- Non, mais c'est gentil de t'en inquiéter...
- Et, euh, as-tu réfléchi ?

Autant mettre les pieds dans le plat, il n'arrivera à rien, de toute façon.

- Je suis allée chercher ce qu'il fallait, murmure-t-elle d'une voix étranglée.
- Bravo, Tsukiko-chan, dit-il, obscurément soulagé.

Il s'attend à ce qu'elle fonde à nouveau en larmes d'un moment à l'autre. Elle était tellement éprouvée hier soir... Mais non, elle ravale bravement ses sanglots et vient s'asseoir à table.

- Tu n'es pas forcée de manger, si tu n'as pas faim, dit-il avec gentillesse.
- Je vais... je vais rentrer chez moi. Je... il faut que je prenne... que je prenne ça...

Jocho hoche la tête d'un air compréhensif. Elle a besoin de tout son courage, et elle souhaite le faire seule.

- Dis-moi si tu as besoin de quoi que ce soit.
- Oui... Je vais... y aller...

Elle se lève avec la dignité d'une impératrice et se dirige vers la sortie, puis remet son manteau et quitte les lieux, le laissant à son malaise qu'elle espère profond. Tsukiko rentre dans sa petite chambre et range avec soin toutes ses affaires. Il va lui falloir de la place et du temps pour éliminer la purge. L'herboriste lui a bien expliqué le processus : nausées, vomissements, sans doute du sang. Elle va passer un sale moment... Mais ça vaut le coup si elle obtient ce qu'elle veut. Elle veut cet enfant. C'est sa famille. Jocho va s'y faire, c'est juste une question de temps. Et s'il ne s'y fait pas, tant pis pour lui. Il y a des choses qu'elle ne sacrifiera pas au nom d'une quelconque loyauté à sens unique.

Elle prend un bain, enfile un vêtement de nuit, s'installe dans son futon et avale cette mixture dont le goût immonde n'est qu'une mise en bouche. A peine une demi-heure plus tard, les premières nausées la prennent et la rendent tellement malade que Shichisaburo, mis au courant, ne peut que se rendre à l'évidence : elle ne pourra pas monter sur scène ce soir. Son absence ne sera pas remarquée, à part peut-être par le mécène de la troupe, mais la qualité du spectacle n'en pâtira pas.

Comme chaque soir, Jocho vient assister à la représentation de la pièce donnée par la troupe de Shichisaburo. Il salue les spectateurs, s'enquiert de la santé des uns et des autres, partage nouvelles et mots d'esprits, avant d'aller s'installer pour assister au spectacle.

Ce soir, c'est une pièce qu'il connaît déjà, une amusante comédie dans la grande tradition du kabuki. L'introduction est jouée avec entrain, et le début du premier acte ; mais alors qu'il s'attend à voir son actrice préférée entrer en scène, c'est une autre fille de la troupe qui apparaît à sa place. Aussitôt, un signal d'alarme s'allume dans sa tête. Il patiente jusqu'au changement de décor, et va aussitôt questionner Shichisaburo, qui lui apprend que Tsukiko a eu un malaise, et a dû aller s'aliter. Tout le monde est concentré sur la pièce - son absence devrait passer inaperçue. Il s'éclipse subrepticement.

Une dizaine de minutes lui suffisent pour rallier le quartier où la troupe est logée. Masquant son inquiétude, il arrive à pas de loups jusqu'à la chambre de Tsukiko, écarte le rideau et l'appelle doucement. La silhouette de la courtisane est penchée au-dessus d'une bassine, secouée de soubresauts. A la faveur de la lumière de la lanterne, il aperçoit son visage hâve, creusé, ses yeux brillants de fièvre, rouges. Elle tremble de tous ses membres et sa main est crispée sur la couverture de son futon.

En quelques pas, il est auprès d'elle. Pas besoin d'être médecin pour s'apercevoir qu'elle ne va pas bien du tout. Il voit le sang dans la bassine, pousse un juron étouffé.

- Par les Fortunes, Tsukiko, quel charlatan es-tu allée trouver ? Cela fait longtemps que tu es dans cet état ?
- Je ne sais pas...

Elle retombe sur l'oreiller, les cheveux collés par la sueur autour de son visage délicat. De vilains cernes bistres marquent son regard habituellement si clair.

- Je suis allée voir quelqu'un qui a bonne réputation. Il est efficace.

Il retient un commentaire fort peu civil pour le quelqu'un efficace avec une bonne réputation, essuie son front couvert de sueur avec son mouchoir.

- J'en ai pour quelques instants, je reviens tout de suite.

Il sort de la pièce. Tsukiko entend des ordres brefs, des gens s'affairer. Quelques instants plus tard arrive l'épouse d'un des acteurs de la troupe, un petit accroché à ses basques, les yeux écarquillés.

- Qu'est-ce qui se passe, Ohan ?
- Je suis malade...
- Que t'arrive-t-il ? Quelque chose n'est pas passé ?
- Oui...

L'autre femme pose sa main sur son front, touche sa tempe. Elle a de la fièvre. Puis elle voit à son tour le sang dans la bassine, ses yeux s'écarquillent encore plus.

- Oh là là...mais c'est terrible ! Ma pauvre, ma pauvre !
- Inutile d'ameuter tout le quartier, tu vas faire peur à ton fils.

La femme se tord les mains, lui ajuste la couverture, lui éponge le front, se livre à toutes sortes d'agitations inutiles. Elle sort à son tour, et murmure d'une voix étouffée, mais pas assez bas pour que Tsukiko ne l'entende pas :
- Jocho-sama...je crois qu'elle est vraiment très malade, il faut appeler d'urgence un shugenja !

Et la réponse tendue et irritée de Jocho :

- Je sais. Il arrive.

Sur ces entrefaites, il rentre dans la pièce, seul. La garde-malade n'a pas dû le satisfaire... Tsukiko est allongée sous la couverture, elle grelotte toujours. Cette purge est décidément redoutable...
Il s'assied auprès d'elle, la prend dans ses bras, la rage au coeur. Que fait donc ce médecin de malheur !

- Ne t'inquiète pas, Jocho... ça va aller...

Il ne dit rien, lui lisse les cheveux. Il voudrait pouvoir lui donner sa force, son endurance, il voudrait pouvoir prendre pour lui sa souffrance. Il ne supporte pas de la voir ainsi.

- Ça va aller, c'est juste un mauvais moment à passer. Tu ne devrais pas rester là, Jocho... On va parler...
- Tais-toi, garde tes forces.

A cet instant, il se moque bien des commérages et du qu'en dira-t-on.

- Le médecin ne devrait pas tarder à arriver.
- Oui.

Elle pose sa joue contre son torse, ferme un instant les yeux dans l'espoir que les nausées cessent. Une saleté de purge...

- Qui es-tu allée voir ?
- Un herboriste dans le quartier marchand.

Jocho ne l'interroge pas plus avant, mais il se promet de faire crever l'individu en question à petit feu si elle a ne serait-ce que l'ombre d'une séquelle.
Mais il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. Après tout, c'est lui qui a voulu qu'elle fasse partir cet enfant.

- J'ai entendu des femmes en parler, il fait des décoctions efficaces d'habitude. Mais il m'a prévenue que parfois, certaines ne les toléraient pas.

Jocho ne dit rien, ce qui lui évite de répondre quelque chose de désagréable. Les autres, il s'en moque, c'est Tsukiko qui lui importe. Où est ce foutu shugenja ? Enfin, des bruits de voix se font entendre à l'extérieur. Il la repose avec douceur sur sa couche, se lève d'un pas vif, écarte le rideau.

- Soshi-san, merci d'être venu.

S'ensuit un bref conciliabule.

- Très bien, je vous laisse. Tenez-moi au courant.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 17 nov. 2014, 09:32

Un homme tout de noir vêtu, le visage particulièrement pâle, entre dans la pièce. Sur la partie gauche de son visage, il porte un curieux masque écailleux. Autour de ses poignets s'enroulent des serpents de métal. Il s'approche de Tsukiko, penche un peu la tête. Elle le regarde arriver avec une certaine crainte. Elle n'aime pas les shugenja...

L’homme la regarde, les yeux mi-clos, étend les bras lentement, paumes vers le haut. Quelques minutes s'écoulent, aussi pesantes que du plomb. L'homme reste immobile. Inconsciemment, la jeune femme replie les jambes contre elle et pose les mains sur son ventre, comme si cette protection dérisoire pouvait préserver la vie qu'elle tente de cacher à tout le monde. Puis il pousse un long soupir, qui semble venir du tréfonds même de la terre.

- Pas de corruption, ni de maléfice, dit-il d'une voix douce, plus douce qu'on se l'imaginerait avec son apparence plutôt inquiétante.

Il s'approche, s'empare de la bassine, et, sans dégoût apparent, goûte du bout du doigt les déjections, ferme à nouveau les yeux.

- Pas de poison.

Les rouvre.

- Mais des principes actifs pouvant avoir le même effet...qu'avez-vous ingéré, jeune fille ?
- Une... décoction...
- Quel type de décoction ? demande-t-il, toujours de cette voix neutre, douce.
- Le père ne souhaite pas...

Tsukiko baisse les yeux. S'il a ne serait-ce qu'une once de finesse, il va comprendre.

- Oui...je sens cette vie dans votre ventre.

Elle frémit. S'il se doute de quelque chose et qu'il le rapporte à Jocho...

- Mais si telle était votre intention, vous avez été bien mal conseillée. Votre chi est très affaibli, mais ce n'est pas en usant de ce genre de chose que vous rendrez cette vie aux ténèbres.

Elle comprend ce qu'il veut dire, mais sa tournure de phrase est étrange.

- Je sais.
- Que souhaitez-vous, jeune fille ?
- Maintenir l'illusion pour qu'on ne me demande pas de réitérer quand il sera évident que cela n'a eu aucun effet.

Il penche un peu la tête. Sa voix est toujours douce, égale, mais Tsukiko jurerait qu'y perce une pointe d'amusement.

- Cela, pour le coup, n'est guère difficile. Mais pour l'instant vous avez fait suffisamment de dégâts à votre force vitale.

Il s'approche, passe ses mains au-dessus d'elle, lentement, sans la toucher, ferme à nouveau les yeux. Tsukiko sent comme un courant chaud qui coule tout autour d'elle, comme si elle était immergée dans une rivière d'eau chaude, ou un courant de vapeur. Ses grelottements s'apaisent, elle sent ses muscles se décontracter.

- Arigato, Soshi-sama.

Il expire, à nouveau comme si son souffle provenait du tréfonds même de la terre. Alors que Tsukiko se sent glisser dans une douce torpeur, elle entend à nouveau la voix douce :

- Je préviendrai Shosuro Jocho-sama qu'une nouvelle tentative de ce type est fortement déconseillée.

Cette phrase la tire brusquement de ce début de sommeil.

- Que voulez-vous dire ?
- Ce que j'ai voulu dire.

À nouveau, elle entend la pointe d'amusement dans la voix douce.

- Et vous me devrez une faveur.
On ne peut faire confiance à ces shugenja... Ils n'ont aucune conscience.

La courtisane hésite. Rien que pour ça, elle a envie de le lui faire payer.

- Je paie toujours mes dettes, finit-elle par dire.

Le shugenja incline la tête, et sort sans plus de commentaires, laissant Tsukiko pas tellement rassurée. C'est une très mauvaise chose de devoir un service à un shugenja. Mais en y réfléchissant, l'alternative était pire. Il aurait pu choisir de tout raconter à Jocho. Et peut-être va-t-il le faire, quand même.
On ne peut pas se fier à un shugenja. Surtout un Soshi.
Elle verra bien de toute façon. Et s'il se joue d'elle... il n'a pas fini de le regretter...

Le lendemain...

- Voilà, vous savez tout, Jocho-sama. Quelques journées de repos et il n'y paraîtra plus. Mais vous savez à quoi vous en tenir, à présent.

Une pause.

- Et je pense que vous me devez une faveur.
- Bien sûr.

Comme s'il avait le choix... Jocho s'estime déjà heureux que le shugenja choisisse de l'obliger plutôt que de colporter la nouvelle. Non pas qu'il craigne qu'il en parle au Lion. La loyauté au clan est trop forte. Mais à Shoju, ou à à son honorable mère...oui, cela aurait pu faire du vilain. Enfin Tsukiko va bien, c'était le principal.

- Je vous remercie, Soshi Issei-san.

Un peu plus tard dans la matinée.

La tête de la courtisane résonne comme un tambour de guerre bien qu'elle ait dormi comme une souche toute la nuit. Elle est encore barbouillée, son corps est perclus de courbatures et son dos la fait souffrir. Saleté de purge...
Elle s'est traînée plus qu'autre chose jusqu'aux bains, il lui a fallu rassembler tout son courage pour se sortir de l'eau et retourner s'effondrer dans son futon. C'est bien la dernière fois qu'elle fait un truc pareil...
Alors qu'elle vient de regagner sa couche, elle sent une présence et un parfum familiers. Il s'est approché d'elle à pas de loups. Est-elle encore assoupie ?

- Jocho ?

Sa voix est faible et enrouée, mais elle ouvre les yeux sur lui, essaie de lui sourire. Il lui prend la main, lui sourit en retour, rassurant.

- Comment te sens-tu ?
- Je suis fatiguée mais ça va mieux.
- J'ai vu le shugenja, il m'a dit que quelques jours de repos devraient te remettre sur pied. Par contre tu ne dois pas te fatiguer.
- Mais il faut que je remonte sur scène... Shichisaburo compte sur moi.
- Shichisaburo se passera de toi pour quelques jours, dit-il fermement. La priorité, c'est ta santé.

Un silence.
- Je... je crois que ça... ça n'a pas marché... Il va falloir que je retourne voir un apothicaire...
- Non, dit-il vivement. Il ne faut pas. Cela pourrait t'être fatal.
- Mais... qu'est-ce qu'on va faire alors ?

Ça, c’est une bonne question…. Il n’en a pas la moindre idée.

- On verra plus tard. L'important, c'est ta santé, la rassure-t-il. Une fois que tu seras rétablie, on avisera.
- On n'a pas le choix alors. Il va falloir s'organiser. Je quitterai la ville quelques temps, quand ça deviendra trop visible. Sumimasen... J'aurais dû faire plus attention...
Tu parles ! Tu as fait attention ! Mais les accidents, ça arrive alors maintenant, il assume.

En même temps, le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils ont usé et abusé des bonnes choses... ça devait forcément arriver.

- Cela arrive.

Il lui embrasse les cheveux.

- Ne t'en fais pas. On trouvera une solution.
- Hai.
- Reprends des forces, c'est le plus important.

Il lui caresse la joue, dépose un baiser furtif sur ses lèvres.

- Aishiteimasu... murmure-t-elle contre sa bouche. Fais attention à toi.

Il la serre contre lui, murmure :

- Je ne supporterai pas de te perdre.

Avant de s'écarter avec un sourire à la fois moqueur et tendre :

- Tu vas me promettre de prendre soin de ta santé, hmmm ?
- Promis.
- Alors repose-toi bien. Je reviendrai ce soir. Je préviendrai Shichisaburo, tu n'as pas besoin de t'inquiéter.
- D'accord. Passe une bonne journée.

La courtisane le regarde passer le seuil de sa longue foulée souple. Son plan semble avoir marché à la perfection. Finalement, il a protesté pour le principe. Mais au pied du mur, il a l'air d'avoir pris ses responsabilités.
Ichimane avait raison. Les hommes se font souvent embobiner sur le sujet.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 18 nov. 2014, 13:32

Cela fait maintenant plusieurs semaines que Tsukiko réside à Kyuden Bayushi, sous la guise de l'une des comédiennes principales de la troupe de Shichisaburo. Elle a vu l'arrivée de Hida Yakamo avec appréhension, mais elle a jusqu'à présent réussi à éviter que leurs chemins ne se croisent. Et quand elle est sur scène, entre son masque élaboré et ses tenues fastueuses, bien malin qui pourrait la reconnaître.

Son ventre a commencé à s'arrondir, et si Jocho n'est pas exactement heureux de la perspective, elle est en train de l'accoutumer tout doucement à l'idée qu'il va bientôt être père. Une fois le bébé arrivé, la nature fera le reste. Même le plus endurci, le plus cynique des hommes, ne peut rester insensible à un tout petit corps chaud qu'on lui met dans les bras.

Sa grossesse est encore assez discrète, mais elle doit commencer à tricher avec ses tenues. Pour ceux qui connaissent sa taille fine, la différence saute aux yeux. Pour des raisons évidentes, elle en a parlé à Shichisaburo, le seul dans la confidence à part Jocho, et lui a fait jurer le silence. Ils ont convenu que tant que son état ne serait pas trop visible, elle pouvait continuer à jouer - les tenues sont amples et dissimulent aisément son état.

Hormis quelques nausées matinales, tout semble donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ce soir-là, sortant du théâtre, elle s'apprête à gagner discrètement les appartements de Jocho. La représentation de la nouvelle pièce est un succès, et même les plus blasés des spectateurs ont applaudi à tout rompre. Elle est revenue saluer au moins quatre fois avec le reste de la troupe. Fleurs et poèmes l'attendaient dans sa loge.
Cette cour d'hiver aura au moins servi à une chose, pense-t-elle avec satisfaction : outre le fait d'aiguiser ses talents innés pour le mensonge, elle a grandement élargi le cercle de ses relations parmi les samurai les plus hauts placés de l'empire.
Malgré les risques encourus, Tsukiko commence à croire qu'elle va réussir à obtenir tout ce qu'elle souhaite, ou presque. Les dieux aveuglent ceux - ou celles - qu'ils veulent perdre...

Tsukiko se faufile discrètement, enveloppée dans un manteau, le visage couvert d'un masque, dans le couloir, quand apparait une haute silhouette, qu'elle reconnaitrait entre mille.
Elle se décompose en voyant s'avancer face à elle Hida Yakamo. Le sang quitte son visage et elle remercie les Fortunes de porter un masque, qui le cache en grande partie aux regards. Elle inspire, un peu plus profondément qu'elle ne le voudrait. La peur, mêlée à un étrange sentiment de joie, l'étreint quand elle le regarde marcher tranquillement vers elle, ignorant de sa réelle identité.

Les longues manches de son kimono dissimulent ses mains tremblantes.
Ce n'est pas possible...
Pourtant, il lui faut avancer et passer à côté de lui sans avoir l'air de le connaître. Ça devrait être facile - sa tenue est discrète, et il ignore tout de sa présence ici. N'a-t-elle pas réussi jusqu'à présent à passer inaperçue ?
Il lui suffit de s'incliner poliment, il ne la verra même pas, elle n'est rien, qu'une des nombreuses ombres habitant ce palais. Yakamo ne s'intéresse pas aux comédiennes, ou aux servantes…

Allez, Tsukiko, ma fille, avance. Avance, salue discrètement et passe ton chemin. C'est à peine s'il te répondra, de toute façon.
Les pieds menus se posent l'un devant l'autre, l'un après l'autre, le long du couloir qui lui semble tout à coup interminable.
Avance... Avance...
Malgré elle, son pouls s'accélère. Elle a l'impression de manquer d'air.
Avance !

Elle se redresse, dans ce lourd vêtement de soie épaisse, qui masque ses formes et son ventre. Ses pieds sont en plomb.
Oh... non...
Le haut-le-coeur la saisit alors qu'ils sont à moins d'un ken l'un de l'autre, et des sueurs froides ruissellent dans son dos.
Non, pas maintenant... Pas maintenant !
Le guerrier avance vers elle, faisant une enjambée pour trois des siennes. Un vertige la saisit, elle sent le couloir se mettre à tourner autour d'elle.
Par les Fortunes... Tu ne vas pas t'évanouir comme une mauviette ! Avance !

Sa vision se rétrécit, vire au blanc et noir, il faut qu'elle s'arrête, qu'elle s'appuie quelque part, elle va se trouver mal. Malgré elle, sa main se pose sur le mur et elle ralentit, puis s'immobilise. Le sang bat dans ses tempes comme un tambour.
Ne t'effondre pas ! Pas devant lui !
Elle sent le sol se dérober. En une enjambée, le fils du daimyo du Clan du Crabe est à ses côtés, et la stabilise d'une main sûre.
- Vous ne vous sentez pas bien ?
- Non, ça va aller, murmure-t-elle en baissant la tête, dissimulant ses yeux à son regard inquisiteur. Arigato.

Elle a fait de son mieux pour changer sa voix, mais le résultat n'a pas l'air terrible. Le guerrier fronce les sourcils. Tsukiko déglutit péniblement.
- Allons, ce n'est pas la peine de protester, vous ne tenez pas sur vos jambes, dit-il en la scrutant du regard. Je vais vous faire raccompagner. Venez avec moi.

Il la soulève de son bras. Une bouffée de parfum - rose et camélia - monte à ses narines.
Dans quoi tu t'embarques, Tsukiko... Fiche le camp et vite !
Yakamo s'interrompt dans son geste, comme saisi. Non...ce n'est pas possible !
Il la lâche soudain, comme s'il s'était brûlé, la fixe, les yeux écarquillés.

Déséquilibrée, la jeune femme glisse le long du mur et s'affale sans grâce aucune dans le couloir.
Relève-toi ! Relève-toi !
Sa main se pose de nouveau sur le parquet, puis sur le mur. Il faut qu'elle bouge, elle ne peut pas rester ici. Sinon, elle court à la catastrophe. Elle met un genou à terre et s'oblige à se mettre debout, au prix de grandes difficultés.
En un bond, Yakamo est à ses côtés, il la regarde, halluciné, puis ses yeux glissent vers son ventre proéminent, alors qu'elle tente maladroitement de se relever.
- Toi ! gronde-t-il entre ses dents serrées.
- Je... Ne reste pas là, Tsukiko !
- Que fais-tu ici ?
- Je... Je suis...

Les nuages d'orage qui s'amoncellent dans son regard ne présagent rien de bon.
- Je ferais mieux... Mais pourquoi est-ce si difficile ?

Il la dévisage, puis scrute à nouveau sa silhouette. L'orage couve dans ces prunelles grises, comme une tempête titanesque suspendue au-dessus de la Désolation.
- Que fais-tu ici ? Et de qui est-il ? Parle !
- S'il te plaît, lâche-moi, Yakamo, tu me fais mal, demande-t-elle d'une voix qu'elle essaie de rendre douce et calme. S'il te plaît.

Il a serré son bras avec force, il ne s'en est même pas rendu compte. Il la lâche aussitôt, mais vrille son regard dans ses prunelles, et dit d'une voix sourde :
- Enlève ce masque.
- Ne restons pas dans le couloir, s'il te plaît. Les membres du Clan du Scorpion n'ôtent jamais leurs masques en public.

Il jure à mi-voix.
- Réponds à mes questions, alors.
- S'il te plaît, Yakamo... Pas dans le couloir...
Elle jette des regards affolés de tous les côtés. Il ne faut pas qu'on les voie ici, dans cette situation.
- Je t'en prie...

Il fait trois pas, empoigne le premier shoji venu, l'ouvre brutalement. Tsukiko le perd de vue quelques instants, puis entend un gémissement, et des supplications.
- Mais, seigneur...
- Dehors, j'ai dit !

Quelques instants plus tard, un serviteur mal réveillé déboule dans le couloir en yukata, suivi de son futon et d'une couverture, et s'enfuit sans demander son reste. Au ton de Yakamo, le heimin a plutôt de la chance d'être sorti en un seul morceau.
- Là, ça te va ? gronde la voix irritée du fils du Champion du clan du Crabe.
- Tu ne changeras jamais... répond-elle en se relevant péniblement, amusée malgré la situation périlleuse dans laquelle elle se trouve.

Elle s'assure que personne ne la voit quand elle entre à son tour dans la pièce, et referme soigneusement le shoji derrière elle. Elle inspire lentement avant d'ôter, comme il le lui a demandé, le masque qui la dissimule.
Yakamo inspire à son tour. Il hait ces barrières qui dissimulent les visages. Elle est toujours aussi belle, malgré le bâtard qu'elle porte dans son ventre.
Il aurait dû brûler la ville.
- Bonsoir, Yakamo.

Il la regarde sans répondre, les bras croisés.
- Je suis invitée ici, pour la cour d'hiver. Et il n'est pas de toi.
- De qui, alors ?
- Est-ce que ça a la moindre importance ?
- Quoi ?!
- Excuse-moi... Je n'avais pas à te parler de la sorte. Tu n'y es pour rien, après tout.
- Tu m'as menti, tu m'as trahi, Tsukiko.
- C'est ce que tu penses, Yakamo. Mais je n'ai pas eu l'occasion de te donner ma version des faits. Comment peux-tu dire cela ?
- De qui est-il ?
- Pourquoi veux-tu le savoir ? demande-t-elle d'une voix douce.
- Parce que je le veux !

Il a presque hurlé. Son éclat la fait sursauter. Elle se sent soudain très lasse, lasse de tout cela.
- Excuse-moi, bougonne-t-il. Mais je dois savoir.
- Ça t'intéresse plus que d'entendre ma version de l'histoire... Quel gâchis...
- C'est toi qui l'a fait, le gâchis, répond-il plus vivement qu'il ne le souhaite. Je te faisais confiance, Tsukiko.

Elle passe une main un peu tremblante sur son visage, peinée par ce qu'il vient de dire.
- Je n'ai pas trahi ta confiance, Yakamo. J'ai fait de mon mieux pour empêcher qu'on te nuise. Est-ce que tu veux bien m'écouter... jusqu'au bout, sans te fâcher ?
Il croise les bras, carre ses puissantes épaules, attend.
- Lorsque ce pari a été décidé, je n'ai pas eu d'autre choix que d'y participer. Mes origines, mon statut, ceux qui m'ont invitée à le faire... Tout ceci a fait que je n'ai pu que m'incliner. Je ne cherche pas d'excuses, Yakamo. Je souhaite simplement que tu comprennes que je ne pouvais me soustraire à ce jeu, malgré tout ce que j'en pensais. Tu ne connais pas ce genre de contrainte. Tu es habitué à donner des ordres, pas à y obéir. On ne survit pas de la même manière dans ton clan, et ce ne sont pas les dangers que tu connais qui sont mortels. Au départ, ce n'était qu'une façon pour moi de me faire remarquer dans la ville où je vis. Mais ensuite... Ensuite, je t'ai connu. J'ai vécu à tes côtés, je t'ai vu au milieu des tiens. Et je n'ai plus eu envie de jouer. J'ai aimé ce que j'ai vu, j'aime toujours ce que je vois. J'ai fait en sorte qu'on ne puisse pas te nuire, j'ai cherché à te garder de tes adversaires en ville. Mais j'ai échoué. Je te demande pardon pour ne pas avoir su te protéger comme j'aurais dû le faire. Je n'ai pas anticipé tous les coups. C'est ma faute. Cependant, je voudrais que tu saches une chose.
Yakamo reste silencieux.
- Les quelques semaines que j'ai passées à tes côtés sont les plus jolies que les Fortunes m'aient jamais accordées. Et ça, rien, ni personne ne pourra le changer. Ces semaines-là, elles sont à nous, et rien qu'à nous. Quoi qu'on puisse te dire, ou quoi que tu puisses penser, elles seront toujours les seules où j'ai été ce que je ne pourrai plus être.
- Ainsi, c'est tout ce que j'ai été pour toi... Une passade de quelques semaines, un joli souvenir, dit-il, blessé. T'est-il venu à l'idée que moi, j'ai pu souhaiter quelque chose de différent ? Peut-être que moi, je n'avais pas envie que d'un joli souvenir.
- Oh non, tu n'as jamais été une passade.
- Ah oui ?
- J'aime l'homme que tu es, Yakamo, depuis ce dîner où je t'ai offert cette stupide bourse. Tu es... très important pour moi.

Le souvenir déride Yakamo. Il se rappelle leur embarras mutuel. Oui, elle semblait sincère, à cet instant-là. Tsukiko se rassérène quelque peu. Elle a au moins gagné quelque chose, il semble disposé à l'écouter.
- J'étais très heureuse à tes côtés.
- Pourquoi, alors, les as-tu quittés ?
- Tu es parti sans m'emmener avec toi, Yakamo. Aurais-tu compris que je te poursuive sur la route ?
- Une rupture publique et humiliante. C'étaient ses mots - ses mots exactement, Tsukiko. Si tu avais vraiment tenu à moi, tu ne te serais pas joué ainsi de moi.
- Mais je n'ai pas rompu avec toi. Je n'ai jamais voulu le faire.
- Peut-être, dit-il, pas convaincu. Mais personne ne t'a forcée à le rejoindre ensuite, non ?
- La seule chose qui m'a poussée à le faire, c'est la vengeance. Il va payer pour ce qu'il a fait, dit-elle d'une voix déterminée.

Yakamo hausse un sourcil. La vengeance, il connait. Cela fait des semaines qu'il ne rêve que de se venger de Shosuro Jocho. Mais son imagination peine à comprendre comment partager la couche de quelqu'un peut être une vengeance.
- Nous n'avons pas les mêmes armes. Je n'ai pas tes... arguments... dit-elle avec un sourire amusé en désignant ses poings massifs.

Il n'empêche. Ça n'explique pas tout, pense le fils du Champion du clan du Crabe, pas convaincu.
- Il est de lui, n'est-ce pas ? demande-t-il à brûle-pourpoint.
- Oui.

Il le savait. Il le savait. La colère, qui s'était dissipée, flambe de plus belle. Quelles que soient ses raisons, elle l'a rejoint, et elle porte un enfant de lui.
Il ne la touchera pas, il ne lui dira rien ; mais lui, il va payer - avec usure. Et pas plus tard que tout de suite. Il serre les poings, et sort de la pièce sans un regard. Vers les appartements de Shosuro Jocho.
Dernière modification par matsu aiko le 19 nov. 2014, 13:32, modifié 1 fois.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 19 nov. 2014, 11:49

Tsukiko a une sorte de sourire indéchiffrable quand elle le voit partir. Elle ne lèvera pas le petit doigt pour son amant. Un jour ou l'autre, on paie ses dettes, et il est temps pour Jocho de le faire.
Elle compte jusqu'à cinquante, puis prend la direction des appartements de la délégation du Clan du Crabe. Il y a là-bas quelqu'un qui saura arrêter Yakamo.


La bonne centaine de kilos du Champion du Clan du Crabe est lancée à une vitesse que l'on pourrait qualifier de raisonnable dans les couloirs du palais, peu fréquentés à cette heure de la soirée. La fureur qui luit dans ses yeux gris est digne de la tempête la plus violente d'Osano-wo.
Avec sa carrure, peu se risqueraient à l'arrêter. Alors là... Les serviteurs, prudents, s'écartent de sa trajectoire.

Trajectoire qui le mène directement jusque devant les shoji du paon enfariné qu'il est venu piétiner. Étonnamment, sa main est légère quand il y toque. Il aurait plutôt eu tendance à défoncer la cloison, mais il faut qu'il vienne lui ouvrir. Il sait qu'il ne peut pas forcer la porte de ses appartements. Pas ici, dans le palais du daimyo du Clan du Scorpion.

Alors, tu viens, espèce de salopard ?
Les pensées se bousculent dans sa tête, mais il se fait violence et attend malgré l'envie qu'il a de tout casser. Le shoji glisse, le heimin portant les couleurs de la famille Shosuro a du mal à dissimuler sa surprise.
- Hida Yakamo-sama ?
- Dono, charogne... gronde-t-il juste avant de l'assommer.

Pas la peine de s'encombrer d'un idiot qui va crier à la garde avant qu'il en ait terminé avec lui.
Il rentre dans les appartements. Les tatami sont tissés de soie, les parois sont de bois sombre. Des coffres ouvragés, des supports soutenant diverses armes, un cadre de bambou supportant une armure noire et mate, ornée des délicats entrelacs de la famille Shosuro, témoignent tous de l’identité de l'hôte qui y réside.

Mais il y a d'autres indices, plus insidieux, qui témoignent d'une présence féminine. Et cela porte à un nouveau degré sa rage colossale. Dans l'air, flotte encore un léger parfum de rose et de camélia. Et le miroir situé dans le coin, avec ses onguents et ses poudres, est celui d'une courtisane. Le coussin installé devant doit avoir l'odeur de sa peau.
Il n'aurait pas pensé qu'il pouvait être encore plus en colère qu'il ne l'est déjà. Et pourtant...Si.

Ah ça, oui... Et l'exutoire qu'il trouvera dans la réduction en poussière de ce bâtard sera à la hauteur de sa frustration... Ce chien la lui a volé. Il ne va plus en profiter quand il lui aura arraché les couilles pour les lui faire bouffer !!!!
La rage coule dans ses veines comme une lave brûlante.
Où es-tu ? Amène-toi, bâtard de Scorpion...
Le choc sourd du corps du heimin s'abattant sur le sol a fait sursauter Jocho. Il n'a pas entendu le nom, mais le ton de son serviteur était surpris.
Jocho sent aussi, comme un prédateur flaire la présence d'un rival sur son territoire, la présence d’un ennemi. Le sakki - l'aura agressive de l'intrus - est impossible à masquer, quelle que soit la discrétion de celui-ci.

Ses réflexes jouent à plein, il se redresse d'un bond, attrape son sabre. La cloison explose, et la lame se dirige à une vitesse foudroyante vers la poitrine de l’intrus, s'arrêtant à quelques pouces à peine.
- Hida Yakamo-dono ? Que faites-vous ici ? demande le Scorpion, surpris.

Un grondement sourd, comme un rugissement vite étouffé, monte dans la gorge du Champion du Clan du Crabe. Mais avant que Jocho ait pu s'interroger sur sa cause, Yakamo glisse sur le côté, sa large main attrape son poignet et broie son articulation, tandis que son poing s'écrase dans sa face. Fat prétentieux bouffi de suffisance.
- Publique et humiliante, hein ?

Le genou massif le cueille à l'estomac, coupant brutalement son souffle. Son adversaire se plie en deux sous l'impact. Un petit doublé gauche-droite dans son dos, histoire de déclencher une onde de douleur à la limite du supportable. La gifle le décolle du sol et l'envoie s'écraser dans la commode à un ken de là.
- Je vais t'en donner, moi, du public et de l'humiliant.

Yakamo fond sur son rival, tel un dieu de la guerre vengeur. Et la raclée reprend. Les poings s'abattent comme la grêle du printemps dans ses côtes, sa poitrine, son dos.
Jocho ne se laisse pas faire, il contre les coups au maximum, mais l’entrée en matière de Yakamo l'a sonné, sa tête résonne comme un tambour.

Sa résistance exacerbe la fureur de Yakamo. Ils luttent férocement, au corps à corps sur les luxueux tatamis. La frustration de Yakamo est trop intense, il a lutté pendant trop longtemps contre ses envies de meurtre pour se satisfaire de ça. Il se déchaîne sur Jocho avec tant de hargne, tant de colère, qu'il le surpasse.

Jocho pare, encaisse les coups. Pas besoin de beaucoup d’efforts pour comprendre ce qui s’est passé… Le fils du Champion du Clan du Crabe n'a pas d'autre moyen de transcrire sa frustration.
- Elle est bonne, tu sais ? lâche-t-il entre deux coups. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais connu ça... avant...

La provocation a l'effet escompté. Elle fait redoubler la fureur de son adversaire. Mais Jocho a oublié un léger détail. Ou plutôt deux. La taille des mains de son adversaire. Et sa formidable capacité d'encaissement.
Le poing de Yakamo défonce le tatami, le plancher, et le sol en dessous. La force des coups qui pleuvent sur lui ont tôt fait de lui couper le souffle. Et voilà pour ta grande gueule de bouffon prétentieux…

Malgré le coup qui vient de lui défoncer les côtes, Jocho ne peut s'empêcher de lancer :
- Dommage pour toi, pas vrai ? Et tu ne sais pas le plus beau.... C'est de moi dont elle est enceinte.

Son sourire sardonique est stoppé net par la taloche magistrale que lui expédie dans les gencives le Champion du Clan du Crabe, fendant sa lèvre et projetant une gerbe de sang. Les accords diplomatiques entre la famille Hida et la famille Shosuro sont quelque peu compromis.

Cette petite phrase est le tison chauffé à blanc qui lui rappelle cruellement la réalité. Par acquis de conscience, son genou écrase l'entrejambe du chien galeux sans honneur qu'il est. Et ça, ça fait très, très mal.
- C'est le dernier bâtard que tu feras.

Jocho se plie en deux sous la douleur crucifiant son corps, le souffle coupé, mais trouve assez de hargne pour lui cracher au visage, un jet de salive et de sang mêlés. Sa propre rage est telle qu'il se moque bien d'y passer à cet instant. Dans un dernier sursaut, il envoie à son tour un coup dans l'entrejambe de son adversaire.
Mais Yakamo est dans un état de fureur telle qu'il ne réagit même pas, et lui assène un coup de tête bien senti. Il lui broie la gorge l'instant d'après.
Puis tout devient noir.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 20 nov. 2014, 18:09

Pendant ce temps, dans les appartements de la délégation du Clan du Crabe...

Hida Kyoko attend son seigneur. Il n'est pas encore là, ce n'est pas normal. Depuis déjà un long moment, la jeune femme a un mauvais pressentiment. Elle rajuste la ceinture de son kimono d'intérieur et son regard bleu glace revient sans cesse sur le shoji, qui aurait dû s'ouvrir depuis longtemps sur la silhouette de son seigneur.
S'il passait la nuit avec une fille, il aurait fait prévenir.

Les petits pas précis de Tsukiko glissent sans bruit sur les tatamis du couloir, s'arrêtent. Sa main fine se lève et toque discrètement au linteau de bambou. Le samurai qui ouvre le shoji a un froncement de sourcil surpris, quand il voit la frêle jeune femme debout devant lui. Celle-ci s'incline devant lui, lui adresse un sourire ensorcelant, et demande d'une voix douce et parfaitement modulée s'il lui est possible de voir Hida Kyoko.

Jocho doit commencer à avoir mal, à présent. Si elle sait toujours lire sur le corps de Yakamo, il est temps pour elle de faire intervenir les renforts. Son but n'est pas de faire tuer son amant, bien sûr.
Juste de lui apprendre à vivre. Ensuite, elle aura le beau rôle.

A peine l'homme a-t-il fait part de sa présence que le karo apparaît. Quelque chose ne va pas, et cette visite est sans doute liée à ce pressentiment qui la tenaille depuis un long moment.
- Je suis Hida Kyoko. En quoi puis-je vous être utile ?

L'inconnue la salue avec déférence, puis ôte son masque. La samurai-ko retient le sursaut de surprise quand elle reconnaît le visage de Shosuro Tsukiko. C'est vraiment la dernière personne qu'elle s'attendait à voir ici.
- Je m'excuse de vous déranger à une heure aussi indue, dame Kyoko. J'ai croisé le seigneur Yakamo tout à l'heure, et malgré tous mes efforts, il m'a reconnue. Nous avons eu une conversation assez... difficile et... Je crois qu'il est allé trouver Shosuro Jocho-sama. Peut-être devriez-vous intervenir.

Le sourcil de Kyoko s'arque lentement, puis elle s'incline. Même en ces circonstances périlleuses, il est hors de question pour elle de se départir de son éternelle politesse.
- Je vous remercie pour cette information, dame Tsukiko. Je vais m'occuper de ce contretemps.
Elle se tourne vers le garde qui est resté à l'entrée.
- Va chercher Kuni Akitada, et rejoignez-moi. Cette dame va vous conduire.

Sans plus attendre, la jeune femme la salue et sort de l'antichambre, priant les Fortunes de ne pas arriver avant que l'irréparable ne soit commis. Elle se prend à courir dans les couloirs. Pourvu qu'elle n'arrive pas trop tard...

Elle aperçoit par le shoji entrebâillé le corps du serviteur, affalé dans la plante verte. Sans attendre une permission qui ne viendra pas, elle entre.
La cloison éventrée la laisse présager du pire. Le sabre de Jocho git au sol, abandonné. Les meubles défoncés, les paravents renversés, les porcelaines brisées.

Par toutes les Fortunes miséricordieuses...
Du sang macule à intervalles réguliers les tatamis, tandis qu'elle suit les traces de leur lutte. L'angoisse monte en elle. Yakamo ne s'est sans doute pas rendu compte de la panade dans laquelle il plonge son propre clan, il n'a écouté que sa fureur.

Elle hâte le pas, parvient enfin à l'endroit où les deux hommes viennent de s'affronter, passe le coin, et voit son seigneur en train de s'acharner sur le corps inerte du fils du gouverneur. Le sang macule abondamment leurs vêtements, le visage de Jocho est méconnaissable.
Yakamo continue à marteler de ses poings la cage thoracique du Scorpion, comme un possédé.
- Espèce de salopard... grogne-t-il entre deux coups.

Sans réfléchir plus longtemps, elle se précipite sur lui et arrête son bras dans un geste décidé. Mieux vaut qu'elle prenne les coups à sa place, s'il est encore possible de sauver la vie du fils du gouverneur de Ryoko Owari Toshi.
- Dono !

Yakamo lève sur elle un regard incrédule, au travers de la brume rouge de la fureur. Qui ose se placer entre lui et sa proie ? Sans plus réfléchir, il envoie un poing dans la direction de l'importun, qui frappe la jeune femme au visage, fend sa pommette et la fait reculer sur ses appuis, même si elle s'y attendait.
- Dono ! Arrêtez !

Il reconnaît soudain la voix qui lui parle, et réalise qu'il vient de cogner de toutes ses forces son karo, l'une des seules personnes à qui il fait confiance, l'épouse de son cousin, un shireikan de l'état-major de son père... Et une femme...
- Kyoko...?

Les yeux bleu glace se plantent dans les siens.
- Vous êtes devenu fou !
- Quoi ? Laisse-moi, j'ai quelque chose à terminer.
Et il lève le poing derechef.
- Non ! Votre père ne vous a pas permis de faire une chose pareille !

La jeune femme en face de lui demande pardon à ses ancêtres et assène le plus formidable crochet de toute sa vie.
- Il suffit !

Un bref instant, la colossale fureur de Yakamo manque de se tourner vers elle, les yeux gris d'orage la fixent d'un éclat meurtrier.
- Assez !
- Kyoko... gronde-t-il.
- Tuez-moi si tel est votre désir, mais ne le touchez plus !

Cette apostrophe le déconcerte momentanément.
Sans plus se préoccuper de lui, elle pose ses doigts sur la gorge du Scorpion, sent le sang battre à sa jugulaire.
- Tu prends le parti de ce chien, maintenant ?
- Je prends le parti du Clan du Crabe, dit-elle calmement. J'aurai de la chance si Kisada-dono me laisse racheter mes fautes, et je lui en serai reconnaissante. Bon sang, dans quel état vous l'avez mis...

Ses mains tâtent ses côtes, plusieurs sont brisées. Son visage est tuméfié, l'une de ses arcades sourcilières ouvertes, ses pommettes éclatées. Elle remet en place son épaule démise et tire un gémissement du samurai inconscient.
- Akitada, occupe-toi de lui, lance-t-elle au shugenja effaré qui vient d'entrer. Senji, va chercher nos serviteurs. Qu'on nettoie cet endroit, maintenant ! Trouvez des meubles, des paravents, des tatamis ! Faites venir un autre shugenja, qu'il purifie les appartements.

Les ordres claquent, précis, impérieux. Deux hommes soulèvent le Scorpion et l'emmènent dans les bains, tandis que le dénommé Akitada se prend la tête à deux mains devant le carnage.
Kyoko demande de l'eau, ôte le haori maculé de sang de son seigneur.
- Va me chercher des vêtements pour lui.
- Hai, Kyoko-sama.

Le samurai disparaît, alors que la nuée silencieuse des invisibles entre et referme les shoji, envahit les pièces, s'affaire à effacer les traces de leur combat. Son karo nettoie le sang sur son visage, ses mains.
- Dono, vous ne pouvez pas sortir comme ça.

Yakamo se laisse déshabiller en maugréant, puis l'énormité de ce qu'il vient de faire le frappe en plein visage. Son père ne le lui pardonnera jamais, s'il ne parvient pas à conclure ces accords pour le clan.
En même temps, il ne regrette pas un seul instant ce qu'il vient de faire. Cela lui apporte même une immense satisfaction. Ce chien ne l'a pas volé.

En un laps de temps très court, les appartements de Shosuro Jocho retrouvent un état normal, et les psalmodies du shugenja se font bientôt entendre.
Dans les bains, la victime a retrouvé figure humaine. Son corps constellé d'hématomes sera douloureux pendant encore quelques jours, et le prêtre s'est surtout concentré sur la partie visible, en l'occurrence ses mains et son visage. Il a aussi soigné ses côtes brisées. Il s'en est fallu de peu qu'elles ne perforent un poumon.
Hida Yakamo ne l'a vraiment pas raté...

Une servante lui a apporté un des yukata qu'elle a trouvé dans l'un des coffres de l'endroit. A présent, il est couché dans le futon de sa chambre, toujours inconscient. Akitada lui a fait boire des décoctions, et enduit de baume les ecchymoses. Son serviteur, qui n'a été qu'assommé, devrait bientôt reprendre conscience.

Kyoko inspecte une dernière fois l'endroit avant de sonner le retrait des troupes. Tout est parfaitement en ordre. Elle se tourne vers Yakamo, qui semble ronchonner à l'endroit où il s'est laissé déshabiller et rhabiller. La conversation qu'ils vont avoir risque d'être longue, houleuse et difficile au vu de l'étendue des dégâts. Tout ça pour une femme, pour laquelle il disait ne plus rien éprouver...
- Venez, dono. Il faut qu'on discute, vous et moi.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 21 nov. 2014, 14:51

L'équipe d'intervention logistique du Clan du Crabe quitte les lieux. Tsukiko a observé leur départ, un petit sourire aux lèvres, prudemment cachée derrière un shoji entrebâillé. La mine inquiète de Kyoko, et celle, satisfaite, de Yakamo, laissent présager que les dégâts ont dû être d'importance...
Ce que confirme la horde de serviteurs et la variété des éléments apportés ou emmenés : meubles, panneaux de cloison, tissus, tatami...

On dirait qu'un petit cataclysme vient de s'abattre sur les appartements de Shosuro Jocho. Ce qui, à vrai dire, n'est pas très éloigné de la vérité.
La satisfaction que la courtisane éprouve en regardant le visage du Champion du Clan du Crabe l'étonne. Voilà une dette de payée.
En partie...

Elle attend quelques minutes que le calme et le silence reviennent, savourant par anticipation les douleurs qui doivent être les siennes, puis se glisse dans le couloir et entre à pas feutrés. Le serviteur git toujours sur les tatamis, mais il commence à reprendre ses esprits.
Tsukiko le contemple quelques instants, amusée, puis se compose un visage de circonstance et prend un air suffisamment affolé pour être crédible.
- Senmei ! Fortunes, que s'est-il passé ?

Elle secoue le pauvre homme, qui gémit et se tient la tête. Yakamo y est allé volontiers, au regard de la marque rouge sur sa joue.
- Où est Jocho-sama ? Réponds !

Elle laisse le heimin choir à nouveau sans grâce aucune sur les tatamis, pour se précipiter dans les autres pièces et se mettre à la recherche de son amant. Amant qu'elle trouve allongé sous la couverture de son futon, la mine chiffonnée, le corps douloureux, les yeux clos... Il n'a pas de marque de coup pourtant... Ni bleu, ni plaie, ni bosse, ni os brisé. Étrange.

Et puis elle se souvient de la présence du karo. Ce n'est pas un hasard, c'est évident. Elle a sans doute pallié ce genre de détails. La correction a dû être magistrale, et cette pensée amène un autre sourire satisfait sur ses lèvres ourlées de rouge sang.
- Jocho...

La stupeur, l'incompréhension, se peignent avec un art consommé sur son visage délicat, alors qu'elle enlève son masque et se précipite à son chevet. Les longs mois passés sur la scène du théâtre de Shichisaburo ont aiguisé ses talents de comédienne, et sa duplicité naturelle fait le reste. Il ne verra rien, il ne voit jamais rien quand elle le décide.
Elle s'agenouille près de lui, il est encore inconscient. Elle se penche, pose sa main fine et pâle sur son front.
Tu ne l'as pas raté, Yakamo. Félicitations... Mais ton âme damnée a fait du bon travail, comme d'habitude. Enfin quelqu'un de capable pour te protéger dans ce palais maudit...
- Jocho... Jocho... Que s'est-il passé, par toutes les Fortunes...

Un gémissement sourd s'échappe des lèvres de son amant. Ses paupières papillonnent, au prix d'un effort visible, il reprend conscience. Il rencontre le regard turquoise, qui lui sourit avec douceur.
- Tsukiko... ?
- Oui, c'est moi.

Elle caresse doucement sa joue, son front. Il tente de se relever. Tout son corps est vrillé par la douleur, il sent encore la violence des coups du Champion du clan du Crabe.
Il tâte avec précaution ses côtes -il doit en avoir une ou deux de cassées -, puis son visage. À son grand étonnement, il n’y sent pas les blessures qui devraient s'y trouver. Tsukiko se porte à son côté, le soutient doucement.
- Jocho... Tu veux boire quelque chose ?
- Un peu d'eau, puis beaucoup de saké, sourit-il faiblement. Sa tête résonne comme un tambour de guerre.

Elle se lève et va chercher un plateau avec une grande tasse de grès remplie d'eau fraîche, un flacon de saké et une coupe, puis revient s'agenouiller à ses côtés.
- Merci.

Elle porte l'eau à ses lèvres, l'aide à boire puis pose la coupe de saké dans sa main, s'assure qu'il l'amène jusqu'à ses lèvres.
- C'est bon, je vais y arriver, grimace-t-il.
- Non, laisse-moi t'aider. Tu n'arrives même pas à bouger le bras correctement. Qu'est-ce qui s'est passé, dis-moi ?
- Je suis rentré en collision avec une montagne, je suppose.
- Pardon ?
- Laisse tomber. Et toi, tu n'as rien ?
- Non, pourquoi ?

Il regarde autour de lui. Les tatamis sur lesquels ils ont lutté ne comportent pas la moindre goutte de sang. La cloison défoncée est à nouveau intacte. C'est comme s'il ne s'était rien passé. Etrange…
Il est plutôt soulagé de savoir qu'elle n'a rien. Yakamo aurait aussi pu passer sa hargne sur elle.
- Jocho, tu m'inquiètes... Que s'est-il passé ?

Tout en parlant, elle passe derrière le paravent et ôte le lourd kimono de la soirée, enfile un fin yukata de soie rubis pour la nuit, fait préparer du thé et revient vers lui, le regarde avec attention.
- Rien d'important, puisque tu es là.

Malgré les vagues de douleur, il semble retrouver un peu de sa verve habituelle. Ses yeux clairs cherchent les siens, lui sourient.
- Tu veux que j'aille chercher un médecin, ou un shugenja ?
- Je te remercie, ça ira…je crois.
- Veux-tu un massage ?
- Pourquoi pas.
- Très bien, mets-toi à l'aise. Je vais chercher l'huile.

Mais qui donc l'a soigné, si ce n'est pas elle ? Qui donc a effacé les traces ?
Sa compagne prend le chemin des bains, un sourire satisfait, qu'il ne peut pas voir, ourle ses lèvres. Yakamo s'est bien défoulé, il doit être plus calme à présent. Du moins, pour l'instant.
Elle revient quelques instants plus tard, une fiole de grès ventrue à la main, l'inquiétude peinte sur son visage.
Elle ôte le yukata de soie pour ne pas le salir, s'agite sous son nez, simplement habillée de sa chevelure noire, cherche une chemise de coton. De quoi ajouter un peu à sa confusion. Qui est délicieuse, d'ailleurs... Mais son amant semble trop mal en point pour le moment pour avoir des velléités amoureuses. Lui qui d'habitude ne peut résister à ses hanches se balançant sous son nez, c'est d'une délicieuse ironie. Ce qui prouve qu'il ne va pas bien, pense avec amusement sa maîtresse.
- Par quoi préfères-tu que je commence ?
- Le dos, s'il te plait.

Cela permettra à Jocho de vérifier s'il n'a pas perdu de côtes dans l'histoire et si sa colonne vertébrale existe toujours. Il se tourne en serrant les dents, s'allonge sur le futon, sent son corps peser sur le sien quand Tsukiko s'assoit. Elle réchauffe l'huile dans ses mains, puis pose celles-ci sur sa peau, entreprend de délasser ses muscles éprouvés. Elle connaît bien la tension qui les habite, la lassitude, la douleur. Le capitaine de la Garde Tonnerre s'entraîne dur et elle remplit souvent ce rôle de masseuse.

Jocho pousse un soupir quand ses mains parcourent habilement son corps. La douleur vrille toujours son corps, mais elle s'estompe quelque peu. La chaleur du massage détend ses muscles, atténue la douleur. Un sourire ironique flotte sur ses lèvres quand elle le regarde, confiant sous ses mains.
Si seulement il savait...
Cette satisfaction est presque aussi délicieuse que celle de la raclée qu'il a reçue. Presque...

Elle glisse le long de ses jambes, ses doigts continuent de dénouer son pauvre corps piétiné par Yakamo. Elle se garde le meilleur rôle dans l'affaire. Celui de la maîtresse inquiète et compatissante, aux petits soins pour son grand guerrier tout cassé.
Surtout que ce n'est pas vraiment l'habitude de Jocho d'être dans cette situation de faiblesse... Ça aussi, c'est bon. Elle va en profiter autant que possible, histoire de marquer encore quelques points.

Elle l'invite à se retourner, et poursuit tranquillement sa tâche. Pour l'instant, il lui faut faire en sorte que son grand guerrier tout cassé ne se doute de rien. Son visage est soucieux quand il lui fait face, quand elle dépose un baiser tendre et amoureux sur ses lèvres.

Jocho la laisse faire. Il a au moins cette consolation, même si à l'heure actuelle il serait bien incapable d'en profiter. Son entrejambe aussi se souvient de Yakamo.
Évidemment qu'il la laisse faire, il n'est plus capable de faire quoi que ce soit sans elle... Tsukiko poursuit donc son massage, profite de sa position de force pour se rendre totalement indispensable...

Quand elle termine par de longues et expertes attentions sur ses pieds, elle le sent tout entier en son pouvoir, les muscles entièrement relâchés, détendus, dépourvus de l'énergie nerveuse, du magnétisme animal, qui le caractérisent, de ces réflexes foudroyants qui font que quelle que soit la situation, il est toujours sur le qui-vive. Son souffle est régulier, ses yeux clos. S'il ne dort pas, il ne doit pas en être très loin.
Le grand guerrier tout cassé est en train de s'endormir comme un bébé.

La jeune femme attend qu'il sombre avant de remonter la couverture sur lui, d'éteindre la lampe et d'aller vérifier dans la pièce d'eau qu'il y a ce qu'il faut pour que le bain du lendemain soit un vrai moment de délassement.
Elle va ensuite retrouver Senmei, qui se frotte le menton en se lamentant sur le sol de l'antichambre, le renvoie pour le reste de la nuit. Ils n'ont plus besoin de lui.

Elle se couche à son tour mais ne dort pas. Quoi qu'elle puisse en dire ou en penser, elle sait que cette rencontre avec Yakamo l'a beaucoup secouée. Leur conversation a ramené à la surface de nombreux souvenirs, plus ou moins douloureux.
Elle sait qu'il a lui aussi été très touché, mais est bien incapable d'anticiper ses prochaines réactions. Hida Kyoko va lui faire la leçon, c'est certain, et Jocho l'approchera avec plus de circonspection. Même lui apprend d'une rencontre avec le buffle enragé.
Les prochains jours risquent d'être très tendus.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 22 nov. 2014, 12:45

Lorsque le sommeil finit par lui apporter l'oubli, la nuit est bien avancée et son esprit fatigué de toutes ces réflexions, et elle a l'impression qu'elle vient de fermer les yeux quand elle entend le tintement de la porcelaine signalant le premier thé du matin.
Sans bruit, elle se glisse hors du futon et intercepte la servante qui s'apprête à entrer.
- Je me charge de cela. Jocho-sama ne souhaite pas être dérangé pour l'instant.

Elle retourne au chaud sous la couverture, se verse une tasse de thé, sourit. Est-ce qu'elle pousse le vice jusqu'à le réveiller ?
Pourquoi pas...
- Jocho... murmure-t-elle à son oreille après s'être accordée une bonne tasse de thé. Il est l'heure.
- Hmmm ? Plus tard, Senmei, grogne-t-il.
- Je ne suis pas Senmei.

Sa main fine glisse en une lente caresse dans son dos, elle pose ses lèvres dans son cou.
- Jocho... Réveille-toi...
Ça aussi, ça lui arrive rarement, de le réveiller. Et c'est encore meilleur.
- Jocho... Réveille-toi...
Elle continue de l'effleurer doucement dans le dos. Toujours à moitié endormi, il murmure quelque chose, ça pourrait être son prénom. Elle sourit, ses mains poursuivent leur opération de réveil. Cela prendra le temps qu'il faudra mais elle le tirera de son sommeil.
Il grogne, se retourne, grimace alors que son corps endolori se rappelle à son bon souvenir.
- Tu veux un peu de thé ?
Il a un sourire un peu de travers :
- Pourquoi pas.
- Voici.

Il trempe ses lèvres dans la tasse, la repose sur le côté.
- Je vais attendre un peu.
- Oh, il est trop chaud ? Je suis désolée.
- Beaucoup, beaucoup trop chaud. Mais ce n’est pas grave.
Il lui caresse la joue, les cheveux, passe son pouce sur ses lèvres.
Elle se glisse tout contre lui, sa longue jambe caresse la sienne et vient se poser sur son flanc, ses lèvres embrassent lentement sa poitrine juste sous son nez.
Il relève son visage, dépose un baiser très tendre sur ses lèvres.
- Je vois que mon massage a été efficace.
- Oui, ça va mieux.
- Vraiment mieux ? demande-t-elle avec malice.
Elle lui sourit, sa bouche taquine la peau de son cou avec délectation.

Il la caresse tout le long du corps, en une longue caresse excitante, se terminant par un voluptueux chatouillis au creux des cuisses. A son grand soulagement, ses très réputés attributs ont l'air d'être parfaitement fonctionnels.
- Doucement, Jocho...
Il sourit, caresse son flanc, puis se met sur le dos, l’attirant à lui, pour éviter de peser sur elle. C'est vrai, il a tendance à oublier qu'elle est enceinte. Ce ventre arrondi ne la rend que plus femme et plus désirable.
Une délicate attention qui ne lui vient pas naturellement. Tsukiko vient sur lui, accordant son rythme au sien, sans forcer, il ne faut pas pousser son avantage trop loin à présent. L'étreinte est moins débridée que ce qu'ils ont l'habitude de partager à l'aube, mais elle apporte son lot de plaisir et de délassement.

Jocho est rassuré et conforté. A dire vrai, il a l’impression d’avoir été mis en tout petits morceaux, pas très bien recollés, mais ce n'est rien qui mérite d'être pris en compte au regard de son soulagement. Malgré les efforts du champion du clan du Crabe, il est toujours capable d'assurer correctement au lit.
Et même si Yakamo a profité de l’effet de surprise pour se défouler sur lui, à date c'est avec lui qu'elle est, c'est avec lui qu'elle reste.

Sa maîtresse s'allonge paresseusement sur le côté, le regarde en souriant. Il a retrouvé de sa superbe depuis la veille, et elle y est pour beaucoup, elle le sait. Et malgré qu'il le nie, elle sait aussi qu'il devient plus attentif à son bien-être. Son geste de tout à l'heure l'a montré. Un premier pas vers l'acceptation de sa paternité assumée, sans doute.
- Crois-tu que le thé est à la bonne température à présent ?
- Idéale.
- Je vais préparer ton bain. Prends ton temps pour te lever.

Sa maîtresse a donné des instructions pour que l'on prépare un bon bain bien chaud, et qu'on y rajoute des plantes souveraines pour la fatigue et les courbatures. Senmei, un gros bleu de la taille d'une crêpe sur le visage, fait diligence.
Après quelques paroles, toute la maisonnée se met au service du bien-être du jeune homme.

Jocho se dit qu'en fait, il l'a rarement connue aussi soucieuse de lui...Ce n'est pas désagréable, de se faire dorloter ainsi. Elle a dû avoir peur pour lui, à n'en point douter. Il se satisfait assez bien, pour le moment, de la laisser s'affairer. Elle a sûrement besoin de s'occuper pour soulager son inquiétude de la veille.

Bientôt le bain est prêt, et il s'y immerge avec un long soupir de pures délices. L'eau brûlante est un vrai baume pour son corps contusionné. Tsukiko s'est préparée de son côté, elle a des répétitions aujourd'hui qui la tiendront occupée toute la journée, et Shichisaburo n'aime pas quand ses comédiens sont en retard, malgré toute l'affection qu'il lui porte.

Sa servante a veillé à lui apporter un haori chamarré d'or et de rouge, qu'elle porte par dessus une combinaison de satin gris, fluide et floue à souhait. Les orchidées aux longues tiges d'un vert émeraude soutenu s'étalent sur la partie inférieure, et elle commence à dissimuler sous ce genre de vêtement son ventre qui s'arrondit, et ce faisant, compte bien lancer une nouvelle mode.

Quand Jocho sort enfin des bains, elle a mis la dernière main à sa coiffure et à son maquillage, mais n'a pas encore ourlé de rouge ses lèvres sensuelles. Il a la fâcheuse manie de l'embrasser avant son départ.
Un solide petit déjeuner l'attend sur la table dans la chambre, elle y a veillé. Un masque qu'il ne connaît pas est posé sur la coiffeuse, attendant d'être mis en place. Les rubans de soie, dont les teintes se marient avec celles de sa tenue, tombent gracieusement tout autour de son visage, soulignant l'ovale délicat et la bouche aux lignes pleines.
Le masque en lui-même est assez simple, et on a maquillé le contour des yeux. Vu de côté, il lui donne le profil d'un petit oiseau. Quelques plumes rouges et noires sont accrochées presque par hasard sur le fond de satin blanc.

- Ah, tu es là... Je pensais que j'allais partir sans t'avoir revu.
- Aucune chance. dit-il en l'enlaçant. Tu es magnifique...
- Merci, Jocho, sourit-elle en déposant un baiser, aussi léger que la caresse de l'aile d'un papillon, sur ses lèvres. Je serai très prise aujourd'hui, je ne pense pas avoir la chance de te revoir avant ce soir.
Il enfouit son nez dans sa nuque, mordille son oreille.
- Allez, laisse-moi... Ce n'est pas l'envie qui me manque, mais je dois y aller... Un de ces jours, on va remarquer que je sors de ton lit.
- D’accord…à ce soir alors.
Il l’embrasse sans insister.

Tsukiko lui sourit et tourne les talons, l'abandonnant attablé devant son repas. Il doit quand même avoir pas mal dégusté, pour renoncer aussi facilement. En d’autres circonstances, elle ne s’en serait pas tirée à aussi bon compte. Et, comme de juste, elle serait arrivée en retard. Cette fois au moins, elle évitera de se faire tancer par Shichisaburo. Avec Ichimane, c'est le seul à l'impressionner suffisamment pour qu'elle ne se rebiffe pas.

Ce soir, c'est une représentation importante. Bayushi Shoju sera là, avec toute sa cour, ses conseillers, les courtisans les plus puissants de l'empire. Tous les comédiens sont sur le pied de guerre.
Ce soir, Shichisaburo joue son prochain mécène, et il n'a pas l'intention d'accepter le premier venu. Tout comme il n'a pas l'intention d'accepter autre chose que l'excellence de la part de sa troupe. Tout comme il n'envisage pas l'échec comme une option raisonnable...

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 23 nov. 2014, 23:29

Vous revoir - à venir.

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Re: (Nouvelle - ADULTES) Cour d'hiver à Kyuden Bayushi

Message par matsu aiko » 23 nov. 2014, 23:32

- Tsukiko-chan ?
- Oui ?
- Il y a un jeu organisé ce soir.
- Un jeu ? Quel genre de jeu ?
- Le jeu des cent histoires, Yokai Hyaku Monogatari. Le connais-tu ?
- Non, mais tu vas m'expliquer, je suppose.

Jocho sourit en guise de réponse.

- C'est très simple. Au départ, c’est un rite destiné à faire apparaître les esprits, qui est devenu un divertissement populaire. Tous les participants sont réunis dans une pièce éclairée par des bougies, il y a autant de bougies que de participants. Chacun raconte une histoire de yorei, aussi effrayante que possible, et à la fin de chaque histoire on souffle une bougie.
Quand la dernière bougie est soufflée, et que la pièce sombre dans l'obscurité, un fantôme se manifeste.
C'est, en tout cas, ce que dit la légende.
- Ah ? Et tu comptes y participer ?
- Nous y sommes invités. Par Shoju-dono.
- C'est une marque d'attention qui nous honore.
- Oui, on peut dire cela. Comme tu l'imagines, reprend-il d'un ton badin, c'est un jeu qui a parfois été utilisé par le clan pour régler des comptes. Le surnaturel a bon dos.
- Tu n'as pas d'ennemis ici, je suppose.

Il éclate de rire. Le sourire qui vient ourler les lèvres de la courtisane est un tantinet ironique.

- Bien sûr que non. Qui a des ennemis ici, dans cette auguste compagnie ?

Puis il redevient sérieux, et demande, énigmatique :

- Non, la bonne question est : qui est la cible ? Car c'est à peu près certain.

Il fait une pause dramatique.

- Ce soir, quelqu'un va mourir.
- Ce n'est pas drôle, Jocho. Pourquoi me dis-tu ça maintenant ?

Sa voix chaude murmure à son oreille :

- As-tu oublié où nous nous trouvons ? Ici, chaque pas est un piège, chaque sourire une feinte, chaque regard une menace. La lumière et l'ombre ne sont qu'illusions. Les mensonges sont des portes qui ne mènent nulle part.
- Nous avons tous nos ennemis. Reste à savoir s'ils auront le cran de passer à l'acte. Et surtout s'ils ont une quelconque assurance d'immunité.
- Quand je parlais de cible, je ne parlais pas nécessairement de la victime… C'est l'autre façon de poser la question. Qui va être accusé de meurtre ?
- Cela dépend de qui va participer à ce jeu. Tu as la liste des invités ?
- Non. Mais la plupart des résidents de la cour d'hiver seront invités, je pense. Personne n'osera décliner l'invitation de Shoju-dono.
- Mais ça fait des dizaines de personnes, et plusieurs centaines de possibilités.
- Oui, dit-il d'un ton joyeux.
- Nous ne pourrons jamais anticiper un coup, si d'aventure l'un de nous est visé. Pourquoi cela t'amuse-t-il ?
- Cette soirée promet d'être passionnante, sourit-il.
- Tu riras moins si tu deviens la cible.Toi... ou moi.

Il lui caresse le dos, l'embrasse, lui mordille le lobe de l'oreille. Ses mains s'aventurent vers ses reins.

- Dans ce cas, profitons-en avant qu'il ne soit trop tard, neh ?

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