Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

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matsu aiko
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Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par matsu aiko » 10 oct. 2009, 00:02

Bonjour à tous,

Je vous propose de réunir ici des histoires de fantômes, et d'autres créatures surnaturelles - oni, kappa, objets animés...- telles que les décrit Akaguma dans ses "Rencontres à l'heure du boeuf". L'idée est de constituer une collection de contes, étranges ou effrayants, tels qu'on pourrait en raconter un soir d'hiver.
Il s'agit d'écrire des histoires courtes (une page, deux max). Le cadre est Rokugan ou indéterminé. Un seul impératif, la dernière ligne doit mentionner " c'était l'heure du Boeuf" ou une tournure équivalente.

J'ouvre le bal avec une histoire originale de Sojiro-kun, que j'ai un tantinet remaniée pour les besoins de la cause.

A vous la main pour l'écriture de nouveaux chapitres...

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matsu aiko
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Re: Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par matsu aiko » 10 oct. 2009, 00:06

Les plaines s'étendaient à perte de vue, tapis drus jaunis par le soleil et la chaleur accablante de l’été, même autant au nord de la chaîne du Toit du Monde. Le cavalier au chèche beige se dressa sur ses étriers, ses yeux gris s'étrécissant dans l'ombre du tissu enroulé autour de sa tête et de son visage. Peut-être, là-bas, une petite forêt, un endroit où camper. Une heure de galop, guère plus - cela conviendrait parfaitement. Il appela son aigle avant de presser les flancs de son cheval. Ce dernier était vif comme les vents et plus endurant que les montagnes. Même après une journée de chevauchée, il avait encore la force de galoper à la vitesse d'un étalon retrouvant son écurie ; peut-être devinait-il l'herbe fraîche qui l’attendait là-bas…

Le paysage défila à une allure folle autour du cavalier Licorne, l’aigle trompetant de temps à autre, signalant sa présence. L'homme au chèche avait dressé lui-même ses deux animaux, et il en était fier. Aussi fier que de sa vue, lorsqu’il atteignit enfin le couvert des arbres. Mais il n’était pas seul. Un splendide destrier, dont le harnachement ne pouvait appartenir qu’à une guerrière, broutait tranquillement. Aussi ce fut au pas qu'il s'introduisit sous la frondaison, sans hâte, son corps souple compensant avec aisance les mouvements de sa monture. Devant un feu surmonté d'un petit récipient en métal, une jeune femme sculpturale aux yeux verts et aux cheveux d'un noir bleuté attendait, sereine. Elle était en kimono - son armure devait se trouver dans la tente un peu plus loin. En l'entendant arriver, la shiotome leva les yeux vers lui. Le Shinjo descendit de sa monture tranquillement, avant de s'agenouiller et de s'incliner. Elle fit de même, exactement à la même hauteur.
« Shinjo Malik.
- Otaku Yu Meili. Vous venez partager ma retraite ?
- Si cela ne vous dérange pas, Otaku-san. Si vous le souhaitez, j'ai de quoi faire à manger. »
Elle eut un rire cristallin en se couvrant la bouche de la main, les yeux étincelants.
« Ce ne sera pas nécessaire. J'ai fait assez pour nous deux. »
Malik hocha la tête, avant de se relever. Il déchargea son petit sac de l'arrière de sa selle, avant de donner un petit coup du plat de la main sur la croupe de sa monture. Le cheval comprit le signal et partit brouter dans son coin. Le cavalier défit le sac, posant deux couvertures sur le sol, son arc et son carquois à côté. Ainsi, à la réflexion, que son katana. Il sortit ensuite de quoi faire un thé à la menthe, et se mit à l’œuvre comme son père le lui avait appris.
Lorsque le thé fut prêt, il en versa avec cérémonie une tasse de thé épais, moussu, à Yu Meili. Il se servit une tasse, puis ôta le tissu qui recouvrait son visage. Il entendit le hoquet de surprise de la shiotome. Son visage faisait cet effet à tout le monde.
« Les tatouages de la famille... Les ronces nourries par l'eau du désert. »
Ce faisant, il suivait le tracé des ronces le long de son front, ses temps, ses pommettes ; il esquissa le tracé le long des mâchoires et du cou ; on pouvait également discerner, de-ci de-là, des gouttes qui perlaient des pointes acérées. Il arborait un sourire tranquille avant de boire son thé brûlant à petites gorgées. Yu Meili mit un instant à s'en remettre, mais parut apprécier le thé.
« Amer mais... délicieux.
- Ce thé, le premier d'un service de trois, est amer comme la vie.
- Et les deux autres ?
- Vous verrez, Otaku-san. »
Son sourire s'élargit légèrement. Après avoir fini sa tasse, il se leva pour aller voir le riz. Cuit à point.
« Donnez-moi votre bol, je vais le remplir. »



Yu Meili n'avait pas menti : il y avait en effet largement assez de riz pour deux. Durant tout le repas, ils n'avaient cessé de se regarder à la dérobée. Et s’étaient décidés de passer à plus de familiarité, réunis par la solitude du lieu.
« Tu n'as pas de tente ?
- J'aime dormir à la belle étoile. Sauf lorsqu'il pleut, mais je gage que ce ne sera pas le cas cette nuit.
- Voudrais-tu partager la mienne ? »
Malik prit le temps de mesurer sa réponse, regardant la shiotome et son sourire, engageant, chaleureux.
« C'est une proposition, Yu-san ?
- Oh que oui. Comme ca, j'apprendrai tous tes secrets ! »
Elle eut une grimace amusée. Elle se moquait gentiment de lui, mais en fait, ces avances ne lui déplaisaient pas.
« En ce cas, laisse-moi préparer le second thé.
- Qui est ?
- Fort comme l'amour. »

Lorsqu'elle but le second thé, ses yeux pétillèrent. Elle reposa sa tasse avec un sourire.
« Il est plus équilibré que fort... »
Malik se leva pour s'agenouiller derrière elle, l'enlaçant doucement.
« Tu n'as pas goûté le troisième encore. »
Il dégagea délicatement les cheveux de la jeune femme, posa ses lèvres sur son cou. Il commença à préparer le troisième thé, alternant les gestes familiers avec des baisers et caresses. La jeune femme se laissait faire, les yeux fermés. Le parfum du thé les enveloppait comme un voile de soie. Il porta la tasse à ses lèvres, y faisant couler une gorgée du liquide crémeux, odorant et sucré. Elle avala docilement une gorgée, toujours immobile. Elle ne réagit pas non plus lorsqu'il fit glisser son kimono pour lui embrasser l'épaule, puis lui saisit soudain une main, l'incitant à caresser le sein mis à nu. Le jeune homme s'enhardit, glissa sa main dans le kimono. La jeune femme poussa un gémissement et saisissant son kimono, le mit au sol avec une force surprenante, puis l'embrassa, pleine de désir. Elle ôta d'un geste brusque son chèche et caressa ses cheveux bruns coupés courts, commençant de l'autre main à défaire sa ceinture, son kimono. Elle s’écarta le temps de lui murmurer, les yeux dans les yeux :
« Je te veux. Maintenant. »
Elle se pencha ensuite, son regard toujours fixé dans celui de Malik, lui embrassant le cou, s'attardant lascivement sur sa poitrine, avant de descendre plus bas, laissant ses lèvres, sa langue, goûter la peau du jeune homme. Elle était douce, un peu salée, musquée – comme elle aimait. Elle lui donna encore un coup de langue langoureux, savourant l’anticipation du plaisir à venir, l’abîme avide au creux de son ventre, qui allait bientôt être comblé. Puis elle ouvrit la bouche, et mordit à pleines dents.

Un peu plus tard…

Une petite brise soulevait un morceau de tissu beige, le faisant onduler comme une mer miniature, à côté de la ceinture de cuir délaissée. Cela avait été délicieux, vraiment délicieux. Elle se lécha les lèvres, le nez, avant de poursuivre le nettoyage par le reste du visage et de sa poitrine, quelque peu collants du festin qu’elle venait de s’offrir. Elle se cura la mâchoire inférieure de son ongle de fer, puis recracha négligemment un débris resté coincé entre deux molaires et écarta avec un soupir l’os à présent vidé de sa moelle. Ah, si seulement ils pouvaient tous être comme ça…Elle jeta un regard attendri sur les habits épars, les armes abandonnées, et avisa la tasse de thé, à présent tiède. Doux comme la mort, avait soufflé Malik à son oreille, pour sceller cette nuit d’amour sans attache, sans lendemain. L’ironie involontaire l’avait fait sourire.
Elle prit la tasse, et savoura l’arôme du thé, avant de l’avaler d’un seul coup, tasse comprise, broyant la porcelaine dans ses mâchoires puissantes, avant de la recracher par petits morceaux, comme des pépins. Son ex-propriétaire méritait bien ça.

La yama-onna s’étira, bailla. Le cheval avait fui, effrayé par le hurlement suraigu de l’homme avant qu’elle ne lui broie la gorge. Il faudrait probablement qu’elle le traque – l’isolement de cette contrée avait ses avantages, mais la viande était rare.
Elle s’apprêtait à se lever quand une brusque douleur lui cisailla le ventre. Etait-ce un fragment de porcelaine ? Non, son estomac insatiable était à l’épreuve de ce genre de chose. Elle n’eut pas le temps de s’interroger plus avant car un nouveau spasme la plia en deux, bien plus violent que le précédent. Puis un troisième, qui lui coupa la respiration.
Elle se tordit de douleur, le visage violacé, sous l’effet de nouveaux spasmes, et se remémora les gouttes dessinées du tatouage d’épines. Elle commença à maudire Malik, ses ancêtres, sa descendance, et toute cette misérable engeance de pillards du désert, avant de s’abattre lourdement dans les plis du chèche ensanglanté.
On ne peut vraiment plus faire confiance à personne, fut sa dernière pensée.

Tout était tranquille sous les frondaisons obscures, Seigneur Lune était haut dans le ciel. C’était l’heure du Bœuf.

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Tetsuo
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Re: Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par Tetsuo » 22 oct. 2009, 15:27

Le cœur d’Ariko battait la chamade, ses joues étaient en feu et son esprit confus. Elle sentait la brulure naissante sur le coin des yeux et serra les poings pour tenter d’endiguer les flots montants. Ô misérable chienne, cette Aya allait payer ! Oh oui, très cher, Ariko allait la déchirer cette petite soie tissée.

La nuit venue, quand le dortoir fut calme, ses coreligionnaires endormies, Ariko se faufila telle une souris à travers le pensionnat. Précautionneusement elle allait vers son objectif numéro un, et elle tenait fermement sa poupée de lin en ouvrant le shoji de la cuisine.

La gueule d’ombre et de rouge d’un oni attendait Ariko pour l’avaler d’un trait ! Elle se figea, le bourdonnement de son sang dans ses oreilles était incroyable, puis de la pièce s'exhala la citronnelle, la friture et le bouillon des rãmen. Dans son âtre l’esprit du feu n’était qu’une faible lueur rougeoyante.

Les yeux jaunes qui l’observaient auraient du comprendre qu’elle faisait preuve de toute sa concentration pour l’opération suivante, en effet la langue d’Ariko pointait fermement entre ses lèvres pincées. Hélas, dénuée d’intelligence, la créature nocturne ne sut jamais ce que cette humaine fabriquait. Ariko ressassait cette journée, sa vive colère de l’après midi s’était muée en une haine une fois la nuit froide tombée, son ennemie devait payer pour lui avoir pris l’affection de ce si joli professeur. Dehors la tête aux yeux jaunes de prédateur pivota avec un angle inhumain pour scruter la nuit.

Ariko fit rapidement main basse sur les bougies, qu’elle ficha sur des baguettes, ensuite elle réussit à lier le tout en une sorte de chapelet. Bel exploit au vu des moyens rudimentaires à sa disposition. Ce n’est qu’en relevant la tête de son ouvrage qu’elle vit, au travers la fenêtre, le masque blanc aux grands yeux insondables. Le sang quitta le visage d’Ariko, son cœur cessa de battre, puis le cri glacial emplit la nuit alors que la chouette s’enfuyait à tire d’aile.

Retrouvant son calme Ariko passa à l’étape suivante de son plan, pour celle-ci elle devait fouiller la commode dans la salle de classe. A pas feutrés elle glissa sur le parquet lustré, l’obscurité n’était pas un problème dans cette pièce si familière et elle parvint auprès du meuble. Dans un mouvement rapide la créature l’enveloppa dans son suaire, l’air glacial paralysa les membres d’Ariko, sa force vitale fut drainée par l’ennemi invisible fait d’ombre et de froid, elle sombrait petit à petit vers le néant.

Sentant sa vie toujours couler en elle, Ariko se dépêtra du rideau et referma la fenêtre restée ouverte sur la nuit. Elle ouvrit le tiroir et prit l’objet de sa convoitise, désormais elle était prête à affronter la partie la plus dangereuse de sa vengeance.

Le pensionnat n’était plus qu’une masse d’ombre dans son dos, et le chemin menant au temple n’était qu’une ligne à peine plus claire sur le sol. Elle savait que la distance entre les deux bâtiments était courte, mais dans la nuit les arbres semblaient se rapprocher pour lui barrer la route. L’herbe en bordure du chemin semblait s’être changée en un roncier vindicatif alors que sa robe de nuit s’accrochait aux doigts ligneux.

Du fond de son ventre une certitude naquit, l’ombre dans son dos abritait une présence, un être de la nuit la suivait, alors abandonnant toute prudence Ariko courut. Lorsqu’à bout de souffle elle reprit le contrôle sur sa peur elle s’appuyait sur la porte du portail de l’enceinte de la pagode. Elle alluma les bougies, la lumière chaude l’éblouit comme un soleil de midi, et réchauffa son âme de courage.

Solennellement Ariko pénétra dans le temple, récitant mantra et prières de son cru, en effet son enseignement théologique n’avait pas encore abordé en profondeur cet aspect des traditions religieuses. Elle déposa une offrande d’encens sur l’autel, pria encore un peu puis se dirigea vers le bosquet de la pagode.

La lumière des chandelles repoussait les créatures de la nuit, et, ravie, Ariko prenait de plus en plus d’assurance, elle retira du corps de sa poupée de lin une figurine de paille sur laquelle un petit papier peint faisait office de visage. Un sourire maléfique déforma le joli visage d’Ariko et elle se dirigea vers un arbre proche. Elle leva le petit couteau pour planter la figurine d’Aya dans le tronc.

Ariko resta pétrifiée, l’arme chut dans un son mât, suivi dans un murmure par la figurine. Incrédule elle regardait les trois figurines à son image plantées sur le tronc. Le corps de la jeune fille se mit à trembler, ce qui fut fort malheureux car l’assemblage des trois bougies, porté en serre tête, se désagrégea et tragiquement les bougies mirent le feu aux cheveux de la pauvre infortunée.

De panique elle tenta de l’éteindre et dans sa course folle ses jambes se prirent dans le cordon trop long auquel était pendu le miroir, elle chuta violemment et le son sec que fit sa tête en heurtant le sol ne fut hélas entendu par personne.

Aya dormait fort bien, un bon repos après les précédentes trois dernières nuit à faire ushi no koku mairi.
Eppur si muove

Togashi Dôgen

Re: Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par Togashi Dôgen » 20 sept. 2010, 14:15

Inugami
Extrait du recueil "Le manoir dissimulé derrière les feuilles", par Ikoma Shinzo, en 1397.
Une histoire de fantôme par Togashi Dôgen, en hommage à Akutagawa Ryûnosuke.




Le coeur de la jeune femme battait la chamade. Il y a deux nuits, elle s'était procuré en secret le rouleau décrivant le rituel de l'Inugami, dans les archives du Kuroiban. Eviter les défenses magiques et briser les sceaux avait été difficile, mais elle avait réussi à contourner le problème en neutralisant les glyphes de ses collègues avec les siennes propres. Le jeune homme de la famille Isawa lui avait dit qu'il avait besoin d'augmenter ses pouvoirs. Comment aurait-elle pu le lui refuser ? Dans sa famille de shugenja où tous étaient poussés à la compétition et à l'excellence, l'échec aurait été impardonnable. Cela aurait gâché ses rêves. Il était si beau, quel gâchis c'eut été de l'abandonner à son sort, alors qu'il lui avait promis de l'épouser. Le lui refuser, ça aurait gâché leurs rêves. Enfant déjà, on lui avait appris à ne pas gâcher la nourriture.

Le rouleau du sort expliquait qu'un inugami était créé en enterrant un chien jusqu'au cou et en plaçant de la nourriture autour de lui en cercle, sans qu'il ne puisse l'atteindre. Le chien agonise alors pendant des jours, pendant lesquels son maître, le shugenja qui lance le sort, doit lui répéter que sa douleur n'est rien comparée à celle que lui, son maître, endure de son côté. Quand le chien meurt, il devient un inugami. Puisque son dernier souhait était de manger, les aliments placés autour du corps agissent comme une offrande qui apaise son esprit, le rendant du coup obéissant. Mais l'utilisation du sort était risqué, car l'Inugami est doué d'intelligence, est capable de parler, d'exister indépendament de son maître et d'agir de sa propre volonté, pour ses propres objectifs. Grâce au rituel, l'Inugami-mochi, le propriétaire du dieu-chien, bénéficie d'une grande chance et les faveurs accordées à l'Inugami sont rendues avec les intérêts ! En contre-partie, il faut être prudent pour ne pas perdre la faveur de l'Inugami et attirer son courroux. Et il devient plus difficile de se marier.

Mais elle n'avait pas d'inquiétudes à ce sujet. Après tout, ils s'étaient déjà arrangés entre eux. Et elle pourrait se contenter d'être son amante, s'il le fallait. Le vrai problème était la possession. Car l'Inugami, lorsque son corps devient inhabitable, est capable de posséder le corps de l'Inugami-mochi. Le corps devient alors bien plus puissant, il guérit toujours des maladies et une santé chancelante devient vigoureuse. Selon le rouleau du sort, le seul inconvénient est que le possédé se conduit comme un chien. Mais ce n'était pas vraiment un problème non-plus. Elle pouvait s'accomoder de se faire prendre comme une chienne.

Toutefois, elle avait pris un gros risque en trahissant ses collègues, elle la jeune prodige des Kuroiban, sur laquelle ils avaient fondé tant d'espoir. La Maho était un crime impardonnable, mais le sang de Yogo, le premier du nom, conjugué à la puissance de l'amour, était plus fort en elle que la voix de la raison. Peut être ne découvriraient-ils jamais sa trahison. Ils pourraient se marier. Et si ce n'était pas le cas, ils pourraient s'enfuir ensemble. Après tout, elle l'aimait passionnément.

Suffisamment pour lui pardonner de l'avoir approchée seulement pour se procurer la puissance magique qui lui faisait défaut et guérir ses maladies récurrentes depuis son enfance, dues à sa faiblesse physique. Elle l'aimait suffisamment pour se souvenir des moindres détails de son corps et de son visage. ses cheveux soyeux, sa peau pâle et douce, ses grands yeux noirs, la sensation que lui procurait les caresses de ses mains... Elle l'aimait suffisamment pour tuer l'Inquisiteur de la famille Asako qui avait découvert sa trahison et s'était lancer seul à leur poursuite, avec ses gardes du corps Shiba. Bien sur, ils étaient morts. Alors pourquoi s'était-il mis en colère après elle ? Pourquoi lui avoir dit toutes ces choses méchantes ?

Bien sur, ça ne l'avait pas empêché d'accomplir le rituel. Elle l'avait enterré, comme prévu, dans l'arrière cour de sa demeure, où elle vivait seule. Puis, elle avait disposé la nourriture qui servirait d'offrande à l'esprit. Du riz, de la viande, du poisson, des fruits, du thé, du saké... Tout était de bonne qualité, tout était appétissant. Le pauvre méritait au moins ça, pour que son esprit s'apaise et soit rassasié. Pour qu'ils puissent vivre ensemble pour l'éternité, une fois que le corps aurait été entièrement décomposé. Sentant un creux dans son estomac, elle prit une paire de baguette et mangea un morceau de viande tendre, qui fondait dans sa bouche. Il ne faut pas gâcher la nourriture. Et puisqu'ils ne feraient bientôt plus qu'un, ç'eut été dommage d'attendre que la nourriture refroidisse.


:dragon:


Deux silhouettes vêtues de noir se tenait derrière la jeune femme, à quelques mètres. Circonspect, presque sceptique devant le spectacle qu'ils voyaient, ils discutaient tous les deux en la regardant de haut, comme dans un hôpital, des médecins discutant au-dessus du lit d'un patient.

"Tatsumaru-sama, qu'en pensez-vous ? Demanda le shugenja Kuni à son collège Tsukai-sagazu.
-Difficile à dire, Araburu-kun. On dirait que Yogo Miyabi-san a croisée un tori-mono. Mais peut être est-ce un môryô qui la possède : regardez son ombre, étrange non ?
-Les deux, je pense. Elle a croisé le chemin d'un tori-mono, qui l'a ouvert à l'influence du môryô qui possède Isawa Akira-san."

Kuni Tatsumaru gratta son menton d'un air sceptique, tout en regardant la jeune femme assise sur ses talons, les bras entourant ses jambes. Elle avait l'air amaigri, n'ayant probablement rien mangé depuis plusieurs jours. Dans ses yeux rougis et perdus, des larmes scintillaient et coulaient à intervalles régulier. Le jeune homme, enterré jusqu'au cou, qui avait été Isawa Akira, un shugenja prometteur du clan du Phénix, et qui était déjà mort depuis la veille, au moins. Tout ce temps, elle était restée assise auprès de lui, avec la nourriture placée hors de portée, en lui répétant à quel point elle souffrait d'avoir été délaissée, abandonnée, par l'homme de sa vie.

"Il est possible que nous soyons aussi sous son influence, alors. Non, je le suis probablement déjà. Exorcisez-le, Araburu-kun.
-Je vais le faire, mais je déteste avoir affaire à ces choses. Les femmes sont vraiment folles..." ajouta le Crabe d'une voix lasse. En coureur de yukata assidu, Tatsumaru n'ajouta rien à ce dernier commentaire. Il dit seulement : "Nous allons laisser se poursuivre cette expérience magique, nous allons exaucer son souhait, laissez le cadavre pourrir. Nous verrons bien ce qui se passera après."

Le Shugenja de la famille Kuni, Meishozo Araburu, se mit en position, écartant les bras pour les rendre perpendiculaires à son corps. Puis, il frappa du pied le sol de la cour, en récitant l'incantation, qui invoquait le pouvoir du Mont Tai et de Taizanfukun (Enma-O) et pendant qu'il parlait, il entait le Môryô reculer dans la crainte, puis être exterminé peu à peu, au fur et à mesure que l'incantation gagnait en puissance.

"Rin, Pyou, Tou, Sha, Kai, Jin, Retsu, Zai, Zen !" Suivi d'une pause, tandis que sa main traçait dans le vide le pentacle des cinq éléments, avant de poursuivre la chorégraphie du rituel : "Tenpou, Tenai, Tensho, Tenho, Tenkin, Tenshin, Tenchu, Tennin, Tenei !"

Le rituel était parfaitement exécuté, et le mal se dispersa, tandis que les ténèbres étaient disloquées dans le coeur de la jeune femme. Dans le secret de son coeur, dans son obscurité, un petit fragment de son pouvoir était demeuré accroché dans le coeur d'Araburu, y projetant son ombre et un jour, y obscurcirait ses pensées. Mais dans le coeur de Miyabi, il n'y subsistait qu'une chose : l'espoir. Lorsqu'elle comprit ce qui s'était passé, Miyabi se jeta aux pieds du shugenja, ses mains essayaient de toucher son sauveur et de l'aduler, de l'adorer, et sa langue léchait avec affection les mains du shugenja.

"Kuni-sama... Moi et Akira-san seront ensemble pour l'éternité, désormais ?"

Gêné, Araburu lança un regard en direction de Tatsumaru. Le visage androgyne du Tsukai-sagazu, pourtant âgé de plusieurs siècles, lui rendait un sourire aimable. Il s'approcha de la jeune femme, posant une main affectueuse sur sa tête, comme on le fait avec un chien que l'on veut caresser et féliciter.

"Vous serez ensemble pour toujours. Araburu-kun va y veiller. Vous avez entendu le souhait de Miyabi-san, n'est-ce pas ?
-Hai, Tatsumaru-sama."

Araburu fabriqua une laisse, avec une obi trouvée dans la maison, puis amena Yogo Miyabi sur les terres du clan du Crabe, dans un palanquin, afin de la dissimuler aux yeux de la populace. Le Kuroiban n'était pas au courant de la trahison. Après tout, il n'y avait pas de souillure. Juste un sort ancien et malfaisant. Un drame digne d'une pièce de théâtre Noh. Autour de sa demeure, Araburu détacha la laisse, et laissa la jeune femme, pieds nus, danser dans la forêt et sautiller dans l'herbe fraîche de la clairière, sous les rayons de la Lune.

"Où allons-nous maintenant, Araburu-sama ? Demanda-t-elle avec enthousiasme.
-Nous allons chercher un bon emplaçement. Pourquoi pas ici ? C'est un bel endroit pour passer l'éternité, disait-il en désignant d'un geste ample la clairière éclairée doucement par les rayons de lune et traversée par un ruisseau chantant.
-A votre convenance, Araburu-sama."

Meishozo Araburu joignit ses mains, tandis qu'il récitait les paroles anciennes du sortilège qui allait devenir sa marque de fabrique.


:dragon:


Dans les terres du clan du Scorpion, dans une petite maison de samouraï à l'abandon, un magistrat local et ses doshin s'étaient réunis dans l'arrière cour, attiré par l'odeur de décomposition. Du sol, un morceau dépassait un morceau de viande pourrissante, qui avait été un jour un être humain. Ailleurs dans l'Empire, dans les terres du clan du Crabe, dans une forêt entourant le manoir d'un shugenja ittinérant, qui deviendrait un jour célèbre, dans une clairière, un nouvel arbre, un cyprès, était apparu, l'espace d'une nuit. Il y demeurerait pour des siècles, deux âmes prisonnières unies dans son bois centenaire. Araburu contemplait avec satisfaction son travail, et avec un enthousiasme juvénile ses travaux à venir, qui lui permettrait de nouvelles acquisitions de spécimens d'arbres "humains" pour sa merveilleuse forêt. La pleine lune éclairait l'Empire de son doux éclat, c'était l'heure du Boeuf.



***************


Errata historique :


-Meishozo Araburu :
Spoiler :
Un shugenja Kuni à la réputation sinistre et terrible. On dit qu'il avait transformé au cours de sa longue carrière plus de six cent de personnes en arbres, dont la plupart étaient accusés de Maho ou de crimes divers et variés (tels qu'une curiosité excessive), après les avoir capturés et amenés de force près de sa demeure, un petit manoir de samouraï, avec une chapelle. Il s'en fit une forêt, longtemps réputée hantée.
Ce n'est qu'à sa mort que l'un de ses apprentis révéla la vérité sur la forêt magique d'Araburu, mais les enchantements étaient si puissants et si anciens qu'il ne fut point possible de délivrer les malheureux, sinon en brûlant la forêt pour que leurs âmes se réincarnent, ce qui fut accompli un siècle après la mort de Araburu. Entre temps, le clan du Scorpion et ses Kuroiban s'était emparés de l'affaire, et l'anecdote était entrée dans la légende. Elle terrifia les Maho-tsukai de tout l'Empire pendant des siècles et découragea beaucoup de suivre les sombres voies.

-Mouryou :
Spoiler :
les Mouryou (ou Houryou) sont des esprits plus anciens que les Oni. On eut le traduire par monstre ou démon. En fait, les mouryou ont de nombreuses formes et plusieurs noms, plusieurs légendes y font référence. Selon certaines, il s'agissait à l'origine d'esprits de l'eau... Mais selon d'autres, ils sont des esprits dévoreurs de cadavres ou encore des monstres chevauchant un "kasha" et associés à la direction du Sud. Selon certains experts, leur véritable forme serait l'ombre de l'ombre, la fine gangue qui entoure les ombres. Ils seraient liés à Amatsu-Mikaboshi, le dieu du Mal et des Ténèbres, selon certains exorcistes du clan du Faucon.

Togashi Dôgen

Re: Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par Togashi Dôgen » 17 oct. 2010, 14:05

Histoire de fantôme : Kodoku
Extrait du recueil "Le manoir dissimulé derrière les feuilles", par Ikoma Shinzo, en 1397.


Le coeur de Saemon pulsait vigoureusement dans sa poitrine. Il y a deux jours, il s'était procuré en secret le rouleau décrivant le rituel du Kodoku, parmi les artefacts confisqués par l'Inquisition aux sectes de Maho-tsukai. Le Kodoku était assez simple d'utilisation, en fin de compte. Sur une feuille de papier rectangulaire, il fallait inscrire en kanji diverses informations, tel que le nom et la date de naissance du bénéficiaire du Kodoku. Ensuite, on l'enterrait en dessous d'un sanctuaire dédié aux kami ou aux Fortunes, avec une boîte. Dans cette boîte devait résider un insecte bien spécial que Saemon s'était procuré au marché noir. Lorsque l'on place l'insecte dans la boîte en compagnie d'autres petits animaux, ils se dévorent les uns les autres, et à la toute fin, il finit par ne rester plus que le seul insecte, qui a alors acquis toute la puissance spirituelle des autres animaux, devenus des fantômes, qu'il a dévorés.

Le membre de la famille Asako auquel il avait dérobé le document et remplacé par un faux n'avait probablement rien remarqué. Son seigneur, Yasuki Echigoya, lui avait demandé un moyen magique de devenir très riche, après tout. Il n'avait pas cherché les conséquences que cela pourrait avoir sur le long terme. En cette heure du boeuf, le Kodoku avait commencé. Grâce à lui, Echigoya allait s'enrichir, encore et encore, devenir toujours plus riche, une prospérité éternelle. A un prix toutefois : il fallait sacrifier une vie humaine par jour après l'activation du Kodoku.

Après avoir enterré la boîte et la feuille de papier dans le sanctuaire de Hotei, Saemon accourut faire son rapport au marchand, qui l'attendait dans son manoir. Peu importait le coût, de toute façon, aux yeux de Saemon. Une fois qu'il se serait enrichi, il pourrait acquérir le statut de samouraï et entrer au service d'une famille de marchand, tel que les Yasuki ou certains vassaux des Daidoji. Il se ferait un nom, une place dans la société. Il obtiendrait enfin ce qu'on lui avait refusé à la naissance, un peu de bonheur. Et sans oublier qu'en devenant samouraï, il pourrait enfin devenir un vrai shugenja, un maître des clans majeurs accepterait certainement de lui enseigner la magie. Il n'aurait plus besoin de voler les cadavres de ses pairs sur le champ de bataille, pour s'approprier leurs parchemins. Son calvaire, ces horribles cauchemars qui survenaient dans son sommeil, allaient enfin prendre fin. Jamais il ne deviendrait aussi fou que son pauvre père. Lorsqu'il serait devenu samouraï, il pourra avoir une famille et élever ses enfants aux côtés d'une jolie épouse, peut être une geisha qu'il aurait rachetée. Devant ses yeux se profilait une satisfaction éternelle.

Echigoya était satisfait des efforts de Saemon. Le heimin l'avait bien servi. Il allait enfin accroître sa fortune, étendre son influence sur le marché de la soie, du riz et des armes. Ce sort, ce kodoku garantirait le succès de ses affaires. L'or, c'est le pouvoir. Grâce à l'or, il pourrait s'élever dans la société, se rapprocher du faste de la Cour, dont la gloire et la beauté l'attirait tant. Peut être cette femme le prendrait-elle plus au sérieux dans sa cour, grâce à cela. Les samouraïs avaient beau dire, ils ne survivraient pas sans les marchands. Ils seraient incapables de prospérer et de fournir à leurs armées tout ce qui leur était essentiel. Les samouraïs traitaient les marchands tel que lui par-dessus la jambe, depuis des siècles. Cette femme qu'il aimait et ses parents estimaient que lui, un perfide marchand, et tout l'or qu'il leur offrait, n'était pas assez bien pour eux. Pendant des siècles, les marchands avaient laissés la Fleur au samouraï, pour récolter les fruits. Maintenant, Echigoya avait décidé qu'il aurait l'un et l'autre. Devant ses yeux se profilait une satisfaction éternelle.

Devant leurs yeux, se profilait l'illusion suprême, celle que l'on crée soi-même.


:dragon:


Trois mois s'étaient écoulés depuis cette nuit, où un jeune shugenja d'origine heimin avait soigneusement enterré une boîte et son contenant dans le sanctuaire de Hotei, à proximité de la demeure d'Echigoya. Tous les jours, il n'avait pas hésité, afin d'entretenir le rituel. Tous les jours, il avait soigneusement et précautionneusement mis à mort une personne, à l'intérieur de son riche manoir de marchand. C'était surtout des eta et des heimin, qu'Echigoya avait sacrifié sur l'autel de l'ambition. Il avait pris soin de maquiller les disparitions et faisait venir de loin les sacrifices humains. Comme il l'avait espéré, les efforts mystiques d'Echigoya avaient porté leurs fruits. Sa fortune avait plus que doublé. Ses principaux concurrent faisaient faillite les uns après les autres, tandis qu'il s'emparait des marchés, les conquérant comme un général victorieux et auréolé de gloire. Il avait même conclu plusieurs contrats avec des marchands et des marins des clans de la Grue, du Phénix et de la Mante.

Son statut de samouraï, en tant que membre de la famille Yasuki, s'était confirmé. Il s'était élevé depuis lors, il avait pris du galon. Il avait même eut une audience avec le grand marchand Yasuki, le chef de famille Yasuki Taka, qui l'avait félicité pour la reprise hallucinante de ses affaires, qu'Echogoya avait expliqué par sa maîtrise du commerce et ses vues révolutionnaires sur le marketing, digne d'un financier du Consortium d'Ichiba. Quant à son fidèle serviteur, lui aussi avait pris du galon. Saemon était partit étudier chez un shugenja de la famille Kuni. Saemon lui reviendrait un jour, et ils feraient affaire ensemble, comme au bon vieux temps. La seule ombre au tableau était précisément la raison pour laquelle il avait entrepris tout cela. La jeune femme et sa famille se refusaient toujours à lui, peu importe la somme qu'il leur proposait en échange. Il ne savait plus quoi faire. Il devait se rendre dans leur demeure en personne, pour que les parents puissent voir à quel point leur futur gendre était un individu remarquablement riche.


:dragon:


Alors qu'Echigoya était parti, le maître shugenja chez lequel il avait envoyé Saemon était venu au manoir pour lui rendre visite. Le vieil homme se présenta sous le nom de Meishozo Araburu, shugenja du clan du Crabe, en disant qu'il devait rencontré Yasuki Echigoya de toute urgence. N'osant rien tenter en présence du shugenja, le vieux valet du marchand Yasuki remit le sacrifice de la jeune servante recrutée la veille au lendemain, lorsqu'Araburu serait parti retrouver Echigoya en chemin.

Mais le lendemain, alors que le shugenja était déjà reparti, la servante trouva le vieux domestique pendu dans sa chambre, à une poutre du plafond, une de ses ceintures attachée autour du cou, laissant son visage ridé aussi blanchâtre et cireux que s'il se trouvait déjà dans la tombe. Horrifiés par la mort du vieux valet, les deux ronin chargés de procéder aux sacrifices humains se hâtèrent d'égorger la servante dès le lendemain, lorsque le yoriki et les doshin du magistrat local furent repartis. Le surlendemain, un des ronin avait fait seppuku dans sa chambre. La journée d'après, l'autre ronin décapita un second serviteur. Mais le neveu et apprenti d'Echigoya était mort dans son lit, mordu par un serpent. La journée suivante, un autre membre de la maisonnée fut retrouvé mort.

Et ainsi de suite, jusqu'à ce que le manoir du marchand se transforme en un véritable cimetière. Pendant des décénnies, loin du résultat qui avait été escompté, sa sinistre réputation attirera les curieux de tous horizons.


:dragon:


Ayant appris les morts mystérieuses qui survenaient chez lui, Echigoya avait pris avec lui tout l'or qu'il avait put emporter et se rendit droit chez le Shugenja Meishozo, sans même passer par sa maison. Apparement, ces morts étaient liées au Kodoku. Saemon lui avait bien dit de ne surtout pas interrompre les sacrifices. Seul Saemon, et Meishozo Araburu son maître, pouvaient peut-être stopper la malédiction qui frappait sa demeure, ou à tout le moins sauver sa vie, son or et son mariage. Le shugenja ne serait pas facile à convaincre, pensait-il, mais avec tout l'or qu'il lui offrait en échange, la partie était jouée d'avance.

Qu'elle ne fût pas sa surprise, lorsqu'après avoir traverser l'étrange et sombre forêt pour se rendre en son coeur, où le shugenja résidait, lui avait-on dit, lorsqu'il appris que Meishozo Araburu lui avait rendu visite la veille du jour où tout avait commencé ! Le marchand avait d'abord été accueilli par Kuni Araburu et un de ses disciples, un certain Hida Genjuro. Puis, Yasuki Echigoya avait demandé au Kuni de le conduire jusqu'à Saemon, pour lui parler d'une affaire très importante et urgente, et Araburu consentit. Lui et Genjuro l'emmenèrent à l'extérieur, en lui expliquant qu'il y participait à une expérience magique très importante, puis le conduisirent à une clairière. Il faisait nuit, et Onotangu éclairait le monde de sa douce clarté lunaire. Lorsqu'ils s'arrêtèrent, Saemon n'était toujours pas apparu.

-Où est-il, demanda Echigoya. Je ne le vois nulle part !
-Ici même, répondit Araburu, tandis que Genjuro levait la lampe pour éclairer le tronc d'un arbre, un jeune cryptomeria.

Et en plissant les yeux, Echigoya put constater, figé dans l'écorce, le visage apeuré de son ancien protégé.

-Dommage qu'il ait dû servir de cobaye, dit Araburu en caressant sa barbe avec majesté, il était doué, mais c'est ainsi que par chez nous, on punit les Maho-Tsukai. C'est idiot tout de même, le Kodoku est censé être une malédiction ! Pour s'enrichir, il vaut mieux employer des moyens honnêtes... Mais je ne vous infligerais pas le même sort, toutefois, car vous allez périr, dévoré par le Kodoku à votre nom.

Avec terreur, Echigoya s'enfuit en courant, loin du terrible shugenja, abandonnant son or derrière lui pour sauver sa misérable vie. Mais tout à coup, de derrière les feuilles, jaillit un ours affamé qui s'abat sur le fuyard. Et dans la nuit retentit le cri d'un homme, auquel on arrache violemment les bras, avant d'en dévorer la tête.

Mu, le Néant. Tel est le châtiment de la cupidité !


:dragon:


Lorsqu'il eut regagné sa maison dissimulée derrière les feuilles, Araburu reçut son second invité. Il s'agissait d'un Kuroiban qui, il y a quelques mois de cela, s'était arrangé pour laisser tomber un dangereux ouvrage entre les mains d'un apprenti shugenja, et qui était venu le remercier pour ses efforts, au nom de son organisation, car la famille Yogo allait pouvoir récupérer les biens du défunt Echigoya, sous prétexte de confiscation. Mais l'heure du boeuf n'était pas encore terminée.

-Je n'approuve pas vos méthodes, Yogo-san. Mais maintenant que vous connaissez les miennes, je ne puis vous laisser partir et faire oeuvre de Scorpion.
-Je vous garanti que ça ne sera pas le cas, Kuni-san, vous avez ma parole de Scorpion, lui répondit l'autre avec amabilité.

Ne pouvant aller à l'encontre des règles de la courtoisie, Araburu consentit à faire semblant de croire que l'autre ne le ferait jamais chanter à ce sujet. Mais comme il détestait qu'un travail ne soit pas fait jusqu'au bout, il ajouta encore :

-Venez donc visiter l'arrière de ma maison. Vous y trouverez l'autre partie de mes méthodes, cachée au public par mes soins.

Le shugenja y consentit, sa curiosité piquée à vif, et ne pouvant refuser d'honorer son hôte. Ils se rendirent donc tous deux en direction de la chambre secrète. Mais ce qu'y vit le Scorpion lui donna vite la nausée. La salle, grande de six tatami, était, d'une part, recouverte de glyphes, des kanji regroupées en colonnes, peint dans une vive couleur rouge, qui luisaient d'une lueur surnaturelle, sur les murs et le plafond, et sur le plancher, disparaissant sous les tatami ; et d'autre part elle était complètement maculée d'un sang rouge mêlé de noirâtre. Au centre, sur une table de pierre était disposée la carcasse d'une créature monstrueuse, enchaînée et baillonnée. Malgré que sa poitrine fut ouverte en deux, exposant les entrailles au regard des trois shugenja, la bête semblait encore en vie. Et lorsqu'il les vit, il se mit à gigoter violemment sur sa table, en poussant des gargouillis, étouffés par le sang et le baillon fait de chiffons sales.

Ecoeuré, le Kuroiban traversa la pièce, ouvrit le shoji qui donnait sur la véranda, et bondit dans l'arrière cour, fonçant en direction des toilettes, où il vomit le repas du soir qu'il venait d'ingurgiter. Le vieux shugenja de la famille Kuni le suivit tranquillement, sans rien dire, s'arrêtant à quelques mètres derrière lui pour préserver son intimité. Et lorsqu'il eut fini de vomir, il lui parla d'une voix douce, comme s'il l'appréciait, lui faisait un compliment.

-C'est parfait, vous avez choisi un très bon emplaçement, Yogo-san.

Le shugenja du clan du Scorpion leva un regard médusé en direction de Meishozo Araburu, qui, les paumes jointes, avait commencé à entonner une incantation. Mais il ne comprit que trop tard ce que l'autre était en train de faire. Sans prendre le temps de s'essuyer, le Yogo entreprit de bondir en direction du Kuni. Mais déjà ses pieds semblaient plonger vigoureusement dans le sol et prendre racine, tandis que sa chair entamait le douloureux processus. Lorsqu'il eut fini, Araburu lança un regard amical au nouveau cerisier de son jardin. Puis, il repartit vers la véranda, ouvrant en grand le shoji, pour que la brise du soir aère les entrailles de l'oni.

-Comme cela, Yogo-san, vous pourrez satisfaire votre curiosité sur mes expériences toute ma vie durant. Réjouissez-vous, je vous offre l'immortalité, après tout. J'aime les cerisiers, dit-il comme pour le consoler, leur beauté est telle qu'elle semble surnaturelle, vous ne trouvez pas ? Je suis sûr que vous serez vraiment magnifique au Printemps.

Même en cette heure du boeuf, la vie humaine n'est qu'illusion comparée à l'immensité du Paradis.



-Longzi, le 22 Septembre 2010.

Togashi Dôgen

Re: Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par Togashi Dôgen » 20 nov. 2010, 17:35

Histoire de fantôme : Perdu dans la forêt
Extrait du recueil "Le manoir dissimulé derrière les feuilles", par Ikoma Shinzo, en 1397.


Aya et Mamoru s'approchèrent doucement de la source de lumière. Pendant un long moment, ils avaient erré dans la forêt. Après avoir fui leurs familles respectives qui avaient interdit leur mariage, les deux jeunes gens avaient cherché un endroit où on ne les retrouverait pas, ils s'étaient dirigés vers la frontière, où se trouvait nombre de fermes aux vertes rizières, puis avaient coupé à travers bois, afin d'éviter le poste de contrôle de la famille Hida et de ne pas croiser leurs patrouilles. Comment en étaient-ils arrivés là ?

Ca avait commencé un beau jour de printemps, pendant un de ces rares festivals où les seigneurs féodaux du clan du Crabe relâchent un peu la pression sur leurs samouraïs et sur la population. Ils organisent alors des réjouissances et des tournois, qui permettent, d'une part, aux samouraïs d'entrer en compétition et de défouler leur adrénaline tout en se détendant et d'autre part de rechercher les éléments prometteurs de la population heimin, qui pourrait entrer dans l'armée clanique en tant qu'Ashigaru.

Mamoru était un de ces jeunes roturiers qui avaient brillé lors de ce tournoi, où il avait su se montrer suffisament fort pour vaincre un samouraï du clan du Crabe à la lutte et remporter la deuxième place à un concours d'endurance. Le samouraï qu'il avait vaincu n'était autre que Wadori Aya, nièce du daimyo d'une famille vassale des Yasuki, et talentueuse Hitoden. Les Wadori et leur école Hitoden sont en fait des spécialistes des bas-fonds et du monde du crime, ainsi que des experts en intimidation. En d'autres termes, ce sont des yakuzas promus au rang de samouraï par les Yasuki. De fait, on imaginait pas Aya, cette grande homasse musculeuse, s'enticher d'un heimin avec quelques gouttes de sang d'Osano-Wo dans les veines. On imaginait pas non-plus qu'elle s'enfuirait après être devenue son amante, lui un samouraï qui venait à peine d'accéder à ce statut. Elle en était tombée amoureuse, probablement le jour où il avait résister à son regard, pénétrant, violent et intimidant. Un regard typique des Wadori, auquel seul un authentique trompe-la-mort peut résister.

Au final, personne ne s'y attendait. Le moins surprenant était tout de même qu'Aya n'était pas repartie les mains vides. Elle avait fait appel à son réseau de connaissances dans le monde de la pègre pour obtenir plusieurs bijoux volés, ainsi qu'une peinture de grande valeur faite par une ancienne maîtresse du Vent des Isawa, le tout volé à un marchand de luxe Yasuki. Elle comptait refourguer la marchandise à des contacts de l'autre côté de la frontière, sur les terres de l'Alliance Tripartite, puis s'enfuir à Ryoko Owari pour un nouveau départ, où elle et son amant se feraient embaucher par des pontes du Cartel de la drogue Soshi ou Shosuro ayant besoin de main d'oeuvre qualifiée.

Voilà donc nos Gennosuke et Oboro (Roméo et Juliette) coupant à travers bois, sous la claire lumière de Seigneur Lune, fuyant leurs poursuivants. Mais dans la nuit, la forêt est sinistre. Certains arbres sont récents, d'autres sont anciens. Mais tous ont une aura particulièrement troublante, et le vent qui souffle dans leurs branches ressemble aux murmures des défunts. Rien de bien inquiétant pour un samouraï du clan du Crane, habitué à combattre contre l'Outremonde. Mais ces deux là n'y sont allés que très rarement ; jamais Aya n'a pénétrée directement à l'intérieur des terres du sombre seigneur et Mamoru une seule fois, lors de l'hiver des 20 gobelins. Sous la lumière de la lune, des visages humains semblent figés dans l'écorce et la forêt leur semble hantée. Suivant leur instinct, ils s'engouffrent dans la forêt sans s'arrêter, cherchant la lisière qui les conduirait naturellement vers la frontière, quand tout à coup une lueur apparaît à travers les bois.


:dragon:


C'est une maison de samouraï moyenne, c’est à dire spacieuse et bien bâtie. Elle semble ancienne, mais toujours habitée. S'approchant discrètement, ils ouvrent la porte et s'annonce, appellant les occupants. Bientôt, un jeune homme apparaît dans l'entrée, il s'agit d'un jeune samouraï, qui bien que frêle et imberbe, porte le mon de la famille Hida sur son kimono.

"Veuillez nous excuser, Hida-sama. Nous passons par cette forêt et nous voudrions solliciter votre hospitalité pour la nuit."

Le jeune homme a un sourire aimable et les avertit qu'il va chercher son maître. Tandis qu'il disparaît à l'intérieur, les deux visiteurs se regardent l'un l'autre, s'interrogeant silencieusement. Il vaut mieux ne rien dire, les murs et les arbres ont des oreilles. Une minute après, le maître de maison entre dans la pièce, suivi de son disciple. C'est un shugenja de la famille Kuni, environ la quarantaine, avec une barbe grisonnante aux longs favoris et il est vêtu d'une robe noire aux manches amples. Aux yeux des deux crabes, il ressemble quelque peu aux arbres de la forêt.

"Konbanwa, samouraïs-san, je m'appelle Meishozo Araburu. Que puis-je pour vous ?
-Nous sommes des voyageurs s'étant égarés dans la forêt, lui répond l'homme, je m'appelle Hida Mamoru, ma compagne se nomme Yasuki Aya. Nous voudrions passer la nuit ici.
-Soit, il fait bien froid dehors, avec tout ce vent. Entrez donc, jeunes gens, venez vous réchauffez au coin du feu, mon élève va vous préparer à manger."

Le vieil homme fait un signe de tête au jeune homme, qui acquiesce et se retire silencieusement. En découvrant qu'ils avaient à faire à un shugenja de la famille Kuni, le choix de passer la nuit en sa compagnie leur semble risqué. Il pourrait être du côté de leurs poursuivants, il pourrait avertir leurs ennemis ou recevoir un message de leur part. Mais faire marche arrière serait suspect. D'autant que cela signifierait dormir dans les bois. Ils vont devoir demeurer ici l'espace d'une nuit, avant de vider les lieux précipitamment.

Dans la salle à manger, le repas est simple mais copieux. Leur hôte leur tient compagnie, discutant de tout et de rien avec eux. Il semble assez bavard, n'ayant guère de compagnie mis à part son disciple taciturne de la famille Hida, qui se fait appeller Genjuro. Une fois le repas terminé, l'ancien se retire en premier, tandis que Genjuro leur montre leur chambre. Avant de partir, Araburu les met en garde : "Vous pouvez rester ici autant que vous voudrez. Mais je vous demanderais de ne pas vous approcher des pièces à l'arrière de la maison, où je mène mes expériences en matière de magie. C’est un endroit assez dangereux, en plus d’être très mal rangé." Les deux visiteurs s'inclinent poliment, puis quittent la salle à manger.


:dragon:


Plus tard dans la nuit, alors que leurs corps gisent enlacés sur leur couche, Mamoru et Aya entendent des bruits dans la vieille maison. Les craquements des poutres, le grincement du plancher, le souffle du vent sur les volets de bois et les shoji... Et enfin un bruit, semblable à un cri étouffé, qui jaillit de l'arrière de la maison. Précisément à l'endroit que leur a défendu Araburu.

Ils auraient pu rester dans leur chambre, empoignant leurs sabres et guettant leurs ennemis dans leur sommeil. Mais, inexpliquablement, ils se sentaient attirés en direction de la pièce interdite. Car après tout, plus on défend de faire une chose, plus la tentation est grande. Se levant en silence tout en enfilant rapidement leurs kimono et leurs daisho, les deux amants se glissèrent sans bruits en direction de la salle d'où semblait provenir les bruits. Dans la vieille maison, les couloirs étaient sombres, seulement éclairés par la lueur distante de Seigneur Lune, filtrant à travers les volets de papier. Tout en se penchant, Aya fît glisser sur le côté le shoji, sans un bruit, juste assez pour glisser un oeil dans l'entrebaillement de la porte.

Ce qu'elle vit dépassait son imagination. Allongé sur une table de pierre, une créature monstrueuse, probablement un oni, paralysée, baillonnée et enchaînée, était disséquée vivante, tandis que les sons qui sortaient de sa gueule massive étaient étouffés par des chiffons. La pièce donnait sur la véranda, et depuis l’embrasure des shoji, on pouvait apercevoir un cerisier dans la cour. Alors qu'il travaillait sur le spécimen, un morceau de jade autour du cou, Araburu poussait des grognements, tantôt surpris, tantôt approbateurs, face à ce qu'il devait considérer comme une expérience scientifique de la plus haute importance. Posant ses instruments sanglants sur une table à côté de lui, le shugenja essuya son front et lava ses mains dans une bassine d'eau chaude. Son disciple derrière lui entreprit de nettoyer à son tour les instruments d'acier que le vieil homme avait utilisé pendant l'expérience.

Lorsqu'il eut fini, Meishozo Araburu se retourna en direction d'Aya et Mamoru, son grand et brave sourire sur le visage. Qu'auraient-ils pu faire face à ça avec leur seuls katana ? Cet homme, ce shugenja, avait capturé un oni et l'avait torturé à mort. Laissant s'échapper un hoquet, Aya entreprit de déguerpir au plus vite, de s'échapper de cette maison sinistre, de cette forêt hantée, des griffes du shugenja. Mais elle constata bientôt que cela lui était impossible. Son corps semblait paralysé, refusant de répondre à ses ordres. Son regard, tétanisé, demeurait fixement sur le cadavre de l'oni. A côté de la jeune femme, son amant était lui aussi immobile. Que leur arrivait-il donc ?

"Las ! S'exclama le shugenja. Nos invités ont quittés leurs quartiers, Genjuro-kun. Ils ont vu une chose qu'ils n'auraient pas dû voir.
-Hai, Araburu-senseï, répondit le jeune homme avec soumission.
-Que devrions nous faire ? Pourquoi ne leur ferions nous pas visiter le jardin ? C'est une bonne idée, non ?"

Avec horreur, les deux curieux sentirent leurs têtes se lever et s'abaisser en signe d'assentiment, et tandis que Genjuro ouvrait le shoji complètement, ils se redressèrent et suivirent le shugenja avec docilité, tandis que Genjuro se dirigeait vers les pièces du devant. Sortant de la maison, ils allèrent dans la véranda, admirer la Lune d'Automne, et le vieil homme leur parlait, de tout et de rien, assis sur le sol dans une posture détendue. Tremblotante, Aya osa demander, mais sa voix était si fragile, elle ne parvenait à prononcer que de courtes et hésitantes phrases.

"Pourquoi ?
-Quoi donc, mon enfant ?
-Tout.
-Ah ! Vous devez faire allusion à ma manière d'accomplir mon travail, c'est cela ?"

Aya, glacée jusqu'aux os, ne répondit rien.

"En fait, je ne fais pas cela par plaisir. C'est une nécéssité, vous comprenez ? Et ce faisant Araburu regarda Aya droit dans les yeux, mais ses pouvoirs d'hitoden, acquis à force d'entaînement, ne fonctionnaient pas, et le shugenja parla avec délectation. Les gens ne désobéissent pas quand ils sont maintenus en laisse par... la terreur."

Genjuro les rejoignit bientôt, tenant dans une main un bol d'eau claire et dans l'autre, l'un des bijoux qu'ils avaient volés au marchand Yasuki. C'était une paire de jolies épingles à cheveux, de facture luxueuse, datant sans doute de l'époque classique, elles représentaient des papillons rouges. Leur prix devait être inestimable.

"Les voici, Araburu-senseï, dit Genjuro au shugenja. Ce sont bien celles qui ont été dérobés à Son Excellence Asako Iemon. Il y a aussi une peinture d'Isawa Yasuko, elle m'a l'air authentique."

Araburu s'assit sur la véranda en tenant le bol d'eau claire dans sa main droite, tout en murmurant une incantation, douce fragrance passagère comme la brise, et le reflet de l'eau se troubla pendant un instant. Distraitement, plongé dans ses pensées, le vieil homme caressa sa barbe majestueusement, tout en observant le sombre nemuranaï en forme de bijou pour femme, né de la Maho il y a fort longtemps.

"En effet, et la peinture est bien l'originale. C'est un crime de contrebande d'objet illégal, d‘objets d'art, de vol et de tentative de recel... Si je ne m'abuse ? Peu importe ce charabia. Laissons aux magistrats le soin de rédiger leurs procès verbaux dans les formes.
-Qu'allons nous en faire, senseï ? Le châtiment habituel, je suppose.
-Hai, Genjuro-kun. Iemon-dono me devra une faveur quand je lui aurais rapporté les épingles. Tu as bien travaillé.
-Merci, senseï, répondit humblement Genjuro.
-Tiens, prends la peinture et accroche-la dans le salon. N'oublie pas de vérifier l'équilibre géomantique, Genjuro-kun.
-Oui senseï, tout de suite."

Mamoru et Aya observaient en silence cette scène étrange, sans oser bouger un muscle. Ou peut être est-ce par ce qu'ils ne le pouvaient pas ? Les muscles du corps entier de Mamoru étaient tendus en direction de son sabre, mais il était tel la corde d'un arc bandé au maximum, impassible. Aya, quant à elle, essayait pourtant désespérément de croiser encore une fois le regard du vieil homme afin d'y distiller la peur, de rompre le charme magique, en utilisant sa technique ancestrale d'intimidation. Mais lorsqu'il leva enfin les yeux, pour la regarder en face, le vieillard ne cilla point. En vérité, elle sut en cet instant que Meishozo Araburu ne connaissait pas la peur et qu'il ne craignait rien, ici bas ou ailleurs.


:dragon:


Après les avoir emmenés dans les bois autour du petit manoir, Araburu se rendit à la lisière des bois, là où ils avaient prévu précédemment de se rendre. Leur souriant encore une fois avec bienveillance, il leur dit qu'il avait rempli son devoir d'hôte envers ses invités. Mais au lieu de se retourner pour partir, Araburu joignit ses mains et se mit à murmurer une incantation. Forte et vigoureuse, celle-ci semblait flotter et demeurer dans l'air avec persistance. Bientôt, leur derme se durcit tandis que leur chair prenait l'aspect de l'écorce, leurs membres s'étendant dans les airs et déchirant la soie de leurs vêtements, et leurs cris de douleurs persistèrent un long moment, venant du plus profond de leurs entrailles, tandis qu'ils se mêlaient au sifflement du vent dans les branches.

Bientôt, un arbre au tronc jumeau naquit à la lisière de la forêt, tout près d'un petit village de la frontière. Cet arbre destiné à traverser le temps, dans l'écorce duquel était figé le motif troublant de deux visages humains, était devenu un avertissement aux curieux, érigé pendant l'heure du Boeuf.


-Togashi Dôgen (Longzi), le 20 Novembre 2010.

Togashi Dôgen

Re: Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par Togashi Dôgen » 28 déc. 2010, 11:22

Histoire de fantôme de l'heure du boeuf : Le sourire d'Aoe
Extrait du recueil "Le manoir dissimulé derrière les feuilles", par Ikoma Shinzo, en 1397.


Ima wa makushi (今は昔), C'est maintenant du passé, mais dans les temps anciens, et notamment au début de la période classique, lors des 1000 ans de Paix Hantei, personne ne trouvait le cerisier si captivant. Bien sur, de nos jours, les gens aiment se rassembler autour des cerisiers en fleurs, au printemps, pour boire du saké et manger des bento. Mais ne trouvez-vous pas que le cerisier a quelque chose de surnaturel, dans la beauté sublime de ses pétales roses ? En vérité, les cerisiers sont effrayants. Il existe de nombreuses histoires qui racontent que les cerisiers rendent les gens fous.

Voici l'une de ces histoires, que ma racontée mon grand-père lorsque j'étais enfant.

Mirumoto Michinaga aimait les fleurs de cerisiers. Car la Sakura symbolisait toute la noblesse de l'âme d'un vrai samouraï, c'est ce qu'il avait toujours pensé. Michinaga avait alors 24 ans, il était au service du seigneur Mirumoto Masahide. C'était un bel homme aux traits fins, vêtu avec soin qui portait le chignon chonmage, il était de grande taille et doté d'une musculature finement ciselée par les exercices physiques, parcourue de nombreuses cicatrices laissées par les coups de sabre de ses adversaires, dont il avait tous triomphés, si bien qu'il était devenu le maître-d'armes de son seigneur et avait reçu en récompense un sabre forgé par un des maîtres forgeurs de la famille Kaiu, Aoe Sadatsugu. C’était un sabre fameux qui sera un jour connu comme l’une des cinq « Ten’ka Go Ken » (Cinq Sabres Descendues du Paradis), les cinq lames les plus remarquables forgées dans les temps anciens, et séléctionnés par Son Excellence le Shogun pour que leur souvenir particulier soit transmis à la postérité.

Michinaga, revenait des funérailles de sa défunte mère, revêtu d'un kimono de voyage et d'un chapeau de vannerie. La mère de Michinaga avait eut une vie difficile, marquée par la pauvreté et la dureté de la vie, car son mari était mort jeune, laissant un fils unique à sa seule charge. Celui-ci était devenu un grand jeune homme et un samouraï habile ayant maîtrisé les cinq degrés de son école du Nitten. Un soir donc, il cheminait seul sur la route de montagne et arriva à un carrefour. Comme il faisait nuit, deux choix s'offraient à lui : il pouvait prendre par les sentiers forestiers, pour revenir plus rapidement dans sa demeure ou choisir la route principale, éclairée et sûre. Ne craignant ni les démons de minuit, ni les bandits, Michinaga choisit de passer par la forêt. Après quelques minutes passées à cheminer dans le noir, le samouraï sentit une présence derrière lui, mais celle-ci n'était pas hostile, et il réduit l'allure pour s'en assurer, en laissant l'individu le rattraper.

Sans se retourner, Michinaga put sentir l'odeur de parfum qui en émanait, et qui lui rappellait celle de sa mère. Comme tout le monde, Michinaga avait entendu bien des histoires d'horreur et de fantôme, et il n'ignorait pas que l'Heure du Boeuf était justement propice à ce genre de rencontres. Aussi, pour savoir s'il avait bel et bein affaire au fantôme rempli de regrets de sa mère, Michinaga entreprit de chanter avec circonspection une ballade de son enfance, le Dit d'Itagi, qui bientôt fût repris par son compagnon de route, et il put entendre une voix féminine qui répondait à ses paroles.

Bientôt, il arriva devant un cerisier en fleur aux larges frondaisons, ses pétales roses emportés par le vent étaient éclairés par les rayons lunaire.


:dragon:


Stupéfié par cette vision merveilleuse, Michinaga s'arrêta de marcher et de chanter, comme paralysé, si bien que celle qui le suivait finit par le dépasser. L'ignorant dans un premier temps, son regard parcours la voûte rose, baignée et sublimée par les rayons de lune.

Sous les branches chargées de pétales, le samouraï la vit qui se retournait dans sa direction, une femme revêtue d'un kimono blanc. La quarantaine elle avait, ses cheveux noués en chignon, et sur les traits de sa mère un grand sourire. Le regard de Michinaga passa des branches chargées de fleurs au visage de sa mère, son sourire rassurant, d'un blanc éclatant, comme celui de son kimono. Au dessus d'eux, il pouvait sentir le vent devenir plus fort et secouer les branches du cerisier, tout autour de lui les pétales tombaient et s'unissaient aux rayons de Lune pour former un rideau de splendeur, et alors il eut l'impression que le paysage autour de lui, depuis la voûte fleurie, prend la couleur du sang. Un sang carmin et délétère, qui se répénd tout autour de lui et teint les pétales de fleur, l'écorce, le sol, et qui enfin s'impregne dans son kimono, se répendant depuis ses pieds chaussés de zori, jusqu'à ses mains, puis son visage. Comme lors d'un mauvais rêve, il cligne des yeux, et tout disparait.

Mirumoto Michinaga se fendit en avant, en trois longs pas, il parcourut la distance qui les séparaient. Portant la main à son sabre, il dégainna et frappa d'un coup fluide. Tout à coup, le fantôme s'est évanoui, à sa place sur le bord du sentier, une statue de bonze gît, décapitée net. Michinaga n'avait jamais vu sa mère sourire. Un rayon et un pétale entremêlés chutent sur le tranchant, immobile sous la Pleine Lune ; il n'y a pas même une éraflure, là où l'acier à rencontré le roc. Battue par le marteau cent mille fois, la lame qui semble sourire dans son visage glacial, reflète le rayon de lune, mais le pétale est tranché net. Une onde glacée parcourt l'échine du samouraï, immobile sous les frondaisons. Michinaga n’avait jamais vu sa mère sourire. Jamais.

En cette heure du Boeuf où les cerisiers sont plus effrayants que jamais, une lame a été baptisée.


-Longzi, le 28 Décembre 2010.

Togashi Dôgen

Re: Histoires de fantômes - et autres créatures fantastiques

Message par Togashi Dôgen » 09 mars 2011, 11:02

Histoire de fantôme de l'heure du boeuf : Ô Floraison
Extrait du recueil "Le manoir dissimulé derrière les feuilles", par Ikoma Shinzo, en 1397.


Mirumoto Michinaga aimait les fleurs de cerisiers. La Sakura symbolisait toute la noblesse de l'âme d'un vrai samouraï.

Mais qu'est-ce qu'un samouraï ?

Michinaga ne pensait pas détenir de réponse absolue. On lui avait vite appris, dans sa jeunesse, que le samouraï avait toujours tort quand son opinion était différente de celle de son seigneur. C'était cela, la clé pour comprendre le Bushido, la voie du guerrier c'était suivre le seigneur du samouraï. Après tout, samouraï signifiait serviteur. Un serviteur avec des armes et des privilèges, pour compenser, mais serviteur quand même. Il devait donc suivre son suzerain et le servir. A la vie, à la mort. Une vie héroïque et une mort héroïque. La vie d'un samouraï est belle, glorieuse et éphémère. Elle se finit violemment, le plus souvent. Mais en tout cas, le samouraï meurt avec drame et panache.

Un bushi de la famille Hida qu'il comptait parmi ses amis, et qu'il avait rencontré jadis au Championnat de Topaze, lui avait raconté une étrange histoire à propos d'un être céleste déchu qui servait le Sombre Seigneur avec toute la loyauté d'un vrai samouraï. Et ce samouraï sombre entretiendrait, paraît-il, une plaisanterie avec les bushi du clan du Crabe, à propos de la clé de voûte de la Voie du Samouraï, la Loyauté envers le Suzerain. Qui est le samouraï authentique ? Celui qui sert son seigneur, par ce qu'il l'en estime digne ou celui qui sert son seigneur, par ce qu'il est incapable d'estimer à quel point ?

Michinaga s'était souvent demandé pourquoi ce samouraï sombre, mais loyal, servait Fu-Leng. La première raison ou la seconde ? Comment savoir... ? Le bushi de la famille Mirumoto avait au plus profond de son coeur, l'intime conviction que dans la réponse à sa question se trouvait la Voie du Bushido authentique, la clé véritable des pouvoirs ésotériques du tatouage, en forme de cerisier, qui se trouvait dans son dos depuis sa naissance, et dont les ramures fleuries s'étendaient sur ses bras et sur ses épaules, dispersant dans une brise figurée ses roses nuées.

Décidément, il aimait beaucoup le cerisier. C'était un homme sensible. Mais il ne comprenait que difficilement l'obsession des samouraïs de son clan pour le prunier. Le prunier était un arbre spécial pour son clan, car lorsque Togashi, le premier du nom, mit fin à son long jeûne dans les circonstances célèbres que l'on connaît, une prune, apportée par un rossignol, fût la première chose qu'il mangea. Mais si le prunier était un bel arbre, le cerisier à la beauté envoutante le surpassait de loin. Comment la caractériser ? Divine. Surnaturelle. Anormale. Les terres du Dragon étaient baignées de magie et de secrets occultes. Il était bien placé pour le savoir, puisqu'il était fort sensible à la magie, ayant été élevé auprès de ses frères shugenja. Son seigneur, l'honorable Mirumoto Masahide lui-même en était un, après tout. Mais le cerisier l'attirait pour sa symbolique et sa splendeur fascinante, hypnotisante. C'est pourquoi depuis quelques temps, depuis que sous un grand et beau cerisier il avait vu le fantôme de sa mère, il préférait l'éviter autant que faire se peut. Mais lorsqu'il vit le cerisier dans la cour de la maison du chasseur, il sut que, précisément, c'était une chose qui ne pouvait provenir de ce monde.


:dragon:


Il y avait plusieurs jours que Michinaga avait commencé à suivre la piste de son frère d'armes du clan du Scorpion, qui était aussi le neveu de son seigneur. Yogo Ryuden était un shugenja, mais pas n'importe lequel. En grandissant, il avait été élevé pour devenir un Kuroiban. Un des Sombres Gardiens des 12 Sombres Parchemins contenant l'essence du dieu déchu, le Sombre Seigneur. Ils avaient été élevés ensemble, ils se connaissaient depuis l'enfance et s'étaient même entraînés ensemble. Contrairement à la plupart des bushi, Michinaga connaissait les dangers de la magie des shugenja, et savait que la Maho était un danger encore plus grand, car elle représentait une forte tentation pour tous ceux capables de pratiquer la magie. L'attrait de la puissance, du côté sombre des choses.

Dire que Michinaga n'avait jamais ressenti une telle tentation aurait été un mensonge. Mais il en avait triomphé, il en était venu à bout. Son honneur était exceptionnel. En quinze ans il ne s'était jamais écarté des règles de conduites définies par les précurseurs du Bushido, Akodo, Kakita et bien sur Mirumoto. Mais il savait que Ryuden était plus exposé que lui. Après tout, il devait sans cesse en apprendre plus sur la Maho, sans jamais lui céder. Combattre les ténèbres, quitte à en boire leur pouvoir, sans jamais en être ennivré. Du moins, c'était ainsi qu'il voyait les choses. En dix ans de carrière dans la Garde Noire, Ryuden n'avait jamais failli à son devoir, malgré les épreuves que les Fortunes lui imposèrent. Et ils avaient gardés contact, pendant tout ce temps, s'entraidant parfois également. Michinaga n'oublierait jamais le jour où son ami avait sauvé sa vie et son honneur des sorts infâmes d'un Maho-Tsukai, qui tentait de prendre le contrôle de son âme.

Le bushi Mirumoto estimait avoir une dette envers cet homme du Scorpion. S'il ne remboursait pas ses dettes envers ses amis, d'autres samouraïs, comment pourrait-il s'estimer digne de servir son suzerain, Masahide-sama ? Le jour de rembourser cette dette était peut être venue. Ryuden avait disparu depuis plus d'un mois. Des collègues Kuroiban avaient alertés Masahide et Michinaga de sa disparition, leur demandant de garder un oeil vigilant. Mais les deux Mirumoto étaient prêts à faire davantage que cela. Le seigneur avait accordé son accord spontanément pour qu'il parte à sa recherche, et fasse tout son possible pour lui venir en aide. Après tout, c'était son neveu et un samouraï dévoué de Sa Majesté.


:dragon:


Michinaga était arrivé au bout du chemin. Depuis sa terre natale, il avait voyagé jusqu'à Ryoko Owari, traversant la moitié de l'Empire, comme un pétale de cerisier emporté par un vent divin. Là-bas, il avait retrouvé la trace de Ryuden, à force de patience, de minutie et d'enquête. Ca n'avait pas été difficile, il lui avait suffit de procéder exactement de la même façon que lorsqu'il reconstitue un puzzle ou résoud une énigme. Avec calme et pénétration, lucidité et sagesse. Le Kuroiban était partit sur les terres du clan du Crabe, pour une affaire avec ses collègues Tsukai-sagazu. Si les Crabes et les Scorpions se méprisent les uns les autres ouvertement, il n'en est pas ainsi des Kuni et des Yogo. Leurs centres d'intérêts communs pour la lutte contre Outremonde ont rapprochées ces deux familles. Mais Michinaga trouvait étrange que les collègues Kuroiban de Ryuden ne l'aient pas encore ramené. Ou à tout le moins, qu'ils ne soient pas partis à sa recherche sur les terres du Crabe et dans les désolations Kuni. Il lui faudrait éclaircir ces détais par la suite.

Puis, il avait pris le parti de voyager plus loin encore vers le Sud. Michinaga avait loué des montures aux relais, sur les routes qu'il avait traversé, et il était finalement arrivé sur les terres du clan du Crabe, avec la plus grande diligence. Là-bas, il avait finit par découvrir que Ryuden avait mené une enquête à propos d'un nemuranaï maudit, et que sa piste l'avait conduit chez un shugenja Kuni nommé Meishozo Araburu. On disait le vieux shugenja encore plus fou que ses semblables. Sans être réberbatif, le vieil homme agréable et courtois avait l'étrange manie de parler aux abres, grâce à sa magie. Il ne parlait pas aux pierres, aux ruisseaux ou au montagnes. Il parlait aux arbres, peut être même plus qu'aux humains. En outre, au lieu de vivre dans une tour au milieu de terres plus ou moins désolées, le vieil Araburu vivait dans une forêt, dans une maison de samouraï normale, avec seulement quelques apprentis. Michinaga se demandait pourquoi Ryuden était partit visiter le vieil ermite Meishozo, plutôt que, par exemple, le maître de l'ordre Tsukai-Sagazu.

Il ne savait toujours pas pourquoi lorsqu'il était finalement arrivé chez Araburu, après avoir traversé la forêt sinistre qui entourrait la villa, vide et isolé du shugenja. La forêt, il le savait, n'était pas normale. les paysans du crûe lui rapportèrent que cette forêt s'était spontanément agrandie, et aussi qu'elle était hântée. Que des arbres avaient poussés soudainement, l'espace d'une nuit. Parfois, on pouvait entendre des cris déchirants qui provenait de la forêt. il arrivait que des voyageurs qui se rendaient à l'intérieur ou visitaient Meishozo Araburu n'en revenienne jamais. L'un d'entre eux avait justement été un saint homme portant l'héraldique du clan du Scorpion, et qui correspondait à la description que leur fît Michinaga. C'est pourquoi les paysans locaux évitaient de s'y rendre, ou de lui demander la bénédiction des récoltes et des naissances, s'il ne venait point les offrir spontanément.

Mais n'écoutant que son courage et sa loyauté envers son ami, Michinaga brava la forêt interdite. Le vieux paysan qui l'avait accueilli et auquel il avait conté son histoire, quant à lui, ceuilli dans la verdure quelques jolies fleurs, prit un peu d'encens en sa demeure, du riz et du poisson, puis alla déposer les offrandes sur l'autel de Bishamonten, dieu guerrier, mais aussi Gardien du Nord Cosmique. Le Nord lointain d'où venait ce preux samouraï, partit sans même attendre le lever du jour. Chez lui, personne ne saurait qu'il avait péri, ni dans quelle circonstances. Une modeste offrande pour le repos de son âme, c'était le moins que ce vieil homme puisse faire, se disait-il.


:dragon:


Et dans un certain sens, les offrandes à Bishamonten portèrent effectivement chance à Michinaga, puisqu'il parvint sans danger au coeur de la forêt, où résidait Meishozo Araburu. En chemin, il avait analysé les arbres, en utilisant le sixième sens que lui avaient conférés ses années d'études, auprès de shugenja. Et il en avait conclu qu'effectivement, ils n'étaient pas normaux. Nombre de ces arbres avaient un côté quelque peu "humain", bien que le bushi Dragon ne puisse se l'expliquer, et il avait la sensation que des humains en étaient prisonniers. Et prudemment, mais avec dilligeance, il avait avancé. Et il avait finit par trouver ce qu'il recherchait. L'heure de Fu-Leng était déjà bien avancée, lorsque Michinaga découvrit la villa, au détour d'un chemin sinueux. L'entrée en était marqué par un torii recouvert de laque rouge, portant l'inscription : "Royaume du Rêve et de l'illusion immense", suivit de deux autres qui l'encadraient : "Quand le faux devient vrai, la réalité elle-même n'est plus qu'un mirage" et "Quand le néant devient réalité, la réalité à son tour bascule dans le néant." Michinaga sentit que ces trois sentences lui étaient familières, mais à nouveau il ne sut expliquer pourquoi.

Dans l'entrée du petit manoir, un certain Hida Genjuro, qui se présenta comme l'apprenti d'Araburu, l'avait alors accueilli, et lui avait offert l'hospitalité pour la nuit, en attendant que le maître soit de retour. Genjuro prétendit qu'il ne savait pas quand le shugenja reviendrait. Alors il offrit une chambre d'hôte à Michinaga, tandis que lui-même poursuivait ses études secrètes et solitaires à l'arrière de la demeure. Après lui avoir montré sa chambre, le shugenja lui apporta une collation, puis se retira, s'excusant auprès de son hôte en lui avouant qu'il était en plongé dans ses études.

Michinaga ne toucha pas à son repas. Habitué aux exercices militaires, il savait que manger ou boire dès que l'occasion se présente est une occasion à ne pas manquer. Pourtant, il avait déjà avalé un peu de riz au village, il n'avait pas faim. Et il n'avait pas le temps de manger, de toute façon. Quittant la pièce où le shugenja l'avait confiné, Michinaga se dirigea silencieusement vers le fond de la demeure. Il y découvrit alors ce qu'il n'aurait pas dut découvrir.

Genjuro était occupé à disséquer attentivement les entrailles encore vivantes de l’oni, dans cette pièce imprégnée de magie et aux murs couverts de glyphes et de fuda. La bête produisait de temps en temps des râles de douleur, lorsque son tortionnaire touchait un point sensible. Le shoji donnant sur la véranda et la cour était ouverte, laissant filtrer l’air du soir.

Hida Genjuro se retourna avec surprise, en entendant le craquement des doigts de son visiteur. Il n'eut pas le temps de s'expliquer, car Michinaga lui envoya un direct du droit en pleine tête, avant d’effetuer une projection qui envoya valser le Crabe dans le jardin, emportant un des fragiles shoji au passage. Le dragon dégaina ensuite son katana, se rapprochant d’un pas inexhorable en direction de Genjuro.

« Allez-vous m’expliquer ceci, Genjuro-san ? »

Mais Michinaga n’avait cure des explications de l’apprenti d’Araburu. Tout ce qu’il voyait, c’était un shugenja pratiquant secrètement quelque expérience abominable. Du moins, jusqu’à ce que ses yeux se posent sur le tronc du cerisier. Juste sous son nez se trouvait ce qu’il était venu chercher. Michinaga ayant étudier depuis l’enfance aux côtés des shugenja, il était capable de sentir l’usage de la magie élémentaire, grâce à l’harmonie en lui. Et ce qu’il voyait là n’avait rien d’harmonieux. En fait, c’était plutôt le contraire, tant il troublait son harmonie intérieure.

« Ryûden, murmura-t-il tandis que sa main libre caressait les stigmates du tronc, formant le visage torturé de Yogo Ryûden. Tu seras vengé, frère. »

Dans son dos, Genjuro s’était relevé et claudiquait vers le manoir. D’un pas rapide, Michinaga le rattrapa et lui barra la route, sabre en main.

« Je suis désolé pour vôtre ami, Michinaga-san, mais ce que mon maître fais ici est d’une importance vitale. Yogo-sama en savait beaucoup trop et... »

Devant le regard noir que lui lançait le maître escrimeur, et le claquement de langue agaçé qu'il produisit, Hida Genjuro sut qu'il n'avait cure de ses explications, qu'il ne le laisserait pas s'en sortir aussi facilement. Genjuro porta la main à son wakizashi et adopta une posture classique, la pointe visant l’œil de son adversaire, tandis que celui-ci avait laissé son sabre pendre le long de son corps, la posture du manchot. Le dragon avait déjà eut affaire à des bushi bien plus dangereux que ce frêle shugenja, auquel il trancha un bras d’un seul coup, dès que celui-ci eut armé son sabre pour frapper. Puis, Michinaga s’approcha de lui, poussant le wakizashi d’un coup de pied. C'était une insulte mortelle que de pousser un sabre du pied, et par ce geste il témoignait du mépris qu'il avait pour le shugenja. Puis, Michinaga arracha le médaillon de jade de sa victime. Genjuro voulut se défendre, mais le bushi expédia un violent coup de pied dans son estomac, le faisant se tordre de douleur.

Retournant dans la maison, Michinaga fracassa le pendentif sur la carcasse de l'oni, exposé sur la table de pierre. Ses beuglements de douleurs et de rage étaient étouffés par le baillon. Le crabe le supplia d'arrêter, mais l'adepte du Nitten l’ignora et utilisa le sang poisseux comme adhésif pour les morceaux de jade, qu'il colla sur la lame de son sabre. D’un coup net, le samouraï trancha la tête de l'oni, qu'il alla ensuite lançer dans le jardin. Quelque part, celui-ci devait être heureux de sa liberté retrouvé, dans le chaos indicible de Jigoku.

Coriace, Genjuro se relevait en insufflant en lui une prière aux esprits de la Terre, pour lui offrir la capacité de se mouvoir encore. Mais Michinaga le rattrapa dans le jardin et le mit à terre en le frappant au visage avec son pommeau.

« Je vous conduirait devant l'Inquisition et le Kuroiban, j'ai entendu dire qu'il avaient une méthode excellente pour châtier les traîtres. Restez tranquille d’ici là, Genjuro-san.
-Je ne crois pas, non. »

Michinaga se retourna pour voir celui qui l'avait interrompu. Il s’agissait d’un vieil homme élancé et large d'épaule, et il portait un daisho. Il avait une barbe et de longs cheveux blancs, sensés être un symbolise de la sagesse de l’âge, et sa peau était légèrement grisâtre, probablement à cause du temps passé en Outremonde. Les traits de son visage lui donnaient un air aimable et rassurant, mais le dragon savait avoir à faire à Kuni Araburu de la maison Meishozo, l’assassin Yogo Ryûden.

« Allons, je m’absente quelques jours et voilà que le désordre règne dans ma demeure. Quelle pagaille ! Dit-il avec un air joyeux tout à fait contradictoire.
-Mes excuses, Araburu-sama, vous aurais-je offenser en saccagant vos expériences et en tabassant vôtre disciple ?
-Mais non, Mirumoto-san, nous faisons tous des erreurs dans la vie.
-Hai, je suis là pour corriger les vôtres.
-Et de quelle façon, je vous prie ?
-En vous tuant. Vous êtes trop dangereux pour que je prenne le risque de vous ramener à l’Inquisition.
-Oh ? Alors c’est un duel que vous me proposez, dragon ? »

Michinaga sourit intérieurement. Il n’allait pas lui laisser cette chance, il n'allait pas lui laisser l'occasion de lui lancer un sort et de conclure l'affaire ainsi. Les crabes sont pragmatiques, les sorciers tels qu'Araburu le sont plus encore. Comme s’il allait effectivement faire ainsi, Michinaga rengaina son katana. Mais alors que son adversaire se détendait pour se rapprocher, le dragon plaça une main sur la gaine de son wakizashi, et à la vitesse de l’éclair le dégaina et le projeta dans la direction d’Araburu. Le mince ruban d’acier se figea dans la poitrine du shugenja, qui, hébété, s’écroulait face contre terre. Inutile, se disait le dragon, d’utiliser mon Sourire d'Aoe capable de trancher de la roche, pour venir à bout de ce vil sorcier.

Satisfait, Michinaga se rapprocha du cerisier qu’était devenu son ami, Ryûden, caressant le tronc à nouveau, comme pour l’apaiser et il lui dit : "Te voici venger, mon cher ami."

Le vent souffla plus fort, soudainement, et le tintement de la clochette suspendue à la véranda, et le bruissement des branches couvrit les premiers mots de pouvoir prononcés non pas par Genjuro, qui se tortillait sur le sol en essayant d’empêcher son sang de se vider, mais par Araburu. Il était bien vivant en vérité, protégé par une couche mince et grise de petits kami de la Terre aglutinés contre lui. Le dragon se retourna, mais trop tard. Alors qu'il s'élançait, il eut l'impression de trébucher, mais ses pieds étant fixés, il ne chuta point. Il se débattit pour empêcher ses pieds de prendre racine, concentrant son énergie spirituelle pour combattre les effets du sort. Mais il ne pouvait déjà plus rien y changer. Regardant le bas de son corps se transformer douloureusement en écorce, Michinaga le reconnu du premier coup d’œil. Il était persuadé que sa nature véritable était celle d’un cerisier, il savait que s’il devait devenir arbre, il serait comme Ryûden un grand et beau cerisier. Il en avait la certitude. Que le kharma était ironnique, en vérité !

«  J'aurais dût... te décapiter ! Articula-t-il difficilement tandis que la chair de son buste prenait l’aspect du bois. »

Le dit sabre tomba de sa main. Se plantant net dans le sol, il émit une note de son clair.

« Que racontez-vous donc ? C'est parfait comme cela, vous ferez un très beau prunier, Michinaga-san, assura le shugenja sur un ton affable, comme s’il parlait de tenue vestimentaire, avant d'ajouter sur un ton badin : ça ferait un bel aphorisme, hein ? »


:dragon:


Meishozo Araburu retira la lame du wakizashi, sans prendre garde au sang qui giclait de la plaie, puis, avec un sourire aimable, comme s'il restituait un objet perdu, il le planta dans le tronc du prunier. On dit qu'à cause des samouraïs et de leurs regrets éternels, les cerisiers ne fleuriront plus jamais.

Mais, claquant dans ses mains, Araburu entonna un chant en l'honneur du Printemps. Et bien que ce soit l’automne, ô miracle ! Voici que prunier et cerisier fleurirent spontanément. Lors que Seigneur Lune sourit dans le Ciel Etoilé, les pétales tels des larmes tombants, furent entremêlés des rayons de lune à l'Heure du Boeuf.

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