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par matsu aiko » 26 févr. 2008, 19:07
L’entreprise n’est pas évidente, oh non. Mais Jocho n’est pas homme à rester sur un échec. Et il est bien décidé à gagner ce pari, coûte que coûte.
- Il me semblait avoir été claire.
Le ton de Doji Shizue est très froid.
- Vous l’avez été. Mais je ne parviens pas à croire que vous me condamniez sans même m’avoir écouté.
- Je vous en prie, n’insistez pas.
Il la regarde d’un œil sombre, et son expression se teinte d’amertume.
- Vous voyez à quel point mes ennemis m’en veulent, la réputation qu’ils me font. Et moi qui pensais que vous étiez différente…Que pour vous, peut-être, pourriez comprendre…Que vous ne me feriez pas un procès d’intentions simplement parce j’appartiens au clan du Scorpion…
Le ton de Shizue se fait encore plus froid, s’il est possible.
- La personne qui m’a renseigné à votre sujet est tout à fait digne de confiance. Elle m’a été d’une grande aide dans des circonstances passées. De plus, ajoute-t-elle triomphalement, c’est quelqu’un de votre propre clan, qui ne saurait donc souffrir à votre égard des préjugés que vous évoquez.
Jocho a un rire sec, presque douloureux, se penche vers elle et souffle :
- Ne voyez-vous pas, Shizue-sama, que vos propos sont l’exacte illustration de ce que j’affirme ? J’ai beaucoup d’ennemis, y compris au sein de mon propre clan.
Pourquoi ?
Parce que je ne suis pas comme eux.
Il fait quelques pas sur le côté, et dit à mi-voix, sans la regarder :
- Savez-vous, Shizue-sama, ce qu’on appelle un junshin ?
Elle secoue la tête.
- C’est quelqu’un d’honorable – de trop honorable pour être capable d’accomplir certains des devoirs demandés par le clan.
C’est, dans le clan du Scorpion, l’épithète la plus infâmante qui soit.
Un junshin est méprisé, mis au ban, ostracisé par ses pairs, qui le déprécient et l’humilient en toutes occasions.
Un silence.
- Je ne suis pour rien dans le fait d’être né Shosuro. Mais j’aspire à quelque chose de pur, de vrai, de juste, à un idéal d’excellence et d’honneur qui m’est inaccessible.
Je ne porte pas de masque. Parce que mon masque, c’est celui que je maintiens en toutes occasions, même avec ma famille ou mes proches. Je prétends être ce que mon clan attend de moi ; parce que l’alternative, c’est d’être totalement rejeté par les miens.
Avez-vous une idée de l’enfer qu’est ma vie ?
Shizue-sama, aidez-moi. Je ne peux y arriver seul.
- Pourquoi vous aiderai-je ?
Les yeux noirs, intenses, se plantent dans ceux de la jeune fille.
- Parce qu’à vous, cette grâce a été donnée. Quand nous nous sommes rencontrés, je vous ai dit que je ne voyais que beauté en vous. C’est vrai. Je parlais, notamment, de la beauté de votre âme. Quand je vous ai vue – si pure, si belle, si honorable – j’ai été ébloui. Je me suis laissé allé à croire, à espérer. Je me suis dit : peut-être, pourra-t-elle comprendre, peut-être, pourra-t-elle me guider vers cet idéal que je pressens dans les ténèbres où je me débats.
D’un ton douloureux :
- N’y a-t-il pas la compassion, dans le bushido ?
Il reprend d’une voix basse, intense, passionnée :
- Celle qui vous a parlé de moi – car il s’agit d’une femme, n’est-ce pas ? – m’a certainement décrit comme un séducteur cynique. Rien ne saurait être plus éloigné de mes motivations.
Je vous demande – je vous implore - de bien vouloir me donner votre aide spirituelle, de me guider sur la voie de l’excellence. Vous êtes la seule capable de comprendre ce que c’est de vivre avec une telle blessure en permanence.
Je vous en prie, ne me rejetez pas. J’ai besoin de vous.
Shizue est profondément surprise, désarçonnée et émue de cette confession inattendue, de son ton humble, si incongru dans la bouche du fils du gouverneur, de cette vulnérabilité sans fard. Elle a du mal à réconcilier le tableau de manipulateur cynique et de séducteur sans vergogne, que lui a brossé son interlocutrice, avec cet homme à vif avouant sa détresse et son besoin d’aide. Et s’il disait vrai, si c’était l’autre qui avait menti ? Shizue ne la connaît pas si bien que cela, et elle appartient aussi au clan des Mensonges…
Par ailleurs, raisonne-t-elle, Jocho lui a parlé d’aide spirituelle. Faire progresser quelqu’un sur la voie du bushido ne saurait être mauvais.
Il faut, bien sûr, qu’elle prenne des précautions.
Elle baisse les yeux sur l’homme agenouillé à ses pieds, s’avisant, avec une rougeur soudaine, qu’elle n’a même pas pensé qu’il puisse être gêné par la vue de son pied déformé. Mais Jocho semble n’avoir rien remarqué.
- Relevez-vous, Jocho-sama, je vous en prie.
Il s’exécute, sans dire un mot ni faire un geste. A son attitude de chien battu, elle sent que si maintenant elle lui dit de partir, il lui obéira sans protester. Etrangement, cela la conforte dans son choix.
- Je vais accéder à votre requête, et vous enseigner le bushido tel que je l’ai appris. Mais je veux de votre part une promesse, une promesse solennelle, que nos rapports s’en tiendront à cela. Me donnez-vous votre parole de samurai ?
- Vous l’avez, répond-il, très sérieux. Votre compagnie et votre amitié me sont infiniment précieuses.
Il hésite.
- Mais, par rapport à cette personne dont vous m’avez parlé... Pour votre réputation, et la mienne…
Shizue sourit.
- Ne craignez rien. J’informerai Yogo Osako-san que nous nous sommes trouvés des points d’intérêt commun, en tout bien tout honneur.
Osako-chan, tu me paieras cela, pense Jocho in petto.
Il s’incline profondément.
- Je vous remercie, Shizue-sama.