[SPOILER & ADULTES] [Nouvelle] Le Pari

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Iuchi Mushu
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Message par Iuchi Mushu » 10 sept. 2008, 21:30

L'aube va être fraîche ce matin. Jocho le sent dans le crissement des feuillages, les craquements des toitures, dans le vent froid qui souffle, tranchant comme une lame, entre les piliers du patio. A cette heure, un peu avant que les premiers rayons ne rosissent les toits, le palais est d'un calme de tombeau.
Seuls quelques gardes somnolents, qui se redressent à son arrivée, sont témoins de son passage silencieux. Il se dirige vers le dojo désert, vers son plancher de bois sombre. La température y est à peine moins glaciale, en dépit du brasero qui y a été installé.
Jocho n'a pas froid, malgré ses pieds nus et son simple hakama noir. La colère de la veille a fait place à une rage froide, parfaitement contrôlée, qui brûle dans son ventre comme un petit soleil.

Katsumoto s’est levé bien avant l'aube. Il a déjeuné léger et s'est apprêté pour son entrainement avec Shosuro Jocho. Il porte un simple kimono noir avec le mon de la famille Shosuro brodé de fil blanc. Ce matin, il n’a pas maquillé son visage.
Le serviteur referme le shoji derrière Katsumoto qui se dirige d'un pas calme vers le dojo.
Il n'anticipe pas cette rencontre, il sait qu'il n'en sera pas maître et que Jocho a voulu cet entrainement pour une bonne raison.
Il connaît cette raison. « Un torrent ne devient jamais une paisible rivière ». Il sait que cela va être un rude moment. Ils vont opposer leurs forces, mais derrière cela c'est leur comportement, leur âme, qui vont s'opposer.

Jocho s'étire, fait des mouvements d'assouplissements. Son adversaire ne devrait pas tarder.
Quelques minutes avant l'heure dite, le panneau de bois glisse, révélant la mince silhouette du fils du hatamoto. Shosuro Katsumoto n'a pas mis son maquillage de courtisan ce matin. Dommage. Il aurait eu plaisir à le voir se transformer en flaque.

Katsumoto sent l’incendie invisible qui rayonne autour du capitaine de la garde. La colère est mauvaise conseillère, elle l'a toujours été.
Il s'approche et vient s'incliner devant Shosuro Jocho, qui lui rend son salut.
Katsumoto s'avance lentement, prend la mesure des choses, Jocho est un excellent bushi. Quelle va être l'arme qu'il va choisir pour lui imposer cette défaite ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit, il le sait, il le sent. Jocho veut imposer sa supériorité comme il impose à Tsukiko ses choix, ses gestes, ses attitudes. Dans sa ville tout le monde doit obéir sous peine d'être détruit. A quoi cela sert-il d'utiliser sa force de la sorte ?
C'est un gâchis sans nom. Un homme comme lui pourrait réaliser tellement de choses.

- Souhaitez-vous une tasse de thé avant de commencer, Shosuro Katsumoto-sama ? demande Jocho poliment.
- Non, je vous remercie, Shosuro Jocho sama, je suis levé depuis une bonne heure et j'ai amplement eu le temps de prendre mon thé matinal.
- Bien. Vous pourrez toujours vous raviser une fois notre entraînement terminé.
« Si vous êtes encore en état, pense-t-il ».
- J'en prends bonne note, dit Katsumoto en s'inclinant devant son adversaire qui se montre aussi courtois qu'il peut être déterminé.

Jocho se dirige d'un pas alerte vers un des coffres bas et en sort deux bokken.
Il lui en lance un. Katsumoto l'attrape au vol dans un bruit mat.

- Commençons donc par un peu de kenjutsu, dit Jocho d'un ton neutre.

Il tient son bokken la pointe vers le bas, d'une façon que l'on pourrait presque qualifier de nonchalante. Que cette décontraction apparente ne soit qu'une illusion est évident pour son adversaire. Ses membres sont souples et relâchés, son corps parfaitement en équilibre, son regard froid, indéchiffrable.
Katsumoto sait pertinemment que cette 'posture sans forme', d'autant plus déstabilisante qu'elle n'apparaît pas comme une menace, peut se transformer en une explosion de violence terrifiante.
Il adopte une posture qui n'est pas commune de leur école et se prépare à la vague d'attaque. Sa main se resserre sur le bokken.
Jocho décrit des cercles autour de lui, un tigre rabattant sa proie, attentif, concentré.
Katsumoto appréhende ses mouvements, ses pas, leur distance, il observe et se laisse observer, attentif au moindre changement. L’attaque va être fulgurante, il le sait.
Les cercles continuent, encore et encore, et là, juste au moment où arrive dans son dos le premier rayon du soleil levant, Jocho frappe, avec une vitesse foudroyante.
Katsumoto lève son bokken et pare in extremis. Le choc lui donne des vibrations dans la main, le bras. Aussitôt l’arme de son adversaire glisse en une contre-attaque en fouet, qu'à nouveau Katsumoto pare de justesse, avant de se remettre en garde.
Dans un dojo on a rarement l'occasion de se surpasser, sauf quand on est en face d’un maître. Cet entraînement va être intéressant.
Le visage de Katsumoto est lisse, calme, il observe, c'est sa seule chance de trouver la faille d'un bushi qui s'entraîne des heures chaque jour. Il ne lui donnera pas une victoire facile, éclatante, il devra l'arracher.
Comme Katsumoto, Jocho observe son adversaire. Voyant qu'il se contente de rester sur la défensive, il effectue toute une séquence d'attaques, longues, basses, de côté, balayées, de façon presque joueuse, qui n'ont qu'un seul objectif : tester son adversaire.
Ce dernier emmagasine les informations sur les passes, les transitions, il encaisse, son esprit guide ses gestes, fluides, posés.
Jocho sait déjà qu'il est un peu moins souple du côté gauche, que son allonge et sa rapidité ne sont pas mauvaises, que sa concentration est bonne. Voyons l'endurance...
Il se met à faire pleuvoir une grêle de coups sur son dos, ses bras, son torse, sans que sa respiration s'accélère le moins du monde. Les coups ne sont pas appuyés, juste rapides, précis.
Le capitaine de la garde Tonnerre touche son adversaire sur la gauche, plusieurs fois, mais Katsumoto n'est ni essoufflé ni paniqué. Il lui donne du fil à retordre, du répondant, le tout d'une qualité comme le fait un doshin.
Ayant pris la mesure de son adversaire, Jocho lance une attaque qui ressemble à s'y méprendre aux précédentes, et s'engouffre dans la brèche qu'il a identifiée avec une rapidité et une puissance fulgurantes. L'extrémité du bokken heurte de plein fouet la poitrine de Katsumoto, lui coupant le souffle et faisant courir dans son corps de douloureuses vibrations.
Katsumoto encaisse l'agression physique, il lui faut un moment pour gérer la douleur, bien qu’il sente que Jocho a retenu son coup. Son adversaire est passé un cran au-dessus. Maintenant il va venir par la gauche, puisque c'est le point de faiblesse qu'il a posé au début du combat. Nous sommes dans la cité des apparences, Shosuro Jocho a-t-il toujours cela à l'esprit ?
Mais au lieu de poursuivre son avantage, ce dernier se recule, et se met dans une position de garde classique, laissant le temps à son adversaire de reprendre son souffle.

- A vous à présent.

Katsumoto glisse son bokken sur la gauche, la pointe derrière lui et croise le regard de Jocho qu'il soutient. Il respire calmement puis lance une frappe iai rapide, elle est partie de la gauche et prend Jocho au dépourvu, pourtant le bokken qui aurait pu lui érafler le visage n'a laissé que la sensation de la brise, Jocho a esquivé de justesse et le fils du Hatamoto reprend sa place.
Plusieurs frappes se succèdent, la dernière s'approche dangereusement, mais Shosuro Katsumoto a maîtrisé son allonge pour ne pas toucher son adversaire.
Jocho contre-attaque alors, son bokken se faufile comme un serpent le long de celui de Katsumoto et le lui fait sauter des mains. Le bokken lui atterrit dans les mains, il le rend courtoisement à son adversaire.
Katsumoto s'incline avec une égale courtoisie en reprenant l'arme. Ils pourraient s'affronter comme cela pendant un long moment.

Voyant l'hésitation de son adversaire, Jocho demande :
- Et si nous changions de discipline ? Un samurai, après tout, doit exceller en tout.
- Oui, il doit exceller en tout dans le corps et dans l'esprit, lui répond le jeune homme. Que proposez-vous ?
- Que diriez-vous d'un peu de jiu-jitsu ?
- Pourquoi pas.

Jocho se dirige vers le coffre et y range son bokken. Il se retourne vers Katsumoto.
Les deux adversaires se jaugent en s'approchant. Jocho est un peu plus grand, d'allure athlétique par rapport au jeune homme. Il pèse également plus lourd que lui. Dans cette phase, Katsumoto sait qu'il n'aura certainement pas le dessus.
Ils sont à présent face à face.
Jocho entame les hostilités sans préambule. Attrapant la manche de Katsumoto, il le déséquilibre et le fauche, l'envoyant voler autour de sa hanche.
Katsumoto se reçoit souplement, roulant sur le parquet du dojo et se retrouvant sur ses pieds.
Jocho entreprend alors de lui envoyer un sabre de pied dans les côtes. Katsumoto lui attrape la cheville, mais l'impact est tel qu'il roule à terre sous le choc, sans avoir lâché le pied de son adversaire. Jocho roule sur lui-même, et projette son adversaire au-dessus de lui. Katsumoto se reçoit du mieux qu'il peut, mais l'atterrissage est plus rude que le précédent.
Aussitôt, son adversaire est sur lui, le plaquant au sol, la figure écrasée sous son torse, ses mains maintenant sa ceinture.
Katsumoto utilise ses jambes comme balancier pour se dégager, et d'un coup de rein réussit à basculer sur le côté. Il n'est pas tiré d'affaire pour autant, car Jocho lui immobilise toujours les bras.
Une seule solution : tenter de faucher de ses jambes la tête de son adversaire.
Jocho baisse la tête, esquivant l'attaque, et entreprend de presser un point bien particulier au creux de l'épaule. La douleur est si aigue qu'elle paralyse momentanément Katsumoto.
Il enchaîne sur une manchette, deux manchettes dans les côtes, des coups brefs, mais puissants, qui coupent le souffle à son adversaire.
La douleur est si vive que Katsumoto perd tout possibilité de réflexes durant un instant. Il se découvre momentanément, permettant à Jocho de lui asséner un coup de coude dans le plexus solaire. La douleur se décuple, vrille tout son corps. La sueur l'inonde, instantanément.
Il faut qu'il se batte, qu'il contre, qu’il lutte contre les attaques, chasse la douleur, mais pour l'heure il est incapable de se reprendre sur le dernier coup reçu. Il ferme les yeux. Il faut qu'il se reprenne.

Jocho se redresse, laissant à terre son adversaire haletant, la respiration rauque, et fait quelques pas.
Katsumoto roule sur le ventre puis se met à quatre pattes, la douleur lui brûle la poitrine mais il doit se relever, ne pas rester à terre. Il se relève lentement, tentant de récupérer sa respiration.

Son adversaire se retourne, voit ses pénibles efforts pour se relever, attend.
A l'évidence, il en veut encore. Qu'à cela ne tienne. Il est là pour ça.
Jocho fait quelques pas, lui empoigne l'encolure du kimono et s'abaisse souplement sur une jambe, le faisant basculer latéralement.
Katsumoto roule une nouvelle fois à terre. Il lui reste assez de réflexes pour atténuer sa chute, mais plus assez pour contrer la prise d’étranglement qui suit.
Il s'abat sur le sol avec un gémissement sourd. Puis il se relève, fois. A nouveau Jocho l'envoie voler au travers du dojo, jusqu'à ce qu'il décide de l'achever d’un coup à la carotide. Le décor se met à tourner autour de Katsumoto et tout devient noir.
Jocho reste debout, le regard flamboyant, son adversaire inconscient à ses pieds.
Il le regarde quelques instants. Il sait qu'il ne l'a pas tué, même si ce n'était pas l'envie qui lui manquait. S'il n'avait pas frappé, le fils du hatamoto se serait relevé jusqu'à ce qu'il soit épuisé.
Il sort de la salle, hèle un serviteur.

- Servez un thé à Shosuro Katsumoto quand il aura repris ses esprits, ordonne-t-il.

Jocho sort du dojo, respire à fond. Ses jointures sont douloureuses, mais c'est un faible prix à payer pour la sombre satisfaction qu'il ressent. Le fils du hatamoto y réfléchira à deux fois avant de le provoquer à nouveau.

Jocho se dirige vers ses appartements. Son serviteur a préparé le bain, le massage qui suivra.
Et après, il ira voir Tsukiko.
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)

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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 11 oct. 2008, 16:17

Le bain l'a détendu, lavé de sa sueur et de sa hargne. Les mains habiles de la masseuse ont terminé de dénouer ses muscles. Il a passé un kimono de belle facture, son esprit est clair, incisif. Il n’a pas oublié la façon dont elle a répondu hier à l’autre.
Il s'avance dans le couloir qui mène aux appartements de Tsukiko. Le shoji s'entrouvre sur le sourire de la servante.

- Bonjour Nayoko, ta maîtresse est-elle réveillée ?
- Je ne crois pas, Jocho-sama. Elle est toujours dans sa chambre. Désirez-vous une tasse de thé ?
- Hai.

Il rentre, dépose ses sabres.
Tsukiko a reconnu la voix de Jocho, elle soupire. Il ne vient jamais le matin, elle avait crû qu'il ferait de même aujourd'hui.
Nayoko s'empresse, remplit la porcelaine sur la table.

- Voilà , Jocho-sama.
- En fin de compte, Nayoko, je crois que je vais aller la réveiller moi-même.

Il lui adresse un sourire, s'empare de la tasse de thé et d'un plateau.
La jeune femme se glisse plus avant sous la couverture. Se composer un visage avenant de belle endormie...
Elle entend le shoji qui coulisse, perçoit la fragrance de son parfum, son pas qui glisse sur les tatamis. De là où il est, il ne voit que la masse noire des longs cheveux qui coule sur le futon.

- Bonjour, Tsukiko, dit-il à mi-voix en posant le plateau avec le thé à côté d'elle.

Elle grogne, se tourne de l'autre côté. Son bras fin attrape l'oreiller et elle disparaît un peu plus sous la couverture.
Il s'allonge, glisse son bras autour d'elle, chuchote :

- Réveille-toi, Tsukiko.

Le regard turquoise se pose sur lui, elle s'oblige à sourire, son visage fin perdu au milieu des mèches noires. Il l'embrasse avec fougue, glissant une main derrière sa tête. Elle sent l’urgence de son désir, répond à son baiser, il ne doit pas se douter des questions qui ont agité son esprit une bonne partie de la nuit.

- Maintenant ? demande-t-elle d'une voix malicieuse.
- Oui, dit-il, la voix altérée, un peu rauque.
- J'espère qu'on ne t'attend pas, dans ce cas. Tu vas être affreusement en retard...

En guise de réponse, il roule sur elle et entreprend de la dévorer de baisers. La soie de son vêtement étouffe le rire de la jeune femme.
Elle le déteste et il est si adorable quand il le veut...
Ses mains fines commencent à dénouer le obi que la servante a passé tant de temps à aligner. Mais Jocho semble trop pressé ce matin pour s'encombrer de préliminaires. Le futon vole de côté, et leurs vêtements suivent promptement le même chemin.

Il l'embrasse à pleine bouche, et s'introduit en elle sans attendre. Son désir est impatient, urgent. Elle le laisse faire, amusée et irritée par sa fougue, lui qui ne prend jamais la peine de venir la voir le matin.
L'étreinte tient un peu du raz- de- marée. Malgré le plaisir, cette façon de faire lui laisse un goût amer. Il est un peu trop pressé. Et cela lui donne l'impression qu'il est venu marquer son territoire.
Après leurs ébats, leurs corps rassasiés de plaisir, Jocho demande à Tsukiko :

- Que voulais-tu me dire, hier soir ?
- Tu me promets de ne pas te mettre en colère ?

Il sourit :

- D'accord, je te promets. En tout cas, pas dans les trois minutes qui suivent.
- S'il te plaît, laisse Katsumoto tranquille. C'est quelqu'un de très important à mes yeux, et il n'a jamais été mon amant.

Le visage de Jocho se ferme brusquement.

- S'il te plaît, Jocho.

Il reste silencieux. Avec un effort manifeste sur lui-même, il lâche :

- Je vais y réfléchir.
- Merci, Jocho.

Elle glisse jusqu'à son visage et lui sourit, pose ses lèvres sur les siennes, caresse sa joue.

- Merci d'y réfléchir.

Il garde le silence. Elle ne tirera rien de plus de lui pour le moment, elle le sait.

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Kakita Kyoko
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Message par Kakita Kyoko » 14 nov. 2008, 21:59

Après sa visite au temple, où elle a vu Shizue et aniki, Tsukiko s'est rendue à la caserne de la Garde Tonnerre, le regard flamboyant d'une colère difficilement contenue. Au samurai de faction qui lui a poliment demandé ce qu'elle désirait, elle a sèchement répondu qu'elle cherchait leur capitaine.
Avec prudence, celui-ci lui a indiqué la portion des remparts où elle peut le trouver. La courtisane a l'air assez en rogne pour l'écorcher vivant...

Quand elle pense qu'il a eu le culot de venir la trouver juste après avoir battu Katsumoto comme plâtre… Quand elle pense à l'état dans lequel il était quand elle l'a vu au temple… Son sourire qui ne masquait pas sa souffrance, alors même qu'il tentait de la convaincre que ce n'était rien…

Il n'aurait pas dû s'en prendre à lui. C'est la seule personne qui a de l'importance à ses yeux, la seule pour qui elle se battrait. Jocho va comprendre sa douleur. Les yeux turquoise étincellent de fureur. S'il croit pouvoir s'en tirer comme ça ! Ah oui, il pouvait promettre de réfléchir à sa demande d'épargner Katsumoto !

Les gardes Tonnerre de faction sur le chemin de ronde sont quelque peu surpris de l'arrivée de la courtisane. Mais son « Où est-il ? » péremptoire les intimide suffisamment pour qu'ils décident que c'est l'un des cas où il vaut mieux en référer aux instances supérieures.
Ils l'accompagnent donc jusqu'à une des tours du guet, où se tient Jocho en compagnie d'un de ses officiers. Son visage se ferme quand il la voit arriver.

- Qu’est-ce que tu fais ici, Tsukiko ?
- Il faut que je te parle. Maintenant.
- Ce n'est pas ta place. Je vais te faire raccompagner au palais.
- Ma place est là où je décide qu'elle est, je ne suis pas un de tes soldats.
Tsukiko, je suis occupé, dit-il avec un peu d’humeur.
- Hé bien, libère-toi.

Jocho réprime un soupir.

- Laissez-nous, intime-t-il à l'homme.

Il attend que celui-ci se soit éloigné, puis se retourne vers elle.

- Que veux-tu ?
- Qu’est-ce que tu as fait à Katsumoto ?, attaque-t-elle dès que l'homme est hors de portée de voix.
- Nous avons combattu lors d'un entraînement, dit Jocho d'un ton mesuré.
- Tu appelles ça combattre ?! Tu sais très bien que c'est faux ! Tu lui as tapé dessus comme sur un sac de riz ! Pourquoi as-tu fait ça ? Je t'avais dit que ce n'était pas un de mes soi-disant amants. Il ne l'a jamais été, il ne le sera jamais, il n'était pas une menace pour toi. Alors, pourquoi avoir fait ça ?

Il hausse les épaules.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'y connais rien. Nous avons fait du kenjutsu et du jiujitsu.
- Tu me prends vraiment pour une idiote. J'ai bien vu dans quel état il était !
- Tsukiko…
- C'était un entrainement amical et il peut à peine marcher, je l'ai vu de mes yeux. Tu as dépassé les bornes Jocho !

Il a un sourire sardonique.

- Avec certaines personnes, il faut parfois insister. Il y en a qui ont du mal à s'avouer vaincus.
- Et tu ne supportes pas les gens qui ne se couchent pas à tes pieds ? Tu n'avais pas le droit de le traiter de la sorte !
- Il l'avait cherché, dit-il froidement.
- Cela m'étonnerait beaucoup !
- Arrête de pleurer pour ton précieux Katsumoto. Je ne l'ai pas tué. Je ne lui ai pas cassé un bras. Ni quoi que ce soit. Il a juste quelques bleus. Il s’en remettra.
- Je ne pleure pas ! Je suis venue te demander des explications. Pourquoi m’as-tu dit ce matin que tu réfléchirais, alors que tu t'étais déjà servi sur pièce ?
- Tu tiens vraiment à le protéger, hein ?
- Oui, lui lâche-t-elle, c'est mon frère.
- Ha oui ? Était-ce une raison pour m'offenser hier soir, à la réception ? Tu sembles avoir oublié où nous nous trouvons, Tsukiko.
- Lui parler, c'est t'offenser ? J'ai aussi parlé au Champion d'Emeraude, tu ne l'as pas invité à un entrainement amical, me semble-t-il ! Et pour Doji Shizue, lui parler en public en ta présence, cela t'offense aussi ?
- Tu t'es amplement affichée avec lui précédemment, et dès qu'il arrive, tu t'empresses de le rejoindre, alors que tu es censée m'accompagner ! Que crois-tu que va dire la rumeur, Tsukiko ?

Il lui jette un regard dur.

- Qu'est-ce que tu veux entendre ? Que je ne tolère pas que la femme qui se tient à mes côtés m'assène en pleine figure son intimité avec un autre ? Non, je ne le tolère pas. Et surtout pas en public.

Ses yeux brillent de colère contenue.

- Son intimité ? Un simple suffixe. C'est un simple suffixe qui t'a mis dans cet état ?
- Je croyais qu'on enseignait l'étiquette, au dojo des Mensonges. Même moi, je ne me permettrais pas de t'appeler Tsukiko-chan en public. Et s'il faut être parfaitement clair, je ne laisserai personne prétendre à ce degré d'intimité avec toi.

Son attitude le clame, à cet instant. Elle est à lui, rien qu'à lui.

- Pour tout public, il y avait toi, moi et Katsumoto. L'étiquette est un bien joli prétexte. En réalité, tu as voulu marquer ton territoire, comme un chien !

Il se rapproche, l'air menaçant, et gronde :

- Tsukiko... Ne joue pas à cela avec moi. Je ne laisse personne – pas même toi – m'insulter de la sorte. Ne me refais pas ce coup-là. Et ce n'est pas la peine de jouer l'innocence blessée, non plus.
- Qu'est-ce que tu vas faire ? Me montrer que tu es le plus fort, me battre comme plâtre pour m'apprendre à vivre ?

Sa voix vibre de colère, ses yeux le défient, tout son corps l’appelle à l'affrontement. Au prix d'un effort visible, Jocho se domine, et dit d'un ton mesuré :

- Tsukiko. Je t’ai donné une place que n’importe quelle femme de cette ville envierait. Mais tu te comportes comme une enfant gâtée. Je te demande de m'accompagner à une réception officielle, où sont présents le Champion d'Emeraude et l'épouse du daimyo de notre clan, deux des personnages les plus puissants de l’Empire, et tu n'as pas plus pressé que de t'éclipser à la première occasion, et de te montrer familière avec un des hôtes du palais. Tu crois que tu peux avoir les atours du pouvoir sans en subir les contraintes, tu crois que tu peux tout te permettre. Ça ne marche pas comme ça, Tsukiko. J’attends de toi que tu tiennes ton rang, ton rôle, à mes côtés. Si tu ne le comprends pas, tu n’es pas digne d’y rester.
- Garde-la, ta place de petite maîtresse modèle, tu n'auras qu'à faire un concours pour en trouver une autre bien docile.

L’irritation de Jocho monte encore d’un cran. Ça commence à bien faire…

- J'ai tout fait pour toi, Tsukiko, tout. Mais tu sembles incapable d'apprécier tant les efforts que j'ai fait pour toi, que de te montrer à la hauteur de ce que je t'ai offert.
- Pas de ça avec moi, Jocho. Ne te donne pas le beau rôle. Depuis quand es-tu devenu altruiste ? Tu me mens, tu te mens. Tu masques ta jalousie derrière ton indignation, mais je ne suis pas dupe. Tu peux garder les somptueux appartements, la soie délicate, la place à tes côtés. Des dizaines de femmes vont se précipiter pour la combler mais moi, tu ne m'auras plus. Tu as dépassé les bornes.
- Toi aussi, tu as dépassé les bornes. J'en ai assez, j'arrête. Le jeu est terminé. Je pensais que tu avais compris la chance que je te donnais, la possibilité d'accéder au rang auquel tu aspires, mais visiblement, je me suis trompé. Au final, tu n’es qu’une petite putain comme le clan en engendre des centaines, une petite pute agressive, ambitieuse et vénale, sans envergure, sans dignité, sans noblesse. Il en est d’autres dont il est intéressant de briser les illusions. Toi, ce n’était pas nécessaire. Tu t’es coulée dans le rôle sans effort. Tu es une putain dans l’âme, Tsukiko. Prête à tout sacrifier, même ceux qui te sont chers, pour un peu de luxe, un peu de statut social, quelques miettes du pouvoir. Tu as raison, des comme toi, je peux en trouver des dizaines, simplement en claquant des doigts. Tu ne m’amuses plus. Retourne à ta boue, c’est tout ce que tu mérites.

Mue par une inspiration soudaine, elle ravale la réplique cinglante qu'elle s'apprête à lui jeter à la face et dit tranquillement :

- On peut dire que tu as le sens de la chute. Mais, au final, c'était facile.

Jocho s’approche, son regard rivé au sien.

- Qu'est-ce qui était facile ?
- Tu as la mémoire courte...

Les yeux turquoise sourient, le regardent bien en face. Elle reste silencieuse quelques instants, le temps de savourer, ses pensées volent vers Shonagon, Shizue.

- « Une rupture publique et humiliante ».

Elle le dévisage puis s'en va sans se retourner.

La courtisane passe devant les gardes un peu plus loin, qui n'ont pas manqué grand-chose du spectacle et de la dispute qui les a opposés, et prennent l'air dégagé quand elle s'approche. Ils sont loyaux à leur capitaine, ils ne révèleront rien de ce qui s'est dit, mais ne vont pas manquer de rapporter la rupture dont ils ont été témoins. La nouvelle va se répandre comme une traînée de poudre en ville, et elle croise les doigts pour que ceux qui ont quelque chose à reprocher à Monsieur Fils en fassent leurs gorges chaudes en supputations et autres hypothèses.

Mais la fureur qui luit toujours au fond des prunelles turquoise ne laisse guère de doute quant à la teneur des pensées qui animent son esprit à cet instant précis. Jocho a réussi à la mettre dans une colère noire. Elle écume, littéralement.
Si elle a réussi à garder un semblant de contrôle pour sortir dignement après la façon dont il l'a traitée, la tension en elle est à présent à son comble. Elle serre les poings pour empêcher ses mains de trembler et se dirige d'un pas décidé vers le palais.

Le temps de rassembler quelques affaires, et elle partira. Puisse-t-il s'étouffer avec son fiel ! Elle n'aura plus à supporter sa surveillance de tous les instants, le contrôle qu'il exerce sur ses faits et gestes ! Elle n'a jamais accepté ça de qui que ce soit, et elle ne l'acceptera plus de lui !

Ses pas rapides l'emmènent jusqu'à ses appartements, et elle donne des instructions à Nayoko pour qu'elle remette dans ses malles ce qu'elle y a mis la saison dernière.
Rien de moins, rien de plus.

Espèce de salopard...

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Iuchi Mushu
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Message par Iuchi Mushu » 16 nov. 2008, 21:11

Satake marche le long de la rue du Teck pour rejoindre la maison du Genévrier, Kûdo lui a fait savoir qu'ils ont un contrat. Il renifle bruyamment et jure sur l'air humide de la ville. Avec ce fichu fleuve, il va encore attraper la crève. Il arrive devant la maison de thé et soulève le rideau qui a déjà bien vécu. Le videur des lieux s'avance et quand il le reconnaît, le laisse passer.

- Alors, Satake, on vient prendre du bon temps ?
- On va faire en sorte, répond le rônin, reniflant encore un coup.

Il s'avance dans l'atmosphère chargée de chaleur, de fumée et de diverses odeurs difficilement identifiables. Il repère Kûdo attablé, avec deux autres types qu'il a déjà vus à deux ou trois reprises.

- Salut.
- Assieds-toi, Satake, je te présente Marumo et Jou.

Le dénommé Satake enjambe le banc et prend place en regardant les deux hommes.
"Jou... Putain, quel nom pour un type, se dit-il en lui-même. Moi, j'aurais un nom comme ça, j'en change tout de suite.

- On a un contrat.
- C'est ce que j'ai compris, réplique Satake en se servant du chochu.
- Jou et Marumo vont nous donner un coup de main.
- C'est quoi, le boulot ?
- Ça va te plaire, dit l'autre avec une lueur de concupiscence dans le regard. On doit donner une petite leçon à quelqu'un de la haute qui ramène sa grande gueule.
- Et en quoi c'est si excitant ?, lâcha Satake en vidant d'un coup sa coupe d'alcool.

Sa gorge lui fait l'effet d'être en feu, mais il ne tousse pas, ce n'est pas une mauviette.

- C'est une femme, murmure Kûdo avec un mauvais sourire.
- Pourquoi on doit être quatre ?, laisse-t-il tomber. Je peux m'en charger tout seul. Une femme de la haute, elle va crier et s'évanouir rien qu'en voyant l'un d’entre nous, ricane-t-il.
- On est quatre, c'est comme ça, lâcha Kûdo.
- On sait à quoi elle ressemble, cette poule ?
- Ouais, Scorpion, dit-il tout bas, et bien roulée, la peau blanche et douce, un joli petit cul à faire bander, on va passer un bon moment.. Après, on l'amochera comme on nous l'a demandé.

En face de Satake, Marumo et Jou salivent déjà.

- On fait ça quand ?
- Dès qu’elle sort du beau quartier.
- J'ai faim, lâche Satake.

Kûdo pose une bourse sur la table, mais garde un œil jaloux dessus.

- Ce soir, on peut s'amuser, on a reçu une avance, mais on décompte ça du pot commun, si vous êtes d'accord.
- J'ai faim, répète Satake, le reste, je m'en fous.



La colère luit dans les yeux turquoise et ne laisse présager rien de bon. Elle a écarté d'un geste décidé le bushi devant ses appartements et quitté les lieux sans se retourner. Pour qui est-ce qu'il se prend, ce salopard ?

Il la traite de putain, mais c'est tout ce qu'il a l'habitude de fréquenter ! Il lui parle d'envergure ? Mais ce n'est que le fils irresponsable d'un petit gouverneur de province, qui vit aux crochets de sa maman et n'a même pas les tripes d'assumer le rôle qui lui est destiné ! De dignité ? Mais où est la dignité dans l'opium, la débauche, les excès ? Noblesse ? Quand donc a-t-il fait preuve de noblesse ?
Ambition ? Vénalité ? Elle ne lui a rien demandé, à ce fat bouffi d'arrogance !

Elle ne tournera pas le dos à son ami parce que sa jalousie maladive ne supporte pas la présence d'un soit-disant rival, qui n'existe que dans son esprit empoisonné par l'orgueil et le fiel !
Pour qui se prend-il ? Pour qui se prend-il ! Les samurai la regardent quitter le palais seule, d'un pas rapide, le souffle court de la rage qui l'agite.
Pour qui est-ce qu'il se prend !

Elle marche dans les rues du quartier noble et se dirige vers la porte conduisant au quartier marchand. Elle va rentrer chez elle et demain, elle fera chercher ses affaires. Finalement, elle ira servir de prostituée au clan du Scorpion à la capitale. Avec un peu de chance, il lui restera une once de dignité dans quelques années.
Elle passe la porte sous le regard vigilant des gardes de l'endroit.

Satake renifle et Kûdo lui donne un coup de coude.

- Arrête de faire ça, tu m'énerves.

L'autre se bouche une narine et éjecte la morve qui le gêne en soufflant fortement, elle vient se coller sur les pavés du quartier marchand. Jou fait la grimace. Ce type est un vrai dégueulasse. Le regard du rônin fixe les derniers passants du soir.

- T'es qu'un porc, lâche Kûdo à son comparse à mi-voix.
- Faut savoir ce que tu veux, j'ai pas de mouchoir en soie. Pas encore, dit-il avec un drôle de sourire.

Des pas se font entendre, Marumo remonte la rue rapidement, puis tourne le coin et rejoint ses comparses.

- Elle arrive, je crois !
- Tu crois ou t'es sûr ?, lâche Satake.
- Elle est seule, c'est bizarre, ça m'a fait hésiter, mais elle correspond à la description.

Satake soupire.

- Même pas fichu d'être sûr. Tu l'as trouvé où, celui-là ?
- Ça va, toi, la grande gueule, monsieur Je-sais-tout.

Satake s'avance, Kûdo se met au milieu.

- Non, mais vous allez pas vous disputer, crénom, c'est pas possible !

Tout s'est déroulé dans un court laps de temps, sans bruit, comme des chats qui se soufflent dessus pour un même territoire.

- Chut, écoutez !

La colère donne un étrange reflet au regard turquoise, alors que Tsukiko remonte rapidement la rue en direction de la maison de Katsumoto. Sa mâchoire crispée durcit son visage, mais la rage obscurcit ses sens.
Elle passe sans les voir devant les quatre rônins qui l'attendent, continue de marcher, toute à la rage qui l'anime.

- C'est elle, pas de doute, l'aubaine, elle est seule, murmure Kûdo.
- Ouais, et à l'allure où elle marche, si tu continues à parler, on va la louper, grogne Satake. Allez, dans une heure, on est au Genévrier et on boit pour fêter ça.

Satake est le premier à emboîter le pas à la gracieuse silhouette qui vient de passer, un joli brin de fille. Parfois, il aimerait bien vivre dans le quartier noble, aller aux bains, viser les corps fins et soyeux. Les trois autres le suivent, leurs pas s'accélèrent.

Tsukiko est en colère, oui.
Mais pas au point de ne pas entendre les pas des quatre hommes qui la suivent
Ils ont dépassé la rue du Rubis, et bientôt elle atteindra celle de l'Onyx.

- On la coince où ?, demande Jou.

Satake sourit, moqueur.

- Sous toi, c'est là que ça fait le plus de bien !
- T'es con, lui réplique l'autre.

Le tanto glisse dans la main fine en un geste décidé. Ils tombent mal, ce n'est vraiment pas le moment...

- Je vais te montrer quand on sera à son contact.
- Vos gueules, elle va nous entendre !, crache Marumo.
- Et alors, elle peut quand même rien contre quatre hommes, des vrais, pas comme les mignons avec qui elle doit vivre, enfarinés de poudre de riz et emballés dans la soie !
- Rue du Marbre, souffle Kûdo, on sera tranquille là. La maison a une enceinte et derrière, il y a de la place.

La conversation lui parvient à présent nettement. La colère fait place à une rage froide, la peur n'est pas encore là. Ils vont payer. Elle ne sait pas encore comment, mais ils vont payer.
Ils ne cachent plus qu'ils la suivent à présent et le moment est vraiment propice, la garde ne passera pas avant un bout de temps.

Sa prise se raffermit sur la garde du tanto. Rue du Marbre... Les soldats sont loin d'ici, les choses se corsent. Qui est en cause ? Le gouverneur ? Une rivale jalouse ? Yogo Osako ? Ce serait bien son style...

- Allez, elle vient de passer la rue de l'Onyx, on tire sur la nasse maintenant.

Ils pressent le pas.

- Kûdo, Jou, contournez-la et coupez-lui la retraite. Nous, on la ferre rue du Marbre, comme on a dit.

Le tanto sort de la soie de la manche de kimono, les doigts se resserrent sur la tsuka. L'image du sourire ironique de Jocho s'impose à son esprit et fait bouillonner le sang dans ses veines.
Chiens galeux...
Deux des rônins se détachent sur la droite, ils vont courir pour revenir et la rabattre sur Satake et Marumo.

- Je sens déjà son parfum, dit Satake. Dommage qu'il faille la défigurer, pense-t-il, elle aurait encore pu servir.

Tsukiko a entendu les pas de deux personnes s'éloigner, ils vont sans doute tenter de la prendre de flanc. Elle remercie Jocho de ses petites leçons quand ils jouaient au go, juste avant de le maudire pour son arrogance.
Venez, bande de bâtards...
Le tanto est dans sa main, et il va goûter le sang ce soir. Ce ne sera pas celui du capitaine de la Garde Tonnerre, mais il saura s'en contenter.

Peu de temps après, les pas résonnent clairement, deux hommes descendent la rue principale, deux autres la remontent. La rue du Marbre est la perpendiculaire où tout va se passer, mais les bâtiments ne sont pas collés aux entrepôts. La courtisane peut remonter au nord vers l'Aigue-marine, se faufiler entre les boutiques des marchands, atteindre peut-être le haut de la cité, une porte où il y a des gardes. L'affrontement va avoir lieu là.
Tsukiko connaît le dédale de ces rues par coeur, elle y a traîné pendant des années, elle sait où passe la Garde Tonnerre. Elle a une petite chance de s'en tirer, mais il va falloir jouer serré.

Satake est le premier à être à son contact. Il a une balafre au niveau du menton, il est de taille moyenne, l'œil mauvais.

- Alors, on se balade toute seule ?

Le regard turquoise le défie ouvertement et la bouche sensuelle s'étire en un rictus ironique.
Attends... Attends... Pas encore...
L'homme se rapproche encore, et une odeur écœurante vient aux narines de la courtisane.

- C'est pas bien prudent, lâche-t-il.

Elle le voit qui grimace et fait encore un pas en avant. Un autre homme plus frêle le suit, il a un nez d'oiseau, des lèvres trop fines, il guette ce que fait le premier ; les autres pas se rapprochent.
Attends...
En matière de « corps à corps », Jocho l'a bien entraînée…
Elle sait quand quelqu'un est à sa portée, quand elle peut le saisir, et a fortiori le frapper. Il ne faut pas attendre qu'ils soient réunis.

Le premier avance encore. Le tanto jaillit, vif comme un serpent. Elle a frappé à l'instinct, à la hauteur du visage. Le sang a giclé, l'entaille balafre son visage de bas en haut et a crevé un œil. Une fraction de seconde, c'est le visage de Jocho qu'elle a tailladé.

L'homme beugle de douleur et porte sa main au visage, incrédule. Le sang coule. Sans attendre, Tsukiko détale. Les hommes arrivent de la droite, elle part à toute vitesse sur la gauche, la peur au ventre à présent. Ils sont nombreux, et déterminés.

Jou a été saisi, mais il se reprend et la poursuit. Dans sa précipitation, il bouscule Satake, qui perd l'équilibre et chute. Quelque chose se brise, mais il ne prend pas le temps de se retourner. Il entend les cris de son comparse, sans comprendre pourquoi ils se font tout à coup plus stridents, mais il ne s'arrête pas pour lui porter secours.
Quand Kûdo et Marumo arrivent, Satake se tord de douleur au sol, le sang a imbibé le col de son kimono, et s'écoule à présent entre les interstices des pavés.

La colère et la peur se mêlent, se heurtent, se précipitent dans le souffle et dans la course de la courtisane. Il ne faut pas qu'ils la rattrapent, sinon c'en est fini d'elle...

- Putain, merde, la fiole !
- Allez, on la rattrape, cette salope !

Les deux hommes écoutent.

- A gauche, elle remonte au nord !

Jou gagne du terrain. Avec un peu de chance, il va pouvoir toucher sa peau fine avant les autres, sentir ses cuisses chaudes, sa poitrine qui se soulève, son coeur qui bat plus vite sous l'effet de la peur.
Bon sang, il faut qu'elle se débarrasse du type qui la talonne, il est plus rapide qu'elle, il va finir par lui mettre la main dessus !
La courtisane s'empêtre dans le long kimono qui fait merveille dans les soirées du gouverneur, mais qui lui est d'une utilité toute relative dans ce genre de situation précaire...
Elle galope à travers la ville, s'évertue à lui filer entre les doigts, à obliquer et à se faufiler dans les ruelles les plus étroites. Mais il gagne du terrain, encore et toujours, et Tsukiko n'est pas ce qu'on appelle une athlète accomplie.

Encore quelques mètres, juste quelques mètres et il touche son kimono, les autres sont loin derrière, Jou n'entend plus les cris de Satake. Bien fait pour sa grande gueule, pense-t-il.
Ils tournent un autre coin de rue, elle a la santé, la petite, il n'aurait jamais pensé qu'on puisse courir ainsi avec une de ces tenues.

La rage lui donne l’énergie nécessaire pour continuer à courir comme une damnée dans les rues de la cité. La soie dont elle raffole pèse des tonnes sur ses épaules, il faut qu'elle s'en débarrasse ! Le tanto tranche sans hésitation le obi, qui choit mollement au croisement de deux artères principales. Si la garde passe par là, elle se posera certainement des questions au vu de la qualité de l'étoffe, et des petits scorpions qui l'ornent...
Elle parvient à prendre quelques ken d'avance sur son poursuivant, tourne le coin d'une rue. Se fige.
La barre de bois... La barre de bois !

Tsukiko a aperçu la perche qui sert au boutiquier à ouvrir les panneaux de son échoppe, et qu'il a oubliée dehors. En un geste décidé, elle s'en saisit, hors d'haleine, se poste juste au coin de la boutique qui fait l'angle, écoute le bruit de la course de son poursuivant. Ce chien va lui payer ça !
Elle serre les dents et soulève la lourde barre. Arme son bras, prie ses ancêtres pour lui donner la force... et la rapidité nécessaires pour le faire passer de vie à trépas !

PAN !

Avec un grondement sourd, elle abat son arme improvisée sur le dos de son ennemi alors qu’il tourne le coin. Une fois. Deux fois. Trois fois.
Espèce de salopard !
La rage, la peur, continuent d'assaillir son esprit et son corps.

Ses rêves s'envolent quand sa face touche durement le pavé de la rue, puis les coups pleuvent, il essaie d'y échapper mais n'y arrive pas, rampe sans succès.
Tsukiko frappe, frappe, frappe encore, jusqu'à ce qu'il ne rampe plus.
Sa-lo-pard !
Cette petite ponctuation, et la grêle qui s'abat sur le corps du rônin, l'aide à finir le travail. Le cou de ce dernier fait un angle étrange. Mais elle ne perd pas de temps... même si elle aurait aimé lui arracher les yeux !

Pendant ce temps, Kûdo et Marumo remontent la rue principale.

- Elle ne doit pas être loin, avec ce qu'elle a sur le dos !
- Et aux pieds ! Comment elle peut courir aussi vite avec ça ?, gémit Marumo.

Elle détale à nouveau, s'entaille la main, déchire le kimono de soie précieuse et le tache de son sang, puis le jette aussi loin qu'elle le peut sur la rue adjacente. Elle sait que la patrouille passera par là, ils verront le vêtement abîmé, le sang qui le souille. Ils chercheront.
Le hanajuba en mousseline de soie ne lui tient pas chaud, mais la peur et la colère fouettent ses sens et lui font oublier le froid, la douleur dans sa main qui serre convulsivement la tsuka du tanto.

- Dépêche-toi, imbécile, sinon comment on va expliquer qu'à quatre, on l'a perdue ?

Ils reprennent leur course, jetant des coups d'oeil rapides dans les rues transversales, puis Marumo pousse un petit cri.

- Là-bas, elle est là-bas!

Ils accélèrent.

Merde !
Elle n'a pas passé assez vite le coin de la ruelle.
Dernière modification par Iuchi Mushu le 16 nov. 2008, 21:42, modifié 2 fois.
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Iuchi Mushu
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Message par Iuchi Mushu » 16 nov. 2008, 21:13

- On va l'avoir, elle ne tiendra pas la distance !

Ils vont finir par te mettre la main dessus, ma fille ! Bouge tes fesses, ou il n'en restera plus grand chose dans peu de temps...
Ses poumons la brûlent, elle regretterait presque sur le moment de ne pas être une combattante.

- Putain, elle a du souffle, la garce !

Elle jette un coup d'oeil en arrière, voit ses poursuivants sur ses talons, grimace. Ça commence sérieusement à sentir le roussi.

Kûdo réussit à attraper sa manche de kimono. Elle se dégage d'un mouvement brusque et la fragile étoffe se déchire sous la tension, le tanto a entaillé la main du rônin dans un geste désespéré.
Elle a trouvé la force de pousser un cri perçant lorsqu'elle a aperçu des fenêtres éclairées un peu plus loin.

- Tu n'as aucune chance de t'échapper, ma poule ! lance Kûdo. Allez, on en finit, on passe un bon moment, puis on lui rend ce qu'elle a fait à nos copains. Hein, Marumo ?

Marumo ricane, mais préfère que son complice se lance le premier à l'assaut de la tigresse. Il en profitera ensuite.

Tsukiko mord, griffe, frappe, se débat, avec les poings, les pieds, les coudes, les genoux, toutes les parties de son corps qui peuvent devenir tranchantes ou contondantes. Kûdo tente de la maîtriser, attrape le tissu qui reste encore sur son corps. Qu’elle se débatte ainsi l’excite encore plus.

- Regarde-la, une vraie tigresse, pas étonnant qu'on veuille la mâter.

Kûdo s'approche. Il veut toucher sa peau.

- Allez, tu t'en sortiras pas, on est deux. C'est juste un bon moment à passer !

Le tanto le frappe à la hauteur du poignet pour toute réponse, la colère flamboie dans les yeux turquoise. S'il pense qu'elle va se laisser faire, il se fourre le doigt dans l'œil... Il grogne de douleur.

- Espèce de salope !

Mais le chat qu'on accule est bien plus dangereux que le loup. Sa proie se défend avec l'énergie du désespoir, et le bruit qu'elle fait dans la rue va finir par attirer l'attention.
Kûdo décide de ne plus attendre. Dès qu'il l’aura désarmée, il aura le dessus. Un coup de couteau le cueille au bras avant qu'il ait achevé son geste, l'entaillant sérieusement. Les yeux de l'homme s'agrandissent sous la douleur. Hors de lui, il se jette sur la courtisane. Une fois prisonnière sous son poids, elle fera moins la maligne.

Il attrape le col du fin hanajuba, dévoile la peau blanche, cherche à lui saisir la main, qu’elle lâche ce foutu tanto. Marumo en salive de la voir se débattre.

Il serre le poignet délicat de la courtisane, si fort qu'elle pousse un cri de douleur. L'arme choit et il la fait tomber au sol. Elle se débat farouchement, essaie de lui donner des coups de genoux dans les côtes. Kûdo n'est pas un tendre et il a de la force. Il aime la résistance, tant qu’il reste maître du jeu.
Un revers de la main, c'est sa pommette qui éclate, puis un autre, plus fulgurant, et la lèvre de Tsukiko se met à saigner. Il lui en assène un troisième avant qu'elle se reprenne et plante ses ongles dans son visage. Il pèse de tout son poids sur elle. Sa main quitte un instant son visage pour trouver sa ceinture.

Il tire le tissu, le malmène. Les yeux de son comparse brillent de concupiscence, il a le souffle plus court de voir Kûdo la déshabiller. Enfin, tenter de le faire, parce que la tigresse se débat.
De fait, sa future victime ne s'en laisse pas compter. Elle a tenu tête au capitaine de la Garde Tonnerre, autrement plus impressionnant que celui-là, ce n'est pas un rônin mal dégrossi qui va lui faire peur !

La soie cède finalement. Elle repousse ses mains, se redresse, lui assène un coup de tête bien senti. Le gifle, le griffe, le mord. Comme un animal enragé, elle se défend avec l'énergie du désespoir.
Kûdo grogne et lui donne une autre claque, sa tête cogne le sol. Sa main sale glisse sur sa peau, son genou force ses jambes, il va devoir l'assommer, sinon il n'y arrivera pas.

La tête lui a tourné un instant sous les coups, mais la rage lui fait reprendre ses esprits. Son tanto... Il est loin... Trop loin... Il lui faut une arme, mais elle n'en a pas...
Kûdo tente de se dégager de son fundoshi, sa main écarte ses cuisses mais elle donne un violent coup de rein, ils luttent sur les pavés de la cité.

- Tu vas te tenir tranquille, salope !

Sa tête heurte à nouveau le sol, la douleur est fulgurante. Il dégage son sein et le prend à pleine main tandis qu'il cherche à la pénétrer avec violence. Marumo a les yeux presque exorbités.
Elle a crié de colère, ses mains l'ont repoussé encore une fois. Jamais il ne l'aura vivante ! De nouveau, elle a rué, frappé, griffé, mordu, et l'autre s'énerve à la sentir gigoter comme une anguille. Une arme, il lui faut une arme !
Soudain, les yeux de Tsukiko s'agrandissent. Elle en a une !

Les aiguilles...

Elle réussit à le repousser, donne un formidable coup de rein, frappe de toutes ses forces au milieu de son visage, entend avec jubilation un craquement significatif. Le nez de son agresseur n'a pas résisté au coup de tête qu'elle lui a décoché.
Les mains du rônin se relâchent, son bassin ne pèse plus sur elle, il a hurlé de rage et de douleur. D'un geste fébrile, elle attrape l'une des longues aiguilles écarlates plantées dans ses cheveux. Elle n'aura pas une autre chance.

- Petite pute, je vais te mater, tu vas voir !

Le sang coule de ses narines, il l'attrape par le tissu et tire un coup sec pour la ramener à lui. Elle saisit à pleine main le bois de la pique et écrase son visage de l'autre. Enfonce sans hésitation l'aiguille dans son œil, d'un seul coup, de toutes ses forces, aussi loin qu'elle le peut.
Un étrange bruit mou, un fluide qui gicle, le rônin ouvre la bouche mais aucun son n'en sort.

Elle repousse aussi loin qu'elle le peut le corps lourd de l'homme, ses doigts fins rencontrent la tsuka du katana qui git au sol. La rage la saisit de nouveau. Le dernier de ces chiens va payer !
Elle s'arrache du sol, la lèvre fendue, la pommette ouverte, la peau du front entamée. Son corps entier la fait souffrir, mais elle se relève, le katana à la main. Le rônin git sur les pavés, il ne bouge plus.

Le dénommé Marumo a la bouche ouverte comme un poisson qui manque d'air.
"Impossible". C'est le seul mot qui vient à sa cervelle.
Elle serre les dents, le regarde, la fureur brûle dans les yeux turquoise.

- Je vais te tuer..., gronde-t-elle d'une voix sourde.

Elle se dresse devant lui, presque nue, le regard luisant de colère et de haine. La surprise le paralyse, il n'arrive pas à réaliser que Kûdo est immobile par terre. La seconde d'avant, il l'avait sous lui.
Il déglutit. Elle en est bien capable - elle a eu les trois autres.

Un bruit de pas cadencé se fait soudain entendre dans la ruelle voisine.
Le rônin tourne la tête, puis se recule d'un coup, paniqué, se rendant compte que sa distraction risque de lui être fatale.
Il croise le regard de cette folle furieuse et une seule idée lui vient. Fuir. Tant pis pour le contrat, tant pis pour l'avance qu'ils ont dépensée, il tient à la vie.

Avec un cri de rage étouffé, Tsukiko se rue sur lui. Elle ne sait pas vraiment se servir d'un katana, mais elle est vraiment prête à tout pour l'écraser comme la merde qu'il est.
Il tourne les talons et se met à courir sans demander son reste. Il faut qu'il se sorte de là, c’est une folle !
Qui leur a confié un pareil travail ? Ils auraient dû être dix, cette fille est la rage incarnée ! Il court, se retourne pour vérifier qu'elle ne le poursuit pas, trébuche, se rattrape au dernier moment. Il court aussi vite qu'il peut.

Des exclamations se font entendre à l'autre bout de la rue. Les gardes Tonnerre s'engouffrent dans la ruelle pour secourir la pauvre jeune femme en détresse.
Quatre d'entre eux se lancent aussitôt à la poursuite de l'agresseur, les autres regardent le cadavre échoué sur le sol, et la furie à moitié nue aux cheveux en bataille, le sabre à la main, le regard étincelant de rage, dont le corps porte les marques de la lutte acharnée qu'elle vient de livrer.
Sur le moment, ils ne la reconnaissent pas.
Ils se regardent, incertains sur la conduite à tenir. L'épingle à cheveux a été enfoncée jusqu'à la garde dans l'œil du mort.

Marumo entend les bruits de course derrière lui, la peur lui donne des ailes, il accélère, il faut qu'il arrive aux quais, là il pourra se planquer.
Putain, quelle folle, cette fille ! Qui peut vivre avec ça ?
Un autre fou...
Manque de chance, il débouche à toutes jambes sur le quai pour tomber sur une autre patrouille. Pris en tenaille, l'issue est prompte et peu plaisante. Quelques instants suffisent pour qu'il se retrouve plaqué au sol, la figure écrasée contre la pierre.

-Lâchez-moi ! Lâchez-moi, j'ai rien fait !!!

Les gardes Tonnerre ne tiennent aucun compte de ses protestations, le désarment et le ligotent comme un poulet.

- C'est ce que nous allons voir, dit une voix froide.

Marumo essaie de tourner la tête, et un garde lui fait changer d'avis par une clef bien sentie. Mais il a reconnu la voix, ses entrailles se liquéfient, c'est fichu, il y a la magistrate. Quelques instants plus tard, une escouade de gardes Tonnerre ramène le fuyard solidement encadré dans la ruelle où se tient toujours le reste de la patrouille, perplexe. A sa tête se trouve Yogo Osako.

Tsukiko a essuyé les fluides du rônin sur son visage d'un geste rageur. Elle fulmine toujours au fond de la ruelle. La rage ne l'a pas quittée. Les hommes de Jocho ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, ils ne tentent pas de l'approcher. Sa main fine est toujours crispée sur la tsuka du katana. Son souffle est court, ses yeux étincellent.

Le rônin n'en mène pas large, convaincre la magistrate ne va pas être facile, surtout si la furie le dénonce. Il aurait dû écouter la vieille qui lui a tiré son avenir, c'est une mauvaise semaine.
La magistrate approche avec le reste de la patrouille.

- Combien étaient-ils ? demande sèchement Yogo Osako.
- Quatre, gronde la jeune femme après un effort conséquent pour reprendre le contrôle d'elle-même.
- Trouvez les autres, ordonne la magistrate.
- Hai !

Yogo Osako détaille du regard la jeune femme et dissimule son immense déception. Mis à part quelques plaies, des ecchymoses pas assez nombreuses à son goût, et ses vêtements déchirés, la petite putain semble indemne… La lèvre fendue, la pommette abîmée, des meurtrissures... Ces incapables n'ont pas fini le travail. C'était bien la peine d'en faire embaucher quatre, pour un aussi piètre résultat.

- Shosuro Tsukiko-san, êtes-vous blessée ? demande-t-elle avec un vague espoir.

A cet instant, les gardes poussent un soupir collectif. La furie échevelée devant eux n'a rien à voir avec la jolie courtisane qu'ils croisent parfois durant leurs gardes. L’intéressée se redresse fièrement et toise l'assemblée.

- Non.

L'un des hommes s'incline respectueusement, tandis qu'un autre hèle un palanquin.

- Je vais aller prévenir Jocho-sama, si vous me le permettez, Osako-sama.

La magistrate peut difficilement refuser, malgré la bile qui lui emplit la bouche à cet instant. Tsukiko tient toujours aussi fermement le sabre, et garde tous ceux qui sont présents dans la rue dans son champ de vision. La rage ondoie autour d'elle, elle tremble de la tension qui l'habite et qui voudrait la quitter, et de la colère qui la tient debout.

- Eh bien, je vais m'occuper d’aller interroger ce prisonnier, conclut Osako sans chaleur. Vous, venez avec moi. Vous, restez avec Tsukiko-san. Tenez-moi au courant pour les deux autres agresseurs.

Le prisonnier en question n'en mène pas large, il regarde le sol.
Une sale, très sale journée...
La magistrate s'éloigne avec son escorte en direction du palais de justice. Les gardes Tonnerre restants sont pétrifiés sur place. Même s'ils évitent de la dévisager ostensiblement, la tenue de Tsukiko ne laisse guère de place à l'imagination en ce qui concerne sa plastique.

Le garde parti prévenir le capitaine de la Garde Tonnerre rejoint en courant le palais du gouverneur et grimpe les marches quatre à quatre. Il se dirige vers les appartements de Jocho, il n'a pas eu le temps de réfléchir à ce qu'il va dire exactement. Il y pense là, maintenant, alors qu'il se fait annoncer.
L'homme est introduit, met un genou au sol. Le jeune homme est habillé avec soin, à l'évidence il s'apprêtait à sortir.

- Qu'y a-t-il, Okura ? demande le capitaine de la Garde Tonnerre.
- Veuillez pardonner cette intrusion, mais une chose grave vient de se produire dans le quartier marchand, Jocho sama.
- Je t'écoute.
- Shosuro Tsukiko sama a été victime d'une agression.
- Quoi ?

Jocho a presque crié. Le sang a reflué d’un coup de son visage.

- Elle est vivante, Jocho sama, nous tenons les hommes. Enfin, au moins un, se dit-il, mais mieux vaut calmer le capitaine.
- Mène-moi à elle, maintenant.
- Un palanquin la ramène ici. Elle a été secouée, Jocho sama, il faudrait faire venir un shugenja.
- Mène-moi à elle, je te dis !
- Hai !, répond martialement Okura avant de se relever.

Ce soir, le garde ne sait plus très bien ce qu'il doit dire ou faire. Le regard furieux de la courtisane est présent à sa mémoire.

Jocho le devance et sort à grands pas, jetant au bushi de garde :

- Fais prévenir le temple, maintenant !
- Hai, Jocho sama !
- Qu'ils dépêchent un shugenja au plus vite !

Les ordres claquent, nets, précis. Des serviteurs courent, d'autres gardes se pressent, on dirait une ruche dont on vient de voler la reine.
Okura le suit, silencieux, il sent l’agitation de son commandant. Jocho ralentit à peine le pas pour se souvenir qu'il faut qu'il attende son guide, si grande est sa hâte.

- Où est-elle ?
- Près de la rue de l'Aigue-marine, Jocho sama.
- Deux chevaux, maintenant !, crie-t-il en arrivant au niveau des écuries.

Le palefrenier saute, s'affaire, et en un temps record, deux montures sont amenées dans la cour. C’est encore trop long pour Jocho, qui invective le malheureux pour sa lenteur, avant de bondir en selle et de piquer des deux sans attendre.
Les deux montures s'élancent, leurs sabots résonnent sur les pavés de la cité.

- Place ! Place !

Les portes du quartier noble s'ouvrent immédiatement. Jocho presse sa monture, pour un peu il aurait l'impression que c'est lui qui la porte au lieu du contraire.
Que lui est-il arrivé ?
Ils filent comme le vent dans les rues désertes du quartier marchand. Les sabots semblent résonner à l'infini dans la nuit calme, des habitants ouvrent un œil ensommeillé dans leurs demeures. Mais le temps qu'ils émergent de leur torpeur, les cavaliers ont déjà disparu.
Presque toute la cité ignore ce qui vient de se dérouler dans le labyrinthe de ses rues.
La rue en question leur apparaît bientôt. Quand on pense que Jocho exige de son escouade qu'ils traversent la ville en une demi-heure, le trajet jusqu'à l'Aigue-marine se compterait presque en secondes.

Pendant ce temps-là, dans la ruelle, les palabres pour convaincre Tsukiko de grimper dans le palanquin semblent être dans l'impasse. Il y a environ quatre-vingts-dix centimètres de bon acier entre les bushi et la courtisane, et la rage continue de le disputer à la peur. Ils n'approcheront pas.
Tous les arguments apaisants destinés à la convaincre de rengainer n'ont pas eu le moindre effet. Et après avoir constaté l'état des trois autres agresseurs de la jeune femme, les gardes Tonnerre ont sagement décidé que c'était l'un de ces cas où il fallait attendre une décision des instances supérieures. Après tout, quelqu’un est parti prévenir le capitaine, il ne devrait pas tarder.

Tsukiko est toujours aussi déterminée, et pourtant son corps tremble de plus en plus. De froid, du choc, de la fatigue. Mais plutôt se couper le bras que de l'avouer. Sa main est fermement crispée sur la garde du sabre.
Le cadavre du rônin git dans la rue, la pique dépassant toujours de son orbite. Sa tenue ne laisse aucun doute sur le sort qu'il lui réservait avant de passer de vie à trépas.

C'est à ce moment-là que se fait entendre le tonnerre des sabots, et les deux cavaliers surgissent dans la ruelle. Jocho saute aussitôt à terre, abandonnant les rênes. Quand il voit l'état de Tsukiko, ses yeux s'élargissent, et une fureur sans nom l'envahit.
Qui a osé faire cela ?
Un garde se porte derrière lui et saisit la bride de l'animal. Okura descend de cheval.

- Quatre hommes l'ont attaquée, mon capitaine, dit l'un d'eux, deux sont morts, les deux autres ont été emmenés à la magistrature pour être interrogés immédiatement par Yogo Osako sama.

Jocho enlève son kimono de soie chamarrée d'un geste vif, s'approche de Tsukiko. Les gardes Tonnerre baissent les yeux, autant ne pas regarder la jeune femme en cet instant, ce serait inconvenant.

La lame s'interpose immédiatement. A son expression, elle ne l'a pas reconnu. Il s'approche d'elle doucement, comme d'un cheval nerveux. Un silence de plomb s'est abattu d'un coup sur la rue. Une des montures piaffe, sentant la nervosité des humains. Le garde resserre sa prise sur les rênes, caresse le chanfrein de l'animal pour le calmer.

- C'est fini, Tsukiko. Tu es en sécurité, maintenant.

Sa voix est chaude, apaisante, même s'il aurait plutôt envie de hurler. Très doucement, il approche le kimono. Le garde Tonnerre relâche la bride, continue de caresser l'animal. Tout le monde est nerveux.

Elle semble peu à peu réaliser qui lui parle, baisse la lame. La violence de l'affrontement a effacé de sa mémoire celle de la dispute qui les a opposés en début de soirée. Ses mains tremblent, elle a de plus en plus froid. Il continue de lui parler, de cette même voix apaisante, mais il lui faut un très long moment avant de pouvoir approcher jusqu'à elle. Il pose avec précaution le kimono sur ses épaules. La soie tiède transporte son odeur.
La rage retombe d'un coup, elle se sent vidée de toute force.

- Jocho... ?

Il ne répond pas mais la prend très doucement dans ses bras, la soulève comme une enfant. Avec une infinie douceur, il la porte jusqu'au palanquin. La tenant toujours dans ses bras, il s'y installe avec elle, et referme avec précaution le volet de bois.
La rage bouillonne dans ses veines. Qui que ce soit qui ait osé faire cela...

Elle se serre contre lui, complètement glacée. Okura ordonne qu'on soulève le palanquin d'un geste pondéré, les porteurs se mettent en place et, conscients du drame qui vient de se jouer, prennent mille précautions pour emporter les occupants.

- Au temple, dit le jeune soldat. Sa voix n'a pas porté, elle a été calme, en accord avec le moment.
- Jocho... Je voudrais rentrer...

Il ramène avec précaution le kimono sur elle, referme sur elle ses bras.

- J'ai perdu l'aiguille rouge...
- Chut, ne dis rien. Tout va bien maintenant.

Il lui caresse le dos, les épaules, la frictionne doucement pour réchauffer sa peau glacée.
Ces chiens galeux, ces porcs, ces fils de...

Un des gardes retourne le rônin avec une des hampes de marchand. La pique rouge du chignon de Tsukiko dépasse de l'œil, s'harmonisant curieusement avec le sang du visage. Un jeune samurai frémit. Il ne verra plus la courtisane de la même façon.

- L'un de vous l'a déjà vu, celui-là ?

Un autre s'est approché.

- Il traîne souvent au Genévrier et sur les quais, mais j'ignore son nom.
- Faites venir des eta pour emporter le corps et nettoyer la rue avant que le jour se lève.

Le sang du rônin à l'œil crevé s'est doucement glissé dans les interstices des pavés, et les colore avec méticulosité.
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)

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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 18 nov. 2008, 22:10

Tsukiko reprend lentement conscience dans une pièce qu'elle a l'impression de ne pas connaître. Elle sent des mains sur elle qui remontent une couverture, des doigts chauds et légers qui se posent sur son front, des voix, étouffées. La douleur broie son corps sans qu'elle sache pourquoi.

On tente de lui faire boire quelque chose, elle reconnait l'odeur de l'opium et repousse la tasse, refusant obstinément d'ouvrir la bouche. Sa tête lui fait mal, derrière, comme si elle s'était cognée contre quelque chose de très dur. Elle a l'impression que son visage est tuméfié à certains endroits, mais elle ne se souvient pas avoir été frappée. Sa peau la tiraille sur le front, mais elle n'arrive pas à toucher l'endroit qui était douloureux.
Elle veut l'appeler, mais aucun son ne sort.
Pourquoi sa lèvre lui fait-elle mal comme ça ?

Sa main se crispe sur la couverture de coton et elle frissonne violemment. Où peut-elle bien être ? Elle est réveillée, mais elle ne parvient pas à savoir si c'est le jour ou la nuit. Les mains s'en sont allées, les voix aussi. Elle fait un effort pour ouvrir les yeux, il faut qu'elle ouvre les yeux...
Autour d'elle, il n'y a que les ténèbres silencieuses. Ou rêve-t-elle cet instant derrière ses paupières closes ? Elle écoute, mais l'univers qui l'entoure est un mur imprécis qui intercepte les sons comme on retient son souffle. Elle se recroqueville, ramène ses genoux sous son menton, une toute petite goutte de conscience dans cet océan obscur... Une pause, dans cet espace sans temps et sans dimensions. La sensation de la chaleur, une vibration rouge, là, autour d'elle.

Il s'est passé quelque chose, mais elle ne parvient pas à se souvenir. Que lui est-il arrivé ? Où est-elle ? Elle se rappelle qu'il y avait Jocho avec elle, mais elle ne sait plus pourquoi.
La lumière assaille à présent ses paupières closes avec obstination. Où est-il ? Est-ce qu'il fait jour, ou bien est-ce la nuit ? Elle ne sait pas, elle ne sait plus.

Au prix d'un immense effort, elle ouvre les yeux.
La petite lumière au fond de la pièce lui fait l'effet d'un coup de lance. Elle cligne des yeux, éblouie, papillon de nuit pris dans la lueur d'une lanterne, se tourne vers le mur dans un gémissement. Tout son corps lui fait affreusement mal...

La plainte et le froissement du tissu tirent Jocho de sa somnolence. Malgré lui, il s'est assoupi, le dos appuyé à la cloison. Instantanément, il est en alerte. Il redoutait cet instant, depuis le moment où il a porté au temple son pauvre corps meurtri.
Bien sûr, ils l'ont pansée, ils lui ont prodigué des soins des plus attentifs. Ils ont caché les hématomes qui la défigurent, appliqué des onguents sur sa pommette, sur son front, mis un pansement sur sa lèvre fendue.
Mais il redoute le contrecoup - comment va-t-elle réagir ? Hier, elle a failli être violée, tuée - et elle a tué.

Il y a une odeur boisée, qu'elle connaît bien, qui flotte dans l'air. Il est là, elle le sait.
La main fine sort après un temps infini de sous la couverture, glisse sur le tatami, cherche la source du parfum masculin. Sa gorge lui fait affreusement mal, sa voix n'est qu'un souffle quand elle appelle :

- Jocho... ?

- Je suis là, Tsukiko. Ne parle pas. Tout va bien.
Qui essayes-tu au juste de persuader ?

Il se penche vers elle, fait les gestes qu'on fait pour apaiser un enfant fiévreux ou un petit animal craintif. Il porte à ses lèvres tuméfiées un peu du thé tiède qu'on lui a amené, écoute le coeur serré ses tentatives de parler. Il serre les poings. Ces pourritures, ces déchets, qui ont osé porter la main sur elle...
Elle semble complètement perdue, avoir oublié sous le choc jusqu'à leur dispute de la veille. Avec précaution, il lui explique ce qui s'est passé, les quatre rônins qui l'ont agressée, sans rentrer dans les détails, qu'elle est au temple d'Amaterasu, qu'il n'y a rien à craindre.

- Les aiguilles... Je les ai perdues... Celles que tu aimes...

Les jolies aiguilles laquées de rouge qu'il lui a offertes..

Comment peut-il lui faire comprendre à quel point il se moque de ces colifichets ? Elle est à peine cohérente, elle ne sait pas ce qu'elle dit. C'est d'elle dont il se soucie, c'est à cause d'elle qu'il est ici, qu'il a veillé une bonne partie de la nuit.

Pourquoi pense-t-elle à ça ? L'impression d'un corps qui l'écrase, de mains brutales sur elle, s'insinue lentement dans son esprit.

Jocho la sent qui se raidit brutalement, un papillon transpercé par une épingle. Ces fils de chien, ils vont payer. Payer très cher.
Il lui prodigue des paroles apaisantes, la rage au coeur. Sa main fine a accroché la sienne et s'y cramponne avec l'énergie du désespoir. Sans qu'elle en ait conscience, son corps se recroqueville dans le futon, la peur revient. Il voit sa lèvre trembler et les larmes perler à ses paupières closes, elle fait un effort surhumain pour ne pas pleurer. Pas devant lui.

Alors, il fait la seule chose qu'il puisse faire, lui apporter le réconfort de son contact, de sa chaleur, de sa voix. Il a déjà vu des bêtes réagir ainsi, et des hommes. La peur instinctive, l'angoisse proche de la panique. Elle ne comprend probablement pas les mots qu'il lui dit, mais sa voix l'apaise, il le sent.

L'eau mouille la soie précieuse du vêtement, mais seul le silence se fait entendre dans la pièce.
Ses épaules se soulèvent alors que ses larmes s'écoulent sans bruit. Il les essuie du pouce, continue à la tenir contre lui, jusqu'à ce que son corps se détende, que son souffle s'apaise, qu'il sente contre lui ses membres s'alourdir, jusqu'à ce qu'elle s'assoupisse.

- Je reviendrai demain, Tsukiko, souffle-t-il.

* * *

Le soleil a passé les nuages ce matin, et sa lumière ne la fait plus autant souffrir que les jours précédents. Elle se rappelle la douleur dans sa tête, le shugenja qui est venu plusieurs fois à cause de ça - mais seulement quand Jocho n'était pas là.
Les souvenirs sont revenus petit à petit, la nuit, quand elle ne dormait pas. Les souvenirs de l'agression, et d'autres aussi, plus anciens, plus douloureux que ces quelques bleus.

Ces coups-là ne font pas vraiment mal, ce ne sont que des ecchymoses. Mais ils renvoient à une période plus noire, plus effrayante, de sa vie. Une période remplie de fantômes, de terreurs, de cauchemars, de froid.
Elle a tué à nouveau. Elle l'a fait pour se défendre. Elle n'a pas voulu prendre ces vies, mais elle l'a fait.

Il est venu tous les jours, il est resté très tard à chaque fois, jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Il était inquiet, elle l'a bien vu. Il était en colère aussi, très en colère.

Les souvenirs sont revenus. La douleur du corps est partie, pas celle de l’esprit.

Elle a pu se lever, s'habiller, seule. Elle est sortie dans le jardin et est allée s'asseoir sur le banc de pierre, devant le bassin aux koi. Elle a fixé l'onde un long moment sans la voir, sans rien voir d'autre que ce qu'elle a vécu.
Le silence et la sérénité de l'endroit ne lui apportent aucune paix.

Puis elle a aperçu son reflet dans l'eau, les traces de coups sur son visage. Son œil droit est tuméfié, son arcade fendue, sa pommette a éclaté sous un impact, sa lèvre est ouverte, elle a des oeufs de pigeon partout sur le crâne. Il y a des bleus sur son cou, sur ses épaules, sur ses bras, et la soie du kimono cache tous ceux qu'elle a sur le reste du corps. Elle l'a vu quand elle est allée aux bains, mais elle n'avait pas pris conscience de l'ampleur des dégâts.
Le shugenja est venu la rassurer, bien sûr, il lui a dit que ce n'était que des hématomes, des plaies, des bosses, que tout partirait dans quelques semaines. Mais elle a du mal à le croire quand elle voit dans quel état elle est. Sa beauté est son seul bien. Va-t-elle la conserver ?
Elle a soudain peur qu'on lui ait pris jusqu'à cela...

Pourquoi vient-il la voir tous les jours alors qu'ils se sont quittés avec pertes et fracas ? On dirait qu'il ne s'est rien passé.
Si seulement elle arrivait à ne plus penser à ça...


Ce matin-là, il arrive, comme les jours précédents, mais la chambre de la jeune femme est vide. Cela ne dure qu'un instant, aigu, douloureux, jusqu'à ce que la servante lui dise : "Elle est dans le jardin, Jocho-sama".
Il voit sa silhouette, son délicat visage marbré de bleu et de violet, méconnaissable. Cela fait trois jours et la même colère l'envahit à chaque fois.

Osako lui a annoncé que l'un des prisonniers était mort sous la torture, et que le deuxième ne savait rien. Il ne pouvait rien objecter, mais s'était assuré que la mort de ce dernier soit longue et douloureuse.
Cela l'avait à peine soulagé. Personne ne doit ainsi porter la main sur elle. Personne.
C'est une réaction absurde, il le sait. Ils se sont entredéchirés il y a quelques jours, d'une façon radicale.
Mais il ne s'est même pas posé la question, il a agi.

Ses pas l'amènent jusqu'au bassin de pierre, où elle est assise, immobile. Est-ce sa réflexion dans l'eau qui la fige ainsi, telle une statue ?
- Bonjour, Tsukiko.
- Bonjour, Jocho.

Elle a senti son parfum avant d'entendre son pas sur le sable blanc de l'allée. Sa voix a été un étrange apaisement.
Tsukiko s'étonne de ce que sa phrase n'est qu'un souffle.
- Comment te sens-tu, aujourd'hui ?
- Je vais bien, je te remercie.

Ils continuent ainsi à échanger des banalités pendant quelques instants, jusqu'à ce que le silence s'installe entre eux. Il voudrait la rassurer, lui dire qu'elle ne gardera pas de trace des coups, mais craint d'être maladroit, et se tait.

Elle sent le malaise qui s'installe entre eux, gênant, dérangeant. Il a été si gentil avec elle, c'était si inattendu, après ce qui s'était passé.
Elle le considère un bref instant, hésitante.
Leurs regards se croisent, le temps d'un souffle, puis elle baisse les yeux sur le banc, les relève sur lui, avant de fixer de nouveau le bassin devant elle.
Répondant à cette invitation muette, il vient s'asseoir à côté d'elle, après un instant d'hésitation.

- Je voulais te remercier, Jocho.

Il a l'air sincèrement étonné.

- Tu es la seule personne à m'avoir aidée, en dehors de Katsumoto. Je suis... très touchée par ce que tu as fait.
- C'était normal, dit-il avec un geste de dénégation. Elle doit penser que je l'ai fait par calcul, bien sûr. Bon, je suis content de voir que tu vas mieux, je vais repartir pour la caserne, alors...
- Jocho...

Il interrompt son geste, se tourne vers elle. Son regard turquoise coule vers lui. Elle lui doit au moins ça.

- Je sais que tu l'as fait... parce que c'était moi. Et que tu n'attendais rien en retour. Cela rend ton geste plus précieux à mes yeux. Je voulais... je m'excuse de t'avoir parlé comme je l'ai fait.

Une expression complexe traverse les traits de Jocho.

- Je t'ai dit aussi des choses impardonnables. Jocho, tu es un idiot.
- Oui, et comme toi, j'en ai été très blessée.
- Nous savons l'un et l'autre comment faire le plus de mal possible, n'est-ce pas ?, dit-il doucement.
- Hai. Et nous le faisons toujours sciemment.

Le silence qui suit renferme tous les non-dits, les manipulations, les tricheries, les procès d’intentions, les trahisons, grandes et petites, qu’ils connaissent si bien l’un et l’autre.

- Est-il encore temps ?, demande-t-il d’une voix égale.
- Je ne sais pas, Jocho. Je ne sais pas ce que tu veux, ni si tu joues un autre de tes jeux cruels avec moi. Tu ne me parles pas, tu ne me dis jamais ce que tu penses, ce que tu éprouves. Je ne sais pas ce que je suis pour toi...

Il reste un moment silencieux.

- J'ai aimé les quelques semaines que j'ai passées à tes côtés, Jocho.
- Moi aussi, répond-il avec chaleur.

Une nouvelle pause.

- L'honnêteté n'a jamais été notre fort, n'est-ce pas ?, dit-elle avec un pauvre sourire.

Il prend une brusque inspiration.

- C'est vrai, je t'ai menti. Tu vas dire : Je le savais. Mais ce n’est pas ce que tu crois. C’est lors de notre dernière discussion que je t’ai menti. Sais-tu, par exemple, pourquoi tu es ici, alors que tu m'avais demandé si nous pouvions rentrer au palais ?
- Non, je ne sais pas. Je n'ai qu'un vague souvenir de mon arrivée ici.
- Pour ton information, ma mère m’a ordonné de rompre avec toi. Elle a arrangé mon mariage dans mon dos, poursuit-il avec amertume. Avec une magistrate du clan du Lion, du nom de Matsu Aiko. Tu vois qui c’est ? Raide comme la justice, féminine comme un engin de siège, un sabre ambulant qui a avalé le code du bushido avec les ponctuations. Un vrai remède à l’amour. Mais quelqu’un qui se trouve être la nièce du daimyo du clan du Lion, et qui est aussi un souci notable pour les affaires du clan par ses excès de zèle. J’ai bien sûr tenté de bloquer ou de dévier la manœuvre. Mais mon honorable mère ne m’a guère laissé d’échappatoire. Raison d’état. Elle devait savoir, néanmoins, que je ne lui obéirai pas sur ce point.

Il hésite :

- C’est probablement elle qui a orchestré... ce qui t’est arrivé. J’ai d’autres indices dans ce sens. Aussi quand tu es venue, et que tu as dit ce que tu as dit, j’ai fait le nécessaire.- Je comprends.

Pourtant la jeune femme s'interroge silencieusement. Le gouverneur ? Elle a du mal à le croire.

- Elle avait déjà tenté la subtilité, dit-il d’une voix égale. Cela fait un mois que ton thé du matin est assaisonné avec un ingrédient toxique de façon cumulative, et presque autant de temps que je te fais administrer l’antidote.

Tsukiko soupire.

- Mais je sais, à présent, ce qui compte pour moi. Je me moque de leurs intrigues mesquines, de leurs esprits avides, je me moque des desiderata de ma mère et des trafics du clan. Je tiens à toi, Tsukiko, je ne veux pas te perdre. C’est pour cela que je ne t’ai pas ramenée au palais.

Elle a soudain la gorge sèche.

- Tu l'as dit, la franchise n'est pas notre fort. Mais je vais essayer. Quand on a l’habitude de manier les mots et les sentiments comme une arme, il est presque impossible d’aimer soi-même. Tu le sais. Je le sais aussi, parce que nous sommes pareils. Accepter de lâcher prise, de se rendre vulnérable, est très difficile. Je le comprends bien. Ce que tu fais par méfiance, je le fais par orgueil.
Il fut un temps où j’aurais pu te détruire, simplement pour me protéger. Mais les choses ont changé. J’ai compris qu’il existait entre nous un lien profond, que nous avions, cette fois peut-être, cette fois seulement, une chance unique. Et je suis venu à toi, Tsukiko, en t’offrant cette chance… librement, ouvertement… sans artifice…

Elle sent son estomac se nouer à cette déclaration. L'entendre le lui dire, mettre des mots sur ce qu'il éprouve, est un soulagement, même s'il y a déjà longtemps qu'elle sait que quelque chose de puissant, de particulier les unit.

- Que veux-tu, Jocho ?
- Nos destinées sont liées, ce n'est ni de ton fait, ni du mien. Je suis une partie de toi, Tsukiko, dit-il doucement, et tant que tu ne l'accepteras pas, tu continueras à souffrir.

La courtisane caresse le dos de la carpe dorée qui est revenue glisser contre ses doigts dans l'eau du bassin. Elle l'écoute avec attention, sans savoir quoi lui répondre sur l'instant, reste silencieuse encore un long moment avant de répondre.

- Essayons, dans ce cas.

Après un instant d'hésitation, elle pose sa main sur sa joue et caresse son visage avec douceur. Il appuie son front contre le sien, place ses longues mains sur ses épaules, ferme les yeux, avant de la serrer dans ses bras. C'est un équilibre fragile, difficile, il le sait. Tout, dans leurs natures, les pousse à la méfiance.

Elle entoure sa taille, caresse son dos sans mot dire. Il n'y a rien à dire, de toute manière. Pourrait-elle même décrire ce qu'elle ressent, si elle le voulait ? Non, sans doute.
Et elle s'en moque.

- Ne t'inquiète pas, ça va aller... Je suis une teigne, tu le sais bien. Les teignes sont mauvaises...

Elle a murmuré près de son oreille, les yeux fermés. Il sourit alors que l’envahit à nouveau le besoin féroce, instinctif, de la protéger.

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Kakita Kyoko
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Message par Kakita Kyoko » 01 janv. 2009, 23:10

La petite maison dans le quartier des pêcheurs est toujours aussi bien entretenue. La lumière des lanternes filtre par les volets clos, et l'on perçoit parfois les notes discrètes d'un shamisen dans une accalmie de la rumeur de la rue.
La silhouette d'Ichimane, le maintien impeccable, est agenouillée sur les tatamis et le regard perçant surveille les gestes de son élève, qui s'applique sur l'instrument.

Voilà déjà une semaine qu'elle est ici, chez son sensei, après avoir séjourné quelques jours au temple. Elle a réussi à convaincre Jocho que le lieu était suffisamment à l’écart pour que l’on ne vienne pas l’y chercher. La courtisane suit le conseil de son amant, elle se fait oublier quelques temps, même si cela l'irrite de devoir se cacher ainsi.

Ichimane a écouté avec attention ce que lui a raconté Tsukiko. La chose est sérieuse, elle sait d'expérience qu'il faut avoir une bonne dose de désespoir -ou de folie- pour s'en prendre à un membre de la caste des samurai de la sorte.
Oui, il faut avoir une bonne dose de désespoir, de folie, ou être assuré d'une totale impunité, pour agir ainsi.

Le carillon de l'entrée tinte - elles ont un visiteur. Tsukiko pose le shamisen, salue la vieille dame front au sol et se lève pour aller ouvrir. Elle glisse un oeil par le discret judas sur le côté de la porte.

Les notes du shamisen résonnent, Ichimane a dû prendre l'instrument. Le visiteur est masqué, et porte l'armure des gardes Tonnerre. Mais à sa prestance, elle l'identifie aussitôt.
La porte s'ouvre sans bruit et la fine silhouette s'efface pour le laisser entrer. De la rue, personne ne l'a aperçue.
Jocho passe le seuil, de sa longue foulée souple. Le battant se referme en silence, ils sont seuls dans la modeste entrée de la petite maison.

- Bonsoir, Jocho.
- Bonsoir, Tsukiko.

Il enlève son casque, et le mempo. Elle s'incline et lui sourit.

- Comment vas-tu ?
- C'est plutôt à moi de te poser la question...
- Je vais bien, maintenant que tu es là.

Il a un sourire chaleureux.

- Je te trouve meilleure mine que la dernière fois, en tout cas.
- Ichimane prend grand soin de moi. Laisse-moi te débarrasser de ton manteau, je vais te présenter.

Elle l'aide à se mettre à l'aise. Les notes du shamisen continuent de s'égrener, douces, lancinantes.
La courtisane s’agenouille près du shoji fermé, puis toque contre le montant de bambou, l'ouvre, salue la vieille dame au bout de la pièce.

- Ichimane sensei, Shosuro Jocho dono est là.
- Hé bien, fais-le entrer, Tsukiko chan, et occupe-toi du thé, s'il te plaît.
- Hai, sensei.

La jeune femme entre et s'agenouille à l'intérieur de la petite salle, invite le visiteur à se donner la peine. Le regard noir, velouté, s'arrête sur la haute silhouette, la détaille calmement. Elle hoche la tête. Il ressemble tant à son père... Sa main couleur d’ivoire lui fait signe de s'approcher.

- Shosuro Jocho dono, c'est un honneur et un privilège de vous accueillir dans ma modeste demeure.

Elle le salue, front au sol.

- Ichimane-san, je vous remercie de votre accueil, et de l'hospitalité dont vous faites bénéficier Tsukiko-san, répond Jocho poliment en inclinant la tête.
- Je vous en prie, c'est tout naturel.
- Non, vous prenez un risque personnel, que j'apprécie à sa juste mesure, et je vous en suis reconnaissant.
- Je connais cette jeune personne depuis déjà longtemps, il était tout à fait normal que je sois là quand elle a eu besoin de moi.
- Pour cela ma gratitude vous est acquise.
- Apprécierez-vous une tasse de thé, Shosuro Jocho dono ? demanda la dame en souriant. Il lui doit une faveur et il le reconnait. Ce n’est pas si fréquent.
- Volontiers.
- Veuillez vous installer, Tsukiko ne devrait pas tarder. Elle prépare un thé qui est toujours infusé à la perfection.

Il s'assoit face à elle, posant son katana à sa droite. Le silence s'installe entre eux, rythmé par les notes du shamisen. Le tintement de la porcelaine vient heureusement interrompre cette attente inconfortable. La silhouette de Tsukiko apparaît dans l'embrasure du shoji, elle leur sourit. Jocho lui sourit en retour. Il est là pour elle, pas pour son hôtesse, même s'il a usé à l’égard de cette dernière d'une parfaite politesse.

Elle apporte le plateau et le pose sur la petite table en bois de rose, remplit la porcelaine délicate sans mot dire. Ses gestes sont élégants, ses manières impeccables. Son sensei l'observe sans un mot, le parfum du thé se répand dans la pièce. L'ancienne geisha considère le jeune homme assis en face d'elle un long moment, avant de dire :

- Vous ressemblez beaucoup à votre père, au même âge. Vraiment beaucoup.
- Il parait, oui, répond Jocho d'un ton neutre. Qu'est-ce que son père vient faire là-dedans ?
- J'ai eu plaisir à le revoir, l'espace d'un instant, dit-elle à mi-voix. Si vous le permettez, je vais me retirer. Je suis fatiguée, et vous avez sans doute des choses à vous dire.

Elle l'a connu... Ce devait être une belle femme, cela n'a rien d'invraisemblable.

- Merci encore de votre accueil, Ichimane-san.

Il incline poliment la tête. La vieille dame le salue, sourit à son élève et sort par le shoji derrière elle. La courtisane repose la théière sur le plateau, lui sourit.

- As-tu faim ?

De toi, oui... pense Jocho. Mais l'ancienne geisha n'est peut-être pas hors de portée de voix.

- Non, je te remercie.
- Dois-tu retourner au palais bientôt, ou veux-tu... rester ici ce soir ?
- Je devrais être à même de me libérer pour un petit moment. Mais je ne veux pas déranger, non plus.
- Je suis à l'étage, de l'autre côté de la maison. Nous ne la dérangerons pas.

Cette annonce le rassérène quelque peu. Il se lève d'un bond, son sabre à la main.

- D'accord, alors. Je te suis.

Elle secoue la tête en souriant et emporte le plateau dans la cuisine, puis le guide par un petit escalier jusqu'à l'étage, en grande partie inoccupé. Des shoji sont tirés sur des pièces aux meubles recouverts de grands draps blancs.
Elle entre dans une chambre décorée d'un délicat et sobre mobilier en bois de santal, et de paravents peints de fresques animales d'une rare finesse. Le kimono de soie rouge brodé du grand scorpion est exposé sur un support, à la vue du visiteur.
Il y a une calligraphie et de fines estampes accrochées aux murs. Dans la pièce voisine, il devine un futon déroulé sur le sol, préparé pour la nuit. L'endroit est bien plus petit que ses appartements au palais, mais il respire le calme et la sérénité.

- Veux-tu que je t'aide à délacer ton armure ?

Elle s'approche, de son pas feutré et léger, pose les doigts sur les fines cordelettes de soie. Il l'attire à lui, passe sa main derrière sa nuque, et l'embrasse avec passion. L'armure est dure et inconfortable contre elle, mais elle répond à son baiser avec ardeur.

Il s'arrête le temps de reprendre son souffle, et entreprend de délacer les protections de ses avant-bras. Les doigts fins de la courtisane se chargent des liens du plastron avec un mélange de fièvre et d'anticipation. Bientôt, ils caressent sa peau sous le tissu du vêtement, refont connaissance avec ses frissons, son velouté.
Les morceaux d'armure volent dans la pièce, alors que leurs bouches peinent à se séparer.
Il aura du mal à s'équiper à nouveau, mais il s'en moque.
Le kimono de la courtisane rejoint bien vite celui de l'homme et ils se dirigent tant bien que mal jusqu'à la chambre. Une semaine qu'ils sont séparés, et elle a l'impression que ça fait des mois.

Chaque pas est entrecoupé d'un baiser, d'une caresse, leurs peaux brûlent de se toucher à nouveau. Leur sillage est parsemé des divers vestiges de leur déshabillage hâtif, on les suit à la trace. Elle se demande avec amusement s'ils vont arriver jusqu'au futon.
Mais à bien y réfléchir, elle s'en moque. Elle aime ce qu'ils font ensemble, le plaisir qu'ils prennent, celui qu'ils se donnent.

Ce plaisir est d'autant plus fort d'être à la fois familier et redécouvert. Exploré sous toutes les coutures, et réinventé. Ils sont les mêmes, et néanmoins différents.

Les deux amants échangent quelques mots sans importance. Leurs regards, leurs lèvres, leurs corps, parlent pour eux. Il lisse ses cheveux, fait courir ses mains sur ses reins. Elle le touche sans hâte, de cette façon qui n'appartient qu'à elle. Et c'est l'éternelle histoire qui recommence, depuis que le monde est monde.
En fin de compte, le futon était trop loin.
Les lèvres pleines effleurent doucement son torse, alors qu'ils sont enlacés dans le futon, qu'elle est blottie contre lui. Elle laisse sa main glisser sur sa peau, apprécie la sensation que son contact provoque en elle. C’est si bon, si chaud.

Au final, ils ont tous les deux gagné, et perdu, le pari. Il la sent sourire. Ce pari stupide... Comment aurait-elle pu deviner jusqu'où il allait les entraîner ? Jamais elle n'aurait parié un seul zeni après cette soirée chez le gouverneur, l'année dernière.
Lui non plus, en fait. Pas sur cette issue improbable.

Comme elle se l'était promis, elle a été son tigre, son fantôme, celle devant laquelle il est nu. Son âme lui appartient, pour l'éparpiller aux quatre vents si bon lui semble. Mais, en chemin, elle a perdu sa vengeance, elle a réalisé qu'elle pouvait compter sur lui, et qu'il comptait pour elle.

Comme il le voulait, il a écarté ses rivaux, elle est venue le rejoindre de son propre gré, elle a fini par l'aimer. Mais, en chemin, il a compris qu'elle lui était plus précieuse que tout. En chemin, il a délibérément renoncé à l'humilier, à la détruire, comme il avait détruit les autres.

Il est capable du meilleur comme du pire, elle le sait. Elle a une âme violente, et ne fait confiance à personne, il en a conscience. Mais ils cheminent ensemble, sur les ailes du dragon. Vers des terres inconnues, qu'ils n'auraient jamais pu imaginer.

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Iuchi Mushu
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Message par Iuchi Mushu » 01 janv. 2009, 23:30

Un soir, une petite chambre, dans le quartier des pêcheurs.

- Il faut que tu quittes la ville. Pour au moins deux mois. Il y a une opportunité de le faire - pour rejoindre Otosan Uchi.

Jocho a longtemps tergiversé, avant de franchir le pas. Il prend un risque énorme, il le sait. Accepter de la laisser partir, de risquer de la perdre. Mais chaque jour qui passe accroit le risque que sa cachette chez Ichimane soit découverte. Si c’est bien sa mère qui est à l’origine de l’attentat, Tsukiko ne sera jamais en sécurité tant qu'elle sera à Ryoko Owari. Il faut qu'elle quitte la ville, ils n'ont que trop tardé.

- La capitale ? Mais pourquoi si loin ? Je ne veux pas m'en aller d'ici !
- C'est nécessaire, Tsukiko. Pour ta sécurité. Moi aussi, je préfèrerais que tu restes.
- Qu'est-ce que je vais aller faire là-bas ? Je n'y connais personne.
- Je me suis assuré que quelqu'un de confiance veille sur toi. Tu seras en sécurité.

La seule pensée de quitter la ville lui glace le sang. Elle ne connaît rien à part Ryoko Owari...

- Tu as déjà tout organisé, à ce que je vois.

Il reste un moment silencieux.

- Ce n'est que pour un temps. Le temps qu'on t'oublie, le temps de faire diversion. Peux-tu faire cela pour moi ? Pour nous ?
- Il le faut. Il le faut, répète-t-elle, comme pour s’en persuader.
- Bien. Prépare tes affaires, je passe te chercher demain matin à l'aube.
- Et si je ne peux pas revenir ? Si on m'oblige à rester où je suis ?
- Entre deux maux, je préfère te savoir bien vivante à la capitale, que de te porter ici sur un bûcher funéraire. Et puis, comment pourrais-tu te passer de moi ? finit-il avec un sourire.
- Il faut toujours que tu tournes tout en dérision.

Il l'attrape, la fait voler dans les airs, l'embrasse fougueusement.

- C'est pour cela que tu m'aimes, tu te souviens ?
- Non, ce n'est pas pour ça, et tu le sais très bien.

Elle se dégage de son étreinte et fait quelques pas dans la chambre.

- J'ai peur... de partir et de ne pas pouvoir revenir... Tout est si incertain en ce moment. J'ai l'impression d'être une feuille emportée dans la tourmente…

* * *

Un petit matin brumeux, à la porte de l'oni.

Tsukiko frissonne, malgré son kimono doublé et le manteau qui lui couvre la tête. La chaleur rassurante de l'homme à ses côtés ne lui apporte aucun réconfort. A nouveau, elle va se retrouver seule.

Une silhouette s'avance à leur rencontre, un homme mince, de taille moyenne, élégamment vêtu. La surprise la cloue sur place.

- Katsumoto-sama, s'incline formellement Jocho. Merci d'être venu.

Il ne dit rien, ne demande rien.

- Ohayo gozaimasu Jocho sama, Tsukiko san.

Katsumoto s'est incliné à son tour.

La jeune femme regarde tour à tour les deux hommes qui se font face. Comment ont-ils pu s'entendre après ce qui s'est passé ? Elle connaît Katsumoto, il n'est pas du genre à passer l'éponge aussi facilement, surtout après ce qui lui est arrivé. Incrédule, elle réfléchit à ce qui a pu les pousser à cette improbable alliance.

- Ohayo.

La voix de la courtisane n'est guère plus qu'un murmure près du capitaine.


- Je vous la confie, Katsumoto-sama.
- Je vous remercie de cette confiance, Jocho sama. Je veillerai sur elle.

A Tsukiko :
- Le palanquin vous attend, Tsukiko san, mes serviteurs sont à votre disposition si vous souhaitez quelque chose.

Le ton n'a jamais été aussi formel entre eux, c'en est à se demander quelle est cette farce.

- Arigato.

Katsumoto s'écarte poliment pour la laisser passer, les serviteurs ont ouvert la porte du palanquin et attendent. Jocho se tourne vers Tsukiko, se penche et souffle à son oreille :

- Je t'attendrai.
Puis il tourne les talons et s'éloigne.

- Au revoir, Jocho.

Les mots de Tsukiko flottent dans le sillage du capitaine de la garde Tonnerre. Il est parti très vite, sans un geste, sans même un mot d’adieu, disparaissant comme un fantôme dans les brumes du petit matin, comme s'il n'avait jamais existé.

Les pas du capitaine de la garde tonnerre résonnent dans les rues désertes de la ville. C'est dur, si dur, de la laisser partir. Elle s’en va parce qu’il le faut. Il ne sait pas si elle reviendra.

Les ongles laqués de rouge s'enfoncent dans la chair de ses paumes, il ne faut pas qu'elle montre à qui que ce soit ce qu'elle ressent. Sans un mot, la jeune femme monte dans le palanquin et s'assoit dans le fond. Elle n'a pas ôté la capuche qui lui couvre le visage, rigoureusement immobile. Incapable de parler.

Le courtisan est resté debout à distance respectable de leur échange, les yeux posés sur la fine silhouette.
Il ne dit rien, il sait qu'elle a besoin de temps pour encaisser, pour accepter. Il inspire profondément, il ne peut plus la prendre dans ses bras, il ne peut plus lui apporter le réconfort accoutumé. Il a des responsabilités écrasantes au vu de son futur mariage, et le regard de l'officier Doji posé sur lui n'est qu'un petit échantillon de ce qui l'attend.

La courtisane ne veut plus penser. Aller à la capitale, au milieu de tous ces inconnus, la terrifie proprement. Désormais, elle sait qu'elle ne peut plus compter sur personne. Pas même sur Katsumoto.

Il fait signe aux porteurs de fermer la porte et rejoint son propre palanquin.
Tsukiko, pardonne-moi.
Si seulement elle pouvait entendre ses pensées. Mais leur formation ne leur a pas enseigné cela. Peut-être un jour comprendra-t-elle pourquoi il a fait cela.

Il se remémore sa surprise quand Jocho lui a fait cette ahurissante demande. C'était juste après qu'il ait appris que Tsukiko s'était faite agresser, le lendemain même de leur affrontement.

Le petit pli d'Hikari sama entre les mains, il regarde dans le vide. Que faisait-elle dans les rues à cette heure ?

Il soupire. Elle a dû se disputer avec Shosuro Jocho à cause de lui, à cause de leur discussion. Elle a dû lui sauter au visage comme un tigre et le planter là, quittant le palais sans escorte, sans réfléchir.

Quelques instants plus tard, il monte dans le palanquin, l'esprit tétanisé au point d’en oublier ses douleurs. Comment va-t-il la trouver ? Qu'est-ce qu'il va pouvoir faire ? Il se pose encore cent questions quand le palanquin s'arrête devant l'entrée du temple. Un froid glacial s'est logé au creux de son ventre.
Tsukiko-chan...
Il grimpe les marches du temple aussi vite que le lui permettent ses membres perclus par la rossée de la veille, dépose ses sabres à l'entrée, salue d'un signe de tête le moine à l'entrée, et se dirige vers l'aile ouest.
Alors qu'il se rapproche, il remarque aussitôt la présence des gardes Tonnerre postés à proximité.
Bien sûr. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais cette constatation n'entame en rien sa détermination. Il se dirige vers la porte qu'ils encadrent, se préparant à essuyer un premier refus.
Les deux hommes de faction s'interposent. Dans son état, il serait bien incapable de passer outre.

- Pardonnez-nous, Shosuro-sama, mais vous ne pouvez aller plus loin.
- Je souhaiterais voir Shosuro Tsukiko san, demande-t-il d’un ton posé.

- Nous regrettons, Shosuro-sama, mais ce n'est pas possible.
- Pourquoi cela ?
- Nous avons des ordres, Shosuro-sama, répond l'un, respectueusement.
- Dois comprendre qu'il va me falloir déranger le Gouverneur dôno pour obtenir la permission de m'enquérir de la santé d'une amie personnelle ?
Les deux gardes échangent un regard.
- Nous sommes vraiment désolés, Shosuro-sama...commence l'un d'eux.
- Je vous en prie, répond poliment Katsumoto, vous ne pouviez pas savoir.
A cet instant, une voix connue, à la fois agacée et étouffée, se fait entendre.
- Allons, que se passe-t-il ? J'avais dit que je ne voulais voir personne ici, sauf les prêtresses.

Katsumoto a parfaitement reconnu la voix qui vient de s'élever mais cela ne l'émeut absolument pas. Il est déterminé à la voir.
La silhouette athlétique du capitaine de la garde Tonnerre se découpe dans l'embrasure. Jocho se fige en le voyant.

- Si vous cherchez l'infirmerie, vous vous êtes trompé de porte, Katsumoto-sama, dit-il à mi-voix, froidement.
- Je suis venu voir Tsukiko san, répond Katsumoto sans relever l'ironie, ni se démonter.
- Partez. Vous n'êtes pas le bienvenu ici.
- Je resterais ici tant que je ne l'aurais pas vue, dit fermement Katsumoto.
- Elle dort.
- Bien, dans ce cas j'attendrai.
- En quoi son sort vous concerne-t-il ?
- Il me concerne, répond Katsumoto avec beaucoup de calme, mais sans donner plus de détail.

A un bref signe de tête de Jocho, les deux sentinelles de faction s'éloignent à distance respectueuse.
- Vous n'avez pas répondu à ma question.
- Je considère Tsukiko san comme une sœur.

Katsumoto ne tient pas à entrer en conflit avec le Capitaine de la Garde Tonnerre et peu importe s'il croit que sa prudence est le résultat de la leçon de la veille, peu importe. Tout ce que Katsumoto désire, c'est la voir et ne pas envenimer la situation entre elle et cet homme qu'elle a accepté de suivre, rien d'autre n'a d'importance qu'elle, sa sauvegarde, sa tranquillité.


- Sachez, Katsumoto-sama, que c'est de votre faute si elle est dans cet état. Si vous ne l'aviez pas montée contre moi, elle n'aurait pas agi de façon aussi irresponsable. C'est un miracle qu'elle s'en soit tirée.
Malgré sa voix basse, étouffée, Katsumoto sent la colère sourde qui anime son interlocuteur.
- N'essayez pas de m'attribuer la faute d'un comportement que vous avez amorcé hier, cela fonctionne avec les esprits influençables, mais pas avec moi, Shosuro Jocho sama. Vous avez failli la perdre, vous et vous seul, par vos actes et votre comportement, assumez au moins cela si vous n'assumez pas le reste.
Pourquoi a-t-il dit cela ? Il ne sait pas, mais cela l'a soulagé. Il n'est pas le seul responsable dans cette histoire et certainement pas celui qui peut faire le plus de tort à Tsukiko.
- Ah oui ? Vous l'avez abandonnée, Katsumoto-sama. C'est pour cela qu'à l'heure de son plus grand besoin, c'est moi qu'elle a appelé à l'aide. Pas vous. Vous ne passerez pas ce seuil.
- Vous l'avez enfermée dans votre cage dorée, je ne l'ai pas abandonnée, j'ai respecté ses choix même si je suis convaincu que vous ne méritez pas ce qu'elle vous offre. Quant à vous appeler, en étant responsable de la sécurité de la cité et en sachant qu'elle est votre maîtresse, il aurait été étonnant que l'on fasse appel à la magistrature d'Emeraude.

Katsumoto est resté là, sans bouger, sans baisser les yeux, comme dans le dojo.
L'attitude du capitaine n'en est pas moins déterminée. Etrangement, Katsumoto sent moins de l'hostilité à son égard qu'un mélange de rage et de chagrin dans lequel celui-ci l'englobe.
Les deux hommes restent immobiles, silencieux dans l'immense couloir. Les sentinelles n'ont pas bougé. Le décor, les protagonistes, tout semble se figer dans ce temple, havre de paix, en dehors du monde, du tumulte de la cité.
Katsumoto pense à Doji Shizue qui est entre ces murs aussi, qui a été meurtrie dans son corps, dans son âme par Shosuro Jocho. Tsukiko est derrière cette porte qu'il garde. Qu'adviendra-t-il d'elle auprès de cet homme ? Il ne peut s'empêcher d'être inquiet. Shiba Shonagon a t-elle vécu ses derniers jours ici ? La question qui a traversé son esprit lui glace le sang.

Une expression complexe traverse les traits de Jocho en voyant son air inquiet.
- Vous tenez à elle tant que ça...
Un silence.
- Soit, je vais vous laisser la voir. Elle dort, et ses jours ne sont pas en danger. Mais auparavant, j'ai une question à vous poser.
Tenez-vous à elle suffisamment pour accepter de la perdre afin de la sauver ?

Est-il possible que dans sa superbe, dans son attitude blasée, il puisse entrevoir ce que peu être l'amitié sincère entre deux êtres ?

- Qu'allez-vous encore exiger, lâche-t-il.
Non, il ne peut pas comprendre, même si Tsukiko pense qu'il est différent de ce que l'on croit.
Jocho reste un moment silencieux, et jauge du regard son interlocuteur. La tension est palpable dans le grand couloir.
- Vous n'allez pas me croire, bien sûr. Mais c'est mon cas également. Ceux qui ont attenté à ses jours peuvent recommencer, et je ne suis pas sûr de pouvoir les en empêcher, tant qu'elle reste ici.
Katsumoto-sama, emmenez-la à la capitale.
Le jeune homme le regarde et il lui faut toute sa volonté pour ne pas laisser transparaître son incrédulité.
- Et si vous tenez à elle autant que moi, acceptez de la laisser partir à nouveau une fois le moment venu.
Katsumoto sait qu'il a essayé de la convaincre de quitter Ryoko Owari Toshi. Il a l'honnêteté de reconnaître qu'elle a choisi de rester auprès de Jocho.
- Elle ne quittera la ville que si vous lui demandez. Elle avait fait son choix, précise Katsumoto. Pourquoi changerait-elle d'avis ?
- Elle n'a pas changé d'avis. Mais je veux la protéger.
- Bien. Je vais faire tout ce qui est mon pouvoir pour qu'elle quitte la ville.
Katsumoto ne sait pas très bien ce qu'il doit penser de cette demande, de cette sorte d'abnégation qu'affiche le Capitaine. La confrontation est étrange, elle semble irréelle, intemporelle.
Se pourrait-il que cet homme qui brûle tout ce qu'il touche, ressente des sentiments pour Tsukiko, des sentiments sincères ?
- Vous avez ma parole que je la laisserai partir le moment venu, dit soudain Katsumoto sur un ton calme contre toute attente du capitaine.

- Je vous en remercie, Katsumoto-sama.

Jocho se tourne, et avance sans bruit dans le couloir. Katsumoto lui emboîte le pas en silence, tout est dit. Le shoji glisse sans bruit. La petite pièce est plongée dans l’obscurité.
Il distingue une silhouette allongée dans la pénombre, les longs cheveux noirs, les pansements autour de la tête. Tsukiko est roulée en boule, recroquevillée sur elle-même. Il y a des pansements sur ses mains, sa gorge. Son souffle est à peine perceptible.

Katsumoto s'agenouille auprès du futon avec difficulté, mais il a besoin d'être près d'elle, de se rassurer, mais ce qu'il voit ne le rassure pas. Elle a été profondément secouée par ce qui est arrivé, il le sait rien qu'à la position qu'elle a dans son sommeil, même si comme Jocho l'a souligné, ses jours ne sont pas en danger.
Shosuro Jocho a raison, il est en partie responsable de ce qui lui est arrivé. Il l'a poussée à quitter le Capitaine de la Garde Tonnerre, à quitter la ville pour sa sauvegarde. Mais là qu'en est-il ?

Leur fierté à tous les deux l'a menée là, blessée et meurtrie. Il ne pourra pas oublier cela.
Il reste immobile à ses côtés, conscient de la présence de Jocho qui peut-être est maintenant différent, peut-être...
Au bout d'un moment, celui-ci lui fait signe. Katsumoto se lève. Il l'a vue, il doit accorder cela au moins à Jocho et ne pas abuser. Il ne peut attendre qu'elle se réveille sans entamer la patience du capitaine, il va l'emmener loin d'ici, il doit être patient.
Jocho referme derrière lui le shoji, et souffle :

- Cela m'a pris un bon moment pour qu'elle s'assoupisse...Je ne veux pas prendre le risque de la réveiller.
- Je comprends parfaitement, murmure Katsumoto.
Il remarque à cet instant les profonds cernes bistres dans le visage de son interlocuteur. Il a dû veiller une bonne partie de la nuit.
- Je vais vous laisser maintenant. Je me tiens à votre disposition pour son départ.
Katsumoto s'est écarté de son interlocuteur. Jocho le raccompagne à la sortie, et ils se saluent formellement.

Ce salut avait été tout autre que ceux qu'ils avaient pu échanger par le passé.
Il avait scellé un pacte, entre ces deux hommes si différents, si opposés dans leur caractère et leur philosophie.

Katsumoto soupire. Ce qu'il n'avait pas anticipé, c'était le mur que cet engagement allait créer entre lui et Tsukiko, au vu de ses obligations.

Personne ne l'ennuiera, il s'en est assuré. Il lui doit bien cela. Elle pensera sûrement que c'est le fruit du hasard, ou bien elle se sentira insignifiante, alors qu’elle est si exceptionnelle. Oui, sûrement quelque chose comme cela.

Il rumine toute la matinée. Il n'a aucun moyen de l'approcher sans susciter les suspicions, sans qu’on en fasse des gorges chaudes. Il sait ce qu'on pense de lui, ce qu'on peut dire de lui. Le temps leur donnera tort, mais en attendant, Shizue ne doit pas en souffrir, elle a assez souffert comme cela.

Aucun son n'est sorti du palanquin de la courtisane. Pas une parole, pas un froissement de soie. Pour le déjeuner, elle s'est retirée dans une chambre de l'auberge et n'a pas reparu avant la fin de la halte. Le soir, même chose.
De toute façon, personne n'a cherché à lui parler, et elle n'avait pas envie de faire preuve de sociabilité.

Katsumoto a été invité par l'aide de camp du Champion d’Emeraude, il s'est couché tard et n'a cessé de penser à elle, de se dire qu'il pourrait se glisser dans sa chambre, lui parler, lui expliquer, mais l'écoutera-t-elle ? Non, elle a quitté Ryoko Owari parce que Shosuro Jocho le lui a demandé. Il est resté allongé à fixer le plafond jusqu'au petit matin.

Ce matin, il a les traits tirés et les officiers du clan de la Grue en sourient, mais peu lui importe. Il s'est enquis des nouvelles des deux femmes qui occupent ses pensées par l'intermédiaire de ses serviteurs. Qui pourrait lui reprocher de s'inquiéter du confort des dames de leur colonne ? De nombreuses personnes, sûrement.

Peu importe, il l'a fait dans les convenances, dans la bienséance, dans les limites de l'étiquette, dans toutes les contraintes qui régissent chaque jour de sa vie. Il l'a fait et a souhaité que Tsukiko aille mieux. La séparation est une chose douloureuse, il le sait, et Tsukiko souffre bien plus que les autres, oui, bien plus. Ça a toujours été ainsi. Comment pourrait-elle comprendre...

Malgré ses refus répétés, le clan de la Grue s'est cru obligé de lui attribuer une servante. Tsukiko a cru qu'elle allait s'évanouir en voyant les bleus qui constellent son corps et son visage. Il lui a fallu endurer sa commisération, sa pitié. Comme si elle en avait quelque chose à faire, de la pitié des gens...
La rumeur a enflé et s'est répandue comme une traînée de poudre parmi les serviteurs, et donc parmi les samurai. Dès le lendemain, la courtisane a dû subir les regards et les gestes remplis de sollicitude des samurai de l'escorte.
Une humiliation supplémentaire. Une honte qui s'ajoute à une autre honte. Et qui lui met la rage au coeur.
Il lui a fallu répondre avec amabilité aux marques d'attention. Cela n'a fait que remplir sa bouche d'amertume. Quelle humiliation.

Katsumoto n'a rien pu faire. Il a croisé son regard, a tenté de l'apaiser mais c'est impossible, il devrait le savoir, lui qui la connait si bien.Il en est venu à regretter de l'avoir emmenée, il se sent responsable, impuissant à nouveau. Pourtant, il sait que c'était la seule solution, même si pour cela, elle pourrait le détester. C'est un prix qu'il est prêt à accepter pour qu'il ne lui arrive rien.

Il lui a fait porter ses plats préférés, a accaparé sa servante pendant plusieurs heures pour sa garde-robe, pour qu'elle puisse respirer, se retrouver seule. Elle ne saura pas qu'il l'a fait, il est encore Shosuro. Elle ne le saura pas, mais elle se doutera que la relative intimité à laquelle elle a droit, c'est à lui qu'elle la doit.

Pour quelques semaines, quelques mois, il est encore comme son frère. Après, ce sera la déchirure, après probablement rejoindra-t-elle Shosuro Jocho, après peut-être l'improbable se produira, peut-être Tsukiko sera-t-elle heureuse avec cet homme. Peut-être sera-t-elle heureuse d'être vivante, tout simplement.

Elle a fait pour lui un mouchoir aux couleurs de son nouveau clan, avec le mon de sa nouvelle famille. Sans doute cela sera-t-il son dernier cadeau pour lui. Peut-être aura-t-il une signification particulière. En tout cas, elle l'espère.

Le Champion ne cesse d'avoir des conversations avec lui, de le jauger, de le tester. Cet homme peut-il seulement mesurer l'attachement que Katsumoto a pour sa nièce, est-il seulement capable de mesurer la profondeur de sa sincérité ? Cela a-t-il de l'importance ? Quelque chose en a-t-il jamais eu, à par leurs actes ?

Il lit les interrogations dans les regards muets de Shizue, et se demande, une fois de plus, si elle pourra jamais faire confiance à nouveau à quelqu'un né dans le clan du Scorpion.
Et il y a Tsukiko, qu'il voudrait tant aider. Plus qu'il n'a la possibilité de le faire, tiraillé qu'il est entre ses différentes obligations.

Ses choix n'ont jamais été faciles mais il en est de même pour tous, n'est-ce pas ? Shizue doit trouver ce choix aussi difficile, autant que lui a semblé la probabilité qu'un jour, elle comprenne sa sincérité. Il ne pourra jamais nier qu'au départ, il s'agissait d'épargner la famille, le clan, les sentiments sont venus après.
Avec eux, avec ce choix, le fossé s'est creusé entre lui et Tsukiko. Maintenant, il semble être devenu un profond précipice, comme il y en a sur la chaîne du toit du monde.

Et c'est pour cela qu'ils voyagent, ensemble séparés, deux étrangers voguant vers la même destination.

* * *

Ryoko Owari Toshi, deux mois plus tard.

Il y a des jours, où tout est désir. Dans le frisson du vent, dans les feuilles qui volent, dans le chuintement de la soie. Des jours où le soleil pare tout ce qu’il touche d'ornements chatoyants, où la simple poussière se change en paillettes d'or. Où chaque contact est un émoi, où l'odeur laissée dans l'oreiller par l'autre suffit à éveiller le souvenir des voluptés passées.

C'est un de ces jours-là.

Rien que de très banal, au fond. Mais ce qui l'agace, c'est la façon dont son image l'obsède. Les femmes-fleurs de l'île de la Larme peuvent faire courir sur lui leurs doigts légers, assouvir ses ardeurs. Mais la réduction de ce désir à une simple fonction corporelle lui déplaît. Il se sent capable d'étreindre l'univers tout entier.
Tout en sachant que l'univers, au final, se résume au paysage voluptueux de ses courbes, aux blanches vallées de sa nuque, à l'océan turquoise de ses yeux, à la nuit parfumée de ses cheveux.

Il se lève, et envoie des baisers vers les nuages de l’aube, vers le vent qui doit, quelque part, frôler ses jambes, caresser son visage, soulever les manches de son kimono.
Tsukiko...

Il est arrivé à la caserne avec le soleil, et les gardes à l'entrée l'ont salué chaleureusement. Son karo lui a servi le thé et amené le courrier du jour, l'a mis au courant des affaires de la nuit. Rien à signaler, tout est calme en ce moment. Jocho l'écoute distraitement, acquiesçant de temps en temps.

La finesse du grain du papier qu'il tient à la main, au milieu des autres missives, plus grossières sous ses doigts, attire soudain son attention. L'odeur de la rose, discrète et entêtante, monte lentement jusqu'à lui. La calligraphie, légère, aérienne, élégante, capture son regard. Un papillon bleu, posé sur un lotus rouge stylisé, retient le ruban de soie autour de la feuille.

Il ne dit rien, il n'ose pas penser, à peine respirer. Il dénoue le ruban, avec un calme qui l'étonne lui-même.

" Je suis là. "
"Ceux qui n'oublient pas le passé, sont maîtres de l'avenir" (Sima Qian)

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matsu aiko
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Message par matsu aiko » 01 janv. 2009, 23:34

Epilogue

Ryoko Owari Toshi, un mois plus tard.

C'est le soir de la première de la nouvelle pièce de kabuki mise en scène par Shichisaburo, Shiroi Hana, Fleur Blanche. Tout le monde est là - tous ceux qui comptent, en tout cas. Le gouverneur et ses proches, les honorables invités du Palais, la magistrature d'Emeraude, les représentants des différents clans.

La pièce n'a pas encore commencé, et l'assistance en profite pour échanger salutations, commentaires et derniers potins. Ceux-ci portent principalement sur deux sujets. Le premier, c’est la future union du fils du gouverneur, le beau Jocho, avec la magistrate Matsu Aiko, nièce du daimyo du clan du Lion. Le deuxième, la prochaine cour d'hiver, qui se déroulera à Kyuden Bayushi et où le même Jocho représenterait sa famille.

Si certains s'interrogent sur une possible dérobade de Shosuro Hyobu, le consensus veut que le gouverneur ait habilement proposé son fils, tirant parti de cette union prestigieuse avec le clan du Lion, afin de l'amener à développer ses réels talents diplomatiques sans prendre de risque personnel.

Ceux dont on parle sont installés, impavides, au premier rang. Le gouverneur est tout de noir vêtue, comme à son habitude. A sa gauche, sa fille Kimi, élégante et souriante à côté de son timide époux, Ide Asamitsu, une harmonie de violet et d’ivoire. A sa droite, Jocho, superbe dans un ample kimono noir ceinturé d'écarlate, aussi décontracté et élégant qu'un beau félin. A côté de lui, sa promise est engoncée, mal à l'aise, dans un lourd kimono de cérémonie aux couleurs du clan du Lion, orangé, brun et or.
Le capitaine de la Garde Tonnerre se penche, souriant, vers sa voisine.

- Merci d'avoir accepté mon invitation, Aiko-sama. J'espère que ce spectacle vous plaira, on le dit superbement joué.
- C'est vous qui m'honorez par cette invitation, Jocho-sama.

Malgré ses efforts, la voix de la Lionne manque nettement d'enthousiasme. Quelques places derrière, un tic soudain a crispé les traits de Yogo Osako.
Osako s'était momentanément réjouie du départ de la petite putain, mais l'annonce du prochain mariage de Jocho a détruit ses espérances. Le fait que la future épouse ne semble guère priser la situation ne la console pas. Une nouvelle fois, il est avec une autre.

Sous son air serein et ses battements d'éventails, le gouverneur est en pleine réflexion.
Elle est plutôt satisfaite de la façon dont s'amorce ce rapprochement entre le clan du Scorpion et le clan du Lion, qui lui permet à la fois de neutraliser les ardeurs de cette magistrate gênante, qui commençait à sérieusement entamer les bénéfices du clan par son zèle intempestif, et de mettre un peu de plomb dans la cervelle de son irresponsable de fils.
Bien sûr, ce dernier a freiné des quatre fers. Mais une fois la petite courtisane partie, elle savait qu'elle arriverait à le faire plier. Même ce courant d'air de Jocho n'irait pas à l'encontre d'une décision du clan. Et la discipline stricte de la samurai-ko ne pourra lui faire que du bien, même s'il faut bien reconnaître que sa future bru n'est pas exactement un parangon de féminité. Elle aussi, ça va la changer…A cette pensée, un sourire froid étire les lèvres minces du gouverneur.

Par contre, cette cour d'hiver la préoccupe - à double titre. D’abord, Jocho y sera seul, ce qui en soi est déjà un risque. Ensuite, Hyobu pense connaître le véritable motif de l'invitation de son fils à la cour d'hiver organisée par le daimyo du clan du Scorpion. Et celui-ci n’est pas fait pour la rassurer.
Le gouverneur est tiré de ses réflexions par le claquement des plaquettes de bambou qui annoncent le début du spectacle.
Aussitôt, le silence se fait.

La lumière baisse progressivement sur la scène. Une tache blanche gît au milieu de la scène, immobile. Lentement, la forme se meut, la longue robe de neige glisse tandis qu'elle se traîne avec difficulté sur le sol, blessée, à bout de force.
Un visage à l'ovale pur et délicat, dissimulé en partie par un masque ivoire parsemé de plumes et de fins rubans de soie, se lève et contemple sans le voir le public plongé dans l'obscurité. Une éclaboussure écarlate macule la manche les longues plumes blanches, et une voix de soie s'élève dans un souffle, un murmure qui caresse l'assistance.

- Les hommes sont cruels, en vérité... Je volais, libre dans le ciel, portée par le vent…Un trait venu de nulle part m’a transpercée, on a brisé mon vol, on m’a pris ma joie, mon chant…

Les spectateurs retiennent leur souffle. La femme-oiseau se traîne avec peine jusqu'au milieu de la scène, son corps supplicié victime de l'envie d'un humain. Son regard se pose sur le premier rang, cherche une explication à ce geste.

- Quelqu'un m'entend-il ? Quelqu'un peut-il m'expliquer ? Quelle est la raison de cette agonie ? Pourquoi ? Pourquoi ?

La détresse de la voix est poignante. La silhouette blanche se redresse un peu plus au milieu de la scène, son buste ganté de soie immaculée se tourne dans un mouvement angoissé vers la forêt environnante.

- Aidez-moi... Quelqu'un...

Dans un silence de mort, la femme-oiseau s'effondre au milieu de la clairière, dans le bruissement de la soie blanche. Son visage aux traits purs se tourne vers la salle, cherche parmi les spectateurs celui ou celle qui va lui prêter assistance. Puis les grands yeux se ferment derrière le masque, et la tête retombe mollement sur le côté.
Les pas lourds d'un homme se rapprochent dans le lointain, puis une grande ombre apparaît au détour d'un bosquet d'arbres. L'inconnu se fige, un arc à la main, et contemple la femme étendue non loin.

Toute l'assistance est captivée par le drame, retient son souffle. Le chasseur va-t-il achever la belle inconnue ?
Il se rapproche, la flèche toujours encochée, et surplombe la forme évanouie. Les ténèbres envahissent la scène.

Un murmure parcourt l'assistance. Dans l'obscurité résonne alors la ritournelle mélancolique d'un shamisen. La voix rauque d'une chanteuse s’élève, elle pleure les nuages et les cieux, le vent, le soleil, puis le chant s'adoucit, une note d'espoir, un peu hésitante, se fait entendre, aussi tendre et fragile que les bourgeons apparaissant entre les flocons de neige.

L'intérieur d'une maison, un futon, sur lequel la dame blanche est allongée. C'est rustique mais confortable, un bon feu flambe dans le foyer central. Alanguie et offerte, elle bouge doucement sur la couche.
La femme-oiseau se redresse, il n'y a plus de plumes sur son costume, mais elle est toujours revêtue de cette blancheur immaculée. Chacun de ses gestes est gracieux, chacun de ses mouvements la rend infiniment désirable. Mais c'est une grâce naïve, une séduction inconsciente de son propre pouvoir.
Le chasseur qui entre à cet instant est pleinement sous le charme.

Du temps semble avoir passé depuis la première scène, la femme-oiseau n'est plus blessée. Elle se lève lorsque l'homme entre dans la pièce, un grand sourire éclaire son visage angélique.

Ses pieds menus glissent sur le sol alors qu’elle le salue, elle vient tourbillonner autour de lui. La soie du vêtement ondule autour de ses jambes, virevolte au rythme de sa démarche gracile et légère. La conversation s'engage entre le chasseur et l'inconnue vêtue de blanc. Ils ont l'air de bien s'entendre, mais le public se rend vite compte que la jeune femme ne semble pas tout à fait au courant des us et coutumes du pays où elle vit.

Au fil de l'histoire, elle énonce des vérités que tout le monde voudrait taire, pose des questions embarrassantes et se comporte d'une manière bien peu conventionnelle... Mais l'héroïne respire l'innocence, la fraîcheur. Il n'y a ni arrière-pensée, ni méchanceté dans ses interrogations. Elle séduit sans le vouloir, elle dérange sans malice.
Par ses interrogations candides, son regard pur, elle sème le désarroi sur son passage, autant dans la salle que parmi les personnages. Ses questions innocentes perturbent l'hypocrisie des apparences, des mensonges convenus.

Le chasseur ne parvient pas à aller au-delà des apparences et à apprécier ce qu'elle lui offre en toute liberté. Il ne peut que se conformer à ce que la société attend de lui et rompt ce faisant le pacte qui existait entre eux. La femme-oiseau, le coeur brisé par ses paroles blessantes, s'enfuit à tire d’aile dans la forêt, pour ne plus revenir. Elle désigne par deux fois celui qui l'a faite souffrir, deux coups d'éventail précis, accusateurs, avant de le maudire et de quitter le monde des mortels.

Une demi-heure.

La scène s'assombrit alors que la lumineuse apparition s'élance vers le ciel nocturne. Le rideau retombe au milieu des murmures de l'assistance.
Les spectateurs échangent des remarques cultivées, évoquent à demi-mot les interprétations possibles. S’agit-il d’un éloge ou d’une critique du clan de la Grue ?
Le gouverneur se lève dans un envol de soie noire, suivie de son entourage. Jocho se tourne vers sa voisine :

- Alors, Aiko-sama, le spectacle vous a-t-il plu ?
- Oui, je vous remercie, Jocho-sama.
- Je me disais qu'une représentation de ces échassiers maladroits avait des chances de vous distraire. Dites-moi, Aiko-sama, quel type de théâtre préférez-vous ? Noh, Kabuki...?

Aucun en votre compagnie, répond muettement la mine longue de sa voisine. Sans s’appesantir, Jocho reprend avec aisance :

- Mais je ne vais pas vous assommer de considérations artistiques futiles. Des choses plus passionnantes s'annoncent, comme la cour d'hiver. Peut-être aurais-je la joie de vous y voir ?
- Je ferai ce que me demandera mon clan.

Jocho retient un sourire. C'est la réponse invariable de la Lionne, qui dissimule mal son aversion et sa méfiance à son égard.

- Naturellement, répond-il avec tact. Permettez-moi de vous raccompagner, en ce cas.

Il insiste suffisamment pour que, de mauvais gré, la magistrate se laisse raccompagner jusqu'aux portes du théâtre, où il la laisse, à son grand soulagement. Il se montre suffisamment empressé pour qu'elle s'enfuit presque. Son honorable mère ne pourra pas dire qu'il n'a pas rempli sa part du contrat.
Avec un large sourire, il s'engage d’un pas alerte dans le couloir latéral, faisant courir ses doigts dans les franges de soie du décor. Il se doit d'aller saluer les acteurs pour leur performance, n’est-ce pas. Le spectacle était tout à fait à la hauteur de ses attentes, et il est dans les temps.

Le temps de saluer les uns et les autres, de se résigner aimablement à ne pouvoir raccompagner la très honorable Matsu Aiko jusque chez elle.
Le temps de longer d’un pas nonchalant le couloir familier, de sentir l’anticipation faire battre plus vite le sang dans ses veines.
Le temps de deux battements d'éventails.


Un.


La fine silhouette vêtue de blanc a accueilli les murmures et les commentaires admiratifs de l'assistance comme il se doit, avec reconnaissance et modestie. Elle est revenue un bref instant saluer l'assemblée en compagnie des autres acteurs, puis ils ont disparu dans la pénombre des coulisses, emportant avec eux les mystères de leur art. Ils ont regagné leurs loges et Shichisaburo est passé les féliciter pour leur prestation, fort appréciée des spectateurs.

Le costume chamarré rejoint le support en bambou près du paravent délicatement peint, la soie écarlate du yukata vient épouser les lignes du corps délié. Avec un coton, la femme-oiseau ôte son maquillage blafard.
Les boucles noires cascadent dans son dos, le peigne les démêle avec soin, lustre leurs reflets bleutés, jusqu'à ce que la lourde masse de la chevelure soit aussi douce et lisse que la soie. Une... Deux gouttes d'essence de rose déposées dans son cou gracile. Elle ajuste le obi au plus près de sa taille fine. Le vêtement gante son corps comme une seconde peau et ne parvient pas à dissimuler le frisson d'anticipation qui court sur sa peau veloutée.


Deux.


Le shoji glisse. Un sourire flotte sur les lèvres sensuelles. Le frôlement de l'étoffe sur les tatamis du couloir. Son pas entrant à l'intérieur. Son odeur, son odeur d'homme mêlée au parfum si familier. Elle cesse un instant de respirer, apprécie l'intensité du moment.
Dans la faible lueur, les écailles dorées du dragon luisent doucement au plafond.

Il s'avance, passe ses bras autour d'elle, plonge son nez dans sa nuque, s'enivre de son parfum, pose sa joue contre la sienne. Leurs images jointes échangent un sourire dans le miroir.

- Bonsoir, Tsukiko.
- Bonsoir, Jocho.

Au-dessus d'eux, les anneaux du dragon frémissent dans l'ombre.

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Re: [SPOILER & ADULTES] [Nouvelle] Le Pari

Message par Hida Koan » 29 sept. 2014, 09:53

Bon c'est pas bien de mettre un commentaire sur le fil de rédaction mais comme ça le topic remonte (au cas ou il y en a qui n'aurait pas lu l'histoire d'origine)
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Re: [SPOILER & ADULTES] [Nouvelle] Le Pari

Message par matsu aiko » 29 sept. 2014, 10:01

Bonne idée :) :clap:

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