J'imagine qu'il doit y avoir quelque part un Bouddha qui sait claquer d'une seule main pour ramener tout ce petit monde à l'ordre avec le sourire, mais je suppose qu'il attend peinard que quelqu'un regarde dans la bonne direction.
En même temps, à partir du moment ou on dit aux gens quelque chose du genre "il y a deux manières d'atteindre l'éveil : la première consiste à tout faire toi-même - d'une façon ou d'une autre - chaque jour de ta vie et à chaque moment. Abandonner l'illusion par une action constante et déterminée tout en te débarrassant de toutes les mauvaises pensées et croyances qui donnent plus d'emprise à l'illusion sur toi.
La seconde, c'est d'agir de manière pieuse et bonne dans ton quotidien, en espérant obtenir ainsi la considération d'une entité qui te donnera un coup de main pour que tu avances un peu plus vite dans cette vie, ou que tu renaisses dans une existence plus favorable dans la suivante", bon, ben le résultat était sensiblement prévisible, aussi. La recherche de l'éveil passe par l'acceptation intime de l'impermanence. Alors que notre mental nous pousse justement face à tous les changements qui nous entourent à nous réfugier dans l'illusion que nous contrôlons les choses. Qu'il existe ici ou ailleurs des bonheurs durables et même éternels.
je trouve que c'est une très belle image que celle des boddhisatva/bosatsu qui sont restés pour aider les autres hommes à atteindre leur statut. Ce qui est dommage, c'est que cette image est devenue un objet de fixation et de culte. Il est clair que c'est utile de savoir/croire que l'on peut atteindre ce qu'ils ont atteint et qu'on est pas vraiment "seuls sur la route", mais malheureusement, à mon sens, c'est aussi un chemin qui ramène facilement au point de départ si l'on n'y prend garde : l'individu se retrouve à vouer sa foi dans le rite, dans le religieux, dans l'icone et la divinité, desquels il attend des actions décisives qu'il se juge incapable d'accomplir ou qu'il perçoit comme condamnées à l'échec. Pourquoi s'acharner maintenant face à ce que l'on croit être soi-même alors que si l'on agit de la bonne manière aux yeux des bouddhas, on peut renaitre dans un état qui sera en lui-même plus satisfaisant, voire susceptible d'être un pas en avant plus significatif ?
attention, je ne mets pas les deux en opposition, mais il me semble que l'existence de tout cela fait du chemin une sorte de fil d'équilibriste
De manière allégée, on retrouve cela dans quelques phrases dispersées ici et là dans les bouquins L5a. Les cultes fortunistes par exemple sont décrits comme permettant au croyant de se focaliser sur des aspects de son existence jusqu'à en avoir une compréhension pure, lucide, premier pas vers la libération de l'illusion. Trop souvent, ça devient de l'idolatrie pure et simple, plus rassurante.
Les dieux sont des concepts plus pratiques à saisir par le commun des mortels, pris dans leur quotidien et les interrogations de leur mental qui tourne en boucles. Comme disait le père Shinsei "la chose la plus difficile au monde, c'est de s'asseoir et de ne plus bouger". Peut-on en vouloir à ceux qui préfèrent espérer qu'on les aide par un acte "magique" alors qu'ils ont peur de s'asseoir ? ou que cela leur est pénible de se retrouver ainsi face au fatras qu'ils appellent "moi" ?
Après, oui, quand on voit toutes les formes que prend le bouddhisme, et quand on étudie certains pans de l'histoire religieuse asiatique, on ne peut que constater que malgré tout, les hommes sont bien des hommes, ailleurs comme ici. Avec tous les errements et toutes les hypocrisies que cela suppose.
Est-il étonnant, en fait, que l'islam et le christianisme (surtout l'islam en fait) aient autant progressé en Asie depuis des siècles sans qu'ils aient eu à systématiquement abattre les croyances pré-existantes comme cela eut lieu en europe ou en amérique latine par exemple ? La croyance formelle en un paradis éternel qui se trouve non pas au bout d'une longue suite d'existences passées à tatonner le long du chemin mais juste de l'autre côté de cette existence-ci... un paradis que l'on peut atteindre en suivant un code moral et des pratiques rituelles, parce que quelqu'un, quelque part, est censé vous en ouvrir la porte... n'est ce pas plus rassurant d'une certaine manière ?
après tout, tant qu'on n'atteint pas la bouddhéité, que peut-on espérer si ce n'est renaitre et continuer sans en avoir le "souvenir conscient" sur le chemin ? après tout, puisque l'une des vérités les plus douloureuses du bouddhisme est d'accepter que tout ce que tu penses être Moi, tout ce que tu peux ressentir, percevoir, croire, penser, est condamné à disparaitre car ça n'est qu'un rôle qui masque ton vrai Moi... et que rien ne te dit que ça ne fait pas déjà plusieurs milliers d'existences que tu as passées à tenter d'avancer vers lui...
n'est-il pas plus rassurant de croire en un Paradis dans lequel ce Moi auquel nous sommes si attachés demeurera fondamentalement très semblable à ce que nous en percevons vivants ?
ça n'est pas une critique ou une prise de parti, mais un regard aussi lucide et compréhensif que possible dans cette direction