Bon histoire de vous faire patienter un peu sans menacer la quiétude nécessaire à l'écriture de notre Ryojin sama, voici un petit texte exprimant les pensées de mon personnage Daidoji Fuyuzora au sortir de la première partie du scénario précité.
Spoiler, un peu quand même pour ceux qui ne l'ont pas joué
Pensées par Daidoji Fuyuzora
Je suis restée éveillée toute la nuit avec la pensée que le futur ressemble de plus en plus au ciel, tantôt d’un bleu éclatant, tantôt gris et sombre, tantôt si noir que l’on a l’impression que le jour ne se lèvera plus jamais. Un vol d’oies sauvages passe au-dessus de moi, leurs ombres planant sur la plaine. La terre est vide et sèche et chaque jour tombent nos samouraï et nos paysans. Et alors que le vent emporte leurs cendres dans d’immenses bûchers, la terre gémit de la perte de ses enfants mais son chagrin se tarît par la colère qui lui brûle les yeux. Elle devient stérile refusant d’enfanter ce qui les tue.
Je suis épuisée par ces longues patrouilles, chaque jour nous encadrons les villages et tentons d’endiguer la maladie et la famine qui ravage tout.
Mon devoir me paraît si cruel, empêcher les paysans de s’en aller parce que l’ordre m’en a été donné . A leurs regards effrayés, aux pleurs de leurs enfants et supplications de leurs femmes je n’ai en réponse que le fer de ma naginata, son reflet implacable dans mes yeux dresse un paravent pour tenter de rester sourde à leur détresse.
Notre daimyo n’a pas le choix, cette maladie se répend comme une traînée sombre et les derniers évènements que j’ai vécus font que parfois la nuit, je me réveille en sueur quand mes rêves m’étreignent le cœur et que je l’imagine ramper sur moi comme l’enfant d’une rage malfaisante. Je tremble alors de lui succomber, j’ignore même si elle est encore en moi. Je n’ai jamais eu peur de mourir mais être ainsi amené le corps défaillant, la peau noircie à mettre un genoux en terre alors que tant de choses restent à faire, que mon honneur me commande de chaque jour lutter plus loin et plus avant, mon respect envers Daidojo Uji sama, ses efforts sans cesse renouvelés, réitérés avec la force d’un honneur tel qu’en ses yeux la défaite n’a pas sa place, rien que l’idée de finir ainsi me glace.
Kaminari va beaucoup mieux et je me réjouis que des soins efficaces aient pu lui être prodigués mais je pense à ce Gaijin qui a fuit et qui ironie du sort a peut-être en lui assez de savoir que pour vaincre tout cela. Mais même si nous le trouvons comment envisager que l’on puisse devoir le salut à un étranger.
Qu’avons-nous fait pour engendrer ainsi la colère des Kami ? Combattre le clan du Lion ? Est-ce là un aveuglement que l’on punit ? Je ne sais mais l ‘idée de faire la paix avec ces chiens sanguinaires me répugne. Ils sont entrés sur nos terres comme des voleurs et leur espions se targuent de rapporter des informations qui portent aux lèvres de leurs généraux un sourire satisfait. La famine, le fléau et la guerre mettent notre clan à genoux mais suffisants de satisfaction pensent-ils pouvoir être épargnés ? Pensent-ils ainsi servir l’Empire en riant à gorge déployée de notre malheur ?
Kyuden Ashahina m’apporte le réconfort qui m’est nécessaire. Depuis l’ouverture de ses portes par moi et mes compagnons dans cet effort pacifique, ses shugenja s’ils ont les traits tirés et le corps vide d’énergie quand tombe le soir me sourient encore. Chaque matin, ses hommes et ses femmes partent pour soigner, rassurer. Certains parfois sillonent les régions les plus lointaines et font de leur mieux répendant leur paix et leur science pour contrer le fléau. Mais aujourd’hui alors que nous encadrions certains d’entre eux pour le retour, les protégeant de la colère et de l’ingratitude d’hommes et de femmes ne comprenant qu’ils ne peuvent faire plus, l’un d’eux s’est écroulé. J’ai mis pied à terre et m’agenouillant en même temps que son supérieur, nous avons constaté lorsqu’il a desserré la veste de son kimono pour le laisser mieux respirer, la peau de son torse zebrée des immondes traces noires. Nous lui avons épongé le front mais il n’a pas repris connaissance. Tous sont déjà tellement épuisés que je ne peux concevoir qu’ils portent encore l’un des leurs. Alors je suis remontée en selle et contre moi ils l’ont hissé. Il n’a pas vingt ans et bien qu’il me soit inconnu, la rage a étreint mon cœur devant tant d’injustice. Nous sommes fait pour vivre et mourir dans l’honneur et la gloire, celle de servir notre seigneur. Qu’y-a-t-il d’honorable et glorieux à voir ainsi tomber le fruit fécondé par la terre ? Nous avons chevauché calmement jusqu’à la nuit tombée. Les portes du Kyuden se referment sur nous et tous épuisés, nous avons mis pied à terre, les muscles endoloris et la tête vide. Le jeune shugenja se nomme Asahina Fujiwaka, il est debout, frêle et blanc. Je le retiens quand il tente de me saluer et qu’un murmure sort de sa gorge pour me remercier de l’avoir porté sur ma monture. Je passe mon bras sous ses épaules et guidée je l’amène doucement jusqu’à sa chambre, il est livide et brûlant de fièvre.
Je ne suis pas autorisée à rester. Je ressors et malgré la fatigue décide de prendre un bain. Je me laisse aller dans l’eau trop chaude, les yeux embués. Mon corps est émacié mais vierge de toute trace, je m’enveloppe dans un drap de coton puis enfile un kimono propre. Toute la troupe mange en silence quand je les rejoints. Quand à la fin du repas je m’enquiers de la santé de Fujiwaka, le silence de ses compagnons me laisse présager le pire. Ne peut-on rien faire d’autre ? Je m’empare d’une jarre de saké et je me rends auprès de lui. Il est sur son futon, les dents crispées par la douleur et s’il tente de le cacher, ses fines machoires saillantes ne me trompent pas. Je l’assieds doucement et lui verse un peu de saké. Il me sourit reconnaissant. Nous parlons de tout et de rien puis des magnifiques forêts qui entourent le Kyuden, de lui, de ses parents, il a les mains qui tremblent devant la mort, il sait qu’elle est là, à la porte mais on lui a appris à l’ignorer. Je vais jusqu’à l’émécher et il sombre sans douleur dans un profond sommeil.
Nous sommes le troisième jour et chaque soir je suis revenue au Kyuden voir Fujiwaka. Cela m’oblige à me lever beaucoup plus tôt pour rejoindre mon escouade mais je n’en ai cure. Ce matin, il va plus mal encore, les tâches se sont répendues et son souffle se tarît par la douleur mais il reste brave et me remercie d’être auprès de lui dans ces moments difficiles. Bientôt tout cela sera finit me dit-il, l’Empire se relèvera plus fort et plus brillant. Je souris à son enthousiame et à sa vue si pure du futur de notre monde qu’il m’expose plein de candeur puis je lui promets d’être là le plus vite possible, je dois rejoindre un village plus lointain pour chasser des ronins qui profitant de la situation ont encore l’audace de piller et de tuer.
Deux jours se sont écoulés et nous avons presque retrouvé la totalité de ces chiens et les avons passé par le fer. Ce soir nous ferons route vers le kyuden pour reprendre des provisions. Encore une journée de traque et je pourrais rentrer et prendre des nouvelles de Fujiwaka. Mes compagnons s’arrêtent au village, ils n’iront pas plus loin mais après avoir pris mes ordres et avec l’autorisation de mon supérieur, je remonte sur ma monture pour rejoindre le Kyuden Asahina J’arrive crasse et épuisée à la nuit tombée et après avoir pris de quoi ne pas m ‘évanouir le lendemain en selle et un bain, je me rend auprès de lui. Ses avants bras sont recouverts de bandages et il a encore maigri, ses joues sont maintenant si fines que je vois les os saillants de son crâne, une lourde odeur d’encens flotte dans la pièce, il est si content de me revoir. Quatre jours et quatre nuits se sont écoulés et tout seul il a repoussé la mort, chassé les sbires de sa douleur, il est au bord de l’épuisement. Nous entamons notre petite discussion, le rituel du saké et nos sourires aux souvenirs évoqués ne peuvent cependant chasser l’horrible pensée qu’il va bientôt mourir. Sa résistance à l’alcool s’est améliorée et il rit de constater que je lui ai appris à boire. La douleur doit être insoutenable car souvent une de ses mains se crispe sur sa couverture et la coupe de saké penche dangereusement dans son autre main mais dignement il se maintient et lutte. Il m’annonce qu’il a attendu mon retour pour mourir, il ne voulait pas que je sois triste à l’idée qu’il n’avait pu m’attendre. Ma gorge se noue à tant de vérité dans la bouche d’un homme presque encore enfant. Nous continuons de boire et doucement, il glisse de l’autre côté, je sens la vie qui le quitte. Je l’aide à se coucher et le veille jusqu’à m’assoupir.
Une main sur mon épaule m’a réveillée, doucement Asahina Yoichi a séparé mes doigts de ceux de Fujiwaka. Ses yeux sont clos à tout jamais. J’ignore jusqu’où je l’ai accompagné mais je sais qu’il est arrivé là où il voulait me laissant sur le chemin comme un ami que l’on est heureux d’avoir revu. Mon corps est pris de soubresauts à la vue du sien inerte et je ne peux retenir mes larmes. Plus tard quand je sors de ma chambre lavée et purifiée, mon cœur est toujours aussi douloureux et aussi lourd, même les douces paroles des shugenja, leurs pures prières n’ont pu laver la tristesse de mon âme. Je pense à mes parents, rencontreront-ils Fujiwaka ? Parleront-ils de moi ensembles ?
Ses compagnons vont préparer Fujiwaka et ce soir sur le bûcher quand j’enflamerai les souffrances de son corps pour libérer son âme, je prierai ses ancêtres de l’accueillir et les miens de m’aider à vivre aussi courageusement et dignement qu’il le fit.
Je monte à cheval et rejoins ma compagnie, nous allons reprendre la traque des rônins mais je crains fort qu’aujourd’hui rien ne viendra étancher la rage et la douleur qui habitent mon cœur, pas plus les combats fourbes de ces chiens errants qu’une compagnie de Lion qui seraient imprudents de s’égarer sur les terres de mon clan…