[Nouvelle] Megumi (spoiler pour Akae et Iezan...okay ? ;) )
Publié : 17 mars 2006, 16:06
ce petit texte vise en fait à dresser quelques unes des grandes lignes de ma campagne. Si vous avez des questions ou des commentaires, ça serait sans doute plus judicieux de voir ça par MP, afin qu'Akae ne tombe pas dessus malencontreusement
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Megumi
C'est une jeune fille qui s'appelle Ikko.
Elle ne le sait pas encore mais elle doit sauver le monde.
Pour dire la vérité, elle n'était pas censée prendre ce rôle mais parfois, il faut s'adapter aux circonstances.
Souvent, en fait.
Bon, allez, presque toujours.
La jeune Ikko qui dort paisiblement sous les frondaisons d'un sapin a toujours eu la destinée qui l'attend mais contrairement à ce que pensent les mortels, contrairement à ce que je pensais moi-même quand j'en étais un, la destinée est quelque chose de bien moins rectiligne qu'on pourrait le croire.
Je dois avouer que la mienne m'a assez surpris d'ailleurs, vue de l'autre côté du miroir.
La destinée dirige toute chose de la création de la plus infime jusqu'aux dieux qui sont à la source de ce que nous appelons la réalité. C'est une sorte de… volonté, voilà. Immanente et impersonnelle mais dont, quand on est une Fortune, il est impossible de nier l'influence lorsqu'elle se manifeste.
C'est à dire en permanence. Pour donner une analogie, je dirais que nous sommes comme les mortels baignés dans la mer du destin mais que contrairement à eux, nous en voyons les courants avant qu'ils ne nous emportent.
Telle l'eau, la destinée est fuyante et flexible, on croit la saisir et elle vous échappe. On croit la subir et tout à coup on se rend compte que l'on s'est emprisonné soi-même. Mais elle est bien réelle et son influence aussi.
Il y a très longtemps, si l'on s'en réfère à la manière dont les mortels mesurent ce genre de choses, j'ai fait quelque chose qui a amené un des premiers empereurs à faire de moi la Fortune des Actes Héroiques.
Rétrospectivement, j'avoue que si la destinée n'avait pas bien avant ma naissance décidé de quoi il retournait, mon acte serait probablement tombé dans l'oubli aussitôt accompli. Et on n'en aurait plus jamais parlé.
D'ailleurs, à part dans les pages poussiéreuse d'un texte oublié qui repose au cœur des archives des Quatre Temples et que personne n'a lu depuis exactement sept cent dix huit ans, il n'est fait nulle mention de l'homme que j'étais avant qu'un empereur fasse de moi une divinité.
Mais mes origines n'ont guère d'importance dans le fond. L'essentiel est que l'on ne m'oublie pas et qu'ainsi, je puisse faire ce que j'ai à faire. C'est à dire faire coincider les évènements avec les gens dont la destinée est d'agir pour les provoquer ou les empécher. En simplifiant à l'extrème, on pourrait résumer les choses ainsi.
Lorsque malgré son destin un mortel ne peut accomplir ce que l'on attend de lui, un autre le fait à sa place. C'est cela bien plus que les péchès supposés qui détermine le cycle sans fin de la réincarnation. Le fait d'avoir été au moment et à l'endroit prévu pour y faire ce que l'on attendait de vous est un pas dans la bonne direction. Mais malgré cela, le libre arbitre des mortels est bien réel et la multitude de leurs décisions et de leurs conséquences entrecroisées rendent les choses souvent très différentes de ce qui semble prévu.
J'ai depuis longtemps la conviction que c'est précisément ainsi que la Destinée s'assure que des êtres comme moi n'outrepassent pas leur rôle.
La seule chose dont nous soyons certains, ce sont les conséquences personnelles de nos actes. C'est à dire que nous savons au moment de décider en quoi notre décision nous affectera directement mais que ses autres conséquences nous semblent plus nébuleuses. La plupart du temps, nous évoluons à travers des repères, des balises, des phares qui nous servent à avancer à travers la trame du destin. Nous savons quels sont les points par lesquels nous devons passer et nous avons une certaine latitude pour faire en sorte d'influencer les mortels quand cela relève de leur participation.
Dit plus simplement, l'avenir est à la fois plus prévisible et plus surprenant pour une Fortune que pour un humain.
Les mortels n'étant pas souvent interchangeables, lorsqu'un événement précis doit avoir lieu nous prenons généralement le cas le plus évident. Une âme dont les vies antérieures nous amènent à croire qu'elle sera la plus adaptée à cette tâche. Evidemment, nous n'avons pas tous les mêmes priorités ni les mêmes opinions mais c'est ainsi que les choses fonctionnent d'une façon générale.
Et en dépit des apparences, elles fonctionnent toujours comme elles le devraient. Toujours. Quoi qu'il arrive, même quand certains d'entres nous tentent de biaiser ou refusent de s'impliquer, nous finissons toujours par en revenir à ce que l'on attend de nous.
Telles sont les limites de notre propre libre arbitre.
Les théories à ce sujet sont bien plus nombreuses en notre sein que parmi les mortels. L'idée d'un Grand Plan leur est familière mais ils ont l'habitude de la percevoir à travers nos influences antagonistes, nos manipulations plus ou moins subtiles et les caprices que nous pouvons nous permettre, parce que la Destinée sait qu'ils feront de toute manière aller les choses dans le sens qui l'intéresse.
De notre point de vue, nous qui n'avons pas d'interlocuteur plus omniscient que nos propres "confrères", les choses sont sensiblement différentes bien sûr.
Mais il y a plus intéressant à aborder pour l'instant.
La jeune Ikko dort sous son sapin et ignore encore que sa destinée est de sauver le monde. Parce que celui qui était le mieux placé pour ce faire et qui partageait cette destinée ne le pourra pas. Il est mort. Victime d'une magie noire qui n'était pas mise en œuvre pour le terrasser directement mais dont il s'est simplement retrouvé être parmi les victimes.
Nous avions envisagé cette possibilité. Pas l'épidémie de Fièvre Noire qui frappe les terres du Phénix elle-même mais la possibilité que ce mortel spécifique disparaisse. Les "signes", les balises qui nous guident dans notre œuvre nous l'avaient assez clairement suggéré.
C'est moi qui ai fait en sorte que la petite Ikko abandonne sa vie d'antan et parte à l'aveuglette sur les routes de l'Empire. Par l'intermédiaire d'un autre de mes agents, un samurai qui a été ému par sa profonde sérénité et qui l'a incité à laisser derrière elle son existence misérable pour partir à la découverte du monde. Ce samurai précis m'est bien utile non pas tant comme un héros lui-même mais parce qu'il me sert surtout à donner aux autres l'occasion de découvrir leur propre rôle. Lui aussi aura sa part de gloire mais pas tout de suite et pour l'instant, je le trempe dans l'eau d'une fraiche humilité.
Il a rapidement compris que les gens avaient tendance à oublier son implication dans certains actes déterminants mais je sais que j'ai choisi le bon mortel parce que justement, il ne s'en est pas mortifié pour autant. Dans cette vie comme dans les précédentes, son âme à cette qualité qui m'est précieuse. Celle du sens du sacrifice dépourvu des illusions d'une modestie hypocrite.
Nous en avons déjà parlé tous les deux quelques fois et j'avoue que j'ai toujours adoré ce moment précis ou il finit par se résoudre à l'inévitable pour adopter une ironie nonchalante qui lui rend les choses plus supportables. De vie en vie, il réagit toujours ainsi et cela marque le moment ou il peut enfin jouer pleinement son rôle.
C'est un vieil ami fidèle même si dans chaque vie ou nous nous croisons il faut que je le lui rappelle. Mais ça aussi, ça fait partie des rites de notre amitié. Je ne suis pas une grande fortune, alors je peux attacher plus d'importances aux petites choses, n'est ce pas ?
A l'époque actuelle, le rôle de mon vieil ami est loin d'être aussi important que celui d'Ikko mais il ne va pas s'ennuyer non plus. Et ca va durer encore un petit moment comme ça.
Nous sommes à l'approche d'un événement d'une portée considérable et tout doit être prêt. Parce que cette fois, les choses ne seront pas aussi simples que la plupart du temps.
Si tout se passe comme prévu, ils appelleront ça Le Second Jour des Tonnerres mais justement, ça ne se passe pas comme prévu même s'il n'est pas encore trop tard.
L'âme d'un des Sept est déjà perdue depuis des années. Lorsque par haine envers son père, par ambition et par désir, Shosuro Kachiko a accepté les murmures de ce qui avait déjà corrompu l'âme qu'elle était il y a mille ans, lorsqu'elle ramena les Parchemins Noirs de l'Outremonde.
L'Ombre a donné à Kachiko le pouvoir, de devenir l'épouse de Shoju. De préparer son mari à tuer un empereur. Bientôt… et ensuite, il saura le prix de sa sombre alliance.
L'Ombre travaille aussi au cœur du Conseil des Cinq, rongeant petit à petit l'âme d'Isawa Ujina. C'est lui qui ouvrira le premier un des Parchemins Noirs et entrainera les siens dans la chute.
De son côté, celui qu'on nomme Fu Leng n'est pas en reste. Le dernier Akodo, Arasou, est tombé à Toshi Ranbo. Son frère exilé depuis l'enfance dans un monastère n'en sortira pas avant des années. Tout le monde l'a oublié depuis longtemps et c'est Matsu Tsuko qui mènera le Lion jusqu'à son propre anéantissement si personne ne l'arrête. Mais Toturi n'est pas encore conscient qu'il doit devenir le guerrier qu'on n'a jamais voulu qu'il soit. C'est ma chère petite Ikko qui lui ouvrira les yeux.
Le reste est à l'avenant. Le dernier Akodo est tombé, et Shoju succombe sous le poids d'une prédiction, des murmures de son épouse et des insinuations de l'épée qui l'attend patiemment depuis sa naissance. Il sait que le dernier Hantei doit tomber à son tour et il va agir pour empécher cela.
Il ignore qu'il est déjà trop tard.
Le "dernier" Hantei… n'est pas celui que Shoju imagine. Je ne saurais dire si l'Ombre a compris mais Fu Leng lui, certainement. Shoju va provoquer la mort de l'empereur et de son fils pour rien. Car il ignore que l'empereur a un second fils, plus jeune. Qui a passé des années avec les suivants de Iuchiban et qui est en train de succomber totalement à la volonté du Sombre Seigneur qui se nourrit de ses rêves. L'enfant est jeune, fragile et son esprit déjà coutumier de choses qui horrifieraient la plupart des rokugani. Il ne résistera pas longtemps, d'autant plus qu'il est déjà à moitié persuadé de ce que Fu Leng lui raconte.
Alors, le dernier des Hantei rejoindra Hida Atarasi et à eux deux, ils briseront le clan du Crabe. Pendant que l'empereur Shoju tentera de lutter vainement contre les ombres effrayantes qui danseront autour de son trône. Car le Néant aussi souhaite la conflagration finale, espérant qu'elle soit assez violente pour déséquilibrer définitivement la création et lui permettre de se répandre sans que personne ne comprenne rien avant qu'il soit trop tard.
On pourrait croire que puisqu'un des Tonnerres est déjà hors jeu, la partie est jouée. Ca n'est pas le cas. L'âme d'un Tonnerre est hors jeu, oui. Et les autres en grand péril.
Mais je suis la Fortune des Actes Héroiques et c'est maintenant justement que moi, paradoxalement, j'ai la possibilité de changer les choses.
Les ennemis de Dame Soleil ne sont pas les seuls à tirer les leçons du passé. Tout doit se reproduire dans le cycle sans fin mais il n'est dit nulle part que cela doive se reproduire à l'identique.
Et plutôt que de miser sur sept tonnerres tout-puissants, quelques amis et moi avons choisi de donner leur chance à des dizaines, des centaines de mortels qui ignorent qu'à défaut d'avoir les âmes les plus pures, les leurs sont assez méritantes pour faire la différence. Parce que cet empire n'est pas seulement l'œuvre de sept héros au service des enfants de la Lune et du Soleil. Il est l'œuvre d'une multitude d'âmes fragiles sans lesquelles il ne serait rien de plus qu'un territoire vide, sans vie, sans espoir, sans rien.
Les Sept sont au sommet mais d'autres peuvent les y rejoindre.
Pour atteindre les sommets, il faut grimper. Et pour grimper, il faut partir d'en bas.
Alors, Ikko a rencontré un samurai et elle a pris la route. Abandonnant derrière elle son existence de petite putain et les regards méfiants de ses parents, de ses consoeurs, de ses clients. Qui ont toujours considéré avec circonspection son langage, ses gestes, ses rêveries bien différents de ceux d'une geisha. Que dire alors de ceux d'une simple prostituée qui vend son corps pour des navets et un peu de riz.
Elle a pris la route et elle va rencontrer ceux dont nous avons besoin. Ca n'est pas un rôle évident à tenir pour une petite eta perdue dans un monde de crétins égocentriques dont la plupart ne sauraient même pas reconnaître l'honneur si je les plongeais dedans. Heureusement que certains valent mieux que ça. Heureusement que Togashi et Shiba sont encore dans les parages. Parce que pour tout dire, ce ne sont pas forcément les gens les plus en vue auxquels on peut faire le plus confiance ou qui sont les plus capables.
C'est ça qui rend les choses si savoureuses, d'ailleurs. C'est à elle de sauver un empire qui ne la mérite pas forcément.
Comme disait Shinsei "méfie toi de celui qui ne possède rien, car il n'a rien à perdre".
Je sais qu'ils oublieront son rôle et travestiront l'histoire parce qu'ils ne veulent pas que les choses changent, mais il est bon parfois de secouer un peu les certitudes de tous ces vertueux samurai.
Elle ne va pas rire tous les jours, c'est évident. Pleurer, douter, regretter, oui. Mais elle dépassera cela. Elle ira bien au delà de cette vie et elle rendra l'espoir à ceux qui misaient tout l'avenir sur le descendant de Shinsei.
Celui devait rassembler les Sept.
Et qui est mort, dans un obscur monastère, terrassé par l'épidémie de Fièvre Noire.
Curieux, dans le fond, comme la destinée aime jouer sur les parallèles. Je me demande si l'Ombre ou Fu Leng ont commencé à comprendre. Parmi nous, je sais que très peu ont déjà vu ce que je vois et c'est toujours un plaisir de découvrir leur surprise.
On a les petits plaisirs que l'on peut.
Bayushi Shoju va tuer son ami, son maitre, ainsi que l'héritier de cet homme.
Telle est l'épreuve de son idéal.
Et il va faire tout cela pour rien.
Parce que personne ne lui a jamais dit que l'Empereur avait un autre fils.
Dans la Confrérie, ceux qui croient être au courant se désespèrent car le descendant de Shinsei est mort.
Telle est l'épreuve de leur idéal.
Et ils se désespèrent pour rien.
Parce que personne ne leur a jamais dit que Shinsei avait un autre descendant.
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Megumi
C'est une jeune fille qui s'appelle Ikko.
Elle ne le sait pas encore mais elle doit sauver le monde.
Pour dire la vérité, elle n'était pas censée prendre ce rôle mais parfois, il faut s'adapter aux circonstances.
Souvent, en fait.
Bon, allez, presque toujours.
La jeune Ikko qui dort paisiblement sous les frondaisons d'un sapin a toujours eu la destinée qui l'attend mais contrairement à ce que pensent les mortels, contrairement à ce que je pensais moi-même quand j'en étais un, la destinée est quelque chose de bien moins rectiligne qu'on pourrait le croire.
Je dois avouer que la mienne m'a assez surpris d'ailleurs, vue de l'autre côté du miroir.
La destinée dirige toute chose de la création de la plus infime jusqu'aux dieux qui sont à la source de ce que nous appelons la réalité. C'est une sorte de… volonté, voilà. Immanente et impersonnelle mais dont, quand on est une Fortune, il est impossible de nier l'influence lorsqu'elle se manifeste.
C'est à dire en permanence. Pour donner une analogie, je dirais que nous sommes comme les mortels baignés dans la mer du destin mais que contrairement à eux, nous en voyons les courants avant qu'ils ne nous emportent.
Telle l'eau, la destinée est fuyante et flexible, on croit la saisir et elle vous échappe. On croit la subir et tout à coup on se rend compte que l'on s'est emprisonné soi-même. Mais elle est bien réelle et son influence aussi.
Il y a très longtemps, si l'on s'en réfère à la manière dont les mortels mesurent ce genre de choses, j'ai fait quelque chose qui a amené un des premiers empereurs à faire de moi la Fortune des Actes Héroiques.
Rétrospectivement, j'avoue que si la destinée n'avait pas bien avant ma naissance décidé de quoi il retournait, mon acte serait probablement tombé dans l'oubli aussitôt accompli. Et on n'en aurait plus jamais parlé.
D'ailleurs, à part dans les pages poussiéreuse d'un texte oublié qui repose au cœur des archives des Quatre Temples et que personne n'a lu depuis exactement sept cent dix huit ans, il n'est fait nulle mention de l'homme que j'étais avant qu'un empereur fasse de moi une divinité.
Mais mes origines n'ont guère d'importance dans le fond. L'essentiel est que l'on ne m'oublie pas et qu'ainsi, je puisse faire ce que j'ai à faire. C'est à dire faire coincider les évènements avec les gens dont la destinée est d'agir pour les provoquer ou les empécher. En simplifiant à l'extrème, on pourrait résumer les choses ainsi.
Lorsque malgré son destin un mortel ne peut accomplir ce que l'on attend de lui, un autre le fait à sa place. C'est cela bien plus que les péchès supposés qui détermine le cycle sans fin de la réincarnation. Le fait d'avoir été au moment et à l'endroit prévu pour y faire ce que l'on attendait de vous est un pas dans la bonne direction. Mais malgré cela, le libre arbitre des mortels est bien réel et la multitude de leurs décisions et de leurs conséquences entrecroisées rendent les choses souvent très différentes de ce qui semble prévu.
J'ai depuis longtemps la conviction que c'est précisément ainsi que la Destinée s'assure que des êtres comme moi n'outrepassent pas leur rôle.
La seule chose dont nous soyons certains, ce sont les conséquences personnelles de nos actes. C'est à dire que nous savons au moment de décider en quoi notre décision nous affectera directement mais que ses autres conséquences nous semblent plus nébuleuses. La plupart du temps, nous évoluons à travers des repères, des balises, des phares qui nous servent à avancer à travers la trame du destin. Nous savons quels sont les points par lesquels nous devons passer et nous avons une certaine latitude pour faire en sorte d'influencer les mortels quand cela relève de leur participation.
Dit plus simplement, l'avenir est à la fois plus prévisible et plus surprenant pour une Fortune que pour un humain.
Les mortels n'étant pas souvent interchangeables, lorsqu'un événement précis doit avoir lieu nous prenons généralement le cas le plus évident. Une âme dont les vies antérieures nous amènent à croire qu'elle sera la plus adaptée à cette tâche. Evidemment, nous n'avons pas tous les mêmes priorités ni les mêmes opinions mais c'est ainsi que les choses fonctionnent d'une façon générale.
Et en dépit des apparences, elles fonctionnent toujours comme elles le devraient. Toujours. Quoi qu'il arrive, même quand certains d'entres nous tentent de biaiser ou refusent de s'impliquer, nous finissons toujours par en revenir à ce que l'on attend de nous.
Telles sont les limites de notre propre libre arbitre.
Les théories à ce sujet sont bien plus nombreuses en notre sein que parmi les mortels. L'idée d'un Grand Plan leur est familière mais ils ont l'habitude de la percevoir à travers nos influences antagonistes, nos manipulations plus ou moins subtiles et les caprices que nous pouvons nous permettre, parce que la Destinée sait qu'ils feront de toute manière aller les choses dans le sens qui l'intéresse.
De notre point de vue, nous qui n'avons pas d'interlocuteur plus omniscient que nos propres "confrères", les choses sont sensiblement différentes bien sûr.
Mais il y a plus intéressant à aborder pour l'instant.
La jeune Ikko dort sous son sapin et ignore encore que sa destinée est de sauver le monde. Parce que celui qui était le mieux placé pour ce faire et qui partageait cette destinée ne le pourra pas. Il est mort. Victime d'une magie noire qui n'était pas mise en œuvre pour le terrasser directement mais dont il s'est simplement retrouvé être parmi les victimes.
Nous avions envisagé cette possibilité. Pas l'épidémie de Fièvre Noire qui frappe les terres du Phénix elle-même mais la possibilité que ce mortel spécifique disparaisse. Les "signes", les balises qui nous guident dans notre œuvre nous l'avaient assez clairement suggéré.
C'est moi qui ai fait en sorte que la petite Ikko abandonne sa vie d'antan et parte à l'aveuglette sur les routes de l'Empire. Par l'intermédiaire d'un autre de mes agents, un samurai qui a été ému par sa profonde sérénité et qui l'a incité à laisser derrière elle son existence misérable pour partir à la découverte du monde. Ce samurai précis m'est bien utile non pas tant comme un héros lui-même mais parce qu'il me sert surtout à donner aux autres l'occasion de découvrir leur propre rôle. Lui aussi aura sa part de gloire mais pas tout de suite et pour l'instant, je le trempe dans l'eau d'une fraiche humilité.
Il a rapidement compris que les gens avaient tendance à oublier son implication dans certains actes déterminants mais je sais que j'ai choisi le bon mortel parce que justement, il ne s'en est pas mortifié pour autant. Dans cette vie comme dans les précédentes, son âme à cette qualité qui m'est précieuse. Celle du sens du sacrifice dépourvu des illusions d'une modestie hypocrite.
Nous en avons déjà parlé tous les deux quelques fois et j'avoue que j'ai toujours adoré ce moment précis ou il finit par se résoudre à l'inévitable pour adopter une ironie nonchalante qui lui rend les choses plus supportables. De vie en vie, il réagit toujours ainsi et cela marque le moment ou il peut enfin jouer pleinement son rôle.
C'est un vieil ami fidèle même si dans chaque vie ou nous nous croisons il faut que je le lui rappelle. Mais ça aussi, ça fait partie des rites de notre amitié. Je ne suis pas une grande fortune, alors je peux attacher plus d'importances aux petites choses, n'est ce pas ?
A l'époque actuelle, le rôle de mon vieil ami est loin d'être aussi important que celui d'Ikko mais il ne va pas s'ennuyer non plus. Et ca va durer encore un petit moment comme ça.
Nous sommes à l'approche d'un événement d'une portée considérable et tout doit être prêt. Parce que cette fois, les choses ne seront pas aussi simples que la plupart du temps.
Si tout se passe comme prévu, ils appelleront ça Le Second Jour des Tonnerres mais justement, ça ne se passe pas comme prévu même s'il n'est pas encore trop tard.
L'âme d'un des Sept est déjà perdue depuis des années. Lorsque par haine envers son père, par ambition et par désir, Shosuro Kachiko a accepté les murmures de ce qui avait déjà corrompu l'âme qu'elle était il y a mille ans, lorsqu'elle ramena les Parchemins Noirs de l'Outremonde.
L'Ombre a donné à Kachiko le pouvoir, de devenir l'épouse de Shoju. De préparer son mari à tuer un empereur. Bientôt… et ensuite, il saura le prix de sa sombre alliance.
L'Ombre travaille aussi au cœur du Conseil des Cinq, rongeant petit à petit l'âme d'Isawa Ujina. C'est lui qui ouvrira le premier un des Parchemins Noirs et entrainera les siens dans la chute.
De son côté, celui qu'on nomme Fu Leng n'est pas en reste. Le dernier Akodo, Arasou, est tombé à Toshi Ranbo. Son frère exilé depuis l'enfance dans un monastère n'en sortira pas avant des années. Tout le monde l'a oublié depuis longtemps et c'est Matsu Tsuko qui mènera le Lion jusqu'à son propre anéantissement si personne ne l'arrête. Mais Toturi n'est pas encore conscient qu'il doit devenir le guerrier qu'on n'a jamais voulu qu'il soit. C'est ma chère petite Ikko qui lui ouvrira les yeux.
Le reste est à l'avenant. Le dernier Akodo est tombé, et Shoju succombe sous le poids d'une prédiction, des murmures de son épouse et des insinuations de l'épée qui l'attend patiemment depuis sa naissance. Il sait que le dernier Hantei doit tomber à son tour et il va agir pour empécher cela.
Il ignore qu'il est déjà trop tard.
Le "dernier" Hantei… n'est pas celui que Shoju imagine. Je ne saurais dire si l'Ombre a compris mais Fu Leng lui, certainement. Shoju va provoquer la mort de l'empereur et de son fils pour rien. Car il ignore que l'empereur a un second fils, plus jeune. Qui a passé des années avec les suivants de Iuchiban et qui est en train de succomber totalement à la volonté du Sombre Seigneur qui se nourrit de ses rêves. L'enfant est jeune, fragile et son esprit déjà coutumier de choses qui horrifieraient la plupart des rokugani. Il ne résistera pas longtemps, d'autant plus qu'il est déjà à moitié persuadé de ce que Fu Leng lui raconte.
Alors, le dernier des Hantei rejoindra Hida Atarasi et à eux deux, ils briseront le clan du Crabe. Pendant que l'empereur Shoju tentera de lutter vainement contre les ombres effrayantes qui danseront autour de son trône. Car le Néant aussi souhaite la conflagration finale, espérant qu'elle soit assez violente pour déséquilibrer définitivement la création et lui permettre de se répandre sans que personne ne comprenne rien avant qu'il soit trop tard.
On pourrait croire que puisqu'un des Tonnerres est déjà hors jeu, la partie est jouée. Ca n'est pas le cas. L'âme d'un Tonnerre est hors jeu, oui. Et les autres en grand péril.
Mais je suis la Fortune des Actes Héroiques et c'est maintenant justement que moi, paradoxalement, j'ai la possibilité de changer les choses.
Les ennemis de Dame Soleil ne sont pas les seuls à tirer les leçons du passé. Tout doit se reproduire dans le cycle sans fin mais il n'est dit nulle part que cela doive se reproduire à l'identique.
Et plutôt que de miser sur sept tonnerres tout-puissants, quelques amis et moi avons choisi de donner leur chance à des dizaines, des centaines de mortels qui ignorent qu'à défaut d'avoir les âmes les plus pures, les leurs sont assez méritantes pour faire la différence. Parce que cet empire n'est pas seulement l'œuvre de sept héros au service des enfants de la Lune et du Soleil. Il est l'œuvre d'une multitude d'âmes fragiles sans lesquelles il ne serait rien de plus qu'un territoire vide, sans vie, sans espoir, sans rien.
Les Sept sont au sommet mais d'autres peuvent les y rejoindre.
Pour atteindre les sommets, il faut grimper. Et pour grimper, il faut partir d'en bas.
Alors, Ikko a rencontré un samurai et elle a pris la route. Abandonnant derrière elle son existence de petite putain et les regards méfiants de ses parents, de ses consoeurs, de ses clients. Qui ont toujours considéré avec circonspection son langage, ses gestes, ses rêveries bien différents de ceux d'une geisha. Que dire alors de ceux d'une simple prostituée qui vend son corps pour des navets et un peu de riz.
Elle a pris la route et elle va rencontrer ceux dont nous avons besoin. Ca n'est pas un rôle évident à tenir pour une petite eta perdue dans un monde de crétins égocentriques dont la plupart ne sauraient même pas reconnaître l'honneur si je les plongeais dedans. Heureusement que certains valent mieux que ça. Heureusement que Togashi et Shiba sont encore dans les parages. Parce que pour tout dire, ce ne sont pas forcément les gens les plus en vue auxquels on peut faire le plus confiance ou qui sont les plus capables.
C'est ça qui rend les choses si savoureuses, d'ailleurs. C'est à elle de sauver un empire qui ne la mérite pas forcément.
Comme disait Shinsei "méfie toi de celui qui ne possède rien, car il n'a rien à perdre".
Je sais qu'ils oublieront son rôle et travestiront l'histoire parce qu'ils ne veulent pas que les choses changent, mais il est bon parfois de secouer un peu les certitudes de tous ces vertueux samurai.
Elle ne va pas rire tous les jours, c'est évident. Pleurer, douter, regretter, oui. Mais elle dépassera cela. Elle ira bien au delà de cette vie et elle rendra l'espoir à ceux qui misaient tout l'avenir sur le descendant de Shinsei.
Celui devait rassembler les Sept.
Et qui est mort, dans un obscur monastère, terrassé par l'épidémie de Fièvre Noire.
Curieux, dans le fond, comme la destinée aime jouer sur les parallèles. Je me demande si l'Ombre ou Fu Leng ont commencé à comprendre. Parmi nous, je sais que très peu ont déjà vu ce que je vois et c'est toujours un plaisir de découvrir leur surprise.
On a les petits plaisirs que l'on peut.
Bayushi Shoju va tuer son ami, son maitre, ainsi que l'héritier de cet homme.
Telle est l'épreuve de son idéal.
Et il va faire tout cela pour rien.
Parce que personne ne lui a jamais dit que l'Empereur avait un autre fils.
Dans la Confrérie, ceux qui croient être au courant se désespèrent car le descendant de Shinsei est mort.
Telle est l'épreuve de leur idéal.
Et ils se désespèrent pour rien.
Parce que personne ne leur a jamais dit que Shinsei avait un autre descendant.