[2.15-HK] Grandes manoeuvres

[Kakita Inigin]

- J'en ai assez. Plus qu'assez.

Les quatre hommes buvaient du saké en manipulant quelques tuiles dans un salon isolé, dans une petite auberge qui jadis avait été célèbre à cause de sa source chaude. Il ne restait de l'onsen que les peintures sur les murs, le nom fleuri Aux kitsune dévêtues et le parfum de savon humide qui avait imprégné les murs à tel point que rien ne le faisait partir.

- Ces deux-là sont insupportables, reprit le premier.

- Bah, rien n'est éternel, répondit son vis à vis.

- Et même dans le cas des plus grandes séductrices, la réputation peut se ternir plus vite qu'une flèche Licorne, commenta Sud.

- Le problème, c'est qu'elle a tellement de contacts dans la ville qu'elle est bien sûre que rien ne lui arrivera, reprit Est.

- J'appelle pas ça des contacts. Plutôt des amants transis.

- Les amants non plus ne sont pas éternels. Tout change. Même le pire assassin peut faire un yojimbo passable, si vous savez le réorienter suffisamment tôt. Sud hocha la tête : Ce comportement est le fruit d'une trop grande lattitude. Changez le contexte, le comportement changera.

- Parfois, un coup de baguette suffit pour remettre dans le droit chemin l'âne égaré. Pour sa première intervention, Nord citait Bayushi Tangen.

- Avec beaucoup de chance, nota Ouest.

- Avec aussi peu que possible de chance et autant de certitude que souhaitable, rectifia Nord.

- Et comment comptez-vous faire ? Goguenard, Ouest savait que ses comparses pensaient pareil que lui.

- J'ai mon idée. Laissez-moi faire, et je vous la rendrai docile comme un agneau.

- Hum... il y a des contrebandiers qui ont essayé, ils s'en mordent les doigts... ou plutôt, les poissons rongent leurs os actuellement.

- J'ai un plan infaillible. Ayez confiance. 四国内至福, à propos, conclut-il en abattant les brelans des vents et les Dragons Verts.

[Kakita Inigin]

La lettre était flatteuse, pensa Fubastsu. Mais il n'était pas sûr de la façon dont elle serait lue... Il la présenta à sa femme, par acquit de conscience.

- C'est un grand honneur ! Notre fille va devenir une femme respectable !

- Elle est déjà une femme respectable, qui sert son Clan dignement, même si tu ne t'en rends pas compte, petite mère, corrigea Fubatsu.

- Gna gna gna...

Et la soirée dégénéra en dispute, comme trop souvent depuis quelques années dès qu'il était question de Kei.

[Kakita Inigin]

- Elle a confondu Sobuju et Shiranai-sama ? Sérieusement ?

- C'est une boutade lancée sur les lieux. Pour ce que j'en sais, elle a aussi bien pu confondre les capitaines des deux gardes. C'est la faute d'Aikune aussi : il ressemble tellement a Ishiotoshi...

- A moins qu'elle ne confonde Toroboshi et Ishiotoshi, verbalement parlant. Les deux mots sont si proches..,

- Mais le pire, c'est quelle a encore réussi a faire une saillie spirituelle avant de filer. Ron.

- D'ailleurs, ça en est ou vos opérations visant a la marier ?

- Ça avance, petitement mais ça avance.

- Parce qu'il est manifeste que des amants ne lui suffisent plus et qu'il lui faut un peu plus de discipline. Vous ne pourriez pas avancer grandement ?

- On pourrait aussi l'envoyer sur le Mur, hein.

- On pourrait, mais on ne peut pas décemment infliger ça a Kisada-sama. Je vais pousser mes feux, conclut Nord.

[Vlad]

Ce n'était pas sans une pointe d'appréhension que Retsu frappa à la porte des parents de Kei.
S'il n'avait jamais rencontré ces gens, les événements survenus dix ans plus tôt ne mettaient pas vraiment le jeune bushi dans de bonnes dispositions à leur égard.

Avant de se rendre à leur maison dans le quartier des forges, Retsu s'était préparé avec grand soin. Il s'était baigné soigneusement, avait mis ses plus beaux habits et était allé prier afin que les Fortunes lui soient favorables. Si les dévotions qu'il avait adressé à Benten-O-kami étaient classiques dans de telles circonstances, le jeune homme n'avait pas négligé d'adresser une prière à Bishamon afin que le Gardien du Nord lui donne le courage de faire face à cet "ennemi" bien particulier.

Retsu vérifia une dernière fois sa tenue, lissant son kimono et rajustant son hachimaki, avant de frapper à la porte de la maison.

Il attendit un peu avant qu'une femme d'âge mûr ne vienne lui ouvrir.

"Hida-gozen ?? Je suis Matsudaira Retsu." fit-il en s'inclinant respectueusement.

"Je souhaiterai m'entretenir avec votre mari, Hida Fubatsu-sama..."

[Kakita Inigin]

- J'arrive, le temps de mettre mon manteau. Ma femme vous préparera du thé.

Un moment plus tard, Fubatsu s'agenouilla en face de Retsu.

- Alors, que puis-je pour vous ? Vous travaillez à la Garde Grise, n'est-ce pas ? Vous revenez du Mur ?

[Vlad]

"Effectivement, Hida-sama." répondit le jeune homme, un pointe de trac toujours sensible dans sa voix.

Le port du jeune homme était impeccable. Jamais, même devant des dignitaires importants du clan, il n'avait pris tant de soin à respecter l'étiquette.

Retsu pris une longue inspiration avant de se lancer.

"Hida Fubatsu-sama... Si je suis venu vous voir aujourd'hui... C'est pour vous demander la main de votre fille, Hida Kei-dono..."

Jamais de sa vie, il n'avait été autant stressé. Même lors de ses affrontements avec les créatures de l'Outremonde, il n'avait connu un tel niveau de stress...

Il remercia silencieusement Daidoji-sama de l'avoir formé, même brièvement, aux techniques de cour...

[Kakita Inigin]

Le vieil homme hésita, puis regarda sa femme, et sourit tristement en levant les yeux au ciel. Il tourna manifestement sa langue quelques temps dans sa bouche avant de répondre :

- Je lis dans vos yeux que votre cœur et pur et intègre. Cette demande qui vient du fond du cœur vous honore. Malheureusement, ma fille est déjà promise a un homme de noble naissance, et la parole de ma Famille est engagée. Je dois donc décliner votre proposition.

[Vlad]

La réponse heurta Retsu comme un poignard.

"Quoi ?? Mais... Mais... A qui ??" bredouilla-t-il.

Il pris une longue inspiration pour calmer son cœur qui battait la chamade.

"Puis-je vous demander une faveur, Hida-sama ??"

"Je souhaiterai m'entretenir avec vous seul à seul..." fit-il.

[Kakita Inigin]

- Attendez, jeune homme. Vous me posez deux questions. Il faut que vous appreniez que, dans un dialogue - et, si vous fondez un foyer un jour, vous dialoguerez sans cesse avec votre conjoint - on pose les questions une par une. Maintenant, je vais répondre. À qui, ce n'est pas votre affaire. Par contre, j'accepte de vous entretenir "seul à seul". Je n'ai rien à cacher à mon épouse, mais si vous le souhaitez, je peux certainement vous consacrer quelques secondes.

Sur un signe de tête, la mère de Kei sortit.

- Alors, que vouliez-vous me dire que vous ne puissiez énoncer devant la mère de ma fille ?

[Vlad]

"Excusez-moi, Hida-sama mais... Votre réponse m'a extrêmement surpris." expliqua Retsu.

"Et comme vous le dites, dans un couple il est important de discuter... Or, votre fille ne m'a pas parlé de ce point là..."

Parce que tu ne lui as rien dit, hein ??

Kei allait être folle de rage... Mais Retsu n'avait pas encore abattu toutes ses cartes.

"Je... J'ai couché avec votre fille, Hida-sama."

La phrase avait été brève, percutante.

"Et comme tout homme d'honneur, la seule chose que je puisse faire pour laver ma faute consiste à l'épouser..."

[Kakita Inigin]

Fubatsu fronça les sourcils.

- Vous vous comportez de façon indigne et vous osez étaler votre inconvenance devant moi, comme si vos faiblesses allaient me faire fléchir ? Mais vous n'avez ni honneur ni décence ! Je serais un bien mauvais père si je laissais ma fille entre les mains d'un homme comme vous. Sortez de chez moi.

[Vlad]

"Un instant."

La voix de Retsu était impérieuse. C'était celle d'un homme rodé aux batailles, au fracas de la guerre, et qui ne supporterait aucune objection.

"Ne me jouez pas le numéro du bon père de famille, pas à moi..." fit Retsu dont les yeux n'était plus que deux pupilles d'acier. Un regard froid et glacé... Un regard de tueur.

Fubatsu était sur le point de s'étrangler, rouge de fureur. Jamais quelqu'un n'avait osé lui parler ainsi chez lui. Sous son toit.

"Puisque vous ne voulez pas que cela se fasse de la manière douce, nous gèrerons cette affaire à la manière Yasuki, Hida-san... Comme de bons boutiquiers..."

Retsu affichait un air mauvais et toute trace de politesse avait déserté sa voix. Il avait littéralement craché le "san" après le nom de son interlocuteur...

"Il y a dix ans... Vous avez tué mon enfant, Hida-san..." fit Retsu d'un ton glacé.

"L'enfant que votre fille portait... Votre petit-enfant..." fit-il la voix lourde de reproches.

"Votre fille ne s'en est jamais remise... Vous avez gâché sa vie, Hida-san... Vous avez gâché dix ans de sa vie... Et dix ans de la mienne..."

"Mais ce n'est pas tout... Vous avez engagé un assassin pour me supprimer... Vous avez demandé à Hida Hikuchi, qui tenait courageusement les jambes de votre fille pendant que vous tuiez son enfant, vous avez demandé à cette raclure de me tuer, si jamais je m'approchais de Kei-chan..."

"Vous apprendrez d'ailleurs que Hida Hikuchi est mort, Hida-san..."

"Il a été exécuté il y a deux jours pour avoir agressé son gunso : moi."

"Alors maintenant, vous n'avez qu'une façon de vous en sortir honorablement, Hida-san. Vous refusez la proposition de mariage pour votre fille, vous m'accordez sa main et je resterai muet comme une tombe..."

Le ton de Retsu était littéralement sinistre.

"Si vous êtes un bon commerçant, vous vous rendrez vite compte que vous faites une bonne affaire : vous avez pris mon enfant et je prends le votre..."

"Mais vous n'aurez pas à payer pour votre tentative d'assassinat ni pour les 20 ans que vous nous avez pris..."

[Kakita Inigin]

Fubatsu blêmit. Ecouta toute la tirade de Retsu, passant successivement par toute les nuances de lividité : rouge, tomate, aubergine, citron, terreux, ardoise, saumon braisé, argent, blême, crépi, blanc, navet, cadavérique. Et il murmurait :

- Ahoka... Nandato... Teme teme teme...Urenokori...

Et puis, comme finissait le marché de Retsu :

- Mais... euh... zakennayo... je... je suis désolé, j'ignorais tout de ce que vous me dîtes...

Des larmes lui étaient montées aux yeux et coulaient tandis qu'il expliquait :

- Je ne peux rien faire, les engagements ont été pris... notre intermédiaire a obtenu l'accord des daimyo concernés... je suis désolé pour votre fils...

Et il s'interrompit, pleurant à chaudes larmes.

[Vlad]

Retsu se releva avec lenteur.

"J'ignore comment est-ce que vous pouviez ignorer de telles choses, Hida-san..."

"Mais que les engagements aient été pris importent peu... Vous n'avez même pas daigné prévenir votre fille, ces derniers ne sont donc pas encore très poussés..."

"Vous trouverez bien un moyen d'annuler ce mariage, Hida-san... Dites que votre fille a épousé un autre homme. Un mariage d'amour... Un mariage stupide... Qui s'est fait dans la précipitation et qu'il est trop tard. Ou dites qu'elle est enceinte... Vous trouverez, j'en suis sûr."

"Mais si vous persistez sur cette voie, vous perdrez tout..."

"Votre fille a parlé de se jeter dans le fleuve, hier soir, si jamais nous ne pouvions être unis..."

"Je tiens à vous dire que, bien qu'il me coûte de fermer les yeux sur ce que vous ou votre épouse ayez pu commettre à son égard, ce ne sera pas le cas si jamais une telle chose se produisait..."

"Je demanderai un katakuichi*... Pour elle, pour moi, pour notre enfant... Et j'aurai votre tête, Hida-san..." fit Retsu en sortant.

Une fois sorti de la maison, il s'éloigna rapidement d'un pas raide.
Quand il ne fut plus en vue du quartier des forges, il s'adossa contre un mur.
Les larmes lui montaient aux yeux et ses mains tremblaient.
Il lui fallu quelques minutes pour reprendre son calme et repartir en direction du palais...

*Katakuichi = la vendetta légale. L'autorisation délivrée par les autorités de tuer le responsable de la mort d'un proche.

[Kakita Inigin]

Fubatsu ne réagit pas immédiatement aux derniers mots de Retsu. Puis il se leva, prit l'une des plates utilisées pour retourner les beignets, et appela sa femme. ce qui arriva ensuite resta gravé dans la mémoire des domestiques à jamais... et dans la chair de Shairei une bonne semaine.

Ensuite, il alla à son bureau et se mit à écrire une lettre à un vieil ami qui était aussi un haut gradé de la Famille Kaiu.