Les groupes UMP et Union centriste (UC) doivent demander, mardi 15 décembre dans la matinée, une réunion du bureau du Sénat. Objectif : ils veulent que celui-ci constate la nullité du vote, la veille, d'un amendement qui a conduit au rejet du projet de loi ratifiant l'ordonnance de redécoupage des circonscriptions législatives.
Ce texte, adopté le 20 octobre à l'Assemblée nationale, a été victime, lundi, d'une bourde centriste. Une improbable tuile. En se trompant de bulletins de vote, lors du scrutin sur la suppression de l'article unique, Jean-Jacques Pignard (Union centriste, Rhône), devenu sénateur le 24 juillet en remplacement de Michel Mercier, nommé au gouvernement, est entré dans l'histoire du Sénat. Et a passablement contribué à échauffer le climat dans cette assemblée d'ordinaire paisible.
Le texte devait en principe achever son parcours législatif au Sénat par un vote conforme à celui de l'Assemblée nationale. Le projet de loi tient en un article unique, ratifiant le rédecoupage des circonscriptions effectué par le gouvernement. Une formalité, en quelque sorte. La tradition voulant que les membres d'une assemblée parlementaire n'interfèrent pas dans un mode de scrutin concernant les membres de l'autre assemblée.
LE SCRUTIN PUBLIC, SORTE D'ASSURANCE TOUS RISQUES
L'accident ne serait toutefois pas survenu sans une certaine fébrilité de la majorité sénatoriale. Plusieurs voix critiques s'étaient en effet fait entendre au sein même du groupe UMP – dont celle de l'ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui avait fait connaître son intention de s'abstenir. L'UMP avait fait ses pointages : "Ça devait passer ric-rac avec l'abstention d'une partie du RDSE [groupe composite dont les radicaux de gauche forment l'ossature]", assure un responsable du groupe.
Résultat, lors des motions de procédure, une opposition offensive et une majorité empruntée. Et, au moment du passage à la discussion de l'article unique, lorsque la sénatrice communiste Josiane Mathon-Poinat présente son amendement de suppression, la majorité est minoritaire en séance. Voyant cela, le délégué du groupe UMP demande un scrutin public.
Le scrutin public au Sénat est une sorte d'assurance tous risques pour la majorité. Chaque groupe désigne un mandataire qui détient les votes de l'ensemble de ses membres. Les bulletins de vote – blanc pour les pour, bleu pour les contre et rouge pour les abstentions – doivent être déposés dans trois urnes disposées à cet effet de part et d'autre de l'hémicycle et au pied de la tribune.
Et c'est là que survint l'accident. En l'absence du président du groupe UC, c'est M. Pignard qui avait la délégation, avec consigne de voter pour… le projet de loi. A l'annonce du scrutin public, il se précipite pour mettre ses bulletins blancs dans l'urne. Quand il veut rectifier son erreur, il est trop tard, le délégué du groupe socialiste a déjà déposé ses bulletins dans la même urne. Le résultat est proclamé : 167 pour l'amendement de suppression, 156 contre.
Le feu s'est alors propagé au Palais du Luxembourg. Suspension de séance, demande de nouvelle délibération, invectives… La président de séance, Catherine Tasca (PS) suspend jusqu'à 22 h 30, "le temps que chacun retrouve sa sérénité". A la reprise, le gouvernement et les présidents des groupes UMP et UC exigent un nouveau vote. "Je prends mes responsabilités, annonce Mme Tasca. Je considère que l'adoption de l'amendement de suppression a, de fait, abouti au rejet de l'ensemble du texte. En conséquence, je lève la séance."
Fureur à droite. "C'est une honte, un coup de force, c'est de la tricherie", hurle M. About. "C'est un abus de pouvoir, tempête le président du groupe UMP, Gérard Longuet. Nous ne siégerons plus en votre présence." Mme Tasca ne scille pas. "Il y a une règle simple au Sénat : lorsqu'un vote a eu lieu, il n'est pas remis en cause. Ce ne sont pas les menaces et la violence des propos qui me feront changer de position", explique la sénatrice des Yvelines, qui précise : "J'ai souhaité que le président Larcher vienne présider cette séance. Il a été contacté mais il a estimé qu'il n'avait pas à venir. J'ai donc assumé mes responsabilités."
Si l'UMP et l'UC n'obtenaient pas, mardi, gain de cause auprès du bureau du Sénat sur la nullité du vot., le gouvernement devrait redéposer le texte pour qu'il recommence un nouveau parcours dans les deux assemblées. Une situation qui rappelle étrangement ce qui s'était passé avec le texte Hadopi.