Petit retour sur cette émission (ou comment vous convaincre en moins de 100 minutes qu'il faut la voir
)
D'abord quelques liens sup' :
Bande annonce de l'émission.
Interview par Morandini d'une des participantes, la femme de la famille blanche.
Une des expériences - Discrimination dans la recherche d'emploi - Court passage.
Liste de vidéos sur Dailymotion.
J'ai enfin pu voir cette émission (j'ai récupéré les enregistrements).
Avec ma copine on s'est pas mal marré à voir les réactions des uns et des autres... Donc ce n'est pas sinistre du tout comme reportage au contraire, c'est souvent drôle.
L'idée était plutôt bonne. Elle rappelle un peu
la Blue Eyes - Brown Eyes Experience de Jane Elliott dans le concept sauf qu'ici c'est appliqué à de nombreuses expériences de la vie quotidienne et que c'est, d'une certaine manière, moins violent pour les blancs qui vivent l'xp. La Blue-Brown exp. avait été présentée dans un docu passé sur Arte il y a quelques temps déjà.
D'un point de vue technique c'est bluffant. Le changement de couleur est vraiment bien foutu, très crédible (par contre il ont du en chier avec les séances de maquillage quasi quotidiennes pdt 1 mois).
Le docu est bien mené, il est intéressant parce qu'il couvre un bon nombre de facettes de la vie quotidienne. Il est intéressant parce qu'il permet d'obtenir les réactions in situ de blancs confrontés à la discrimination quotidienne.
Il y a toutefois un gros déséquilibre dans le reportage. En fait la transition blanc --> noir est assez logiquement nettement plus importante que la transition noir --> blanc. Cette dernière n'est pas pour autant inintéressante car elle permet de voir à quel point la discrimination est intériorisée lorsqu'on la subi et modifie l'ensemble de la vie quotidienne y compris quand elle ne se manifeste finalement pas (ou peu). La femme noire, quand elle se balade en blanche, se sent d'un coup comme libérée d'un poids, plus légère, ne devant pas en faire plus que quiconque pour simplement exister comme quiconque. Et d'une certaine manière c'est là qu'on voit à quel point les questions du racisme et de la discrimination sont complexes et enracinées profondément dans notre société (lire
Fanon à ce sujet).
Pour le reste c'est un catalogue des discriminations les plus courantes que l'on peut subir quand on est non blanc en France : le logement et l'emploi notamment avec plusieurs testings où l'homme blanc y va tantôt en noir tantôt en blanc. Les différences de traitement pour ce qui est de l'emploi sont évidemment énormes. Même cv pour les deux : le blancs est systématiquement reçu par le patron ou un gars "décisionnaire" qui essaie de le convaincre de venir bosser, le noir est systématiquement snobé, mis à l'écart, obligé d'attendre, reçu par un sous fifre qui y voit une quasi corvée et cherche plutôt à décourager le candidat qu'autre chose... (ça nous a rappelé des souvenir croisés à ma copine et moi, moi me entretiens ont tous ressemblé ou presque à ceux du blanc tandis qu'elle ils ont tous été similaire à ceux du noir avec les mêmes "trucs"...)
Ce qui est le plus "amusant" en fait c'est de voir la colère venir progressivement chez le gars blanc qui subi ces différences de traitement comme une succession de gifles de plus en plus fortes. Il faut dire qu'il n'a pas été épargné. Ca a commencé avec les contrôles d'identité. Il partent lui et son fils grimés en noirs accompagnés du gars noir en bagnole et se contentent de rouler tranquillement. Résultat 3 contrôles d'identité en moins de 2 heures dont 2 en moins de 20 minutes. Avec à chaque fois des petites allusions vexatoires "de base" et au troisième coup une pression qui a fait flipper sec notre homme blanc qui avait peur que ça ne parte en c... sans raison. Ensuite, le logement, au début il était encore en forme, disant que de toute manière la logement c'était dur pour tout le monde et qu'il allait bien y arriver même s'il se doutait que ce serait plus dur en noir qu'en blanc. Il a pas été déçu... Mais les recherches d'emploi ça a été le coup de grâce... Et c'est là qu'on trouve deux enseignements principaux. D'un, on a beau savoir que les discriminations existent, on ne mesure pas à quel point c'est violent, fréquent, insidieux et surtout humiliant. On ne
se rend pas compte (même moi qui ait bossé sur la discrimination, l'ait étudié etc... tant que je ne l'avais pas vécu au travers de ma femme ou de ma fille je
ne me rendais pas compte - et là ce n'est que par procuration). On ne se rend pas compte de la force qu'il faut pour ne tout simplement pas devenir dingue. Et c'est le deuxième enseignement : être plongé "dans le bain" montre que c'est proprement intolérable et qu'aucun individu ne peut supporter une telle pression sans avoir des accès de rage ou de colère, des envies de pleurer ou de frapper.
De ce point de vue l'xp de la femme blanche est encore plus parlant. En fait, cette dame (vraiment très sympathique, charmante et tout) m'est vraiment apparue comme un archétype du français blanc moyen dans sa relation au racisme. 1- fort discours anti-raciste préalable, "je suis intolérante avec ceux qui se comportent comme ça", cette dame ne supporte pas le racisme, la discrimination, elle "hait" ce type de comportement. 2- mise en situation 1 ou 2 fois et confrontée au discours de la femme noire elle se sent blessée et surtout prise dans un feu qui ne la concerne pas lorsque que cette dernière évoque le rapport blanc - noirs : "oui mais on est pas tous pareil", "c'est toi qui fait du racisme à l'envers en stigmatisant les blancs, en ramenant tout à la couleur", "il faut faire attention car c'est ça qui provoque le racisme" et du coup minimisation aussi de l'ampleur de la discrimination "faut pas exagérer"... Il faut dire qu'elle a plutôt été épargnée en fait vu que c'est le mari qui s'est tapé les cas discrimination sur le logement et l'emploi. Arrive alors une petite exp. Grimée en noir, avec la femme noire elles vont au café dans un quartier chic. Et bien sûr on leur fait le coup classique des réservation pour les mettre dans les arrières salles alors qu'elles demandent à être en salle près des fenêtres pour avoir une belle vue. Franchement quand on ne sait pas, quand on a pas l'habitude la situation est ambigüe. La noire lui explique tranquillement qu'il y a un truc qui ne fonctionne pas mais la blanche y voit plutôt un cas classique où l'on met sur le compte du racisme un truc qui n'en est pas vraiment. Sauf que quand elles sont ressorties du café elles ont la joie de voir un des journalistes à la table qu'on leur avait refusé sec sous prétexte de réservation... La blanche a complètement pété un plomb à ce moment là : elle s'est sentie blessée, humiliée et voulait y retourner faire un scandale. Tandis que la noire la calmait en lui disant que ça ne servait à rien. C'est d'ailleurs un des trucs notable que la blanche a complètement intégré : c'est que finalement les réactions des noirs sont plutôt sereines et calmes, sans haine, un peu désabusées même si revendicatives.
En effet, il y a un truc qui ressort aussi de ce reportage. On reproche souvent aux noirs (ou autre minorités) de trop parler de ces problèmes, de les sur-pondérer. Mais la réalité c'est que cette question revient systématiquement au delà même des cas de discrimination vécue. Elle n'est souvent même pas vraiment engagée par les noirs. Sans parler de l'intériorisation dont je parlais plus haut. Et puis surtout comme je l'ai redit, faute de pouvoir "tout péter" ben on en parle pour éviter de devenir dingue en gardant tout ça pour soi.
Je pourrais tout raconter comme ça mais ce serait un peu chiant à la longue. Toutefois je ne peux que conseiller de vraiment voir ce docu. Il est perfectible (parce que ce n'est qu'UNE expérience notamment) mais vraiment éclairant pour des gens qui ne vivent pas ces situations et ce même en étant bien conscient de leur cruelle réalité.
Par ailleurs il est finalement un peu déprimant. Parce qu'une réaction pourrait être : "bien joué ! Là on a bien montré que c'est quand même une galère sans nom, un truc à devenir dingue voire tueur psychopathe que de vivre avec une peau noire en France !" Oui mais quoi ? Finalement ça donne pas envie quand on est soi même noir ou qu'on anticipe déjà les galères que va vivre sa fille métisse... Parce que finalement il y a un vrai sentiment de situation sans recours. Un blanc, après ce reportage, il retourne à une vie "normale", certes changé, affecté (peut être) mais le monde lui il a pas bcp changé malheureusement...
Je ne sais pas dans quelle mesure on a le droit de filer à des amis un truc qu'on a enregistré à la télé mais je rappelle que j'ai le docu en dvd et des dvd vierges...
Désolé pour la longueur.