Message
par Otaku Sh?am » 29 août 2006, 20:56
Shiro Otaku n’avait pas changé en son absence. L’herbe ondulait en silence, comme attentive à ceux qui la foulaient. On n’entendait dans la plaine que le souffle du vent et le grondement sourd de la course des chevaux. Un homme et une femme venaient à sa rencontre. Sur leurs cœurs, le mon de la famille Iuchi.
- Nous vous attendions, Jun-sama.
Ils furent surpris de ne voir aucun bagage avec elle. Son kimono violet pâle glissait avec ses mouvements lorsqu’elle marchait. Elle avait reparu sans qu’aucune patrouille ne la détecte, comme à chaque fois. Ils la retrouvaient encore au milieu de la plaine avec ce léger sourire dont ils ne pouvaient que tenter de deviner le sens. Elle arrivait de nulle part, portée par le vent, elle souriait et prononçait toujours les mêmes mots.
- Que diriez-vous d’une tasse de thé ?
Et comme toujours, ils la raccompagnaient au refuge.
Iuchi Yûki et Iuchi Gako. Ils étaient appelés à chaque fois que Jun partait. Personne ne lui demandait jamais où elle allait. Elle s’en allait la nuit. Et un matin, en se levant, tous deux sentaient qu’ils devaient aller dans les plaines. Elle y était, avec le vent et son sourire pour seul bagage.
Tous trois marchèrent en silence vers les murailles de la forteresse Otaku. Les pierres étaient immenses et Dame Amaterasu leur donnait toujours cet éclat particulier, brun roux, l’éclat de la poussière et de la lumière. Au coucher du soleil, l’herbe prenait la teinte de l’or et l’endroit devenait presque surnaturel. Jun aimait cet endroit. Elle y vivait depuis près de deux cents ans et jamais elle n’aurait songé à le quitter pour toujours. Elle aimait l’odeur douce et chaude qu’apportait le vent. La pierre brunie, l’herbe coupée, le crin des chevaux, les nuages de poussière. Il n’y avait rien de cela à shiro no Shosuro. Le vent de la plaine portait la vie dans ses courants. La jeune femme inspira profondément.
- Il y a quelque chose dont nous devons vous parler, Jun-sama. commença Yûki à peine arrivé.
Gako s’affairait à préparer le thé mais elle était aussi concentrée que le jeune homme. Elle déposa une tasse devant le shugenja et continua.
- Il y a eu un évènement très bizarre...
- Bizarre n’est pas le mot. corrigea Yûki. Ce serait plutôt... terrifiant.
Jun regarda l’eau se mettre à bouillir sans mot dire. Elle savait de quoi il retournait. Yûki semblait gêné. Ses longues jambes de cavalier le portaient d’un coin à l’autre de la pièce avec nervosité tandis que ses doigts osseux passaient dans sa barbe. Lorsque Jun était partie, il était imberbe. Elle baissa douloureusement les yeux. Tant de temps s’était écoulé... Gako était une femme mûre et déjà, les rides avaient dévoré son visage, créant sur sa peau des expressions qui n’y existaient pas avant. Des expressions de lassitude. Des expressions qui annonçaient la fin. Gako était devenue vieille.
- Arrête de bouger comme ça, tu me files le tournis ! siffla-t-elle.
- Pardon...
La vieille femme marmonna quelque chose avant de verser l’eau brûlante sur les feuilles de thé. Jun était toujours muette. Cet évènement dont ils parlaient avait dû leur coûter beaucoup. Ils avaient probablement hésité avant de décider de l’en informer. Gako s’installa en face d’elle et Yûki l’imita.
- Il s’agit d’Otaku Shâam.
Jun prit la tasse entre ses mains. Le froid l’avait envahie. La vapeur brûlante ne la fit même pas ciller.
- Elle s’est éveillée au cours d’une nuit, voilà quelques mois... et son corps... son corps se couvrait lentement d’entailles.
Gako fit une pause. Elle ressentait toujours sa peur d’alors, son impuissance.
- Quand nous sommes arrivés... ce n’étaient que son dos et ses mains. Trois ou quatre estafilades peu profondes... Mais par la suite...
Yuki fit courir un doigt le long de son torse, de ses jambes.
- Plus d’une centaine. En quelques minutes. Les esprits que nous invoquions s’éloignaient d’elle à peine matérialisés. J’ai essayé le premier de la soigner. Mais rien à faire ! La chose qui était en elle avalait toutes mes forces. Les esprits ne venaient plus !
- J’ai ensuite essayé. reprit Gako. Mais c’était la même chose.
Jun se mordait si violemment l’intérieur des joues qu’elle sentit bientôt le sang emplir sa bouche. Qu’avait-elle fait ?
- Elle se débattait. Nous ne pouvions pas empêcher ses blessures de s’aggraver.
La jeune femme avala une gorgée de thé. La douleur sur ses joues meurtries lui fit reprendre une contenance.
- Et ?
- Cela a cessé.
- Comme ça ?
- Oui. Son corps a cessé de s’agiter et les esprits sont revenus. Nous avons fait de notre mieux mais elle est restée inconsciente des jours entiers. Ce qui a provoqué ça avait probablement causé des dégâts intérieurs.
Jun arqua un sourcil. Yûki poursuivit.
- Elle a rendu du sang pendant deux jours. Impossible de la nourrir ou de la faire boire. Mais même cela a fini par s’arrêter. Nous n’avons pas compris pourquoi. Elle a repris connaissance au bout de deux semaines.
- Comment... comment va-t-elle à présent ?
- Les entailles ont rapidement cicatrisé. Il n’en reste presque aucune trace.
- Sauf à l’épaule. marmonna Gako. Celle-ci ne veut pas se refermer.
La marque d’Ombre de Shiori... La plaie de Shâam... Qu’est-ce que cette chose avait bien pu lui faire ? Jun se leva d’un bond.
- Où est-elle ?
Yûki prit l’air embarrassé.
- Elle est partie.
- Pourquoi l’avez-vous laissée partir ?
Depuis qu’ils la connaissaient, c’était la première fois qu’ils voyaient Jun en colère. Sa peau semblait plus pâle que d’ordinaire et ses yeux plus brillants.
- Nous ne l’avons pas vraiment autorisée à quitter le refuge, Jun-sama.
- Mais elle s’est passé de notre accord.
La jeune femme soupira. Shâam n’était sûrement pas loin. Elle était restée à la forteresse. Rester enfermée toute la journée avait dû lui porter sur les nerfs. Croyait-elle vraiment qu’elle allait l’attendre sagement alors qu’elle l’avait abandonnée depuis presque cinq ans ? Elle était sûrement furieuse et perdue. Comment expliquer ce qui avait eu lieu ?
Iuchi Jun se leva. Sa tasse à peine entamée. Les plaies dans sa bouche se refermèrent. Elle salua le jeune homme et la femme avant de sortir. Elle ne supporterait pas d’attendre d’avoir des nouvelles de la jeune fille. Elle devait la trouver, la calmer, soigner son épaule... Elle ferma les yeux. Son esprit s’étendit, cherchant le jeune souffle de la shiotome mais une puissante bourrasque la repoussa.
Haruka !
L’esprit de rônin brûlait de rage. Etroitement enroulé à celui de sa descendante, il repoussait avec fureur les incursions du shugenja. Elle aussi lui en voulait d’être partie, d’avoir laissé l’enfant sans protection. Jun recula, incapable de continuer à lutter. Elle secoua la tête et opta pour une autre technique. Son esprit s’éleva à nouveau, à la recherche de celui de Ginko. L’animal la laissa venir sans méfiance. Elles étaient près du lac. En douceur, elle remonta la piste donnée par la jument. Ses pas effleuraient à peine le sol.
- Shâam ?
Une longue silhouette se tenait sur la berge. Jun s’arrêta, le souffle coupé. Elle avait tellement changé ! La jeune fille se retourna. Si ses traits étaient bien les mêmes que ceux de Shiori, quelque chose de beaucoup plus puissant s’en dégageait. Son teint de porcelaine s’était fait teint de cuivre. Le soleil ne l’avait pas brûlée, il l’avait caressée. Ses yeux gris avaient pâli. Leur éclat n’était plus celui de l’enfant qu’elle avait connu. Ils ne souriaient plus, ils ne pleuraient plus depuis bien longtemps. Les nervures gris sombre qui striaient son iris s’étaient effilées, conférant à son regard une violence déroutante. Son corps tout entier s’était effilé, comme une arme longuement passée à travers les flammes d’une forge, travaillée des milliers de fois, plongée dans l’eau lacée, affûtée, polie, dangereuse.
- Shâam ?
Elle ne ressemblait pas à Shiori. Elle était différente. Au premier abord, cela paraissait infime. Les yeux, la peau.... mais il s’agissait de bien plus. Son âme était différente, elle en était l’exact opposé. Tout ce que Jun avait appris à aimer en Shiori, n’existait pas chez Shâam. Ses yeux gris s’étaient posés sur elle avec indifférence, son visage n’avait pas bougé. Elle s’était contenté de la regarder, distante et glaciale puis son attention avait fui vers le lac.
Iuchi Jun s’avança doucement. Tout était si semblable à sa première dispute avec Haruka dans l’oasis. Le rônin restait obstinément tourné vers le lac, Seishuku buvait de longues gorgées et venait frotter son nez mouillé dans le cou de sa cavalière. Ginko s’ébroua et sa tête vint pousser Shâam contre Jun. La Licorne la remercia en silence et entoura la taille de la jeune fille de ses bras. Celle-ci continuait à fixer obstinément l’horizon.
- Es-tu en colère ?
Shâam ne répondit rien mais il sembla à la jeune femme qu’entre ses bras, le corps mince s’était détendu.
- Il faut que je voie ta blessure.
- Les autres n’ont rien vu. Pourquoi cela serait-il différent ?
Le ton était neutre. Impossible de dire ce qu’elle ressentait. Elle avait toujours su lire en Haruka mais avec la jeune fille, c’était différent. Quelque chose lui échappait.
- Viens avec moi, Shâam.
La jeune fille se redressa et prit dans sa main les brides de sa monture. Elle suivit le shugenja sans parler. Arrivées au refuge, elle lui servit une tasse de thé.
- Est-ce que ça te fait mal ?
- Oui.
- A quel point ?
- Au point que je me réveille la nuit en me disant que je vais mourir. Au point de vouloir que le sang en coule, pour être sûre que ce n’est qu’une plaie et qu’aucune créature ne me ronge de l’intérieur.
Les yeux pâles étaient restés calmes. Elle n’avait pas touché au thé.
- Laisse-moi regarder.
Elle haussa les épaules. Jun délaça la tunique sombre de l’aspirante. La blessure lui apparut aussitôt, large, hideuse, exsangue. La jeune femme savait qu’elle pouvait la faire disparaître mais ce ne serait qu’en surface. La blessure profonde, celle qui liait l’esprit de la jeune shiotome à celui de Shiori, demeurerait. Elle se concentra sur la plaie. La magie employée par la famille Iuchi ne marcherait pas sur cette plaie, elle avait besoin de quelque chose de plus vieux, de plus puissant. Au lieu de rester éloignée, Jun posa ses mains tout contre la plaie, tirant à Shâam un gémissement de douleur. Le tissu des deux peaux s’échauffa et la jeune fille cessa de bouger. Une trame diaphane naissait des doigts du shugenja pour se coller sur la blessure. Les bords pâlirent et le sang se retira, puis le centre pâlit lui aussi, une nouvelle peau était en train de recouvrir la plaie. Il ne resta bientôt plus qu’un rond pâle sur l’épaule de la jeune fille. Lorsque Jun retira ses mains, elles étaient brûlantes et carmines.
- Jun-sensei !
Elle sourit en entendant son prénom.
- Tu n’es plus fâchée ? souffla-t-elle.
- Qu’avez-vous fait ?
Shâam la saisit aux poignets. Son regard gris, indifférent au début, était maintenant si intense qu’il lui brûlait la peau. Jun frissonna. Il avait la force de celui de Haruka.
- C’est votre peau.
Son regard avait de nouveau cette froideur que Jun ne connaissait pas. Elle baissa les yeux sur ses paumes à vif. En dépit de son ton indifférent et de la neutralité de ses expressions, les mains de Shâam serraient toujours aussi fort ses poignets.
- Il y a un pot de faïence bleue, près des bambous secs. Apporte-le.
La douleur faisait trembler sa voix. Shâam ne protesta pas et la lâcha. L’onguent à l’intérieur du pot était également bleu. Elle brida sa curiosité naturelle et entama généreusement la pâte. Jun essaya bien de se dérober mais le regard gris abandonna à nouveau son indifférence pour la foudroyer. La jeune fille maintint fermement une de ses mains tandis qu’elle appliquait la pommade à l’étrange couleur. La douceur dont elle fit preuve contredit l’expression de son visage glacé.
- Merci.
Shâam referma le pot. Elle relaça sa tunique et se leva.
- Je vais rester à côté.
- Ce n’est pas la peine, tu sais...
Shâam s’éloigna sans faire cas de son intervention. Le shugenja sourit. Elle reviendrait doucement vers elle...
Lorsque la nuit tomba, l’onguent se mit à briller d’une lueur argentée et la peau recouvrit à nouveau les paumes de la jeune femme. Une peau neuve et tendre. Elle se leva et alla se laver les mains. L’eau froide complèterait la guérison puis, sans bruit, elle fit coulisser le shoji qui délimitait l’entrée vers la salle des blessés. Seule Shâam y séjournait. Ses bottes étaient couchées sur le côté, le manche d’un tanto en dépassait. Jun sourit, reconnaissant encore un autre trait de Haruka. Elle s’approcha du futon et sursauta. La mince couverture avait glissé le long du dos de la jeune femme et découvrait sa peau nue et ses muscles fins. Ses mains serraient le matelas et des larmes avaient coulé sur ses joues. Son visage, même baigné d’obscurité et malgré le sommeil, conservait une beauté troublante. Un sentiment qu’elle n’avait jamais éprouvé en regardant Shiori s’empara d’elle. La beauté de Shiori était douce et tranquille, ses pommettes se rehaussaient lorsqu’elle souriait, ses yeux bruns se mettaient à briller.
La beauté de Shâam était violente, dangereuse. C’était une beauté qu’elle ne contrôlait pas. Ses yeux gris qu’elle voulait froids, attisaient le désir, provoquaient ceux qui les contemplaient, les invitaient à se perdre. Tout son corps était à cette image, distant mais pourtant, incroyablement tentant.
- Jun ?
La jeune fille s’étira, étonnée de la présence de la jeune femme.
- Comment était shiro Otaku en mon absence ? demanda la Licorne en s’asseyant sur un coin du futon.
Elle n’avait pas eu l’occasion de parler franchement avec Shâam. Elle voulait tout savoir de sa vie pendant ces cinq dernières années.
Shâam recula. Elle n’aimait pas les questions trop personnelles. Répondre ne ferait que creuser une blessure. Encore une autre. Elle n’aimait pas parler, elle n’aimait pas les mots, ils faussaient les idées. Elle ne connaissait que deux façons d’éviter de répondre. Fuir et se battre. Mais en plongeant dans le regard du shugenja, elle en découvrit une troisième. Après une légère hésitation, ses lèvres se posèrent sur celles de Jun.
La Licorne gémit, bouleversée par le flot tumultueux qui émanait de la jeune Otaku. Il y avait de la colère dans son baiser, la colère d’avoir été ainsi acculée. Mais elle sentit son amour, profond, désespéré, son attente de cinq ans pour enfin la retrouver. Elle se fit violence pour arrêter mais il était trop tard, elle brûlait de l’envie de posséder le corps cuivré. Ses mains se posèrent sur la cambrure de ses reins, l’attirant violemment à elle. Elle se perdit dans les yeux pâles, dominée par leur force. Il y avait Haruka dans ses yeux. Il y avait Haruka sur sa peau, Haruka sur ses lèvres.
Mei Hua
Cela ne dura qu’un instant. C’était bien Shâam entre ses bras, Shâam en elle, sa langue sur les paumes de ses mains, ses murmures à son oreille. Et c’est à cette âme que la sienne se lia comme jamais elle ne s’était liée auparavant. L’abandon la surprit. La raison et le devoir venaient d’être balayés par une jeune fille aux yeux gris. En une nuit, elle oublia tout. Qui elle était et pourquoi elle était là. Elle ne garda à l’esprit que la douceur de la peau de cuivre et la force du regard d’orage. C’était maintenant à elle que la Licorne appartenait...
- Tout va bien, Jun-sama ?
A travers les shoji, la jeune femme reconnut la voix de Yûki. Le soleil passait au travers des stores de bambou, Shâam n’était plus là.
- Oui.
Elle ne reviendrait plus. En silence, son cœur saigna.
Otaku Sh?am
Floodspeakeuse, supp?t de l'outremonde.
Inclinez cette carte et les unit?s ennemies s'en iront ramasser des petits cailloux...
Et dire que des gens oublient les petits cailloux, quelle honte!