[Nouvelle] Licorne

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Otaku Sh?am
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Message par Otaku Sh?am » 04 déc. 2005, 20:17

L’épée posa rapidement un problème. Jun était à présent sûre de son caractère maléfique. Tout d’abord, le sang qu’elle y avait versé par mégarde, au lieu de sécher comme il aurait dû le faire, restait toujours aussi rouge, aussi brillant. Elle était sûre que si elle y avait porté la main, elle l’aurait ramenée vermillon. Mais ce n’était pas son sang. C’était le sang des âmes tourmentées qui vivaient dans la lame, le sang des traîtres Scorpions.
Les gens qui passaient à son côté se sentaient tous tenté de la saisir. Un évènement entre tous poussa Jun à emmener l’épée loin de Rokugan, là où elle n’aurait plus de prise sur les âmes vivantes. Un évènement non négligeable puisqu’il avait trait à l’enfant élue.

Une Lune aux rayons blafards filtrait sous la porte de la demeure de Jun. Une lueur entêtante qui l’empêchait de trouver le repos. Elle se leva et quitta la chaleur de son abri pour gagner l’extérieur ; non pas qu’elle pensa que foudroyer Onnotengu du regard le ferait briller moins fort, simplement elle n’avait pas sommeil. Son esprit était curieusement agité. Dans les terres brûlées, on prétendait que la Lune influençait les humeurs des hommes.
En d’autres temps, Jun aurait trouvé cela ridicule mais elle avait vécu tellement longtemps qu’elle avait appris qu’une croyance n’était jamais fondée sur rien.

Il y avait des années qu’elle n’avait pas retrouvé sa véritable apparence. Courir, l’encolure caressée par le vent et les sabots foulants l’herbe humide lui manquait. Elle n’avait connu cette sensation qu’une fois, en rentrant à Rokugan. Elle s’était autorisé cet écart-là. Elle avait vu le jour dans le désert et elle ne connaissait que le crissement du sable et le vent chaud.

Ce soir-là, elle sentait un appel. Le même appel qui l’avait conduite à Haruka. Son esprit était à présent totalement éveillé et ses rêveries de cavalcades évanouies. Un détail lui avait échappé. Pas un détail, le point le plus important lui avait échappé. Lorsqu’elle avait quitté la pièce, l’épée n’était plus là ! Son cœur s’emballa. Son esprit sortit de la brume. Elle venait d’être envoûtée par cette foutue épée !
Fébrilement, elle tenta de chercher d’où venait l’appel lorsqu’elle entendit un cri. Instinctivement, elle repris sa forme originelle et s’élança. Ce qu’elle vit la laissa pantelante. Shâam était plaquée contre un arbre, recroquevillée, son kimono en lambeaux, le corps couverts de bleus et d’entailles, ses yeux gris fixaient avec peur mais aussi colère, la longue silhouette qui la menaçait. Dans sa main droite, la lame luisait, rouge, grise dans la nuit.

- Tu vas voir, sale gamine !

Jun reconnut la voix avec horreur. Otaku Tae. La mère de l’enfant ! Elle libéra ses pouvoirs, pour frapper l’esprit de la shiotome possédée mais en vain. C’était bel et bien son sang qui avait éveillé la lame et sa magie ne fonctionnait pas contre son propre sang. Mais sa tentative détourna Tae de sa besogne. Ce temps fut suffisant pour que l’enfant se faufile sous la garde de sa mère. La lame brisa presque net le tronc contre lequel la fille avait été acculée. Jun profita de la faille et frappa violemment Tae qui s’effondra, tenant l’épée serrée contre elle. La Licorne reprit forme humaine.

- Jun-sensei ?

La Licorne sourit et l’enfant glissa lentement sur le sol, endormie. Elle s’avança sur l’herbe et ramassa la lame. Il était temps de s’en débarrasser...

Des gardes arrivèrent sur les lieux et Shâam lui fut emmenée. Tae raconta que quelque chose les avait attaquées, ce qui n’était pas entièrement faux. Jun avait de toutes façons implanté des souvenirs dans l’esprit de la femme. Elle ne souffrait que d’une bosse sur l’arrière du crâne. En revanche, l’enfant était plus sévèrement touchée. Jun pansa ses plaies avec soin, pommada les bosses et les bleus. Elle découvrit alors des marques de coups plus anciennes et comprit avec douleur que l’épée n’avait fait qu’influencer quelque chose qui était déjà présent chez Tae. Le choix qu’Haruka avait fait se justifiait de plus en plus. Une enfant, blessée par ceux qui étaient censés la protéger. Sa mère, son sensei. Comme pour Haruka elle-même.
Shâam ne conserva aucun souvenir de l’évènement. Ni de sa mère tentant de la tuer, ni de la Licorne. Jun y veilla. Elle ne souhaitait pas que plus tard, l’enfant prenne le chemin de la vengeance tout comme son ancêtre.

Lorsqu’elle fut certaine que Shâam était hors de danger, elle quitta les plaines Otaku.
Dans une grotte, lointaine de tout campement humain, au milieu du désert, Jun déposa la lame enveloppée d’une étoffe blanche, qui ne tarda pas à se souiller de sang. Ainsi si quelqu’un la trouvait, la vue du sang serait dissuasive. Même dans les terres brûlées où les tabous liés au sang étaient moins violents, on répugnait à toucher une arme qu’on sentait liée à un crime. Le sang était assez évocateur.

Jun ne resta pas absente de shiro Otaku bien longtemps. Son destin était inexorablement lié à celui de l’enfant nommée du silence et des ténèbres. L’épée elle aussi y était liée, comme Jun en vint à l’apprendre plus tard. En consultant les archives des shugenja qui l’avaient parfois remplacée, elle s’aperçut que la jeune Shâam était née lors de sa première absence de shiro Otaku. En réalité, au moment même où le sang de Jun avait coulé sur la lame, le nourrisson avait poussé son premier cri, faisant écho au cri de joie féroce de l’âme de Haruka.
Seulement, Shâam n’était pas la seule enfant née cette nuit-là, dans cette maison. Il y en avait eu une deuxième. Une jumelle.
Quand le shugenja l’apprit, sa vision de Shâam bascula. Désormais elle pouvait voir le fil invisible qui la retenait à la vie. Un fil nommé Shiori dont elle n’avait même pas conscience. Haruka et elle avaient partagé cette expérience.
Lorsque le rônin s’était perdu dans le désert, en dépit de la soif et de la faim brûlant sa gorge, fouaillant son ventre, en dépit de son œil brûlant, de l’orbite creusée par les vers, elle était restée en vie. Quelque chose. Un fil mince mais ténu, l’empêchait de sombrer. Quelqu’un l’attendait.
Lorsque les griffes des fauves avaient percé ses flancs, lorsque le sable avait bu son sang, Jun n’était pas morte. Il y avait le fil.
Cette conscience que quelque part, on l’attendait, Shâam l’avait... Encore un autre point commun à Haruka.

Shiori. Officiellement morte un mois après sa naissance. Si elle l’avait été, le lien aurait été tranché. Or, il ne l’était pas...
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Message par Otaku Sh?am » 13 juin 2006, 14:19

Shâam leva les yeux vers la jeune femme et une brève lueur d’intérêt passa dans ses prunelles grises. Elle s’inclina légèrement. Quelques brindilles de paille étaient accrochées à sa chevelure. Elle tenait à bout de bras la lourde selle de cuir brun destinée à la pouliche.

- Le dressage sera bientôt terminé à ce qu’on m’a dit. fit doucement Jun.

Un peu de fierté transparut tandis que l’enfant hochait la tête. Elle avait été l’une des premières à apprivoiser sa monture. Alors que les autres peinaient encore à tenir en selle sous les ruades furieuses des jeunes chevaux, Shâam était capable d’aller où bon lui semblait.

Dans la famille Otaku, le dressage n’était pas un moment privilégié entre le cheval et le dresseur. Loin de là. Le futur cavalier se devait d’être présent. Les chevaux Otaku accomplissaient ce qu’aucun autre cheval au sein du clan n’était capable d’accomplir. Ils ne se contentaient pas de porter leurs cavaliers. Ils se battaient avec eux. Ils étaient au même titre que le sabre dans certaines familles de l’Empire, l’âme des Otaku. C’est pour cette raison que la période de dressage était une période particulièrement délicate. Si la cavalière et l’animal ne parvenaient pas à se lier à ce moment-là, jamais plus ils n’y parviendraient. Les aspirantes dont les mères possédaient des juments montaient le plus souvent leur progéniture. C’était le cas pour Shâam. Un poulain noir né des flancs d’une jument blanche. Un poulain dont personne n’aurait voulu. La croyance populaire au sein de la famille voulait que juments et poulains aient la même robe en commun. On disait que la monture qui dérogeait à cette règle portait malheur à son cavalier.
Les familles Shinjo, Moto et Iuchi se fichaient de cet adage mais chez les Otaku, il avait une importance capitale. Otaku Tae avait donné ce poulain à sa fille uniquement parce qu’elle réservait le poulain blanc pour sa seconde fille.

Jun posa sa main sur l’encolure sombre. Elle caressa le cou nerveux, son regard suivit la ligne fuselée et musclée des jambes. Les grands yeux bruns de l’animal l’observaient en silence. Les naseaux soyeux palpitèrent alors qu’elle approchait sa main, la marquant de son odeur. La pouliche cligna des yeux. Elle venait de la reconnaître pour ce qu’elle était... puis elle renâcla et poussa du front l’épaule de Shâam, quémandant sa sortie.

- Quel est le nom de la fille d’Arkana ?
- Ginko.

Elle sourit. L’enfant se dressa sur la pointe des pieds et déposa la selle. Une odeur de cuir et de crin effleura Jun, lui rappelant cette époque oubliée des longues chevauchées. Elle l’observa ajuster les courroies avec douceur pour ne pas blesser le ventre de l’animal, passer le mors que la pouliche n’essaya même pas de recracher. Ginko observait en silence, son nez chatouillant de temps à autre la nuque de Shâam. Le shugenja fut saisie par cette complicité silencieuse. Les gestes de l’enfant étaient sûrs, comme si elle avait passé des années à les faire, la patience de la monture étonnante alors qu’elle était si jeune. Les deux silhouettes lui rappelèrent celles de Haruka et de Seishuku dans le désert...
Un peu plus loin, on entendait les exclamations de colère ou de douleur des jeunes Otaku, les hennissements des jeunes chevaux et le bruit d’un cuir rageur jeté contre une peau rebelle. Tous les ans, avec l’arrivée de nouveaux enfants, ce schéma se répétait. La lutte de deux volontés. La femme contre l’animal. Une lutte qui n’était pas sans heurts. La jeune femme ne se souvenait que trop des bras cassés causés par les chutes, des bleus dus aux morsures... Mais avec Shâam, rien de tel ne s’était produit. Ginko n’avait pas rué une seule fois, aux dires des dresseurs qui encadraient les jeunes aspirantes. Elle n’avait pas découvert ses dents. L’enfant n’avait jamais levé la main sur sa monture, pas plus qu’elle ne l’avait talonnée. La pouliche avançait, commandée par les mains de la fillette sur son cou, par son souffle dans sa crinière. Cette entente était tout simplement prodigieuse. Tellement que nul n’en avait encore soufflé mot au sensei de l’enfant. Otaku Aiko aurait tout fait pour briser cette harmonie...

- Je dois y aller, Jun-sensei.

La jeune femme sourit et enleva les brins dorés des cheveux de jais.

- A bientôt.

Ginko souffla et quitta l’écurie au pas. Le dos de la cavalière était bien droit, ses épaules détendues. Elle s’échappait...
Derrière elles, les leçons laborieuses de ses camarades continuaient. Jun entendit un craquement étouffé et soupira. Elle se dirigea vers les dresseurs.

- Jun-sama....
- Je m’en occupe...

Lorsque la nuit tomba, Jun autorisa l’aspirante blessée à rejoindre ses camarades. Ces filles-là étaient tellement éprises d’équitation que même avec un bras cassé, elles étaient capables d’essayer de remonter en selle. La fermeture des écuries et la consigne des élèves au dortoir étaient les deux conditions nécessaires pour que la jeune Iuchi accepte de libérer ses petites patientes. Cela valait aussi pour les plus âgées...

- Repose-toi bien, Narumi.
- Hai, Jun-sama.

La jeune femme posa son regard brun sur la lune brillante. L’heure était bientôt venue... Un bruit de pas près d’elle la fit sourire.

- Tu devrais être avec les autres...
- Je voulais vous rendre ce que vous m’avez prêté.

Jun rit doucement et reprit le parchemin tendu par l’enfant. Ses cheveux étaient ébouriffés par sa course et dans la pénombre, ses pupilles dilatées comme celles d’un animal.

- Est-ce que cela t’a plu ?
- Je n’ai pas tout compris à vrai dire... Il y a certains signes que j’ignore encore... Mais j’ai trouvé ça très beau.
- Tant mieux.

Shâam n’avait pas montré que de l’intérêt pour les plantes et les baies. L’écriture la fascinait parce qu’elle ne la comprenait qu’en partie. Jun lui avait fait lire quelques haïku et l’enfant s’était enthousiasmée. Elle lui avait donc prêté un recueil entier.

- J’ai encore quelque chose pour toi.

Un haussement de sourcil lui répondit. L’enfant n’avait jamais été bien bavarde.

- Je suis heureuse que tu sois venue, tu sais. Si tu étais venue plus tard, je n’aurais pas pu te le donner.

Le front lisse fut un instant troublé. La jeune femme lui tendit un morceau de parchemin sur lequel trois phrases avaient été habilement calligraphiées. L’écriture ne ressemblait en rien à celle que l’on citait en modèle à la Cour. Bien sûr, elle annotait les mêmes signes mais la forme était différente. Plus souple, plus allongée. Si elle avait dû choisir entre les caractères rigides des recueils et les caractères effilés de Jun, Shâam aurait choisi les derniers. Quand ses yeux suivaient les traits, elle avait l’impression de traverser une autre réalité.

- Tu peux le lire, Shâam-chan ?

L’enfant resta un moment silencieuse. Elle n’aimait pas se tromper. Avant de parler, elle préféra décrypter signes et syllabes dans sa tête.

Trop tard arrivée
Et les yeux pleins de larmes
Trop tôt repartie.


- Tu comprends, Shâam-chan ?

Elle hocha la tête sans un mot.

- Tant mieux.

Elle caressa les cheveux noirs en souriant, heureuse que la nuit cache ses larmes. Cependant elle savait que l’enfant silencieuse et sombre les entendait. Ses yeux gris brûlaient de rage.

- Je serai de retour dans quelques temps.

Shâam replia le poème et le glissa à son obi puis elle s’éloigna, glaçante d’indifférence. Sa confiance en Jun venait de se briser. Elle allait devoir demeurer seule. Contre Tae, contre Aiko, elle n’aurait plus rien d’autre qu’elle-même...

Jun s’effondra. Elle l’abandonnait tout comme elle avait abandonné Haruka. Mais son absence était nécessaire...
Dernière modification par Otaku Sh?am le 13 juin 2006, 14:41, modifié 1 fois.
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Message par Otaku Sh?am » 16 juin 2006, 15:06

Elle le détesta dès qu’elle le vit.
Il n’avait pourtant rien pour déplaire...
Shosuro Shun était un bel homme. Ses manières étaient exquises, ses gestes empreints de grâce et de prévenance. Sous le velours pourpre qui recouvrait le bas de son visage, on voyait souvent ses lèvres sourire. Sa peau était délicatement hâlée. Pas assez pour qu’il ressemble à un Licorne, pas trop peu cependant pour qu’il ait le teint pâle et maladif des Doji. Sa voix était chaude. Lorsqu’elle résonnait, l’assistance se mettait aussitôt à frissonner.

Mais tout en lui était faux...

Jun avait suivi le fil ténu accroché aux rares sourires de Shâam. Ce fil qui vibrait et se tendait sans qu’elle en ait conscience. Ce fil qui la faisait vivre et qui lui rendait son humanité dans les moments les plus sombres. Les pas de la jeune Iuchi l’avaient menée jusqu’à shiro no Shosuro. Après avoir émergé de la forêt de Shinomen, ses yeux noirs s’étaient posés sur le jardin tortueux qui entourait la citadelle. Elle n’avait pas été soulagée. Elle avait éprouvé une douleur presque physique face à ce que le destin avait coutume de nommer « ironie ». Bayushi Haruka avait passé sa vie à se consumer de haine pour le clan du Scorpion et c’était dans le sein même de son ennemi que s’était épanoui sa descendance... Le mon déformé sur les bannières de nuit était couché sur les créneaux. Il ondulait malgré l’absence du vent et semblait se rire d’elle.
Jun sentait la présence de la dénommée Shiori. Tout près d’ici, cet autre enfant vivait. Elle ferma les yeux, passant de la forme équidée à la forme humaine. Sentant le contact de sa chevelure fine et noire sur ses épaules, elle avait souri. Posant sa main contre l’écorce d’un arbre, elle l’en avait débarrassé pour s’en vêtir. Le bois s’était assoupli entre la trame de ses doigts effilés. Les yeux de nuit assombrirent la teinte brune jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus aucune clarté dans les fibres. Sortant de sa sacoche un poignard, elle entailla la paume droite de sa main. Elle incanta les esprits des sa terre lointaine et le sang qui se mit à couler vint ourler l’habit de vermeil. Elle murmura quelques paroles dans son ancienne langue et la plaie se referma. Entre ses mains, elle tenait un kimono, en tous points identique à ceux des Shosuro. Lentement, elle en couvrit sa peau nue. Elle remit de l’ordre dans sa chevelure ébouriffée par la course et s’avança vers les murailles grises.
Alors qu’il ne lui restait plus que quelques dizaines de mètres à parcourir, ses doigts s’enroulèrent autour d’une invisible toile d’araignée.

- Pardon, petite sœur... murmura-t-elle à la créature velue qui recula.

Elle déposa les fils contre son cœur. Aussitôt, ils s’épaissirent et s’entremêlèrent. Le mon Shosuro s’étala bientôt, livide sur sa poitrine. Elle était prête...

- Puis-je connaître votre nom ?

Le garde la scrutait d’un air soupçonneux. Elle était arrivée, seule et à pied de nulle part, sans escorte aucune... Les Shosuro n’avaient pas coutume de se déplacer sans leurs frères de la famille Bayushi sur les routes. La jeune femme était d’une beauté stupéfiante et elle ne portait pas de masque. Il durcit son regard sous les griffes de métal qui barraient son visage et resserra sa prise sur sa yari.

- Shosuro Jun.

Il rit nerveusement et s’inclina.

- Pardonnez-moi, Jun-sama ! Votre absence a été si longue... c’est sans doute pour cela que j’ai mis tant de temps à me rappeler de votre visage.
- Ce n’est rien.

Comment avait-il pu oublier la jeune femme ? Sa méprise le désolait... Il la laissa passer sans poser plus de questions. Bien entendu, ils attendaient le renommé professeur de calligraphie depuis trois semaines. Ses supérieurs le lui avaient répété sans cesse.
Jun dépassa l’homme et continua sa marche. Elle était bientôt arrivée au bout du fil de vie. Personne ne lui prêta attention, elle ne le souhaitait pas encore. Pour l’instant, l’endroit était semblable à n’importe quel shiro de l’Empire. Hormis le jardin interdit dont elle avait senti les effluves de mort, cet endroit n’avait rien d’exceptionnel. On y trouvait beaucoup d’étrangers venus des autres clans. Les Shosuro étaient connus pour leurs dons artistiques... Haruka les connaissait plus pour leurs manipulations et leurs assassinats et Jun devina que cette luxueuse devanture n’avait rien de commun avec ce qui se passait vraiment dans les épaisses murailles. Tous les châteaux avaient leurs accès réservés.
Des rires la firent se figer. Elle était ici... Elle s’avança doucement. Trois enfants étaient appuyés contre la margelle de pierre d’une fontaine. Jun observa en silence.

- Whaa ! Ce poisson est énorme !

Un jeune garçon hirsute avait commencé à parler.

- Je suis sûr qu’il pourrait avaler ta main ! renchérit un autre.

La seule fille se recula, visiblement répugnée.

- N’importe quoi ! s’écria-t-elle en gardant cependant ses distances.

Jun la reconnut. La copie exacte de Shâam. Seulement, là où les yeux de Shâam avaient l’éclat menaçant des nuages pendant l’orage, Shiori avait l’ambre chaude du regard de Haruka.

- Puis-je vous être agréable ? murmura une voix masculine.

Jun se retourna. Au dessus du velours pourpre, deux yeux gris pâle, nervurés de gris foncé. Les yeux de Shâam... Son père.

- Je m’appelle Shosuro Shun.
- Shosuro Jun. Je suis ici pour enseigner la calligraphie.

Il parut troublé quelques instants avant de se ressaisir.

- Shiori, Inao, Hijoki ! Votre nouveau professeur est arrivé.

Jun sourit. Ce qu’elle avait à faire ici pouvait commencer.
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Message par Otaku Sh?am » 19 juin 2006, 19:54

Shiori était très différente de Shâam. Jun le vit tout de suite. Bien qu’elle ait hérité des yeux ambrés de Haruka, il était évident que ce n’était pas elle que le rônin avait décidé d’habiter. Elle ne possédait pas cette fureur enfouie qui était déjà apparue chez sa jumelle. Une fureur enfouie et dévastatrice...

Shiori était une enfant agréable. Là où Shâam ne disait mot, elle était volubile et souriante. Elle n’avait qu’une dizaine d’années mais déjà, elle avait compris à quoi les souries pouvaient être utiles. Le charme était une notion qu’elle ne découvrirait que bien plus tard et pourtant, inconsciemment elle en maîtrisait déjà les bases. Ses camarades recherchaient tous ardemment sa compagnie et les adultes chargés de son éducation lui prédisaient tous une brillante carrière au sein de la famille. Shiori avait compris l’intérêt d’envoûter ceux qui lui voulaient du mal mais Shâam n’avait appris qu’à leur faire plus de mal encore...
Elle avait en revanche plusieurs choses en commun avec sa moitié. Son intelligence vive, qui saisissait même les paroles muettes des adultes qui l’entouraient. Son acharnement. Shiori était capable de retracer des milliers de fois un caractère qui lui échappait ou dont le tracé ne convenait pas. Jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite, elle ne capitulait jamais... Elle esquissait de simples pas des dizaines et des dizaines de fois, jusqu’à ce qu’ils deviennent une partie d’elle-même.

A son âge, on commençait à lui parler des grands auteurs de Rokugan. Elle serait bientôt capable de les lire après tout... Mais surtout, on commençait à faire travailler son corps avec plus d’intensité. Dès l’âge de six ans, les jeunes Shosuro apprenaient à se mouvoir avec grâce. Dans tout l’Empire, ils étaient les enfants dont la gaucherie ne subsistait pas après le début de l’apprentissage. Le moindre geste devait être mesuré. Les enfants étaient régulièrement soumis à un test. Ils devaient passer à dix mètres de leur sensei et ne pas faire un seul bruit, ni soulever la moindre brise.
Il était évident que tous échouaient... Il fallait en réalité plus de dix années pour parvenir à maîtriser de tels mouvements. Ceux qui s’exécutaient le mieux étaient choisis pour une formation qui les éloignerait à jamais de la gloire de la profession d’acteur mais où ils pourraient avoir la reconnaissance des plus rands de leur clan. Les autres deviendraient acteurs ou dramaturges. Il était amusant de penser que ceux que Rokugan adulait le plus n’étaient guère considérés au sein de leur famille. On reconnaissait le talent littéraire des dramaturges mais les acteurs n’étaient jamais considérés que comme des assassins ratés. Mais tous commençaient leur vie avec cette même exigence. Les gestes, faits pour divertir ou pour tuer devaient être précis, gracieux et surtout silencieux.

Shiori était une enfant appliquée et consciencieuse. Jun l’apprivoisa avec beaucoup plus de facilité que Shâam. Elle n’était d’ailleurs pas encore sûre d’ y être parvenue... Mais Shiori avait un point faible. Aux yeux d’un humain, ce point faible était invisible mais Jun savait...

Elle savait que lorsque personne ne la regardait, elle levait les yeux de ses leçons pour regarder voler les oiseaux. Elle interrompait le travail de son corps pour regarder onduler les surfaces des bassins emplis de carpes, onduler l’herbe grasse des jardins... Dans ces moments-là, elle regardait au loin et elle souhaitait accompagner les moineaux dans leurs vols, tremper ses pieds dans les bassins et éclabousser ses camarades, s’étendre sur l’herbe et regarder le ciel. Mais à peine s’était-elle délectée de ce spectacle quelques secondes qu’elle reprenait ses airs de petite fille modèle.
Si les circonstances avaient été différentes, Shiori aurait eu plus d’engouement pour les escapades en plein air que pour la danse, le théâtre et l’écriture. Mais Shiori vivait pour Shun et jamais elle n’aurait osé le décevoir... Il suffisait que l’homme au visage bordé de velours apparaisse pour que la fillette soit transfigurée. Dans ces moments-là, Jun en venait presque à apprécier Shun. Elle l’aurait peut-être pu si elle n’avait pas su que même l’amour qu’il semblait porter à sa fille était lui aussi mis en scène. Shiori n’était guère plus pour lui qu’un petit chiot divertissant que son clan lui avait confié.
Il avait tout fait pour qu’elle n’admire que lui. Jamais aucune femme n’avait joué le rôle de mère pour la fillette. Sa mort était un mensonge bien sûr mais cela ne faisait que conforter l’idée qu’elle était seule au monde et qu’il était unique pour elle.
Jun avait compris tout cela. La situation de Shiori était aussi pitoyable que celle de Shâam. Elle n’avait que le maigre avantage de vivre dans l’illusion d’être aimée.

Un soir, l’enfant était dehors. Ses yeux d’ambre posés vers l’horizon, elle étirait son corps. Déjà, elle parvenait à fouler l’herbe sans aucun bruit. Déjà, elle parvenait à tordre son corps comme un roseau sous la tempête. Elle posa ses mains sur la margelle de pierre de la fontaine. Cette première fois où Jun l’avait vue, elle était déjà ainsi... Mais ce soir, gardant ses mains à plat contre la pierre, elle allongea son corps sur l’herbe, cambrant son dos d’une façon qui fit frémir Jun d’horreur. Des gouttes de sueur perlaient sur le jeune visage alors qu’elle maintenait cette épouvantable position. Ici résidait peut-être le seul point commun des Shosuro et des Otaku. Souffrir mais toujours dans le silence...

Le shugenja s’avança et s’assit sur la pierre. Shiori sursauta et rompit sa posture. Elle posa son front contre l’herbe.

- Jun-sensei.
- Shiori-chan.

Elle tira de sa manche une petite bourse de tissu dont elle délia les cordons. Malgré son dos courbé et sa position respectueuse, l’enfant ne parvint pas à cacher son intérêt. Jun prit une pincée d’herbe séchée et la lança sur l’onde. Shiori se redressa en dépit de ses efforts de politesse, curieuse. Le geste de la belle jeune femme avait presque paru magique tant il avait été gracieux...
Sous la surface, les carpes affluèrent et engloutirent la mystérieuse herbe comme s’il s’était agi de vers.

- Regarde. fit doucement Jun.

Aussitôt, les carpes se mirent à s’agiter et à onduler frénétiquement dans l’eau.

- Elles dansent ! s’écria Shiori.

En effet, un ballet d’écailles chatoyantes se créait sous leurs yeux. La jeune femme posa sa main sur l’épaule mince de la fillette qui lui sourit. Cela avait été d’une telle simplicité... Shiori demandait tellement à être aimée. L’affection lointaine de Shun n’avait rien à voir avec ce qu’elle ressenti ce jour-là en contemplant le sourire de Shosuro Jun. Elle ressentit une véritable affection, une de celles qui se passeraient de retour.

De ce jour, Jun ne cessa de se rapprocher de l’enfant. L’apprentissage d’un nouveau caractère était l’occasion de parler des heures durant de tout ce qui l’entourait. Nuit, étoile, devoir, amour, bonté, haine, colère, orage, silence, tendresse. Il ne s’agissait pas que d’écrire, il s’agissait de comprendre les mots, les idées qui vivaient avec eux. C’est de cette manière que Shiori apprit peu à peu à grandir, au travers des paroles de Jun. Elle se mit à lire les pièces de théâtre et les traites de poésie d’un œil distant, guettant les occasions de plonger ses pieds dans les fontaines fraîches, de fouler l’herbe verte et d’exercer son corps sous la caresse du soleil. Elle devint distante. Inao, Hijoki ne furent plus pour elle que des amis lointains alors que Jun lui enseignait l’existence d’une autre forme de vie, celle des plantes. En quelques mois, elle apprit les remèdes, les baumes... Son écriture était la plus déliée et admirable de tous les aspirants. Ses récitations arrachaient des frissons, elle vivait avec les mots, elle les portait sous sa langue pour les jeter comme des baisers ou des coups sur son public. Les mouvements souples et fluides de son corps attiraient les félicitations. Même le distant Shun sembla s’intéresser davantage à son petit chiot.
Tous les soirs, Shiori rejoignait Jun et se promenait longuement avec elle dans les jardins. Au fil des années, son corps s’affinait, sa beauté s’affirmait. A treize ans, elle faisait tourner la tête de bien des garçons au shiro et on entendit parler d’elle jusque dans les autres villages du clan. Shosuro Shun rejetait avec affectation chaque demande de mariage. Shiori était terriblement belle. Son visage était doux, ses yeux souriants, sa bouche joliment dessinée et ses cheveux avaient la douceur de la soie. Son corps entraîné aux danses et aux pirouettes s’était sculpté tout en longueur et finesse. Elle était étonnamment grande pour une fille. Héritage de Tae cette fois-ci.

Durant trois ans, la vie ne fut qu’un rêve. Jun aimait réellement la jeune fille. Mais la bulle de bonheur finit par éclater....
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Otaku Sh?am
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Message par Otaku Sh?am » 22 juin 2006, 14:25

- Cette nouvelle me comble de joie.

Jun accepta en inclinant son visage la tasse tendue par le heimin. En face d’elle, Shosuro Shun laissait enfin éclater sa joie arrogante. Il porta la tasse à ses lèvres avec un sourire satisfait. La jeune femme s’étonna de l’élégance de ses mains. Comment la beauté pouvait-elle demeurer sur un corps souillé par le sang ? Combien de nuques s’étaient brisées dans l’étreinte de ces belles mains ? De combien d’hommes et de femmes, le visage charmeur avait-il été la dernière vision ?

- J’imagine qu’en tant que professeur, vous devez vous-même être très fière, Jun-sama ?
- Bien évidemment... Ce qu’a accompli Shiori est pour le moins exceptionnel...
- Oui, c’est exact ! Exceptionnel ! Shosuro Akemi qui dirige Le Masque de Soie se penche déjà sur son éducation. Elle souhaite que ma fille nous rejoigne sitôt son gempuku passé.
- Fabuleuse nouvelle...

Shun rit et reposa sa tasse.

- Vous êtes bien laconique ! Personnellement, j’aimerais déjà que ma fille soit à mes côtés !
- Est-ce bien ce qu’elle souhaite ?

L’homme arqua un sourcil, surpris par une telle question.

- La renommée d’Akemi-sama n’est plus à faire. Certains tueraient pour avoir ses attentions ! D’ailleurs c’est bien ce qu’ils feront... Mais Shiori a déjà sa place.
- Bien sûr... Grâce à cet exploit.
- Oui.

Shosuro Shiori avait réussi, à treize ans, ce qu’aucun n’avait encore réussi avant elle. Ses pas avaient tournoyé près de son sensei sans qu’il ne parvienne à l’entendre. Ses mains fines avaient frôlé son visage sans qu’il ne remue un cil, inconscient de sa présence. Aussitôt, le destin de Shiori était devenu limpide. Si auparavant, les sensei n’étaient pas parvenus à décider si sa main était faite pour tracer les caractères ou pour lancer les couteaux, cet évènement les avait tous mis d’accord. Jun s’était abstenue de parler... Le lendemain, Shiori avait été emmenée loin de ses camarades. Il se passerait des jours entiers avant qu’elle ne puisse revoir les jardins et les bassins de carpes.
Les aspirants comme elle étaient consignés. Durant deux jours, on les laissait seuls dans une pièce privée de lumière pour les habituer au silence et à l’obscurité. On ne leur apportait ni à boire, ni à manger. Passé ce délai, ils étaient emmenés un à un devant leur nouveau maître qui achèverait leur éducation. Là où ils vivaient, le bruit était proscrit. Les mots également.

Les deux premiers jours, Shiori s’effondra sur le sol poisseux de la cellule obscure, les larmes dévalant son jeune visage. Ses ongles avaient griffé les murs, elle les avait heurté de ses bras, de ses jambes. Elle avait promené sa joue contre la pierre râpeuse en suppliant.

Lorsque enfin on l’avait tirée de là, elle était couverte d’égratignures, son kimono noir et rouge était déchiré. En partie à cause des échardes de l’épaisse porte de bois contre laquelle elle s’était jetée, en partie parce qu’elle l’avait elle-même déchiré. Ses pupilles étaient minces et presque fermées, des traînées salées maculaient ses joues. Elle empestait l’urine et la bile.

Tous les aspirants étaient dans un état similaire et c’est ainsi qu’on les avait emmenés devant l’homme qui leur apprendrait à tuer en silence. Sales, piteux, honteux, haineux, indignes... Le corps et le visage du sensei étaient dissimulés dans les multiples plis sombres de sa tenue. Mais le ton acide et moqueur de ses mots n’avait échappé à personne.

- Vous venez de vivre la peur. Avant ces deux jours, vous pouviez vous vanter de ne pas craindre l’obscurité. Mais vous ne connaissiez pas la véritable noirceur. Nous vous avons entendu gémir, hurler, arracher vos cheveux, vos vêtements, répandre le contenu verdâtre de vos estomacs vides, suer toutes les larmes de votre corps, suinter la couardise. Désormais, il faudra oublier ces attitudes. Cette peur, vous ne la vivrez plus. Vous l’infligerez.

Shiori tremblait. De peur. On les avait ensuite menés aux étages supérieurs, à la lumière du jour. Ils avaient croisé les regards amusés de leurs aînés, perplexes de leurs anciens camarades. On leur avait laissé dix minutes pour se laver puis à nouveau, les ténèbres s’étaient refermées sur eux. La jeune fille avait cherché Jun partout mais son regard se heurtait aux murs épais, aux tenues noires et brillantes, aux masques veloutés et aux rires courtois. Nulle part à l’étage elle n’avait vu la visage pur, le visage nu, qui lui souriait si souvent.

L’éducation avait alors commencé. On ne les levait plus à l’aube pour leur faire réciter des poèmes et danser de ridicules pantomimes. On les levait en fin de journée, quand le ciel se teintait de sang et que la nuit se levait pour subir le règne d’Onnotengu. Leurs corps qu’ils considéraient comme souples apparurent ridiculement raides. Le os devaient devenir aussi souples que des étoffes, les articulations fléchir dans n’importe quel sens et genoux et épaules se rompre et se déboîter aussi aisément que ces casse-tête de la famille Kitsuki.

Les cellules sombres devinrent leurs chambres et c’est dans cette obscurité que Shiori reçut la visite tant attendue... Deux bras fins enlacèrent sa taille et aussitôt, elle reconnut le parfum de fleur de Jun.

- Jun-sensei !

Un doigt se posa sur ses lèvres. Ici le silence était d’or.

- Comment avez-vous fait pour arriver jusqu’ici ? chuchota-t-elle.
- Ne suis-je pas Shosuro moi aussi ?

Shiori aurait voulu rire mais les larmes dévalèrent de nouveau ses joues. Elle enfouit son visage dans l’épaule du professeur. Jun sentit le cri de protestation de chacun des membres de la jeune fille. Elle sentit ses articulations, ses muscles portés au rouge comme des morceaux de métal à la forge. C’était ce qui se faisait en bas. Les lames du clan du Scorpion étaient façonnées dans l’obscurité.

- J’ai mal, Jun-sensei...
- Je sais.
- Je ne veux pas rester ici. Je ne veux pas tuer ! Je veux revoir les nuages avec vous...
- Je sais.
- Emmenez-moi ! Dans les terres lointaines dont vous parlez si souvent, rencontrer ces grands chevaux, ce peuple qui a des sabres larges, qui porte les vêtements de cuir... Je foulerai le sable et plus la pierre moite de ce shiro... Je vous en prie, Jun-sensei !

C’était impossible. Bien sûr. Le destin de Shiori était de souffrir ici dans l’ombre tout comme celui de Shâam était de souffrir dans la tourmente du vent, accablée par le souffle du soleil. Leur vie ne serait jamais simple. Et ce n’était pas à Jun d’y changer quoi que ce soit. Elle serra plus fort, la frêle jeune fille.

- Tu grandiras, Shiori-chan. Tu deviendras forte. Tu dois faire ce qu’on attend de toi. Le moment venu la liberté sera tienne.
- Je ne peux pas, Jun-sensei. Je ne serai jamais libre...

La dernière phrase avait été soufflée. La jeune femme frémit.

- Pourquoi ?

Shiori resta muette. Elle ne savait pas. Elle avait toujours eu cette sensation. Il lui manquait quelque chose. Une chose qui lui avait paru insignifiante mais dont l’absence ne devenait que plus cruelle au fil du temps... Comment était-il possible d’être libre lorsque l’on n’était pas complet ?

- C’est sans importance...

Elle se laissa glisser sur le sol froid et se réfugia dans la chaleur du shugenja. Ses pensées furent étouffées et elle s’endormit.
Jun avait entendu.

- Incomplète...

Les mois se succédèrent. Jun apportait chaque jour un peu de vie et de lumière au monde obscur de Shiori. Shun se gonflait d’orgueil. Les progrès de sa fille étaient spectaculaires. Elle faisait exactement ce qui était attendu. Son corps était devenu malléable comme la glaise, ses mots s’étaient affûtés et polis. Elle était capable de cerner un individu en quelques minutes. Ses pas étaient légers comme la cendre. Ses gestes étaient sûrs, fermes et précis. Etoiles, flèches, couteaux, atteignaient toujours leurs cibles. Ses bonds la propulsaient sur des poutrelles sans qu’elle ait besoin d’un seul effort. Mais son visage restait toujours aussi lumineux aussi pur. Jamais elle ne souriait des compliments reçus. Jamais en dehors des leçons, ses mains ne s’égaraient sur les fioles de poison, sur les couteaux aiguisés.

- Elle est prête, n’est-ce pas ? fit Akemi de sa voix de velours.
- Oui.
- Organisez la cérémonie dès demain, je n’ai pas une minute à attendre. Notre départ pour les terres de la Licorne est imminent et nous avons besoin d’elle. Il vous revient l’honneur de l’informer de la vérité, Shun-san.
- Ce sera fait, Akemi-sama.

Jun assista à la discussion sans mot dire. Elle n’était pas au courant de cette excursion chez les siens. Elle s’était uniquement préoccupée de Shiori et le reste importait peu. Elle n’était pas là pour troubler l’ordre de shiro no Shosuro. Elle savait que le gempuku de Shiori était organisé pour le lendemain. Celui des assassins était très particulier. Ils le passaient seuls, sous le regard de leur sensei et il consistait en une seule épreuve. Invoquer l’être intangible qui leur donnait le pouvoir de choses extraordinaires. Invoquer l’Ombre. A cette seule pensée, le sang de Jun s’enflamma de haine. Comment était-il possible d’être si inconscient ?

Shiori serait la première à passer cette épreuve entre tous ses camarades... Un an après les deux jours d’horreur, on la considérait prête à devenir une adulte.
Otaku Sh?am
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Message par Otaku Sh?am » 22 juin 2006, 20:47

A genoux devant ses professeurs, la jeune fille posa son front sur la nette brune. Pour cette occasion, son kimono était moins sobre qu’à l’accoutumée. Le vêtement avait été taillé dans la soie et les ourlets rouges qui soulignaient sa silhouette avaient été coupés dans le velours. Le mon de la famille Shosuro, béant entrelacs de fils blancs était satiné. Ses cheveux de jais avaient été coupés et tombaient en mèches lisses sur ses épaules. La pâleur de son visage était accentuée par la journée de jeûne imposée à tout prétendant au titre de samouraï. Ses yeux d’ambre se posèrent à tour de rôle sur les cinq personnes assemblées là.

Shosuro Akemi, femme menue à la mine courtoise sous le pan de satin noir et bleu qui recouvrait harmonieusement les formes bien dessinées de son visage. Le bleu sombre soulignait la hauteur de ses pommettes et son regard acéré en une seule et longue courbe. Le satin, noir, s’étendait de son front à ses joues découvrant un nez aquilin, des lèvres fines et souriantes et un menton à l’angle doux. Il ne fallait pas s’y tromper, sous cette surface tendre, se cachait le cœur le plus noir et le plus ambitieux de la famille Shosuro. Hametsu confiait à cette femme d’une trentaine d’années, de plus en plus de responsabilités et Kachiko commençait à se méfier d’elle. Les représentations du Masque de Soie étaient toujours soumises à un rigoureux contrôle. Une place au sein de la troupe montante était une chance, Shiori en était consciente, Shun le lui avait suffisamment répété. Lui-même se tenait aux côtés de la femme menue. Son éternel masque de velours rouge couvrant le bas de son visage. L’expression de ses yeux gris pâle était ferme, assurée.
Trois professeurs étaient également présents. Celui qui avait entamé son éducation et dont la vigilance n’avait pu déceler les gestes silencieux de Shiori. L’autre était celui qui avait achevé son œuvre. Tous deux arboraient une mine sévère, quoi que ce fut difficile à dire étant donné que leurs masques et leurs vêtements ne permettaient de décrypter aucune expression. Mais leurs yeux avaient un éclat de pierre noire. Shosuro Jun était la dernière. En signe de sa condition de junshin, elle ne portait aucun masque et le visage pur et souriant était celui que Shiori avait toujours connu durant ces quatre années. Son kimono était simple, sans longues manches, ni tissu recherché. De temps à autre l’un des quatre autres sursautait, comme se demandant ce qu’un professeur de calligraphie faisait ici...

- Vous pouvez commencer. fit la voix râpeuse de son dernier maître.

Elle s’inclina jusqu’à ce que sa chevelure vienne caresser ses mains posées à plat devant elle puis elle ferma les yeux.

Jun serra les poings.

Shiori respira longuement et profondément, jusqu’à ne plus sentir le gonflement régulier de ses poumons, le mouvement saccadé de ses côtes qui se soulevaient pour leur faire place. Elle contrôla son souffle jusqu’à ce que la sensation de n’être plus rien éclipse tout le reste.

Akemi sourit. Les flammes des torches qui brûlaient contre le mur de chaux se dressaient avec le souffle de l’aspirante. Très impressionnant pour une première fois... Lentement, la silhouette s’estompa et elle disparut.

Shiori sentit la lourde présence se profiler, se heurter à son esprit, quémander une brèche.

Pour ne plus faire qu’une... souffla la voix.

Elle laissa l’entité se glisser en elle, se sentant absorber, sentant le vide enlacer son âme. La douleur la submergea soudain, elle ouvrit les yeux, incapable de continuer. Ses côtes lui donnèrent l’impression de se tordre, ses poumons se dilatèrent, rendant son cri muet.

Tu m’as trompé ! Tu ne m’offres qu’une moitié ! cracha la voix.

Jun se leva d’un bond. Shiori venait de reparaître de l’autre côté de la pièce mais son corps était incomplet. Son visage était tiré sur un cri et ses bras et ses jambes émergeaient des ténèbres épaisses sans parvenir à ramener l’intégralité de son corps.

Je vous ai tout donné !
Tu mens !
Je le jure !
Je vais prendre ce que tu me dois !


Les deux sensei se dressèrent, horrifiés. Contre l’ombre, il était inutile de tenter quoi que ce soit... Akemi se tourna vers Shun, agacée.

- Eh bien ?
- Je... je ne comprends pas...

Jun avança vers la jeune fille, pour saisir l’une de ses mains mais Akemi l’arrêta.

- Vous êtes inconsciente ! Elle est perdue, vous allez être absorbée avec elle si vous la touchez !

Shiori réussit à émettre un son, un long gémissement.

- Père...

Elle tendit ses mains vers lui mais il recula, dégoûté. La jeune fille hoqueta, comme frappée. Shun lui apparut alors tel qu’il était, arrogant et couard. L’un de ses bras fut happé. Des larmes noires ruisselèrent sur ses joues, des filaments recouvrirent son visage.

- Shiori !

Un hurlement rompit l’obscurité du dortoir. La jeune fille se redressa, un râle sur les lèvres. Elle repoussa ses couvertures avec violence, agitée de spasmes de douleur. Un nouveau hurlement fusa. Son corps s’arqua.
Une chandelle fut allumée et l’horreur lui apparut. Levant une main devant son visage, Shâam la vit se couvrir d’entailles. Une violente douleur frappa son dos et le sang gicla sur le sol. Des cris terrifiés lui parvinrent avant qu’elle ne perde définitivement connaissance, le corps couvert d’entailles.


Des rires volaient dans la pièce. Shun prit Akemi par le bras et la tira hors de la pièce. Jun siffla de haine et enveloppa la jeune fille dans l’étreinte de ses bras minces.

- Shiori-chan...
- J... Jun...

Le visage pâle disparaissait lentement, un des bras gainé de soie noire s’enroula autour du cou du shugenja et les larmes d’ombre coulèrent sur sa nuque.

- Il manque une moitié... Jun...

Elle sursauta.

- Elle va la prendre...

Shâam !

- Repousse-la ! s’exclama Jun.
- Je ne peux pas...

Le bas de son corps s’estompa lui aussi. Les torches s’étaient éteintes et tous avaient fui. Ne restaient plus que la licorne et la jeune fille. L’obscurité semblait mouvante. Les rires s’enroulaient autour de leurs oreilles.

- Elle ne peut pas te prendre parce qu’elle ne peut pas la prendre !

Jun serra ce qui restait d’humain et mêla son esprit au combat qui opposait l’entité à l’aspirante.

Shâam hoqueta.

- Laissez-moi !

Son corps se tordit à nouveau et un cri de douleur couvrit ses pensées. Son sensei s’était reculé, terrifié. Toutes ces marques... Apparues spontanément ? Les deux Iuchi appelés à l’aide l’avaient allongée et tentaient d’éponger le sang mais elle ne cessait de se débattre, aggravant son état, élargissant les entailles. Leurs incantations étaient vaines. Les esprits du feu frémissaient avant de s’éteindre et refusaient ensuite de revenir.

- Va-t-en !


Invoquant un pouvoir ancien, qui avait pu maintenait sa grand-mère vivante, Jun repoussa les ténèbres. Shiori s’accrocha à elle, son esprit en effleurait un troisième, aussi jeune, tout aussi agité, perturbé. Un esprit qui s’enroula autour du sien et la repoussa vers la lumière. Un esprit désespéré qui la reconnut et la repoussa.

Jun acheva son incantation. La jeune fille était indemne... Sur son épaule, subsistait une légère marque. Une marque qui avait mangé sa peau. Une marque d’ombre.

Je t’accepte dans ton intégrité...

Un rire plus aigü fusa et les lumières se rallumèrent. Les yeux d’ambre se posèrent sur Jun.

- Vous n’êtes pas Shosuro...
- Non.
- Qui êtes-vous ?
- Celle qui a partagé ta vie pendant quatre ans et qui te connaît mieux que ton propre père. Celle qui vient de te sauver. Celle qui te guidera lorsque tes pas seront perdus...

La jeune fille perdit connaissance. Jun se releva et quitta la pièce. Elle rejoignit les jardins et disparut. On retrouva le lendemain une écorce pourrie souillée de sang et enroulée dans un fil d’araignée. L’objet fit courir des frissons sur la nuque de bien des samouraï. Nul ne savait à qui était cette chose, de même que nul ne savait pourquoi l’Ombre n’avait pas absorbé Shiori. Jamais un tel cas n’était survenu. C’était une miraculée. L’Ombre l’avait acceptée comme extension d’elle-même et cette nuit d’horreur ne se reproduit plus jamais.

Deux jours plus tard, Shun expliqua les origines de sa naissance à sa fille dont le souhait était de ne pas dissimuler son visage, en souvenir de Jun mais aussi parce que son cœur même s’il avait été étreint dans la gangue des ténèbres, était demeuré pur.
Ses yeux d’ambre restèrent impassibles tandis qu’il souriait, se moquait gentiment et lui tendait son masque de velours noir, celui qui condamnait ses traits et sa beauté parce qu’ils étaient déjà ceux d’une autre. Elle ne cilla pas. Elle commença simplement à le haïr et dans son cœur, l’espoir commença à brûler. Celui de revoir Jun, bien sûr, celle par qui tout s’expliquerait mais aussi celui de la retrouver elle et d’être complète, enfin...
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Message par Otaku Sh?am » 29 août 2006, 20:56

Shiro Otaku n’avait pas changé en son absence. L’herbe ondulait en silence, comme attentive à ceux qui la foulaient. On n’entendait dans la plaine que le souffle du vent et le grondement sourd de la course des chevaux. Un homme et une femme venaient à sa rencontre. Sur leurs cœurs, le mon de la famille Iuchi.

- Nous vous attendions, Jun-sama.

Ils furent surpris de ne voir aucun bagage avec elle. Son kimono violet pâle glissait avec ses mouvements lorsqu’elle marchait. Elle avait reparu sans qu’aucune patrouille ne la détecte, comme à chaque fois. Ils la retrouvaient encore au milieu de la plaine avec ce léger sourire dont ils ne pouvaient que tenter de deviner le sens. Elle arrivait de nulle part, portée par le vent, elle souriait et prononçait toujours les mêmes mots.

- Que diriez-vous d’une tasse de thé ?

Et comme toujours, ils la raccompagnaient au refuge.

Iuchi Yûki et Iuchi Gako. Ils étaient appelés à chaque fois que Jun partait. Personne ne lui demandait jamais où elle allait. Elle s’en allait la nuit. Et un matin, en se levant, tous deux sentaient qu’ils devaient aller dans les plaines. Elle y était, avec le vent et son sourire pour seul bagage.
Tous trois marchèrent en silence vers les murailles de la forteresse Otaku. Les pierres étaient immenses et Dame Amaterasu leur donnait toujours cet éclat particulier, brun roux, l’éclat de la poussière et de la lumière. Au coucher du soleil, l’herbe prenait la teinte de l’or et l’endroit devenait presque surnaturel. Jun aimait cet endroit. Elle y vivait depuis près de deux cents ans et jamais elle n’aurait songé à le quitter pour toujours. Elle aimait l’odeur douce et chaude qu’apportait le vent. La pierre brunie, l’herbe coupée, le crin des chevaux, les nuages de poussière. Il n’y avait rien de cela à shiro no Shosuro. Le vent de la plaine portait la vie dans ses courants. La jeune femme inspira profondément.

- Il y a quelque chose dont nous devons vous parler, Jun-sama. commença Yûki à peine arrivé.

Gako s’affairait à préparer le thé mais elle était aussi concentrée que le jeune homme. Elle déposa une tasse devant le shugenja et continua.

- Il y a eu un évènement très bizarre...
- Bizarre n’est pas le mot. corrigea Yûki. Ce serait plutôt... terrifiant.

Jun regarda l’eau se mettre à bouillir sans mot dire. Elle savait de quoi il retournait. Yûki semblait gêné. Ses longues jambes de cavalier le portaient d’un coin à l’autre de la pièce avec nervosité tandis que ses doigts osseux passaient dans sa barbe. Lorsque Jun était partie, il était imberbe. Elle baissa douloureusement les yeux. Tant de temps s’était écoulé... Gako était une femme mûre et déjà, les rides avaient dévoré son visage, créant sur sa peau des expressions qui n’y existaient pas avant. Des expressions de lassitude. Des expressions qui annonçaient la fin. Gako était devenue vieille.

- Arrête de bouger comme ça, tu me files le tournis ! siffla-t-elle.
- Pardon...

La vieille femme marmonna quelque chose avant de verser l’eau brûlante sur les feuilles de thé. Jun était toujours muette. Cet évènement dont ils parlaient avait dû leur coûter beaucoup. Ils avaient probablement hésité avant de décider de l’en informer. Gako s’installa en face d’elle et Yûki l’imita.

- Il s’agit d’Otaku Shâam.

Jun prit la tasse entre ses mains. Le froid l’avait envahie. La vapeur brûlante ne la fit même pas ciller.

- Elle s’est éveillée au cours d’une nuit, voilà quelques mois... et son corps... son corps se couvrait lentement d’entailles.

Gako fit une pause. Elle ressentait toujours sa peur d’alors, son impuissance.

- Quand nous sommes arrivés... ce n’étaient que son dos et ses mains. Trois ou quatre estafilades peu profondes... Mais par la suite...

Yuki fit courir un doigt le long de son torse, de ses jambes.

- Plus d’une centaine. En quelques minutes. Les esprits que nous invoquions s’éloignaient d’elle à peine matérialisés. J’ai essayé le premier de la soigner. Mais rien à faire ! La chose qui était en elle avalait toutes mes forces. Les esprits ne venaient plus !
- J’ai ensuite essayé. reprit Gako. Mais c’était la même chose.

Jun se mordait si violemment l’intérieur des joues qu’elle sentit bientôt le sang emplir sa bouche. Qu’avait-elle fait ?

- Elle se débattait. Nous ne pouvions pas empêcher ses blessures de s’aggraver.

La jeune femme avala une gorgée de thé. La douleur sur ses joues meurtries lui fit reprendre une contenance.

- Et ?
- Cela a cessé.
- Comme ça ?
- Oui. Son corps a cessé de s’agiter et les esprits sont revenus. Nous avons fait de notre mieux mais elle est restée inconsciente des jours entiers. Ce qui a provoqué ça avait probablement causé des dégâts intérieurs.

Jun arqua un sourcil. Yûki poursuivit.

- Elle a rendu du sang pendant deux jours. Impossible de la nourrir ou de la faire boire. Mais même cela a fini par s’arrêter. Nous n’avons pas compris pourquoi. Elle a repris connaissance au bout de deux semaines.
- Comment... comment va-t-elle à présent ?
- Les entailles ont rapidement cicatrisé. Il n’en reste presque aucune trace.
- Sauf à l’épaule. marmonna Gako. Celle-ci ne veut pas se refermer.

La marque d’Ombre de Shiori... La plaie de Shâam... Qu’est-ce que cette chose avait bien pu lui faire ? Jun se leva d’un bond.

- Où est-elle ?

Yûki prit l’air embarrassé.

- Elle est partie.
- Pourquoi l’avez-vous laissée partir ?

Depuis qu’ils la connaissaient, c’était la première fois qu’ils voyaient Jun en colère. Sa peau semblait plus pâle que d’ordinaire et ses yeux plus brillants.

- Nous ne l’avons pas vraiment autorisée à quitter le refuge, Jun-sama.
- Mais elle s’est passé de notre accord.

La jeune femme soupira. Shâam n’était sûrement pas loin. Elle était restée à la forteresse. Rester enfermée toute la journée avait dû lui porter sur les nerfs. Croyait-elle vraiment qu’elle allait l’attendre sagement alors qu’elle l’avait abandonnée depuis presque cinq ans ? Elle était sûrement furieuse et perdue. Comment expliquer ce qui avait eu lieu ?

Iuchi Jun se leva. Sa tasse à peine entamée. Les plaies dans sa bouche se refermèrent. Elle salua le jeune homme et la femme avant de sortir. Elle ne supporterait pas d’attendre d’avoir des nouvelles de la jeune fille. Elle devait la trouver, la calmer, soigner son épaule... Elle ferma les yeux. Son esprit s’étendit, cherchant le jeune souffle de la shiotome mais une puissante bourrasque la repoussa.

Haruka !

L’esprit de rônin brûlait de rage. Etroitement enroulé à celui de sa descendante, il repoussait avec fureur les incursions du shugenja. Elle aussi lui en voulait d’être partie, d’avoir laissé l’enfant sans protection. Jun recula, incapable de continuer à lutter. Elle secoua la tête et opta pour une autre technique. Son esprit s’éleva à nouveau, à la recherche de celui de Ginko. L’animal la laissa venir sans méfiance. Elles étaient près du lac. En douceur, elle remonta la piste donnée par la jument. Ses pas effleuraient à peine le sol.

- Shâam ?

Une longue silhouette se tenait sur la berge. Jun s’arrêta, le souffle coupé. Elle avait tellement changé ! La jeune fille se retourna. Si ses traits étaient bien les mêmes que ceux de Shiori, quelque chose de beaucoup plus puissant s’en dégageait. Son teint de porcelaine s’était fait teint de cuivre. Le soleil ne l’avait pas brûlée, il l’avait caressée. Ses yeux gris avaient pâli. Leur éclat n’était plus celui de l’enfant qu’elle avait connu. Ils ne souriaient plus, ils ne pleuraient plus depuis bien longtemps. Les nervures gris sombre qui striaient son iris s’étaient effilées, conférant à son regard une violence déroutante. Son corps tout entier s’était effilé, comme une arme longuement passée à travers les flammes d’une forge, travaillée des milliers de fois, plongée dans l’eau lacée, affûtée, polie, dangereuse.

- Shâam ?

Elle ne ressemblait pas à Shiori. Elle était différente. Au premier abord, cela paraissait infime. Les yeux, la peau.... mais il s’agissait de bien plus. Son âme était différente, elle en était l’exact opposé. Tout ce que Jun avait appris à aimer en Shiori, n’existait pas chez Shâam. Ses yeux gris s’étaient posés sur elle avec indifférence, son visage n’avait pas bougé. Elle s’était contenté de la regarder, distante et glaciale puis son attention avait fui vers le lac.
Iuchi Jun s’avança doucement. Tout était si semblable à sa première dispute avec Haruka dans l’oasis. Le rônin restait obstinément tourné vers le lac, Seishuku buvait de longues gorgées et venait frotter son nez mouillé dans le cou de sa cavalière. Ginko s’ébroua et sa tête vint pousser Shâam contre Jun. La Licorne la remercia en silence et entoura la taille de la jeune fille de ses bras. Celle-ci continuait à fixer obstinément l’horizon.

- Es-tu en colère ?

Shâam ne répondit rien mais il sembla à la jeune femme qu’entre ses bras, le corps mince s’était détendu.

- Il faut que je voie ta blessure.
- Les autres n’ont rien vu. Pourquoi cela serait-il différent ?

Le ton était neutre. Impossible de dire ce qu’elle ressentait. Elle avait toujours su lire en Haruka mais avec la jeune fille, c’était différent. Quelque chose lui échappait.

- Viens avec moi, Shâam.

La jeune fille se redressa et prit dans sa main les brides de sa monture. Elle suivit le shugenja sans parler. Arrivées au refuge, elle lui servit une tasse de thé.

- Est-ce que ça te fait mal ?
- Oui.
- A quel point ?
- Au point que je me réveille la nuit en me disant que je vais mourir. Au point de vouloir que le sang en coule, pour être sûre que ce n’est qu’une plaie et qu’aucune créature ne me ronge de l’intérieur.

Les yeux pâles étaient restés calmes. Elle n’avait pas touché au thé.

- Laisse-moi regarder.

Elle haussa les épaules. Jun délaça la tunique sombre de l’aspirante. La blessure lui apparut aussitôt, large, hideuse, exsangue. La jeune femme savait qu’elle pouvait la faire disparaître mais ce ne serait qu’en surface. La blessure profonde, celle qui liait l’esprit de la jeune shiotome à celui de Shiori, demeurerait. Elle se concentra sur la plaie. La magie employée par la famille Iuchi ne marcherait pas sur cette plaie, elle avait besoin de quelque chose de plus vieux, de plus puissant. Au lieu de rester éloignée, Jun posa ses mains tout contre la plaie, tirant à Shâam un gémissement de douleur. Le tissu des deux peaux s’échauffa et la jeune fille cessa de bouger. Une trame diaphane naissait des doigts du shugenja pour se coller sur la blessure. Les bords pâlirent et le sang se retira, puis le centre pâlit lui aussi, une nouvelle peau était en train de recouvrir la plaie. Il ne resta bientôt plus qu’un rond pâle sur l’épaule de la jeune fille. Lorsque Jun retira ses mains, elles étaient brûlantes et carmines.

- Jun-sensei !

Elle sourit en entendant son prénom.

- Tu n’es plus fâchée ? souffla-t-elle.
- Qu’avez-vous fait ?

Shâam la saisit aux poignets. Son regard gris, indifférent au début, était maintenant si intense qu’il lui brûlait la peau. Jun frissonna. Il avait la force de celui de Haruka.

- C’est votre peau.

Son regard avait de nouveau cette froideur que Jun ne connaissait pas. Elle baissa les yeux sur ses paumes à vif. En dépit de son ton indifférent et de la neutralité de ses expressions, les mains de Shâam serraient toujours aussi fort ses poignets.

- Il y a un pot de faïence bleue, près des bambous secs. Apporte-le.

La douleur faisait trembler sa voix. Shâam ne protesta pas et la lâcha. L’onguent à l’intérieur du pot était également bleu. Elle brida sa curiosité naturelle et entama généreusement la pâte. Jun essaya bien de se dérober mais le regard gris abandonna à nouveau son indifférence pour la foudroyer. La jeune fille maintint fermement une de ses mains tandis qu’elle appliquait la pommade à l’étrange couleur. La douceur dont elle fit preuve contredit l’expression de son visage glacé.

- Merci.

Shâam referma le pot. Elle relaça sa tunique et se leva.

- Je vais rester à côté.
- Ce n’est pas la peine, tu sais...

Shâam s’éloigna sans faire cas de son intervention. Le shugenja sourit. Elle reviendrait doucement vers elle...

Lorsque la nuit tomba, l’onguent se mit à briller d’une lueur argentée et la peau recouvrit à nouveau les paumes de la jeune femme. Une peau neuve et tendre. Elle se leva et alla se laver les mains. L’eau froide complèterait la guérison puis, sans bruit, elle fit coulisser le shoji qui délimitait l’entrée vers la salle des blessés. Seule Shâam y séjournait. Ses bottes étaient couchées sur le côté, le manche d’un tanto en dépassait. Jun sourit, reconnaissant encore un autre trait de Haruka. Elle s’approcha du futon et sursauta. La mince couverture avait glissé le long du dos de la jeune femme et découvrait sa peau nue et ses muscles fins. Ses mains serraient le matelas et des larmes avaient coulé sur ses joues. Son visage, même baigné d’obscurité et malgré le sommeil, conservait une beauté troublante. Un sentiment qu’elle n’avait jamais éprouvé en regardant Shiori s’empara d’elle. La beauté de Shiori était douce et tranquille, ses pommettes se rehaussaient lorsqu’elle souriait, ses yeux bruns se mettaient à briller.
La beauté de Shâam était violente, dangereuse. C’était une beauté qu’elle ne contrôlait pas. Ses yeux gris qu’elle voulait froids, attisaient le désir, provoquaient ceux qui les contemplaient, les invitaient à se perdre. Tout son corps était à cette image, distant mais pourtant, incroyablement tentant.

- Jun ?

La jeune fille s’étira, étonnée de la présence de la jeune femme.

- Comment était shiro Otaku en mon absence ? demanda la Licorne en s’asseyant sur un coin du futon.

Elle n’avait pas eu l’occasion de parler franchement avec Shâam. Elle voulait tout savoir de sa vie pendant ces cinq dernières années.
Shâam recula. Elle n’aimait pas les questions trop personnelles. Répondre ne ferait que creuser une blessure. Encore une autre. Elle n’aimait pas parler, elle n’aimait pas les mots, ils faussaient les idées. Elle ne connaissait que deux façons d’éviter de répondre. Fuir et se battre. Mais en plongeant dans le regard du shugenja, elle en découvrit une troisième. Après une légère hésitation, ses lèvres se posèrent sur celles de Jun.

La Licorne gémit, bouleversée par le flot tumultueux qui émanait de la jeune Otaku. Il y avait de la colère dans son baiser, la colère d’avoir été ainsi acculée. Mais elle sentit son amour, profond, désespéré, son attente de cinq ans pour enfin la retrouver. Elle se fit violence pour arrêter mais il était trop tard, elle brûlait de l’envie de posséder le corps cuivré. Ses mains se posèrent sur la cambrure de ses reins, l’attirant violemment à elle. Elle se perdit dans les yeux pâles, dominée par leur force. Il y avait Haruka dans ses yeux. Il y avait Haruka sur sa peau, Haruka sur ses lèvres.

Mei Hua

Cela ne dura qu’un instant. C’était bien Shâam entre ses bras, Shâam en elle, sa langue sur les paumes de ses mains, ses murmures à son oreille. Et c’est à cette âme que la sienne se lia comme jamais elle ne s’était liée auparavant. L’abandon la surprit. La raison et le devoir venaient d’être balayés par une jeune fille aux yeux gris. En une nuit, elle oublia tout. Qui elle était et pourquoi elle était là. Elle ne garda à l’esprit que la douceur de la peau de cuivre et la force du regard d’orage. C’était maintenant à elle que la Licorne appartenait...


- Tout va bien, Jun-sama ?

A travers les shoji, la jeune femme reconnut la voix de Yûki. Le soleil passait au travers des stores de bambou, Shâam n’était plus là.

- Oui.

Elle ne reviendrait plus. En silence, son cœur saigna.
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Message par Otaku Sh?am » 01 sept. 2006, 15:53

Jun laissa son regard errer sur la plaine. Elle aurait pu passer des heures entières plongée dans la contemplation des grandes étendues herbeuses. Elle ne se lassait jamais de la vue, des sensations éprouvées.
La plaine était comme l’eau, sans cesse changeante. Les yeux de la jeune femme n’y voyaient jamais la même chose. Le vent apportait avec lui l’odeur de la nouveauté. Les herbes se couchaient, s’arrachaient, s’emmêlaient. Sous la verdure, des batailles se livraient pour l’installation de nouveaux peuples. Jun sentait tout. Les nids de terre des musaraignes détruits par la voracité des serpents, la lutte des sauterelles face aux moineaux, l’envol des oiseaux au passage des chevaux, le tremblement furieux de la terre, les foulées silencieuses des renards et toujours la verdure dans les pelages.

- Jun-sensei...
- Shâam.

Elle avait senti son approche lente, l’odeur de sa peau, le pas de son cheval. Deux ans sans entendre sa voix...
Sa monture sombre s’avança aux côtés de la sienne. Le jeune étalon que le shugenja montait s’agita. Il était encore dans sa période de dressage. Elle aimait les monter à ce moment-là, quand ils découvraient le monde qui les entourait, leur galop était vif, fougueux, plus franc. Il n’y avait pas encore la discipline pour entraver leurs encolures. Ginko posa sa tête contre la cuisse du shugenja. Jun avait toujours eu de l’affection pour cet animal. Elle n’en concevait aucun autre pour Shâam.

- Mes félicitations pour ton gempuku.
- Merci.

Laconique. Cela au moins n’avait pas changé. Mais l’enfant sauvage avait disparu. A sa place se tenait une longue guerrière au regard froid. Jun resta silencieuse, Shâam était venue pour une raison précise. La comprendre, l’apprivoiser avait toujours été une tâche difficile, elle n’était pas sûre d’y être parvenue. La nuit où elle l’avait cru à elle pour toujours, elle l’avait fait fuir. Elle ne voulait pas prendre ce risque à nouveau.

- Je vais m’en aller, Jun-sensei.

Il y avait tant de choses dans cette phrase... Elle n’avait vécu que pour cet instant, quitter shiro Otaku. Depuis son plus jeune âge, ses yeux gris fuyaient vers l’horizon.

- Tu dois être heureuse.
- Oui. Otaku Kamoko m’a donné cette chance. D’autres ne l’ont pas.

Jun savait à quoi elle songeait... Toutes ces femmes en armure debout sur la muraille du matin au soir, leur naginata dressée vers le ciel, en attente d’une prochaine affectation... Les portes du shiro, les tours de guet, la porte de la chambre de leur daimyo comme couronnement d’une carrière, un poste de garde dans la plaine pour les plus aventureuses... Shâam abhorrait ce destin plus que tout. L’armée des shiotome était une unité d’élite. On ne les gaspillait pas. Elles restaient le plus souvent sur les terres de leur clan, rares étaient celles autorisées à voyager dans l’Empire.

- Quel sera ton poste ?
- Je serai le yojimbo d’une émissaire de la famille Ide.

Jun sourit. On pouvait difficilement imaginer plus mauvais choix. Imaginer Shâam veillant sur la vie d’un de ses semblables avait quelque chose d’amusant. Otaku Kamoko était soit le plus stupide des daimyo qu’avait compté la famille, ce qui n’était pas peu dire, soit leur meilleur stratège. Il était possible que l’expérience tourne à la catastrophe tout comme il était possible qu’elle affûte la vigilance et la patience de Shâam.

- Je tenais à vous dire que je partais parce que...

La jeune fille chercha ses mots. Ses doigts parcoururent l’encolure luisante de Ginko. Jun l’interrompit et ébouriffa doucement ses cheveux sombres.

- Le vent te ramènera vers moi, Shâam... Il le fera toujours.

Les yeux gris sourirent brièvement avant de se fermer, abandonnés à la caresse de la Licorne. C’était à son tour de partir. Elle était déjà forte mais il allait encore falloir qu’elle grandisse, sans personne pour l’épauler.

- Merci... murmura-t-elle.

Ginko s’avança, un sabot en suspens traduisant l’hésitation de sa cavalière puis elle l’emporta. Jun la suivit longtemps du regard, comme elle s’était contenté de le faire pendant ces deux années.

En silence, sans jamais intervenir, elle avait vu ses épaules se courber sous les coups, ses yeux briller de colère sans que jamais aucun cri ne lui échappe. Elle avait vu les longues chevauchées dans la plaine, les courses dans les bois. Elle avait senti la fureur, la volonté terrible qui animait le jeune corps. Elle avait senti les lèvres des femmes emporter la pureté comme des charognards des lambeaux de chair. Elle avait senti chacun de leurs baisers sur la peau de cuivre, chacun de leurs soupirs, chacune de leurs larmes versées sur le visage de plus en plus froid de la fille aux yeux gris. Mais en dépit de cela, Jun était heureuse. Lorsqu’elle avait caressé la chevelure noire, elle avait senti le cœur sombre s’éclairer. Shâam lui répondait. Son cœur appartenait à la Licorne, quelle que soit la force avec laquelle elle tentait de le murer. Elle sourit et demanda à la jeune monture de la ramener vers le shiro.

Ce ne serait plus très long à présent.
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Message par Otaku Sh?am » 02 sept. 2006, 21:10

La jument noire redressa son nez de la poudreuse d’un air coupable.

- C’est juste de l’eau gelée, Ginko... soupira Shâam.

L’animal s’ébroua avec un air qu’elle réussit à rendre profondément méprisant, tirant un sourire à la jeune femme qui se hissa en selle. La passion de sa monture pour les textures du sol l’amuserait toujours. Pouliche à peine née, ses longues et frêles pattes bondissaient au moindre contact avec l’herbe. A l’époque, Shâam taquinait souvent son encolure avec des brins secs, la faisant tressaillir de joie. Quand la pouliche avait découvert les ruisseaux et les lacs, elle y avait passé de longues heures, trépignant furieusement et éclaboussant les alentours. L’eau salée des mers du clan de la Grue lui avait arraché des hennissements enthousiastes. Le sable crissant contre le métal de ses fers la faisait sautiller. Et la découverte de la neige dans les montagnes du Dragon était un régal incomparable à ses yeux. Sentir cette chose craquer sous ses sabots et fondre au contact de son nez ne cessait de l’étonner. Quand Shâam l’y emmenait pour galoper, il n’était pas rare qu’elle décide de s’y rouler, comptant sur les réflexes de sa cavalière pour anticiper à temps.

Shosuro Shun émergea des sous-bois. Sous son masque écarlate, son visage semblait légèrement crispé. Le poulain gris trottinant à ses côtés eut tôt fait de rejoindre Ginko pour quémander de quoi se nourrir. Shâam le toisa.

- Si vous désiriez si ardemment une place au sein des écuries Otaku, il fallait m’en parler, Shun-san...

En dépit de son visage impassible, l’ironie était profonde. Le dernier né de Ginko, Fuyu, avait disparu quelques jours après sa naissance.
Shun avait dû bien vite réaliser que sans mère pour le nourrir et sans Otaku pour le dresser, il n’en ferait rien. Il allait l’abandonner dans les forêts profondes qui entouraient Kyuden Mirumoto quand sa fille avait fait irruption, l’air détaché, comme si elle avait toujours su où le poulain se trouvait.

- Je vous remercie de votre proposition, Shâam-san. siffla-t-il.
- Shâam-san ? Et vous qui vouliez que je vous appelle papa il y a quelques jours encore... fit la jeune femme avec un sourire perfide. C’est très déstabilisant... perdre sa famille, sitôt retrouvée.
- Tu te trouves drôle ? gronda l’homme.
- Nous passons de nouveau au tutoiement ?
- L’ironie te va mal, Shâam.

Elle haussa les épaules et caressa doucement le front du poulain qui se détacha de sa mère à regrets.

- Shiori a-t-elle tellement envie d’un cheval ?

Les yeux gris pâles de la jeune femme se plantèrent dans ceux de Shun. Il sursauta. Comment avait-elle pu deviner que la demande émanait de Shiori ? Shâam le regarda d’un air songeur.
Comme tous les Hommes, une fois pris la main dans le sac, même les meilleurs acteurs de la famille Shosuro devenaient terriblement transparents. C’était donc bien ce qu’elle avait pensé. Elle se rappelait très clairement les caresses attentives de la jeune actrice sur l’encolure de Ginko, ses yeux bruns plissés par une joie enfantine alors même que sa voix se voulait adoptant tous les tons d’une voix d’adulte.

Elle se détourna du Shosuro désemparé, un sourire amusé au coin des lèvres et fit route vers le kyuden. La Cour d’Hiver s’achèverait bientôt et elle y prendrait beaucoup de plaisir.
Les intrigues auxquelles on tentait de la mêler malgré elle avaient fini par la lasser. Elle devait conclure au plus vite son mariage avec Matsu Okitare avant que Matsu Tsuko et la vieille marieuse Otomo Kisagarasu ne viennent y fourrer leurs nez de trop près. A sa grande surprise, elle avait eu l’aval d’Otaku Kamoko pour cette union et elle comptait profiter de cet avantage avant qu’il ne se dérobe. L’homme lui avait fait sa demande à la suite d’une rumeur lancée par Bayushi Kita en représailles à son infidélité. La nièce de Bayushi Kachiko avait bien fait les choses. Sitôt la rumeur lancée, elle avait été sur toutes les lèvres à la Cour, l’affaire avait été tellement montée en épingle que la shiotome s’était retrouvée cernée par les sollicitations d’Okitare et des marieurs désireux de s’occuper de l’union. Son humeur avait rapidement tourné à l’aigre jusqu’à ce qu’elle trouve comment tirer avantage de la situation.

Matsu Okitare était en effet connu pour son affection des Vierges de Bataille et notamment de leu grands chevaux qu’il admirait. Shâam aurait pu trouver pire prétendant et à présent qu’elle était tombée dans les griffes de Kisagarasu qui ne rêvait que de conclure des unions désastreuses, elle avait tout intérêt à prendre cet époux et non un autre. Elle avait appris à ses dépends comment fonctionnait la Cour mais elle avait tout aussi vite appris comment tirer parti de ce fonctionnement. La rumeur était ici si forte qu’elle avait valeur de vérité et sa vengeance userait des mêmes armes utilisées pour entraîner sa perte.
Bayushi Kita était promise en mariage depuis son enfance à Kakita Ichiro, fils du célèbre maître d’arme, Kakita Toshimoko. Si l’affaire conclue entre les deux clans venait à être compromise, la perte de face pour le clan du Scorpion serait terrible.
Dans son accès de rage contre Shâam, Kita avait laissé échapper une information. Elle était l’amante de Bayushi Yojiro, le magistrat impérial. La jeune femme se rappelait encore des yeux brillants et de l’air triomphant de Kita lorsqu’elle le lui avait annoncé. Elle se souvenait aussi de la gifle cuisante qu’elle avait reçue, faute d’avoir réagi de manière appropriée. Kita attendait de la colère, elle avait reçu un rire. De quoi vouloir frapper, Shâam ne lui en tenait absolument pas rigueur.

Mais pour le mariage, c’était une autre histoire... Sa liberté s’en trouverait gravement entravée quoiqu’il advienne. Il avait déjà été décidé qu’elle et Okitare garderaient leurs noms et leurs postes respectifs mais fonder un foyer était une activité qui prendrait du temps, qui exigerait sa présence pour au moins un an à shiro Otaku... Rien qu’à l’idée d’y être à nouveau cloîtrée comme dans son enfance, sa chair se hérissait. Kita l’avait cependant payé très cher.

Deux jours après son coup d’éclat acculant Shâam au mariage, elle avait reçu une lettre de la shiotome la félicitant pour ses fiançailles avec Bayushi Yojiro.

Selon la coutume de la Cour, la lettre n’était pas scellée et elle avait fait le tour du kyuden avant de parvenir à l’intéressée. En quelques minutes, le scandale avait éclaté et les fiançailles avaient été rompues. Il n’était bien évidemment plus question pour Kita de quitter ses appartements, Kachiko l’y avait consignée, de même que Yojiro était désormais sous sa constante surveillance. Pour endiguer la perte de face, un duelliste choisi et par Ichiro et par Kachiko avait été envoyé à Shâam mais il n’avait pas réussi à porter de coup à la shiotome. Le clan du Scorpion se retrouvait donc les pinces dans l’eau... ce qui n’était pas pour déplaire à la jeune femme. Elle se gardait à présent de se mêler d’autres affaires politiques. Bayushi Kachiko avait essayé de l’écraser de façon officielle et elle avait échoué. Cela ne signifiait pas pour autant qu’elle renoncerait totalement. Mieux valait rester hors de sa portée. Elle était consciente du danger qu’elle courrait mais elle ne pouvait s’empêcher de trouver ça follement excitant. Sans le savoir, elle comblait Haruka. Laisser un Scorpion queue et pinces liées était une activité qu’elles avaient en commun et à laquelle elles s’adonnaient malgré les siècles d’écart, avec la même joie.

Revoir Shun l’avait refait songer à cette affaire. L’enlèvement de Fuyu aurait pu être un coup bas des Bayushi mais le motif était tout autre. Elle ne savait si elle devait en éprouver du soulagement ou autre chose...

Qu’attends-tu de moi, Shiori-chan ?
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Message par Otaku Sh?am » 03 sept. 2006, 16:16

La jeune femme frissonna, ses yeux bruns prisonniers de la cime des arbres. Elle n’aurait jamais dû venir jusqu’ici, accepter de répondre à cette demande grotesque... Ses pas s’enfonçaient dans la neige glacée. Elle avançait si lentement ! Elle n’aimait pas ce qu’elle ressentait. Elle n’aimait pas sur sa peau les crocs du piège qui se refermait. Elle avait peur. Mais en dépit de ça, elle était venue... Elle posa une main bleuie par le froid contre le tronc d’une noirceur de charbon d’un des sapins. Dans cette forêt dense, la lumière n’apparaissait que par intermittence, entre les branchages entrelacés et hideux. Lorsqu’elle retira ses doigts de l’écorce râpeuse, elle les ramena couverts de résine. La sensation de piège la saisit à nouveau mais il était trop tard pour faire demi tour.

Elle était là. Sa longue cape de fourrure d’un noir de feu balayait la pointe enneigée de ses bottes.

- Shiori...
- Qu’est-ce que tu me veux ?

Le ton était volontairement sec. Elle n’aimait pas être ici. Elle n’aimait pas sentir les yeux gris posés sur elle. Elle n’aimait pas le visage immobile comme sculpté dans le cuivre. Elle n’aimait pas les frissons qui courraient sur sa nuque, l’étrange torpeur qui possédait ses membres. Elle ne voulait pas qu’ils sachent. Elle ne voulait pas attirer l’attention de la Dame Scorpion. Elle ne voulait pas qu’ils se servent d’elle pour lui faire du mal.

- Je veux... exaucer ton vœu.
- Quel vœu ?

Shâam se détourna et fit claquer sa langue. Une monture parée des mêmes éclats de feu que la cape noire se dégagea du fouillis d’arbres. Son crin avait la couleur de l’ambre chaude qui animait le regard de Shiori. La neige bruissait doucement sous son pas à mesure qu’il avançait. Ses grands yeux noirs cherchaient la longue guerrière avec inquiétude. Elle prit les brides posées sur le long cou nerveux et les tendit à Shiori.

- Il est à toi.

La jeune Shosuro les saisit avec lenteur, pour être sûre que Shâam n’allait pas les lui retirer. Elle se retrouva finalement avec les lanières de cuir en sa seule possession. Les yeux gris étaient toujours sur elle, une intensité dérangeante en émanait.
La main de Shiori se posa contre l’encolure chaude et vibrante de vie de l’animal.

- Pourquoi tu fais ça ?

Son ton était toujours aussi cassant. La peur battait plus fort contre le creux de sa gorge. Shâam ne faisait jamais rien qui ne soit calculé. Nombreux étaient ceux qui avaient commis l’erreur de la sous-estimer. Bayushi Kachiko elle-même s’y était trompée.
Mais pas Shiori...

- Je te donne le choix. répondit-elle finalement.
- Quel choix ? Qu’attends-tu de moi ?

La voix de Shiori avait vibré, abandonnant la sécheresse. Ses yeux bruns jaugeaient sa jumelle avec détresse, fébrilité. Quoiqu’elle lui demande, elle savait qu’elle serait incapable de refuser.

- Ce qui est beau dans un choix, Shiori, c’est que c’est l’intéressé qui le fait. Moi je ne t’en fais que le présent...

Shiori serra les rênes plus fort. En dix-neuf ans de vie, elle n’avait rencontré sa jumelle qu’en deux occasions. Pourtant, elle avait été bien plus marquée par ces deux rencontres que par le côtoiement répété des membres de la troupe du Masque de soie. En dépit de ses doutes, elle servait la famille Shosuro de manière exemplaire. Jamais aucun mot, aucun acte n’était venu démentir cette loyauté. Alors... Comment avait-elle su ? Elle chercha désespéramment une réponse dans les yeux gris pâle mais elle n’y vit que l’écho de son désarroi. Pour une fois, elle fut heureuse de porter son masque. Il dissimulait mieux que celui de n’importe quel autre, ses émotions.

- Je sais très bien ce que je dois faire.

Shâam resta silencieuse mais son visage s’était adouci.

- Tu as de la chance, ce n’est pas mon cas.

Shiori en fut troublée. L’avenir était pourtant si radieux pour elle. Tant de titres, tant de gloire...

- Que veux-tu dire ?

Elle haussa les épaules.

- Ce n’est pas réellement important. J’aurais simplement trois recommandations à te faire. En dépit de tout ce que l’on dit de nos méthodes de dressage, le secret de la famille Otaku se trouve concentré dans trois règles. Ce sont elles qui nous donnent cet avantage.
- De quoi s’agit-il ?
- Tout d’abord, ce cheval est le tien. Ne laisse jamais personne d’autre que toi le monter ou s’en occuper. Il ne doit connaître que ton odeur, n’obéir qu’à ta voix.
- Très bien.
- Tu ne dois jamais lever la main sur lui, même un coup de talon pour le faire avancer serait un manquement à cette règle. Il doit t’accompagner dans tes mouvements, dans tes désirs, vous ne devez pas lutter l’un contre l’autre. La troisième règle vaut uniquement si tu respectes les deux premières. Si jamais tes pas sont perdus, si jamais tu ne sais pas quoi faire de tes choix, écoute-le. Il saura toujours mieux que toi l’endroit où tu veux te rendre, ce que tu désires.

Shiori promena sa main sur le crin chaud. Les yeux de l’animal la fixaient avec intérêt.

- Il n’est pas jeune. Il a connu d’autres cavalières ?

Shâam sourit.

- C’est un hongre. Les chevaux dénués de caractères sexuels ne sont pas utilisés pour combattre dans nos rangs. Ils n’ont pas l’agressivité nécessaire. Nous les employons comme bêtes de bât. Il n’a jamais été monté.
- V... vraiment ?
- Il a été dressé, rassure-toi. Mais il n’a pas de nom. Chez les Otaku, les femmes ne nomment pas leurs lames en fonction de leur destinée mais leurs montures.
- Il s’appellera Kamen, masque.

Elle releva le front d’un air de défi mais Shâam ne réagit pas.

- Si c’est là ton choix.
- Ça l’est.

Répondant à un signal invisible, Ginko s’avança à son tour. Shâam l’enfourcha sans effort. Shiori l’imita avec la même aisance. Elle ne voyait plus que le dos de la cape aux reflets de feu.

- Shâam ?

Le visage calme se tourna vers elle. Ginko frôla son cheval. Le cœur de Shiori s’emballa. Jamais depuis ce baiser à shiro Otaku, elles n’avaient été si proches.

- Merci.

Elle leva la main et du bout des doigts, effleura les lèvres de Shâam. Elle saisit son menton entre ses mains glacées.

- Va-t-en.

La shiotome détourna son regard. Ginko esquissa une révérence et ses sabots fendirent la neige en direction de kyuden Mirumoto.

Shiori ferma les yeux.

Pourquoi ?

Il lui sembla voir une lueur rouge planer au-dessus de la silhouette de sa sœur avant que la douleur ne vienne étreindre son épaule sur la marque d’Ombre. Elle se recroquevilla contre l’encolure de Kamen.

Shâam se mordit les lèvres. Elles avaient le goût du sang, de la résine.
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